Ma première journée s'est terminée sans accroc.
Enfin... si on oublie le petit détail où le géniteur de mon fils m'a littéralement regardée dans les yeux et ne m'a pas reconnue.
Rien de grave.
Juste un ego brisé, un cœur en feu et une envie subite de lui coller son badge au fond de la gorge.
À part ça, tout va bien.
J'ai raccompagné Haejin et Somin chacune chez elles — leurs résidences font passer les palaces pour des auberges.
Elles m'ont suppliée de dormir chez l'une d'elles ce soir, mais j'avais besoin de retrouver ma vraie vie.
Et c'est exactement là que je suis maintenant.
Assise dans ma voiture, garée devant la maternelle.
Le soleil commence à baisser doucement.
Des parents sortent de leur SUV flambant neuf pour aller chercher leurs enfants.
Des enfants courent, rient, hurlent...
Et moi, je reste là, à attendre le seul être humain qui donne un sens à cette mascarade.
Iseul.
Mon roi miniature.
Je l'aperçois.
Petit chat pressé, sac trop grand sur le dos, cheveux un peu en vrac, sourire qui fend le monde.
Je sors de la voiture avant même qu'il ne lève la tête.
Il me repère, et là, ce regard.
Ses yeux brillent.
Toujours.
Il court vers moi, bras ouverts, trop vite pour sa taille, et se jette littéralement contre mes jambes.
— Eommaaa !
Je me baisse aussitôt et l'enlace fort.
Ses bras autour de mon cou. Son odeur. Son rire.
Rien ne bat ça. Rien.
— T'as passé une bonne journée mon amour ?
Il hoche la tête, déjà surexcité.
— Ouais ! J'ai eu une étoile dorée parce que j'ai aidé une fille à attacher ses chaussures et j'ai pas tapé les jumeaux même s'ils m'ont encore embêté alors la maîtresse elle a dit que j'étais un vrai champion !
Je ris doucement, caressant ses cheveux.
— T'es mon champion tous les jours, même sans étoile dorée.
Je l'aide à retirer son sac, l'installe doucement à l'arrière, dans son siège auto.
Il s'attache tout seul, avec sérieux, comme toujours.
— On rentre ? demande-t-il, les yeux pleins d'attente.
— On passe vite fait au studio, on prend tes affaires... et on file au championnat, petit tigre.
Ses yeux s'ouvrent encore plus grand, si c'est possible.
— C'est vrai ? On va pas être en retard ?
— Je rate jamais une bataille de mon roi.
Il serre les poings, tout content.
Je ferme la portière, retourne à ma place.
Moteur. Direction : chez nous.
Ce petit appartement sans luxe, sans apparat, mais où tout ce qui compte existe.
Et pour ce soir, je range Taeyang dans une boîte au fond de mon crâne.
Parce que ce soir, c'est Iseul qui brille.
On se gare dans le petit parking souterrain de l'immeuble.
Pas de vigile. Pas de marbre. Pas de miroir en cristal.
Juste du béton, de la peinture écaillée, et l'odeur vague d'humidité.
Chez nous.
Je sors vite, ouvre la portière arrière, et le détache.
Il bondit du siège comme une fusée et tend la main sans même que je le demande.
Je la prends.
Toujours.
Et on court.
— Dernier arrivé à l'ascenseur est un poulpe tout mou !
— On prend les escaliers ! je crie.
Il hurle de joie, et on dérape presque en tournant.
Quatre étages à monter à pieds.
On les fait en rigolant, en soufflant, en sautant deux marches.
On arrive essoufflés devant la porte.
Il s'adosse au mur, dramatique.
— Eomma... je crois que je suis mouru.
Je sors la clé, toujours avec ce petit sourire en coin.
— Pas encore. Pas avant d'avoir monté sur ce ring, petit champion.
J'ouvre la porte, il entre en courant.
Je referme doucement derrière nous.
Le studio est simple, propre, rangé.
Modeste, mais lumineux.
C'est pas grand, mais c'est assez.
— Va te laver le visage mon cœur, et vérifie si t'as pas des traces de feutre sur les joues.
— Oui chef !
Il file à la salle de bain comme un petit soldat.
L'eau coule.
Je retire mes talons, les laisse près de la porte.
Direction cuisine.
Je connais la routine.
J'ouvre le frigo, sors ce qu'il aime :
• Riz tiède
• Petits morceaux de poulet grillé
• Tranches de concombre
• Et une boisson vitaminée
Son repas de champion.
Je le prépare et le glisse dans son assiette préférée, celle avec les pandas.
Puis, je sors aussi un petit encas :
un sandwich coupé en triangle et une compote.
Juste de quoi tenir avant le match.
Il revient, le visage frais, les cheveux mouillés, fier comme un roi.
— Regarde, je suis propre et prêt à me battre !
Je lui tends le goûter, et il l'attrape avec le sérieux d'un athlète avant un combat.
— Tu vas leur montrer qui c'est, Yoo Iseul ?
Il hoche la tête, la bouche pleine, yeux déterminés.
— Toujours.
Pendant qu'il attaque son sandwich comme si c'était une épreuve olympique,
je me penche sur son sac de sport.
Gants de Muay Thaï, vérifiés.
Short noir avec bandes dorées, soigneusement plié.
Protège-tibias, bouteille d'eau, serviette, mouchoirs.
Tout y passe. Tout est à sa place.
J'ajoute son assiette dans une petite boîte hermétique, glissée dans un coin bien calé.
Son repas d'après-combat.
Le réconfort. La fierté.
Je ferme la fermeture éclair d'un geste sec.
Le sac est petit, noir, avec des oursons en patch sur les côtés.
C'est lui. C'est exactement lui.
Je tape dans mes mains.
— Allez, debout le tigre ! C'est bientôt l'heure !
Il bondit de sa chaise, attrape ses petites baskets posées à l'entrée.
Il les enfile à toute vitesse, en tirant sur les scratchs comme un vrai pro.
— Je suis prêt !
— Course jusqu'au parking ?
Il lève les yeux, grand sourire.
— 3... 2... 1... GO !
Et on repart.
Par les escaliers.
Encore.
Toujours en courant, toujours en riant.
Je le rattrape, il accélère, on dérape sur la rampe, on éclate de rire.
Pas besoin de luxe. Pas besoin de calme.
Juste lui. Juste ça.
On arrive en bas, les joues rouges, le cœur battant.
Je déverrouille la voiture, il grimpe tout seul à l'arrière et s'attache, concentré comme un pilote avant le décollage.
Je jette son sac sur le siège passager, monte à mon tour.
Je lance le moteur.
Le championnat nous attend.
Et je suis pas inquiète.
Parce que mon fils, c'est pas un enfant comme les autres.
C'est un lion habillé en ourson.
La voiture se gare juste devant la salle de sport.
Le ciel est un peu plus sombre maintenant, mais dans la voiture,
c'est l'euphorie.
Iseul gigote, tape du pied, trop excité pour rester en place.
Il regarde les enfants qui arrivent, les sacs de sport, les grands néons au-dessus de l'entrée.
— On est là ! On est lààà !
Je ris doucement.
— Calme-toi, champion. Tu vas t'épuiser avant d'avoir mis un pied sur le ring.
Je sors, ouvre la portière arrière, le détache doucement.
Il saute dans mes bras, encore trop petit pour garder les pieds sur terre quand il est heureux.
Je prends son sac de sport d'une main, et sa main dans l'autre.
Main dans la main, on entre.
Le sol résonne sous nos pas.
L'odeur du cuir, de la sueur, du combat flotte déjà dans l'air.
Et lui...
Il respire comme si c'était de l'oxygène pur.
Il est à l'aise ici.
Chez lui.
Même les autres enfants le regardent avec une sorte de respect tranquille.
Parce que Iseul n'a encore jamais perdu.
Je l'emmène dans les vestiaires.
Pas besoin de lui dire quoi faire : il connaît la routine.
Je pose le sac sur le banc, l'ouvre, commence à sortir son équipement.
Il retire ses vêtements calmement, sérieux, concentré.
Je l'aide à enfiler son short noir, lui attache ses protège-tibias, ajuste ses gants.
Puis je me baisse à sa hauteur.
On se regarde.
Yeux dans les yeux.
Comme avant chaque combat.
Je tends mon poing fermé vers lui.
— T'es qui ?
Il sourit.
— Yoo Iseul.
— Et c'est quoi ton arme ?
— Mon cœur.
— Et pourquoi on se bat ?
Il colle son petit poing contre le mien, et répond sans hésiter :
— Parce qu'on n'abandonne jamais.
Je lui embrasse le front, longtemps.
Il ferme les yeux, inspire profondément.
Mon fils.
Mon guerrier.
Mon plus beau combat.
Je l'aide à enfiler sa veste de survêtement au-dessus de ses gants,
et le laisse rejoindre les autres enfants dans le couloir menant au ring.
Il me lance un regard par-dessus l'épaule.
Je lui fais un clin d'œil.
On se comprend sans parler.
Je monte dans les gradins.
Trouve une place avec vue directe sur le ring.
Je m'installe.
Je croise les bras.
Et je serre la mâchoire.
La salle est pleine de parents, de cris d'encouragement, de caméras, de sueur dans l'air.
Mais tout ce que je vois, c'est ce carré rouge et bleu au centre.
Le ring.
Un homme monte sur l'estrade avec un micro.
Bien habillé, voix forte, sourire de show télé.
— Mesdames et messieurs, bienvenue au Championnat Régional Junior de Muay Thaï !
Applaudissements.
Bruits.
Ambiance.
Je reste immobile.
— Aujourd'hui, les meilleurs jeunes talents de la région vont s'affronter pour décrocher leur place en finale nationale !
Un à un, les enfants sont appelés sur le ring.
Petits corps, grands regards.
Certains sourient.
D'autres tremblent.
Moi, j'attends un nom.
Le seul qui compte.
— Et maintenant, le dernier compétiteur de cette soirée...
Le présentateur marque une pause.
Je retiens ma respiration.
— Toujours invaincu... petit par la taille mais redoutable sur le ring... YOO ISEUL !
Et là, je le vois.
Il monte.
Petit corps solide.
Marche calme.
Regard droit.
Il ne sourit pas.
Il ne joue pas.
Il est là pour gagner.
Et moi, dans les gradins...
je sens mon cœur battre comme s'il allait monter à sa place.
Le gong sonne.
Sec.
Clair.
Et Iseul monte sur le ring.
Il fait son salut traditionnel, penche doucement la tête vers ses coachs.
Puis vers le public.
Et très légèrement... vers moi.
Je me retiens de pleurer.
— Face à lui ce soir, dans la catégorie poids plume junior : Park Doyun, 6 ans, trois victoires à son actif, un style agressif...
Mais attention, face à lui : Yoo Iseul, 5 ans, invaincu depuis ses débuts.
Un jeune prodige, vif, technique, et redoutablement précis.
commente le présentateur, un peu trop excité.
La salle applaudit.
Moi je serre les mains sur mes genoux.
Le combat commence.
Doyun fonce direct, sans réfléchir.
Mais Iseul, lui, il attend.
Il lit.
Il anticipe.
Il esquive.
Son premier coup de pied claque dans l'air comme un fouet.
Le gamin en face vacille.
Le public réagit.
Certains rient, d'autres poussent des "ohhhh".
Moi ?
Je reste droite.
Fière.
Tendue.
C'est pas un jeu pour lui.
C'est un langage.
C'est là qu'il respire.
Il ne frappe pas pour blesser.
Il frappe pour s'imposer.
Petit corps. Grand respect.
Son adversaire tente une nouvelle attaque.
Iseul bloque avec son genou, pivote, enchaîne deux directs rapides.
Clac. Clac.
Le public s'agite.
— Quel talent à cet âge ! commente le présentateur. Yoo Iseul a une maîtrise qui dépasse largement son niveau. C'est propre, rapide, chirurgical.
Je serre un peu plus les poings.
Pas de cris. Pas de "vas-y mon fils".
Juste mon regard. Fixé. Stable. Présent.
Parce qu'il le sait.
Je suis là.
Et il combat pas juste pour gagner.
Il combat pour montrer qu'il existe.
Qu'il est là.
Qu'il est pas seulement le fils d'un fantôme.
Il est Iseul.
Et il brille.
Iseul enchaîne.
Un pas en arrière, un coup de pied circulaire.
Une esquive fluide, un direct au plexus.
Il ne tremble pas.
Il ne recule pas.
Il domine.
Son adversaire fait de son mieux, mais il est dépassé.
Il fatigue. Il hésite.
Iseul, lui, reste droit, les yeux fixés, le souffle régulier.
La salle retient son souffle.
Le public commence à murmurer, impressionné.
Des coachs hochent la tête.
Des parents filment sans détourner l'objectif.
Moi ?
Je suis figée.
Le regard accroché au ring.
Chaque coup, chaque mouvement, c'est comme s'il me frappait aussi.
Mais pas de douleur.
De la fierté.
Crue. Immense. Incontrôlable.
Le gong final sonne.
Clair.
Net.
C'est fini.
L'arbitre s'approche.
Il attrape le bras de chaque enfant, un de chaque côté.
Suspens.
Respiration coupée.
Silence.
Et puis...
Il lève le bras gauche.
Celui d'Iseul.
— Le vainqueur : Yoo Iseul !
Et là, je craque.
Je me lève d'un coup, applaudis comme si mes mains allaient exploser.
Je crie son nom, les yeux embués, le cœur en vrac.
— YAAH ISEUL-AH !
Les gens autour de moi se retournent.
Mais je m'en fous.
C'est mon fils.
C'est mon roi.
Et il vient de conquérir son royaume.
Sur le ring, il cherche dans la foule.
Et quand nos regards se croisent...
Il sourit.
Pas un sourire d'enfant.
Un sourire de victoire.
Je le regarde descendre du ring.
Encore en sueur. Encore essoufflé.
Mais le sourire...
Le sourire, lui, il a gagné bien avant la cloche.
Il me cherche du regard.
Je lui fais un signe de la main, paume ouverte sur mon cœur.
Il sourit encore plus fort.
Puis la voix du présentateur revient, couvrant le brouhaha :
— Et je vous rappelle que les enfants vainqueurs de ce soir seront officiellement sélectionnés pour participer au Championnat National Junior, qui aura lieu dans deux mois à Busan !
Silence.
Puis explosion de cris, de bravos, de réactions surprises dans la salle.
Moi, je bouge pas.
Pas tout de suite.
Je le regarde.
Yoo Iseul.
Cinq ans.
Et déjà en route pour les sommets.
Il rit, saute, serre la main de son coach.
Et moi...
Je reste assise.
Une larme tranquille roule sur ma joue.
Pas une larme de douleur.
Une larme de fierté pure.
De promesse tenue.
De force transmise.
Parce qu'il est pas juste un enfant.
Il est mon fils.
Et ce soir, plus que jamais,
il est tout ce que j'ai réussi de plus grand.