Cela fait maintenant une semaine que je suis à New York. Une semaine… une éternité. Le temps a disparu dans ce tourbillon où je me suis perdue, comme une poupée de chiffon ballottée par les vagues d'un océan en furie. Je suis là, à courir d’une séance à l’autre, d’un essayage à un autre, d’un shooting à un autre. La journée commence avant même que le soleil ne se lève et se termine bien après que les étoiles aient pris leur place dans le ciel. Chaque instant est une course contre la montre, chaque minute remplie d'une nouvelle exigence, d’un nouvel impératif. Le sport, les répétitions, les préparatifs… Rien n’a cessé. Rien ne m’a laissée respirer.
Je me réveille chaque matin avec la même pression dans la poitrine, la même sensation d’avoir oublié quelque chose, de n’avoir pas assez fait, de ne pas être à la hauteur. Mais je me force à avancer, je m’oblige à sourire, à poser cette façade parfaite que tout le monde attend de moi. Parce qu’au fond, c’est ce qu’ils attendent tous, n'est-ce pas ? La Sierah qui brille sous les projecteurs, qui ne montre jamais de faiblesses, qui n'a jamais de doute.
Mais ce soir… Ce soir, c’est différent.
Demain est le grand jour. Le jour de la Fashion Week, le jour où je vais défiler sur ces catwalks qui semblent si loin et si proches à la fois. Le jour où je vais devoir incarner tout ce que l’on attend de moi, la perfection incarnée, l'élégance pure. Mais en réalité, une boule de tension me serre la gorge, et je sens mes mains légèrement trembler alors que je ferme les yeux. Pourquoi ai-je ce nœud dans l’estomac ? Pourquoi cette appréhension, ce vide au fond de moi ?
Les répétitions sont passées, les tenues sont prêtes, tout est sur le point d’être parfait… Et pourtant, je n’arrive pas à me débarrasser de ce poids, cette inquiétude sourde qui me colle à la peau. Je suis censée être excitée, vibrer de bonheur, de fierté. Mais tout ce que je ressens, c’est une peur terrible. Une peur de me tromper, de ne pas être à la hauteur, de décevoir… décevoir qui, au fond ? Les autres ? Moi-même ?
Je m’allonge sur le lit de l’hôtel, les rideaux tirés pour empêcher la lumière de pénétrer, mais rien ne semble me protéger. Loin du tumulte extérieur, je suis envahie par ce silence lourd, celui qui nous pèse quand on se retrouve seule avec ses pensées. C’est dans ces moments-là que tout éclate, tout déborde. C’est dans ces moments-là que la façade se fissure.
Les regards de ceux qui m’entourent ne me touchent plus. Carlos, les photographes, les organisateurs… tous attendent de moi que je sois ce qu’ils veulent que je sois. Mais moi… Moi, j’ai oublié ce que je suis. Je suis fatiguée de porter ce masque, fatiguée de jouer ce rôle. Il y a des jours où je me demande si cette vie est réellement la mienne, si je suis encore la même fille que celle qui est arrivée ici, il y a des années, pleine de rêves et d’espoirs.
J’essaie de calmer mon esprit. Je ferme les yeux, prends une profonde inspiration, me concentrant sur la sensation du matelas sous mon dos, sur la douceur des draps. Mais même ça, je peine à l’apprécier. La pression est trop forte. Demain, tout doit être parfait. Et si je n'y arrivais pas ?
Je me sens noyée dans une mer d'attentes, et tout ce que je veux, c’est respirer, être simplement moi, être quelque part, n'importe où, mais pas ici. Pas sous ce fardeau. Mais je n’ai pas le droit. Je n'ai pas le droit de faiblir, pas ici, pas maintenant.
Demain, je serai prête, je serai cette Sierah qui fait tourner les têtes, qui défie les regards. Mais ce soir, ce soir, j’ai juste envie de m’effondrer, de crier, de me libérer de ce poids qui m’étouffe. J’aimerais pouvoir poser cette question : “Est-ce vraiment ce que je veux ?” Mais ce n’est pas le moment, et je ne peux pas me permettre d’y penser.
Le temps file, inéluctable. Demain viendra. Et demain, je ferai ce que j’ai toujours fait : avancer, sourire, briller. Mais pour l’instant, juste pour un instant, j’ai besoin de me retrouver dans ce silence lourd, d'écouter la vérité de mon cœur, qui crie pour une vie plus simple, plus réelle.
Je ferme les yeux. Demain est un autre jour, et je dois le vivre. Mais ce soir… ce soir, je me permets d’être fragile, juste un peu. Parce que demain, je serai à nouveau la Sierah que le monde attend.
Le jour tant attendu était enfin arrivé. La Fashion Week. L'événement qui occupe toutes les conversations, qui fait battre le cœur de cette ville avec une intensité presque palpable. C'est le moment où New York devient le centre du monde, où tout le glamour, toute la lumière, toute l'énergie se concentrent en un seul point. Et aujourd'hui, ce point, c'est moi. Ou du moins, c'est ce que je suis censée être.
Le matin a commencé dans une frénésie bien rodée. La lumière était encore faible quand on m’a réveillée, mais les bruits dans le couloir et les chuchotements de l’équipe ont dissipé tout sommeil. L’atmosphère dans l’hôtel était déjà électrique, une sorte d’excitation nerveuse qui bouillonnait sous la surface. Les stylistes couraient d’un côté à l’autre, les assistants portaient des tenues en cascade, les maquilleurs et coiffeurs s’agitaient. Tout le monde savait que c’était aujourd’hui que ça comptait.
Je suis entrée dans le dressing où l'on avait préparé mes tenues. Un ensemble de robes, des pièces signées par les créateurs les plus prestigieux. Je frémis en les voyant, ces œuvres d'art, mais au fond de moi, la nervosité commence à m’envahir. La pression, la lumière, les attentes… tout ça se fait lourd. J’essaie de me concentrer sur les préparatifs, mais l’agitation autour de moi est presque étouffante.
Les célébrités commencent à arriver. Ce ne sont pas seulement des mannequins et des créateurs qui envahissent le lieu. Non, aujourd'hui, ce sont des visages connus, des icônes, des personnalités qui vont faire l'actualité pendant toute la semaine. L’arrivée de chaque star déclenche un déferlement de flashs et de caméras qui crépitent comme des éclats d’éclairs. Des actrices célèbres, des chanteuses internationales, des créateurs de mode qui viennent montrer leur soutien, des influenceurs des quatre coins du monde. Chaque personne semble incarner une part du rêve de cette industrie.
La passerelle, illuminée par des projecteurs géants, attend déjà. Les sièges au premier rang se remplissent lentement, sous les regards curieux des journalistes et des photographes. Des noms à la fois familiers et impressionnants s'installent, des personnes que je ne connais que par les magazines ou les réseaux sociaux. Je les vois prendre place dans ce décor opulent, avec une grâce inimitable, comme si la scène leur appartenait déjà.
D’un côté de la salle, les mannequins comme moi se préparent. L’atmosphère est électrique, tendue. Il y a des sourires, des éclats de rire nerveux, mais aussi des silences lourds de concentration. Les stylistes ajustent les vêtements, les maquilleurs peaufinent chaque détail, chaque ombre, chaque trait. Je suis entourée de visages familiers, des modèles avec qui j’ai partagé de nombreux podiums, mais aujourd’hui, c’est différent. Nous ne sommes pas simplement des collègues. Nous sommes des compétiteurs, tous poussés par le même désir de briller, de captiver l’attention, de ne laisser personne indifférent.
Je m’assois un instant, le regard plongé dans le miroir. Mon reflet est celui de la Sierah que tout le monde attend, mais au fond de moi, une partie de moi se cache, presque timide, presque effrayée. Cette silhouette dans le miroir est celle d’une personne qui vit dans les attentes des autres, une personne que je peine à reconnaître dans le tumulte de ce monde.
Je ferme les yeux quelques secondes, essayant de trouver un peu de calme au milieu de cette tempête intérieure. J’entends les murmures autour de moi, les discussions entre les stylistes et les créateurs, les rires nerveux des mannequins. Chaque minute semble s'étirer à l'infini alors que le temps file inexorablement vers l'entrée en scène.
Puis, soudain, l’appel retentit. C’est le moment.
Les couloirs derrière la scène sont noirs, l’air est lourd, saturé d’adrénaline. Je me lève, mes jambes un peu tremblantes, et je fais un dernier tour d’horizon. Les mannequins défilent à côté de moi, chacun dans son propre monde, concentrés, plongés dans la même folie que moi. Il y a un silence étrange, comme si tout l’univers attendait le même instant.
Le bruit du public s’intensifie au fur et à mesure que nous nous dirigeons vers la passerelle. La musique commence à jouer, un rythme battant, entraînant, l’ambiance devient plus frénétique. Je prends une grande inspiration, mon cœur bat fort dans ma poitrine, mais je fais un pas en avant. Un pas, puis un autre. Et soudain, la lumière.
La passerelle s'ouvre devant moi. Le public s’élance dans une acclamation étouffée, le flash des caméras m’aveugle presque. Le monde se rétrécit à cet instant précis. La musique, les lumières, les regards. C’est tout ce que j’entends, tout ce que je ressens.
Je prends un autre pas. Puis un autre. Tout autour de moi, je peux sentir les yeux sur moi, chaque mouvement scruté. Mais je continue de marcher, la tête haute, le regard fixe, comme une marionnette qui suit sa propre cadence. C’est une danse sans fin, un ballet imposé par les attentes. Je suis une créature de lumière, une silhouette dans l’ombre des projecteurs.
Lorsque je tourne au bout de la passerelle, je laisse mes émotions me traverser en un éclair. C’est l’accomplissement d’un rêve, mais aussi la fragilité d’une illusion. Je souris, je m’arrête pour une seconde, juste une seconde, pour capter l’essence de ce moment. Mais tout ça est si… éphémère.
Je reprends ma marche. Tout est flou, tout est flou à part cette unique vérité : demain, tout recommencera.