Bureau du Professeur Im Hwanwoo.
Directeur. Doyen.
Et accessoirement, détenteur du plus haut taux d'ulcères du campus.
Je suis assise sur une chaise trop dure, face à un bureau trop bien rangé.
À ma droite : Seong Jaeho, chemise déchirée, lèvres éclatées, coton dans le nez, qui marmonne des menaces.
À ma gauche : Seo Taeyang, jambes écartées, dos calé, sourire en coin.
Et moi ?
Je suis là, au milieu de ce cirque testostéroné, à me demander quel dieu j'ai offensé dans une vie antérieure.
– Ce genre de comportement est intolérable sur un campus universitaire.
La voix glaciale du Professeur Im claque dans l'air. Il ne lève même pas les yeux.
Genre c'est une journée comme les autres.
Taeyang se penche, pose son coude sur le bureau, l'air faussement concerné.
– J'ai entendu dire que vous faisiez de la méditation, professeur. Vous devriez essayer avec lui.
Je lève les yeux au ciel.
Il a pas dit ça. Il a OSÉ.
Seong Jaeho explose :
– Il m'a pété la gueule, ce malade ! Je vais porter plainte ! Je vais appeler mon père ! Je vais—
Taeyang tourne la tête vers lui.
– Tu veux que je recommence ?
Je le pousse du coude.
– FERME-LA, Bruce Lee.
Le professeur lève enfin les yeux, les sourcils déjà au sommet de son crâne.
– Mademoiselle Yoo. Vous étiez présente ?
Je redresse le dos, calme en apparence, volcan à l'intérieur.
– Oui, professeur. Et si vous me permettez...
Je regarde Jaeho comme s'il était un chewing-gum écrasé.
– Ce qu'il a dit devant tout le monde était non seulement obscène, mais violent. S'il a reçu un coup, c'est parce qu'il l'a bien cherché.
– Elle ment ! Cette salo—
– Termine ce mot, et j'te fais avaler tes molaires.
Silence.
Taeyang esquisse un sourire, genre mon ex est toujours aussi sauvage.
Professeur Im soupire.
– Je ne cautionne aucune violence. Mais si les propos tenus sont avérés, M. Seo pourrait bénéficier d'une circonstance atténuante.
Taeyang croise les bras.
– J'ai rien à atténuer. J'ai tapé. J'assume.
– TU M'AS PÉTÉ LE NEZ !
– Il dit ça comme si j'avais visé ailleurs.
– TAEYANG.
– Bah quoi, c'est vrai.
Professeur Im pose son stylo. Il a l'air à deux doigts de démissionner.
– Je suis trop vieux pour ces conneries...
On reste là, dans un silence awkward as fuck.
Jaeho qui saigne.
Taeyang qui s'en fout.
Moi qui perds des neurones à chaque seconde.
– Je veux une sanction. Une vraie ! Il doit être viré, suspendu, rayé du campus ! Et elle aussi, elle a rigolé !
Je me redresse, outrée.
– Pardon ?! J'ai RI parce que t'as glissé sur ta dignité quand il t'a touché.
Le prof ferme les yeux.
– Je vous propose un deal. M. Seo, vous êtes suspendu une semaine. M. Seong, vous vous excusez publiquement pour vos propos. Sinon, j'ouvre une procédure disciplinaire contre vous deux.
Taeyang hausse les épaules.
– Je prends la semaine. J'ai besoin de repos.
Jaeho s'étouffe.
– Vous êtes tous fous ici !
Je croise les bras.
– Peut-être. Mais au moins on se fait pas trainer comme des déchets.
Professeur Im se lève.
– C'est bon. DEHORS. TOUS.
On sort.
Jaeho claque la porte comme un gosse frustré.
Taeyang passe à côté de moi, tranquille, sourire aux lèvres.
Je respire.
Longtemps.
Je marche dans le couloir.
Talons qui claquent, cœur qui bat un peu trop vite.
Pas pour lui. Non.
Juste parce que j'ai envie d'étrangler quelque chose. Une porte, un souvenir, une époque. N'importe quoi qui bouge.
Et là...
FLASH.💥
Soir.
Tard.
Mon téléphone vibre sous mon oreiller.
"Tae❤️"
Je me lève sans bruit.
Je sors de chez moi en chaussettes, une veste à l'arrache sur le dos.
Il m'a dit : "Viens." Et j'ai pas réfléchi.
Je le trouve derrière le terrain de foot du collège, sous les lampadaires grillés.
Assis par terre.
Genoux relevés.
Tête baissée.
Et quand il lève les yeux...
Je m'arrête net.
Lèvre éclatée.
Arcade ouverte.
Bleus sur le cou.
Sang sur le col.
— PUTAIN mais qu'est-ce qui t'est arrivé ?!
Il éclate de rire.
Littéralement.
Un rire rauque, presque joyeux.
— C'est rien. J'me suis juste un peu battu.
Je m'accroupis. Je touche à peine sa joue. Il grimace à peine.
— T'es con. T'es complètement con, sérieux.
— Ouais mais j'suis con avec style.
— Ta gueule.
Et je cours.
Je cours jusqu'à la pharmacie ouverte 24h à l'autre bout du quartier.
J'achète du désinfectant, des compresses, du baume, et une paire de ciseaux parce que j'ai envie de le découper.
Je reviens. Essoufflée. En sueur.
Et lui ? Toujours assis, les yeux fermés, genre le monde est calme.
Je m'installe devant lui.
Je pose le sac.
Et je commence à nettoyer ses plaies.
Il ouvre un œil.
— T'as volé la pharmacie ou quoi ?
— Tu veux que je t'étrangle ou que je te soigne, Seo Taeyang ?
Il rit encore.
Et moi, je déteste ce rire autant que je l'aime.
Parce que je sais que derrière... y'a un cri qu'il veut pas lâcher.
Je désinfecte. Il serre les dents.
Je souffle. Il me regarde.
— Tu sais que t'as des mains douces ?
— Tu sais que t'as une tête à claques ?
Il sourit.
Et là, juste une seconde...
J'oublie que c'est pas normal d'aimer quelqu'un qui revient vers toi en sang.
Retour au présent.
BOOM.💥
Les néons du couloir me font mal aux yeux.
Je passe une main dans mes cheveux, les redresse.
J'ai mal à la poitrine. Pas émotionnellement.
Juste... une sorte de pression. Un souvenir trop lourd.
Je respire.
Je continue d'avancer dans le couloir.
Loin de ce putain de bureau.
Loin de Taeyang.
Loin de tout ce qui vient de remonter.
Mes talons résonnent comme une guerre froide.
J'arrive à l'extérieur, l'air me claque le visage.
Ça fait du bien. Brutal, mais nécessaire.
Et là, je les vois.
Appuyées contre ma voiture, côté conducteur.
Haejin, bras croisés, regard de sniper.
Somin, lunettes de soleil, pied qui tape contre le pneu.
Elles me voient arriver.
Elles scannent mon visage.
Elles savent déjà que j'ai morflé.
Mais elles disent rien.
Pas encore.
— T'as mis du temps, souffle Somin, en ouvrant la portière passager.
— Tu vas bien ? demande Haejin en haussant un sourcil.
Je monte côté conducteur.
Moteur enclenché. Vitres fermées.
Je souris.
Un sourire trop net pour être vrai.
— Tout va bien.
Mensonge.
Propre. Poli. Inattaquable.
Elles échangent un regard silencieux.
Mais elles savent.
Elles savent que si j'ai pas envie d'en parler maintenant, elles attendront.
Parce qu'on est comme ça.
Je les ramène.
Une après l'autre.
Somin, devant son immeuble de verre et de marbre.
Haejin, devant sa résidence qui sent le luxe et l'indépendance.
Elles sortent, me souhaitent bonne chance avec un sourire.
Et moi, je prends la route.
Direction : le seul endroit où je me sens entière.
La maternelle.
Le soleil commence à se coucher.
Les enfants sortent un par un, tenus par la main, criant à leurs parents ce qu'ils ont mangé, dessiné ou détruit.
Je me gare.
Je descends.
Je remets mon masque.
Pas celui en tissu.
Celui que je porte depuis cinq ans.
Celui qui dit je vais bien.
Celui qui dit je contrôle tout.
Celui qui dit personne n'a besoin de savoir.
Et puis...
Je le vois.
Iseul.
Sac sur le dos. Chaussures dépareillées.
Cheveux en bataille. Visage éclatant.
— EOMMAAA !
Il court vers moi.
Bras ouverts.
Sourire plus grand que la maternelle entière.
Je m'accroupis.
— Viens là, mon cœur.
Et il saute dans mes bras.
Son petit corps chaud contre le mien.
Ses mains autour de mon cou.
Son rire dans mon oreille.
Et d'un coup, tout ce qui me détruisait il y a cinq minutes...
n'existe plus.
Je me relève, le tenant toujours contre moi.
Et je souris.
Un vrai.
Un qui vient de l'âme. Pas de la gorge.
Parce que là, dans mes bras, y'a ma victoire.
Mon roi.
Mon pourquoi.
— T'as passé une bonne journée, champion ?
Il hoche la tête, déjà prêt à me raconter mille trucs.
Et moi je l'écoute.
Le cœur plus léger.
Parce que tant qu'il court vers moi comme ça...
Je peux tout encaisser.
On est rentrés.
Le sac est posé.
Les chaussures sont rangées.
Le soleil tombe doucement derrière les immeubles.
Et moi, je sors un petit goûter du frigo.
— Tiens, mon cœur.
Il attrape la compote et les petits biscuits en forme d'animaux.
Ses yeux brillent comme toujours.
Mais... y'a un truc.
Il me regarde.
Un peu trop longtemps.
Puis il penche la tête.
— Eomma... t'es pas comme d'habitude.
Je souris doucement.
— Mais si. J'ai juste eu une journée longue.
Il me fixe.
Sérieusement. Comme un petit vieux dans un corps de bébé champion.
— Si quelqu'un t'embête... j'lui casse la figure.
Je m'arrête net.
Je le regarde.
Ce petit air boudeur. Les poings serrés. Les sourcils froncés.
Et là...
Je l'attrape.
Je lui saute littéralement dessus.
Je l'embrasse partout. Le front, les joues, le nez, la bouche.
— Merci mon sauveur. Mon héros. Mon bodyguard de l'amour.
— EOMMAAA ! Arrêteuh ! Tu me baves dessuuuus !
Il râle. Il gigote. Mais il rit.
Ce rire-là. Celui qui nettoie l'âme.
Et juste quand je m'apprête à le relâcher...
Il baisse les yeux.
Son petit visage change.
Ses doigts triturent la compote.
Ses lèvres se pincent.
Et ses yeux s'embuent.
Je me fige.
— Iseul...? Bébé, qu'est-ce qu'il y a ?
Il secoue la tête d'abord.
Mais une larme coule.
Lentement. Silencieusement.
Je me baisse à sa hauteur.
Mes mains encadrent son visage.
— Dis-moi ce qu'il y a. S'il te plaît.
Il murmure. Presque inaudible.
— Les jumeaux... aujourd'hui encore... ils ont dit que j'avais pas de papa.
...
Silence.
— Ils ont dit que c'était pour ça que je suis bizarre. Que j'ai pas de vrai famille. Et que... et que...
Sa voix se brise.
— Que c'est pour ça que personne veut jouer avec moi des fois...
...
Mon cœur se déchire.
Là. En deux.
Mais je reste calme. Je reste droite.
Parce que je suis sa mère. Pas une vague.
Je le serre fort.
Fort comme si je pouvais écraser la peine à sa place.
— Écoute-moi bien, Iseul.
Je le tiens, front contre front.
— Tu es le plus beau, le plus fort, le plus incroyable petit garçon que ce monde ait jamais porté. Et ta famille ? C'est moi. Et moi, je vaux cent personnes, tu m'entends ?
Il hoche la tête, tout doucement.
— Et si ces jumeaux recommencent... tu fais quoi ?
Il renifle.
— Je leur dis que j'ai pas de papa... mais que j'ai une reine pour maman.
Je souris. Les larmes aux yeux, mais le cœur plein.
— T'as tout compris, mon roi.
Je l'embrasse sur le front.
Et je me promets que jamais quelqu'un lui fera croire qu'il lui manque quelque chose.
Parce que tout ce dont il a besoin... il l'a déjà en lui.
Je suis encore accroupie devant lui, à sécher ses larmes, quand il me regarde.
Droit dans les yeux.
Avec ce sérieux bien trop grand pour son petit âge.
— Eomma... c'est qui, mon papa ?
...
Silence.
Je me fige.
Ma main tremble à peine sur sa joue.
Je pince les lèvres.
Je cherche une réponse.
N'importe quoi.
Un détour. Un demi-mensonge.
Un truc pour esquiver.
Mais il le sent.
— Tu veux pas me dire, hein ? dit-il, les yeux plissés.
— Iseul... c'est compliqué.
— C'est toujours compliqué ! s'énerve-t-il soudainement, en repoussant ma main.
— Je suis pas un bébé ! Tout le monde a un papa sauf moi ! Et toi tu dis jamais rien ! Tu dis rien du tout ! C'est PAS JUSTE !
Sa voix tremble.
Et d'un coup, il se lève.
— Je te déteste !
Il court à toute vitesse.
Je me lève d'un bond.
— ISEUL !
Trop tard.
La porte de la salle de bain claque.
Verrouillée.
— Ouvre ! Iseul, OUVRE CETTE PORTE !
Pas de réponse.
Je tape. Fort. Deux fois.
— Tu fais quoi là-dedans ?!
Rien.
Juste le bruit de l'eau du robinet.
Et mon souffle court.
Je ferme les yeux.
Je pose mon front contre la porte.
Et je glisse doucement le long, jusqu'à m'asseoir.
Dos contre le bois.
Bras autour de mes jambes.
Et je craque.
En silence.
Les larmes montent. Brûlantes.
Je les retiens pas.
— Je suis désolée... je murmure.
J'inspire fort.
Une minute passe.
Puis deux.
Et j'entends un petit clic.
Le verrou.
La porte s'ouvre tout doucement.
Iseul est là.
Petit. Le visage fermé. Les yeux rouges.
Il me regarde.
Et sans un mot, il s'approche.
Il se baisse à son tour.
Et il me prend dans ses bras.
— Je suis désolé, eomma...
Ma gorge se serre encore plus.
Je l'enlace fort. Fort comme si je voulais le garder dans mes bras jusqu'à la fin du monde.
— Moi aussi, mon cœur. Moi aussi je suis désolée.
Il cale sa tête dans mon cou.
Et je me jure, encore une fois...
qu'un jour, il saura tout.
Mais pas encore.
Pas tant que le monde sera encore un peu trop grand pour ses épaules.