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Sassi
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Chapitre 4 - Boussole déboussolante

— Bon, dis-moi, qu’est-ce que t’as oublié ?

En dépit d’une attitude que je voulais stoïque, je regardai l’inconnu de travers.

— Tu vas rester muette comme un Tentavole ?

J’arrive pas à parler comme toi.

— On dirait que oui… Ah, tu devrais t’asseoir, Ly. Ça va être long, oh par les cieux…

Le jeune homme soupira sans retenue, mélange peu discernable d’appréhension et d’impatience. Il étala ses jambes sur la mokette de la chambre, commença à vérifier l’état de ses articulations.

Raide contre la porte, le mot « sœur » en boucle entre mes deux oreilles, je fixai ce type. Chacun de ses mouvements désinvoltes avait quelque chose d’irréel, comme si, plongé dans la lumière jaune de la chambre, il sortait tout droit de mes rêves. Sa tête décoiffée, son regard d’ambre alternant entre ses orteils terreux et son protège-tibia de cuir, cette tenue froissée et solide, tout en lui paraissait à la fois terriblement juste, et si transparent, que sa silhouette semblait s’effacer sur le bureau derrière lui.

— Ly ?

Je sursautai. Cette fois-ci, c’était à lui de m’observer sans détour. Mon cœur palpitait sous le coup de l’émotion, mais je me plaquai un air déterminé sur la figure, et relevai la lampe de chevet et le losange écaillé.

Quoi, « Laï » ? articulai-je avec méfiance.

— Ly… Ah, Lyruan ! C’est ton prénom. Mais allez, viens, je vais pas te faire Tomber. Et tu me fais peur, comme ça.

Il rabattit sa tête sur son pied pour toute preuve. Tendus à cause des armes, mes bras protestèrent à coups de crampes, le temps que je jauge l’espace de mokette qu’il resterait entre l’oiseau et moi, ou la distance à parcourir jusqu’à la porte close.

Mais un nouveau mot ne quittait plus mon esprit, et me compliquait la tâche.

« Laïrouane. »

Il semblait reprendre ses droits sur « Élise ». Perdue sur le jeune homme comme s’il serait d’une aide quelconque, je me laissai glisser le long de la porte. La lampe quitta mes doigts, j’avançai lentement au sol. Seul le losange du sautoir refusa de se décoller de ma paume.

Assise face au soldat, je vis ses traits se détendre.

— Lyruan, marmonnai-je en le fixant.

— Bravo, pouffa l’autre. Ah, tu parles d’une situation…

Ses doigts dégrafaient les sangles de son protège-tibia avec habileté. La pièce de cuir posée au sol, il prit sa cheville blessée entre ses paumes, commença à la tourner doucement au-dessus de la mokette.

— Alors comme ça, tu te souviens plus de moi.

Que je l’aie oublié lui semblait bien plus le surprendre que le reste. Accrochée à mon losange, je secouai la tête, tandis que l’autre, le pied dans ses mains, me gratifiait d’un sourire amer.

— Eh ben, commençons par là. Je m’appelle Galliem, nom de Famille Valkeris. Soldat aspirant-caporal, de la deuxième compagnie des Blancs. Eh ouais.

Il tourna deux fois sa cheville en l’air.

— Je suis aussi ton petit frère.

Les orteils de Galliem craquèrent sous ses doigts, avant qu’il ne lève vers moi une mine timide. Il guettait ma réaction ; bon réflexe de sa part. Une histoire pareille, je ne me sentais qu’à moitié prête à l’avaler.

Il était simple d’appuyer ma mauvaise impression. Des cheveux châtains-roux en bataille, des taches de rousseur, des lumières volatiles dans les yeux… Au premier abord, ce garçon me ressemblait autant que je ressemblais à Émile.

Mais, luisant dans la chambre, le miroir de l’armoire objecta. Le visage tranché. Le nez droit. L’épaisseur des cheveux.

« Mouais. »

Je me rabattis sur Galliem, qui suivait bêtement mon regard vers l’armoire. Sans doute ne comprenait-il pas le combat qui faisait rage dans mon esprit. Une partie de moi priait pour que les absurdités cessent, quand ma mémoire vide se transformait en appel d’air, prêt à aspirer le plus éclatant des mensonges. Interdite, je glissai de nouveau sur ses oreilles pointues, sur son anneau doré, sur le pendentif en losange qui tanguait au centre de son plastron. Un instinct refusa d’en rester là. D’un geste vif, je me désignai de la pointe de mon losange.

— Qui tu es ? traduisit Galliem.

Je sentis mes lèvres frémir. Cet oiseau n’était peut-être pas aussi aéré d’esprit qu’il en avait l’air. Les mains décollées de sa cheville, il se fendit d’un sourire malicieux.

— Tu es ma douce, attentionnée, adorable sœur. Hormis ça, tu es caporal… ah non, excuse, tu es sergent. Bientôt major, si tu te décides à pas disparaître à deux plumes de la promotion.

Pourquoi j’ai disparé ?

— C’est quoi un major ? C’est un grade, un bon grade. Et ta promo, ça allait être le plus grand événement depuis la nomination du Général, enchaîna-t-il, un sourire vaseux sur les lèvres. Major à seize ans, tu te rends compte ? T’aurais inspiré tous les aspirants des Armées. T’aurais inspiré tout Van-Ameria, peut-être.

Quelles armées ?

— Van-Ameria ? C’est nos terres, enfin les terres de la Couronne, et… pourquoi tu soupires ?

Une perte de temps. Autant faire la conversation à la tévé. Menton posé dans ma main libre, je lui fis signe de poursuivre.

— Bon, heu… Van-Ameria…

Pour quelqu’un qui se prétendait de ma famille, il semblait bien dissipé. Ses doigts glissèrent sur la tranche ciselée de son losange, il se mit à en caresser les gravures du bout des ongles.

— En fait, nous sommes nés sur d’autres terres que Terremeda. C’est un endroit, heu, entouré de murailles. Avec un château tout en haut…

Enfin le premier élément qu’il se donnait la peine de détailler ! Mais réaliser une description face à une « sœur » sceptique ne devait pas être dans ses habitudes. Ses mains tentèrent de dessiner de hautes formes pointues, des débuts de cercles fondus en trajectoires non-identifiables, avant de s’abattre sur ses genouillères.

— Bref ! s’exclama-t-il. Tu verras bien. En tout cas, c’est beaucoup plus facile de partir de Van-Ameria que d’y retourner. Pour te rafraîchir la mémoire, aucun Tombé n’y est jamais arrivé…

Ses yeux ambrés s’illuminèrent.

— Mais moi, j’ai prévu le coup.

Sitôt dit, ses mains fondirent sur des poches de cuir qu’il portait à la ceinture. Il les fouilla dans des entrechocs de verre, de métal, de bois et en sortit des morceaux de poterie, tiges de plastik ou de ferraille qu’il posa près de lui. Ce qu’il cherchait semblait perdu dans les tréfonds de cet abysse de désordre, jusqu’à ce qu’il ferme le poing sur un objet rond, recouvert d’une poudre sableuse, qu’il prit à peine le temps de secouer.

— Le Colonel me froisserait les plumes s’il le savait, mais j’ai emprunté sa Boussole, fit-il, triomphant. Je sais, parfois je suis un génie.

Il posa la Boussole sur la mokette.

Et, à cet instant, je réalisai qu’il y avait bien pire à accepter que les gens qui sautaient des zavions.

Sous un cadran de verre, entouré de deux anneaux couverts de symboles, une fine aiguille vibrait dans toutes les directions, son extrémité embrasée d’une lueur verte étincelante. Elle se consumait seule, sans faiblir, telle une flamme de bougie aux lueurs d’un émeraude transcendé de soleil.

Mon premier réflexe fut de reculer vers la porte. Mon second de me river sur la lumière.

Par toutes les frèzes...

— Ah, Dame Lyruan montre enfin de l’intérêt. Tu te souvenais de la magie de l’Angevert, pas vrai ?

Comment pouvait-il affirmer une chose pareille ? Les yeux me tiraient à force de s’écarquiller, je me rigidifiais plus qu’un arbre par temps de givre.

Si cette lumière pouvait faire penser à du courant lélétrique, ce n’était qu’une impression trompeuse. À ses crépitements se mêlaient des flammes vaporeuses, des particules luminescentes, qui voletaient sous le verre telle une envolée de lusioles. L’aiguille, d’un argenté poli, pointait vers l’armoire, vers la porte, vers le lit, se retournait vers le bureau, vers la fenêtre, vers les étagères…

— Tiens ? Qu’est-ce qui se passe ?

Plié en deux, Galliem tapota le bord de métal du doigt. L’aiguille s’agitait, traçait des arcs verts avec ses changements soudains d’orientation.

— Mais elle débloque, la Boussole, s’inquiéta l’oiseau. C’est parce qu’on est sur Terremeda ?

Qu’est-ce que

— Quoi, non, n’y touche pas !

Trop tard pour Galliem, je frôlai le cadran de la Boussole.

Aussitôt, la pièce disparut, soufflée par les bourrasques d’un éclair vert.

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