Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Lucy
Share the book

Chapitre 4 - Filer un mauvais coton

….Et ça fait putain de mal.

Bon, peut-être pas si mal que ça, mais la sensation n’est vraiment pas agréable, surtout quand on est ballottée de gauche à droite comme un vulgaire sac de patates, et ce, dans une odeur de poisson périmé. Il me faut bien une dizaine de secondes pour m’arracher au mauvais souvenir et comprendre enfin que je suis à l’arrière d'une camionnette, les poignets attachés.

— T’es sûr qu’elle est encore vivante ?

— Je te dis que oui, j’ai vérifié son pouls à l’instant. Elle est juste… Un peu fragile. En même temps, tu sens comment elle empeste ? Pas étonnant qu’elle soit encore dans les vapes.

Il y a deux types à l’avant et très franchement, pour le moment, je n’ai pas la force de pouvoir bien les mirer de là où je suis. Faute de clignements de paupières intempestifs. Enfin, au moins, sommes-nous toujours en ville si j’en crois les klaxons et les sirènes qui résonnent à l’extérieur.

Il fait d’ailleurs encore nuit.

J’ai dû perdre conscience pendant quelques minutes, le coup à la tempe ne devait pas être aussi grave. Oui, même si ma vision trouble me dit que ce n’est pas non plus la grande forme. Cependant, j’évite de faire savoir à mon chauffeur et à son voisin que je me suis réveillée. Autant qu’ils continuent à s’inquiéter pour ma santé pendant que je réfléchis à un moyen de décamper, loin d’eux.

— De toute façon, on a juste besoin de la déposer et d’attendre qu’il arrive.

Qu’il arrive ?

Et qui s’intéresse autant à ma petite personne ? Je ne vois que deux noms sur mon carnet de bal et le premier m’a déjà vue un peu plus tôt dans la soirée, alors… Je parie sur ma saloperie de frère.

— J’ai un peu de mal à comprendre ce qu’il veut à cette fille, là. Pas comme si elle était sexy, connue ou quoi que ce soit de particulier.

Merci, monsieur le Chauffeur. Moi qui mets un point d’honneur à être incognito, cela fait toujours plaisir d’entendre mes efforts reconnus à leur juste valeur. Enfin pas assez, puisqu’à l’évidence, là, tout de suite, ça n’a pas suffi.

Un siège grince et je ferme aussitôt les yeux.

— Ouais… Une petite brune quoi, avec pas beaucoup de viande à se mettre sous la dent et un sérieux problème d’alcool, si tu veux mon avis.

— On n’en saura pas beaucoup plus sur le colis et je préfère pas prendre le risque de poser des questions dessus.

J’ouvre subrepticement une paupière vers les deux bonhommes. Leur attention semble de nouveau focalisée sur la route.

Bien.

Il serait mentir de dire que je suis parfaitement sereine dans cette situation. Mais la peur est une compagne familière avec qui j’ai appris à serrer les dents. Le tout est de ne pas rester tétanisé et de se concentrer sur ses priorités. Comme ces maudites menottes. Heureusement, la pseudo-ivrogne que je suis possède quelques atouts dans sa manche. Ou plus précisément dans sa bottine droite. À l’intérieur, il y a de quoi forcer des serrures, des rudimentaires certes, mais pour mes entraves actuelles, cela devrait largement faire l’affaire.

De toute façon, ce n’est pas comme si les options sont nombreuses, n’est-ce pas ?

Aussi, le plus silencieusement possible, retenant mon souffle, je tente de rapprocher mon pied à mes mains. La manœuvre est délicate. Il ne faudrait pas que l’acier autour de mes poignets claque trop fort contre le sol sous peine d’attirer une attention malvenue. Mon geste est lent et bien sûr, la sueur s’invite pour une petite glissade entre mes omoplates.

Juste une vingtaine de centimètres.

Un putain de stade de Football, oui.

Et les secondes deviennent une longue minute qui elle-même s’amuse à s’éterniser tandis que les rues défilent, me rapprochant toujours plus d’une destination que je ne veux pas connaître. Ce sont tous mes muscles qui se crispent. Jusqu’à enfin effleurer une fine tige de métal.

Le contact glacé en est aussitôt rassurant.

Je m'attelle alors doucement à remonter l’objet dans ma paume. Il me faut fermer les yeux pour parfaitement me concentrer et éviter de perdre la tige dans le ballottement incessant de cette foutue camionnette. Un handicap contrebalancé par ma propre dextérité en ce qu’il s’agit de crocheter des serrures. Ce n’est pas mon premier coup d’essai, mais bordel, j’aurais aimé que cela se fasse dans d'autres conditions qu’un enlèvement.

Et finalement, un fin déclic vient me récompenser. Déjà, mes épaules se relâchent de soulagement.

Grosse erreur.

J’en oublie toute prudence et une aspérité sous les pneus suffit pour me surprendre et faire tinter l’acier de mes menottes. Un mauvais enchaînement qui se termine par un coup d’œil en arrière de la part de l’homme à côté du chauffeur.

— Ah ! Il semblerait que notre belle au bois dormant se soit enfin réveillée.

Je cache immédiatement mes poignets, non sans cligner des yeux.

— Où… Où est-ce que je suis ? Qui êtes-vous ? soufflé-je, la voix faussement tremblante.

— On va juste faire un petit tour. Tant que tu ne nous opposes aucune résistance, tout se passera bien.

Menteur.

Du regard, je détaille mon interlocuteur à travers le rétroviseur, un type aux cheveux épars et de petits yeux noirs avec d’épais sourcils pour les surmonter. Moui. Je n’ai peut-être pas l’allure d’une top-modèle, mais lui non plus.

— Mais… Mais pourquoi ? Vous… Vous m’avez frappé !

— Bon, tu vois qu’elle est toujours vivante, s’exclame mon interlocuteur à l’attention de son complice, m’ignorant royalement.

— Tant mieux ! Et ça tombe à pic, on arrive !

Mon pouls s’emballe à cette nouvelle et la crainte en profite pour regagner du terrain. Je serre les poings comme pour colmater la fuite. Ça serait mal me connaître de croire que j’ai dit mon dernier mot. Ce ne sont pas deux sbires de mon frère qui vont réussir à avoir ma peau.

J’ai juste besoin d’un plan.

Le moteur de la camionnette s’arrête et la seconde suivante, les portières claquent, chauffeur et passager disparaissant un instant de ma vue. À travers le pare-brise, j’aperçois alors un pont suspendu. Celui de Staten Island.

Ok.

Derrière moi, un brusque mouvement d’air m’arrache un frisson. Je n’ai pas le temps de me retourner que je sens une main me tirer en arrière. Un geste sans douceur qui leur vaut des protestations. Bien sûr, c’est l’indifférence qui me répond. L’envie de frapper, griffer, mordre me chatouille méchamment, seulement, je sais que je me ferais bien trop vite maîtriser. Au lieu de quoi, il est préférable de rester dans mon rôle d’ivrogne, alors dès que mes pieds touchent le béton, je trébuche.

— Putain, essaye de tenir sur tes deux jambes, c’est pas compliqué !

Et tandis que les deux truands me servent leurs mines patibulaires, j’observe les alentours. Sur notre droite, un entrepôt grisonnant déserté de toute présence. À gauche, l'Hudson et ses quelques ferrys et autres petits bateaux parcourant ses flots tranquilles. L’idée de crier me traverse l’esprit, malheureusement, il est peu probable que l’on m’entende de là-bas.

En revanche, derrière moi, à environ une dizaine de mètres, une rue. Peu fréquentée, certes, mais qui ouvre à bien plus de possibilités que le reste. Il me faut juste gagner à la course. Quant au risque que les deux gus soient armés, peut-être le sont-ils, mais visiblement, ils ont pour ordre de ne pas me tuer. Autant parier sur cet avantage.

Sauf que l’un d’eux semble décidé à imprimer sa main sur mon bras.

Mais mon coco, si tu crois que ça va suffire pour me retenir.

Soudain, je me plie en deux comme prise d’un haut-le-cœur.

— Oh ! Avance !

Je secoue la tête avant de m’appuyer sur mon voisin.

— Je vais… Je vais…

Simulant un très prochain et fabuleux dégobillage en règle après une pseudo cuite, je déglutis, les mains devant ma bouche. Et si mon visage se tourne vers celui qui me retient, son premier réflexe est de reculer. Ses doigts se détachent de ma personne.

C’est tout ce qu’il me faut.

Sans perdre de temps, mes jambes s’activent pour carburer à l’adrénaline. Cette fois, c’est au tour des deux hommes de protester. Je ne prends pas la peine de les écouter ou de me retourner vers eux. Non, là, tout mon être est tourné vers ma porte de sortie.

D’un simple mouvement, je me débarrasse de mes dernières entraves.

Mon cœur déraille au même rythme que les échos précipités derrière moi. Je crie ma rage. Ils ne m’auront pas. Ils ne m’auront jamais. Je suis une saloperie de Thornes. Et si je n’ai aucune notion de self-défense, j’ai bien assez de mollets pour les distancer.

Mes semelles martèlent alors le sol, avalent autant de béton que possible tandis qu’un frisson parcourt ma nuque. Parce que je sais que même à plusieurs mètres des deux types derrière, je représente une cible parfaitement pour une arme à feu. Personne n’a encore réussi à surpasser la vitesse d’une balle et ma fine robe à bretelles imbibée d'alcool n’a rien d’une armure de protection.

Je joue ma vie sur un coup de dés.

Ils ne tireront pas.

C’est ce que mes neurones rabâchent suffisamment fort pour ne pas éprouver le tiraillement de mes muscles. Je n’aspire qu’à la foule, à une station de métro. Là où mes kidnappeurs n’auront plus d’impunité. Là où je pourrais me faufiler et disparaître.

Mes poumons me brûlent, mais je continue. j’enchaîne.

Finalement, le bruit de la foule me parvient. J’y suis presque ! Encore un effort, un tout petit pour retrouver ma liberté. Les autres doivent aussi le percevoir car leurs insultes redoublent. L’envie de leur balancer un doigt d’honneur me démange, seulement cela exigerait trop d’énergie. Ma vie, ma priorité.

Je saute un trottoir, esquive une rambarde.

Puis je bouscule quelqu’un.

— Hey, mais ça va pas la tête !

Rouge d’effort, à bout de souffle et le palpitant en vrac, le temps d’un regard, j’adresse un sourire carnassier en guise d’excuse. Mais loin de moi l’idée de m’attarder pour faire la causette, je me fonds aussitôt dans cette masse de New-Yorkais. Il me suffit de lever la tête pour apercevoir un panneau de bouche de métro.

Remontant l’allée, il me semble entendre des échos de protestation plus loin en arrière. Des gens qui se font pousser. Je serre les dents. De véritables sangsues, ces deux-là. Heureusement, je suis sur mon terrain de prédilection. Telle une anguille, je glisse, dépasse et me rapproche toujours plus de ma destination.

Jusqu’à enfin atteindre un escalier. Jamais souterrain ne m’a procuré autant de joie qu’à cet instant. Les marches sont dévalées. Les trois dernières survolées.

Fin de partie pour les gros bras.

Mon frère peut donc aller se faire foutre.

Cordialement.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet