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Sassi
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Chapitre 6 - Volatiles

Ce matin-là aurait pu être un matin comme les autres. Un coup d’eau passé sur le corps, puis la main lancée au hasard dans l’armoire, j’avais enfilé un pantalon et un ticheurte, serré une couette sur mon crâne, enfoncé mes pieds dans les chausses de jardin. J’avais descendu les escaliers grinçants, au bas desquels Jeanne m’avait appelée, depuis la chambre du rez-de-chaussée. J’avais soulevé les grands-parents de leur lit trop mou et trop bas. Puis le téléfone avait sonné, une intruse était venue, la même que d’habitude, pour les laver, les habiller, les nourrir. Rien d’étrange, la normalité, dans tout ce qu’elle avait d’étrange.

À un détail majeur.

Où est le jeune homme ? chevrota Jeanne.

Elle m’avait priée de faire plus de place dans le salon – si c’était seulement possible. Encore fébrile de ma nuit, je ruminais sur une possible descente de voisins quand sa question survint.

Heu… évitai-je, en sachant très bien où « le jeune homme » se trouvait.

Il n’a pas petit-déjeuné, s’expliqua Jeanne avec inquiétude. Toi non plus, d’ailleurs.

Je n’a… n’ai pas faim.

C’était peu de le dire. Jeanne serra les mains sur son châle.

Je vous ferai plus de riz à midiPourras-tu nourrir les poules ?

Oui.

J’enjambai aussitôt un fauteuil et la table basse, pour saisir dans un placard un gros pot de plastik. Sur sa tranche paradait un escargo énorme, posé en victoire sur une plante qui avait l’air de fuir hors de l’étiquette.

Je m’assurai que Jeanne partait dans la cuisine. Jetai un rapide coup d’œil à Émile, fondu dans un fauteuil. Mon pot sous le bras, je m’éclipsai sans bruit par la porte du jardin, que je claquai en vitesse.

— Ha ha ha !

Depuis le poulayé, des rires retentissaient parmi des caquètements outrés.

— Hé hé hé !

Je rentrai le menton dans le col de mon ticheurte, les yeux obstinément plongés dans ceux de l’escargo. Malgré tous mes espoirs, la nuit était finie, les rêves terminés, et ce qui se déroulait dans le jardin ne pouvait pas être le fruit de mon imagination.

D’un pas hésitant, j’avançai vers les pouls volantes, les pluies de plumes, les tintements de parures, et Galliem à quatre pattes au centre, une main tendue vers le volatile le plus proche.

Parler sa langue ne me posait toujours aucun problème. D’une voix terne, mais forte pour couvrir les caquètements, je m’exclamai :

— Tu vas les laisser tranquilles ?

— Ly, ils sont chouettes, tes oiseaux ! Ils sont dodus !

Il parvint à tapoter les plumes de la matrone blanche, qui lui répondit le bec grand ouvert.

— Arrête, me tendis-je. J’ai mal dormi, le bruit m’agace, et imagine de quoi on aurait l’air, si Émile et Jeanne entendaient…

— Ho ho ho !

— Galliem ! criai-je. Sors de ce poulayé !

Le soldat se figea de tout son uniforme. La main levée, il se tourna lentement vers moi.

— À vos ordres, sergent, à vos ordres, soupira-t-il. Dis-donc, tu t’es levée de l’aile gauche ?

Inutile de répondre à ses bêtises. Obéissant, Galliem s’extirpa des plumes, ferma le portillon pour avancer à ma rencontre. Sans voir sa tête, je sentais qu’il était déçu ; les pouls en revanche devaient m’apprécier un peu plus.

Un soupir discret dans le nez, je passai à côté de l’oiseau et, le poulayé entrouvert, jetai une poignée de grain. Les becs se baissèrent aussitôt dans des grondements de gosier heureux.

Derrière moi, on tapait nerveusement de l’ongle contre du métal.

— Ta Boussole est réparée ? demandai-je pour la forme.

Les petits coups métalliques cessèrent.

— Hem… Je sais pas trop, s’apitoya Galliem.

— Peut-être est-ce ton royaume qui a un problème.

— Parle pas de malheur ! Je vais essayer plus haut, peut-être que

Un grand bruit de voile gonflée claqua dans mon dos. Je bondis en direction de la maison, mais Jeanne ne s’était pas mise à secouer les tapis.

Je levai la tête. Galliem marchait sur le toit de tôles du poulayé.

— Comment… ! bondis-je.

— Mouais, ça n’a pas l’air beaucoup mieux, marmonna-t-il en tombant assis.

— Comment… 

Aucun autre mot ne se décidait à sortir de ma bouche. Soit je n’étais pas complètement réveillée, soit l’oiseau avait sauté du jardin au toit du poulayé en une pauvre seconde.

— Comment tu…

Les pouls menaçaient de me picorer les chausses. D’un geste fébrile, j’envoyai une dernière poignée de graines, avant de fermer le portillon.

— Il te reste des choses à m’expliquer, parvins-je à articuler.

Galliem ne sembla pas de cet avis.

— Peut-être, peut-être… Mais si tu as vraiment tout oublié, je peux pas tout te rappeler. Tu verras bien à Van-Ameria, conclut-il en rabattant les yeux sur sa Boussole.

Ce mot suffit à me serrer les entrailles. Mes cauchemars revinrent, je comprimai le pot de plastik.

— À ce propos commençai-je.

— Bon, ça marche pas ici non plus.

Galliem se leva, serra son poing autour de la Boussole, posa l’autre main au bord du toit. Au moment où il éjecta ses jambes vers le sol, deux longues voiles blanches se déployèrent dans son dos.

J’en lâchai le pot de graines.

Les voiles claquèrent une fois, avant de disparaître aussi vite qu’elles étaient apparues. Les deux pieds sur le plancher des pouls, Galliem se gratta la tête, absorbé par le cadrant lumineux de la Boussole.

Il ne tarda pas avant de paraître surpris.

— Qu’est-ce qui t’arrive, Ly ?

— Viens.

Un sourcil en l’air, Galliem s’exécuta, en rangeant sa Boussole. J’attendis qu’il soit au plus près avant de le saisir vivement par les épaulières et le tourner dos à moi.

— Hein ? s’étonna-t-il.

— Où sont les voiles ? l’attaquai-je en inspectant les rainures de la dossière. Je ne suis pas folle, il y avait des voiles !

— Ah, ça ?

Dans des centaines de déferlements, deux toiles blanches se déployèrent entre les omoplates de Galliem. Leur flot ininterrompu me heurta de plein fouet, je me protégeai en crachotant.

— C’est pas très glorieux, sergent, ricana l’oiseau.

Une part de moi aurait répliqué qu’atterrir la tête dans les frèzes n’était pas plus avantageux. Mais je me débattais plutôt avec ce que j’avais sous les yeux, et que je ne parvenais pas à analyser.

Dans le dos de Galliem tanguaient deux grandes ailes.

— Ça va ? Tu as besoin d’…

— Ne bouge pas, ordonnai-je.

Il resta bien statique, exception faite d’un de ses sourcils qui se leva à mesure que j’approchai de son dos.

Depuis un cartilage couvert d’un duvet épais, aux articulations marquées d’angles doux, des rangées de plumes longues, blanches et effilées, s’étendaient sur plusieurs mètres, plus alignées que les couverts des tiroirs. Le soleil de la fin de matinée illuminait leur coupe pure et tranchante, comme des lames de neige sur fond de terre battue.

Pétrifiée, je frôlai tout juste une plume d’un doigt.

— C’est incroyable…

— Nan, vraiment pas, soupira l’oiseau, perplexe. Tes vieux volent plus, c’est ça ?

— Non, répondis-je sans réfléchir.

— Je vois.

La plume était aussi douce qu’un tissu fin. Elle ployait quand je la poussai, tout en conservant une tenue ferme.

— Bon, soupira Galliem, quand tu auras fini de me tripoter, on pourra peut-être Anhoursser tes graines ?

Je retirai ma main plus vite que si je l’avais brûlée.

— Génial, commenta-t-il, alors qu’en un clignement de paupière, ses ailes avaient disparu.

— Comment fais-tu ça ?

— Ma pauvre, ma pauvre… Je le fais, c’est tout. D’ailleurs, toi aussi. T’as quand même pas oublié tes ailes ?

Pliée pour rassembler le grain, je m’interrompis net. Galliem, anneaux et nez plongés vers le sol, grattait déjà la terre, indifférent.

— Tu les as pas utilisées en deux ans ?

— Première nouvelle… me contentai-je de répondre.

Oh, les jeunes !

Repliés sur les dernières graines, nous nous dressâmes comme un seul homme. Jeanne, châle dans le vent et maigres cheveux levés sur le crâne, nous hélait depuis la porte.

Le docteur nous rend visite avec quelques connaissances. Vous jouez dans la terre ?

Les plumes, les ailes, tout ce qui tournait en boucle depuis de longues minutes s’éclipsa face à cette annonce, qui me hérissa le crâne jusqu’au dos.

Il est combien ? répondis-je.

Combien ? Je l’ignore, ma petite. Mais restez donc dehors avec ton ami, je leur dirai que vous les embrassez bien.

 Elle ferma la porte. Ravalant mes questions, y compris celles que je n’aurais jamais pu formuler, je me contentai de me relever, sous le regard perdu de Galliem.

Il sauta sur une question qu’il devait retenir :

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Une invasion, marmonnai-je en fixant le chemin qui menait à la maison.

Au loin, la poussière du gravier se levait déjà, annonçant des voiturs. Le soldat se planta à côté de moi, la bouche cousue, pour une fois.

— Deux engins, comptai-je entre mes dents. Ils seront maximum une dizaine.

— Qu’est-ce qu’on fait ?

— Pas d’hostilité. C’est ce que Jeanne veut, en plus le combat serait à notre désavantage.

— Les vieux peuvent se battre ?

— Non.

Une troisième voitur apparut dans le lointain. Yeux plissés, je soufflai :

— Tu sais quoi l’oiseau, tant mieux si tu sais voler. Ça me donne une idée.

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