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Lucy
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Chapitre 22 - Yggdrasil

[…] Si des hypothèses tendent à croire que l’origine des arcanes remonte à la Grèce Antique, aucune preuve vérifiable ne permet de les étayer. Sa définition demeure tout aussi nébuleuse, un secret particulièrement bien protégé par ses gardiennes. Mais parmi les initiées, les mages, un consensus existe sur sa caractérisation :

“Les arcanes sont le résultat d’un amalgame de deux substances que sont le mésocarpe d’une baie provenant du physalis et le sang d’origine humaine contenant les récepteurs adéquats pour exprimer la somme de cette fusion. À ce jour, les composants exacts, impliqués directement dans ce phénomène, restent indéterminés.

Ainsi, après ingestion de la fameuse baie, on observe chez le mage le développement d’un don, une capacité particulière dite surnaturelle qui varie d’un individu à un autre. En contrepartie, celui-ci se voit affublé d’une tare, ce que l’on appelle plus communément le prix des arcanes. Si nous prenons pour exemple Oleander Thornes, un simple regard de sa part suffit pour infliger de la douleur. En échange de ce don, son visage a été ravagé lorsque le fruit du physalis a été absorbé.”

Une définition simplifiée, mais non moins intelligible. Partant de ce postulat, il me paraît primordial de parler des fameuses gardiennes : les trois sœurs. Le chiffre trois a toujours eu une signification manifeste dans les croyances, les cultures et la science. La première qui me vient à l’esprit est celle de la sainte Trinité, le père, le fils et le saint-esprit. On retrouve aussi ce chiffre dans l’évocation du temps avec le passé, le présent et le futur. Ou encore les trois formes de matière que sont le liquide, le solide et le gazeux.

Lister tout ce qui a trait à ce symbole serait long, fastidieux et quelque peu abusif. Inutile de se noyer dans des conjectures fantaisistes au risque de perdre de vue l'objet de mon étude. En revanche, l’essentiel subsiste dans l’association du chiffre trois avec le mot “sœurs”.

[...] Nous en venons donc aux Moires, divinités de la mythologie grecque, étonnamment semblables aux Nornes que l’on retrouve plus tard dans la mythologie nordique. Il existe d’autres similitudes, bien entendu, mais celles-ci, à mon sens, demeurent les plus révélatrices. [...]

“La Nuit enfanta les Moires et les Kères impitoyables, Clotho, Lachésis, Atropos, déesses qui accordent aux mortels, à leur naissance, leur lot de bonheur et de malheur, qui poursuivent les transgressions des hommes et des dieux ; jamais ces déesses n’interrompent le cours de leur terrible courroux, avant d’avoir châtié celui, quel qu’il soit, qui faute.” (Théog., v.217-222 Nous traduisons.)

Les Moires incarnent la fatalité du destin et chacune d’elles se voit attribuer un rôle. La première, Clotho, tisse le fil de la vie, la seconde, Lachésis le déroule et enfin la dernière, Atropos, le coupe. Véritable personnification du destin, implacables, elles sont redoutées autant par les mortelles que par les dieux. Cependant, il est important de souligner qu’en dépit de leur puissance, les décisions des Moires ne sont pas irrévocables comme l’illustre parfaitement le mythe des Moires et Admète :

Admète, roi de Phères, lors de son mariage, oublia le sacrifice consacré à Artémis, provoquant la colère de cette dernière. L’ire de la déesse fut telle, qu’elle remplit le lit nuptial de serpents, scellant le destin de l’époux. Mais ce fut sans compter sur l’intervention d’Apollon auprès des Moires. Afin de réussir à sauver le roi, il les fit boire et les persuada de laisser quelqu’un d’autre mourir à la place d’Admète.

[...] Il est intéressant de noter qu’un fils peut esquiver le tranchant du ciseau d’Atropos, tant qu’un échange équivalent existe, c’est-à-dire, tant qu’une autre vie vient prendre fin.

Les Nornes, à l’instar des Moires, sont trois et déterminent le destin de tous les êtres.

“Nul guerrier ne peut interrompre le sommeil de Sigurdrifa avant que les Nornes n’y consentent.” (Eddas, p.215 )

Prénommées Urd (Passé), Verdandi (Présent) et Skuld (Avenir), elles ont aussi la responsabilité d’un arbre, celui d’Yggdrasil. Bien connu dans la culture populaire, il est désigné comme l’Arbre Monde où reposent les neuf royaumes. Je ne m’attarde pas sur ces royaumes pour éviter de faire des digressions futiles. Toujours est-il que les Nornes veillent sur cet arbre qu’elles arrosent chaque jour sous peine de le voir pourrir et donc, condamner les royaumes.

Craintes de par leur rôle et les secrets qu’elles gardent, elles ne sont pas pour autant infaillibles. Odin, roi des dieux, a convoité le savoir de ces trois sœurs et s’est pendu pendant neuf jours et neuf nuits à l’arbre. Cela lui a suffi pour lire le puits d’Urd et méditer sur…

Toc toc toc.

Mon regard papillonne pour m’ancrer à nouveau à la réalité. Affalée au milieu d’un nid de feuilles, chemise froissée, cheveux en bataille et courbatures pour compagnie, je n’ai tout simplement pas fermé l’œil de la nuit.

Je grimace lorsque j’oblige mon corps à se lever avant de m’apercevoir que les rayons du soleil percent déjà la fenêtre de ma chambre. Au moins, ma lecture aura fait son office. Je n’ai pas vu le temps passer.

Mon prénom résonne de l’autre côté de la porte, preuve de mon manque flagrant de réactivité.

Une inspiration plus tard et c’est Monsieur Joli Cœur que je découvre de l’autre côté du seuil. À cette apparition, tous mes muscles semblent oublier les tensions tandis que mes neurones ralentissent leurs rouages internes. Je fronce des sourcils à cette drôle de réaction.

C’est étrange.

— Tout va bien ?

Je lève la tête pour être interrogée par deux billes d’un noir abyssal. Ma main passe dans mes cheveux comme pour y remettre de l’ordre et finalement opiner du chef.

Puis cela me revient.

— Oh, oui, l’entraînement !

Ouais, à l’évidence, je n’ai clairement pas du tout vu les heures filer. Ce n’est pas l’aube dehors, mais bien la mi-journée puisque c’est l’heure du rendez-vous que je nous ai donné à Mal et moi. Je le laisse donc entrer dans la pièce, non sans une grimace pour le chaos qui y règne.

— Ne fais pas attention. Je n’ai pas trouvé le sommeil alors je me suis dit, tant qu’à faire, je pouvais bien jeter un œil sur les affaires trouvées dans le bureau du géniteur. Mais, installe-toi.

Ce faisant, je débarrasse des documents pour libérer une chaise. Bon, il est clair que mes talents d’hôte sont encore à revoir. Il faut dire que, de toute ma vie, je n’ai jamais vraiment eu à accueillir quelqu’un. Encore aujourd’hui, mes priorités sont ailleurs. Des priorités, ou plutôt des préoccupations. Et depuis mes toutes nouvelles fonctions de cheffe de clan, ma situation ne s’est pas arrangée. Bien au contraire.

Alors pourquoi je me prends la tête avec ça ?

Moui, la réponse se trouve à deux pas de moi et doit faire dans les un mètre quatre-vingt-dix, avec des épaules que je devine sculptées et des lèvres joliment charnues. Une espèce d'Apollon qui me suit comme mon ombre. Comment suis-je censé l’ignorer, hum ?

— À quoi penses-tu ?

Je sursaute.

Réveille-toi, Ivy !

— Je…

… Tente de chercher une excuse pour ne pas avoir à me retrouver dans l’embarras. Sauf que le physalis n’est pas vraiment de cette opinion.

— ... Trouve que tu es sacrément canon.

Si je sens mes joues chauffer, je continue à considérer mon interlocuteur.

— Canon ? m’interroge-t-il, un sourcil arqué.

Oh.

Il n’a pas compris le mot. J’ai soudain envie de me frapper le front contre un mur face à ce constat. Mais puisque j’ai déjà mis les pieds dans le plat, allons-y à fond. Oui, même si quelque part, je suis curieuse de découvrir sa réaction.

— Je reformule, je te trouve séduisant, beau.

Un long silence de deux secondes s’installe avant d’être brisé par un rire grave. De ceux qui remontent le long de votre colonne vertébrale pour vous faire frissonner.

— Merci ? C’est… Inattendu, souffle le concerné. C’est pour me détourner du désordre ici ?

Pour la première fois, un éclat de malice anime ses traits, loin de leur neutralité coutumière. Je crois d’ailleurs que c’est la conversation la plus longue que l’on ait eue. Il faut croire que Mal maîtrise beaucoup mieux l’anglais désormais. Oui, même si la formulation de ses phrases demeure simple.

Je lui souris.

— Je ne vais ni confirmer ni infirmer ta supposition. Allez, assieds-toi, que l’on s’y mette.

Car ce n’est pas le tout, mais je ne dois pas oublier l’horloge qui tourne et qui me rapproche toujours plus de ma confrontation à Ander. Oui, même si cette parenthèse de légèreté a été la bienvenue.

À mon tour, je prends place au pied de mon lit.

L’excitation se décide à danser dans mon ventre à la perspective de pouvoir expérimenter une nouvelle fois l’exaltation d’un vol d’oiseau. Mais encore faut-il que je réitère l’exploit. Rien ne garantit que je saurais à nouveau me mettre dans la peau d’un volatile.

J’expire pour relâcher la pression.

Tout va bien se passer. Et malgré les fortes chances que je perde conscience, Mal est présent pour me protéger. Il n’y a pas de raison pour que ça foire, n’est-ce pas ?

Je ferme les yeux.

Me concentre sur ma respiration d’abord, puis parcours un fils invisible partant du sommet de mon crâne pour dégringoler jusqu’à mes orteils. Entre, quelques tensions persistent. Des pensées parasites aussi. Sans oublier la fatigue.

Et dans mes veines, les arcanes qui frémissent.

Jamais elles ne m’ont paru aussi tangibles. C’est comme effleurer les cordes d’une harpe, si fines, si sensibles. Un contact pour une note. Je suis alors aussitôt récompensée par une douce sensation.

Le chuchotement des feuilles à mes oreilles.  

Le craquement des branches.

La fraîcheur de la brise.

Sur mes plumes. 

Je croasse.

De joie.

À côté.

La même silhouette.

Regard et bec aussi sombres. 

Il se tient immobile et me considère.

Mais mon attention s’en détourne, attirée par-delà la cime. 

                                            Un manoir.

                                                                              Reconnaissable.

                                                                                                                   Mes ailes s'étirent.

                                                                                                Une impulsion et je plonge.

                                                               Le vent siffle.

                                          Le ciel en bas.

                               La gravité. 

                     M’aspire.

                   Toujours

                   Plus 

                   bas.

                                          Une deuxième impulsion.

                                Je frôle l’herbe.

                           Et flotte.

Pour regagner des hauteurs.

           La cacophonie des voitures me parvient.

Tout comme les éclats de verre des buildings.

Je surprends deux personnes.

Un homme et une femmes.

Des journalistes.

Au portail.

Encore.

Je crie.

Mécontente. 

                         Avant de dévier.

                                              Et trouver refuge.

                                                                     Près d’une fenêtre.

Puis la sensation me revient, celle de ce poids pesant sur un sol inconfortable. Retrouver les tensions et la fatigue de mon corps m’arrache une moue. Je soupire. Avant d’afficher un immense sourire lorsque j'aperçois mon corbeau perché sur une rambarde.

Et son acolyte ?

Visiblement, l’animal a été suivi par un de ses pairs. Les deux semblent tout aussi curieux de nous observer.

— Ivy ? Comment tu te sens ?

— Plutôt fière de moi, affirmé-je.

Si Mal jette un œil à nos espions de plumes, son regard revient aussitôt sur moi. J’ose un clin d’œil dans sa direction.

— Maintenant, il me faut recommencer, et ce, sans m’évanouir !

Pour une fois, c’est l’optimisme qui montre le bout de son nez. Ce début d’entraînement est prometteur.


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