— SIERAH ! Vas-y, ma belle, regarde-moi maintenant. Oui, fais comme si ce parfum était ton plus grand désir. Emmène-nous au septième ciel, ma puce. parle nous à travers ce parfum.
La voix de Richard Lemon résonnait dans le studio comme un ordre divin. Il était l’un des photographes les plus célèbres au monde, un véritable maître dans son domaine. Travailler avec lui était une consécration, mais aussi une épreuve. Après quatre heures à suivre ses instructions incessantes, à poser sans interruption, mes muscles criaient grâce.
— Parfait ! Incline légèrement la tête… plus à gauche… encore… oui, voilà ! Regarde-moi, respire ce parfum comme si c’était ton oxygène, poursuivit-il avec un enthousiasme implacable.
J’exécutai ses consignes, mais la fatigue me rattrapait. Mes jambes tremblaient, et une sourde douleur commençait à irradier dans mes tempes. Pourquoi faut-il que tout semble si parfait alors que je me sens si imparfaite à l’intérieur ? Je savais que, même si je m’évanouissais, Richard trouverait un moyen de capturer le moment. Il dirait ensuite que ce parfum avait le pouvoir d’apaiser jusqu’à l’épuisement, et ça ferait vendre. Cette pensée m’arrachait un sourire amer.
Finalement, il posa son appareil et déclara d’un ton tranchant :
— Bien ! C’est fini pour aujourd’hui. Vous avez été superbes, surtout toi, Sierah. Mais demain, viens en meilleure forme. Oh, et j’ai l’impression de voir des rides. Fais en sorte qu’elles disparaissent, d’accord ?
Sa remarque me heurta, comme une épine plantée dans ma confiance. Devant lui, je me contentai d’un sourire poli, bien que crispé. Des rides ? Sérieusement ? Combien de temps encore vais-je devoir me battre contre ce genre de remarques ? Autour de moi, les membres de l’équipe technique poussaient des soupirs de soulagement. L’épuisement se lisait sur chaque visage, mais personne ne se plaignait. Ce privilège n’était pas pour nous.
De retour dans ma cabine, je retirai méthodiquement les bijoux, la robe, et le maquillage qui me pesaient comme une armure. En me regardant dans le miroir, je m’attardai sur mon reflet. C’est vrai, ces rides ? Ou est-ce juste ma tête qui me joue des tours ? Les mots de Richard tournaient en boucle dans ma tête. Combien de temps encore pourrais-je maintenir cette image de perfection ? Cette pensée m’alourdissait autant que la journée elle-même.
Une fois changée en vêtements confortables, je pris une grande inspiration, savourant un instant de liberté. Mais alors que je m’apprêtais à rejoindre mon véhicule, un détour malheureux m’amena devant une porte que j’aurais dû éviter.
— Sierah, viens dans mon bureau.
La voix ferme et autoritaire de Carlos, mon agent, me fit tressaillir. Je soupirai discrètement et me dirigeai à contrecœur vers son bureau.
— Entre, lança-t-il dès que j’eus frappé à la porte.
Je m’exécutai, refermant derrière moi. Carlos était assis derrière son large bureau, entouré de piles de documents et d’un ordinateur dernier cri. Il ne releva les yeux qu’après m’avoir fait attendre quelques secondes de trop.
— Ton vol est prévu pour samedi. Destination : New York. Fashion Week, annonça-t-il d’un ton sec.
La nouvelle tomba comme un couperet.
— Mais… je ne pourrai pas terminer avec Richard avant samedi prochain, protestai-je, mes nerfs déjà à vif.
Il leva une main pour m’interrompre, son regard aussi tranchant qu’un rasoir.
— Je m’en fiche complètement, répondit-il. Débrouille-toi pour finir tes séances avec Lemon avant samedi et améliore tes poses s’il te plait, ou redouble d’effort je m’en moque mais Ce vol, tu le prendras. Et là-bas, comporte-toi bien. Pas d’excuses. Tu sais à quel point ce contrat est crucial pour nous. Ne me pousse pas à bout, Sierah.
Un frisson glacé me traversa la colonne vertébrale, comme si ses paroles avaient éveillé une peur enfouie en moi. Et si je n’y arrive pas ? Si je flanche sous la pression ? Je déglutis difficilement et hochai la tête, incapable de prononcer le moindre mot.
Je sortis de son bureau le cœur lourd, le pas traînant. À cet instant précis, je me demandais comment j’avais pu en arriver là.
Vous, qui pensez que la célébrité est un luxe, que le monde de la mode est une mer d’opulence et de glamour… venez découvrir avec moi ce qu’est véritablement mon enfer.
En arrivant chez moi, une vague de soulagement m'envahit. La porte à peine ouverte, mon chien, un adorable mélange de races au regard malicieux, bondit vers moi, remuant frénétiquement la queue.
— Salut, toi ! murmurai-je en me penchant pour lui déposer une bise sur la tête.
Après une journée aussi éprouvante, son accueil débordant de joie avait un effet apaisant. Pourtant, une part de moi restait engluée dans les paroles de Carlos et de Richard, comme une tache indélébile sur ma soirée. Pourquoi est-ce si difficile de laisser tout cela derrière moi, même ici ?
Je posai mes affaires près de l’entrée, puis me dirigeai directement vers la salle de bain. Une douche chaude, ma routine quotidienne, était devenue mon rituel pour laver la fatigue et le stress de la journée. Sous le jet d’eau, je laissai mes pensées vagabonder, savourant la chaleur qui détendait mes muscles tendus. Mais même là, je ne pouvais m'empêcher de revoir les visages tendus du studio et d'entendre la voix autoritaire de Carlos. Un jour, je lâcherai tout. Mais pas aujourd’hui… je n’en ai pas le droit.
Une fois sortie, enveloppée dans un peignoir confortable, je me dirigeai vers la cuisine. L’envie d’un bon plat fait maison me poussa à improviser quelque chose de simple mais savoureux. En quelques minutes, l’appartement s’emplissait d’une douce odeur de légumes sautés et d’épices.
Assiette en main, je me laissai tomber sur mon fauteuil préféré, un vieux compagnon qui avait vu toutes mes humeurs. Mon appartement n’avait rien de luxueux, mais il me ressemblait. Confortable, pratique, et juste assez spacieux pour une mannequin qui préférait la simplicité à l’excès. Pourtant, à cet instant, il me paraissait étrangement vide.
Je pris la télécommande et allumai la télévision. Sans hésiter, je lançai l’un de mes mangas préférés. Ces derniers temps, Solo Leveling accaparait mon attention. J’étais totalement captivée par l’histoire, et ce soir, l’épisode 5 de la saison 2 m’attendait.
En plongeant dans l’univers des Chasseurs et des donjons, je laissai mes soucis s’estomper, du moins pour un instant. Mais, au fond de moi, je savais que la réalité m’attendait, tapie dans l’ombre comme un prédateur.