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Lucy
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Chapitre 33 - La fine fleur

Le soleil de New York brille haut dans le ciel à la manière d’un magnifique doigt d’honneur à mon intention. Après toutes ces journées sous la pluie et autres nuages, voilà que l’astre se décide enfin à faire son job.

Pile-poil aujourd’hui.

Il faut croire que c’est jour de fête. Assurément, mon frère doit se frotter les mains, impatient de se débarrasser de moi pour prendre la tête du clan. Quant au reste de la triade, sûre qu’ils doivent tous se mettre sur leur trente-et-un pour le spectacle qui se prépare au manoir. De ma chambre, je peux déjà entendre l’écho des pas précipités du personnel, un véritable branle-bas de combat, afin d’organiser la très prochaine cérémonie. À travers la fenêtre, je constate que le jardin n’est pas épargné non plus.

Les volatiles n’apprécient pas de voir leur territoire ainsi envahi comme en témoignent leurs piaillements incessants. Au moins ne suis-je pas la seule à être morose en ces lieux.

Mes mains défroissent un tissu pour chasser des plis invisibles avant de relever le menton, mon regard poignardant mon reflet dans la psyché. Je prends alors le temps d’inspecter ma tenue de haut en bas. Un gilet noir élégant cintre ma taille pour chuter en longues pointes au niveau de mes genoux. En dessous, chemise blanche et pantalon en lin parfaitement découpé. Le genre est assez masculin, mais la découpe rend l’ensemble plus androgyne. Et j’avoue, j’apprécie le nœud de ruban à mon cou ou encore la chaîne en argent suspendue à ma ceinture.

Je ressemble à la parfaite petite mafieuse. Ce qui s’harmonise admirablement bien avec mon air revêche. À l’évidence, Catherine a fini par mieux cerner mes goûts.

— Une dernière touche, peut-être ?

Mon regard dévie de mon reflet pour un autre bien plus intéressant. Un reflet qui n’est pas sans me rappeler l’indécence de la nuit dernière, quoique désormais, plus habillé.

Et un harnais de holster tendu entre nous.

Je souris.

— En effet, il aurait été dommage d’oublier ce dernier accessoire.

Mes mains glissent dans mes cheveux pour dégager ma nuque avant de tendre un bras. Une invitation silencieuse à s’approcher bien peu innocente. Aucun de nous deux n’est dupe. De fait, j’apprécie aussitôt la proximité retrouvée, les gestes volontairement mesurés, s’attardant plus que nécessaire. J’en étouffe un soupir de satisfaction.

Jusqu’à ce que deux coups frappés à une porte ne nous interrompent.

— Entrez, lancé-je, légèrement agacée.

Pour autant, je ne m’écarte pas de Mal. Nous découvrons alors Thomas à l’entrée de la chambre, dans son habituelle attitude guindée. Je ne surprends qu’un simple haussement de sourcil rapidement effacé derrière un masque de professionnalisme.

À la vérité, je me contrefous de son jugement. Dans le cas contraire, je me serais montrée beaucoup plus discrète lors de mes derniers ébats, dans un certain salon, une certaine nuit.

— Mademoiselle Thornes, les premiers invités viennent d’arriver, la réception se déroule dans le jardin.

L’annonce m’arrache une crispation que je tente de colmater aussitôt. Un rappel que le temps a cette mauvaise habitude de passer trop vite. L’heure des courbettes a donc sonné. Quoi que je ne compte pas jouer la charmante maîtresse des lieux, je n’ai clairement pas la tête de l’emploi. Encore moins l’humeur.

— Très bien. Ma mère ?

— Catherine s’occupe d’elle, mais votre mère a souhaité aussi participer aux festivités.

Aux festivités…

La formulation a un arrière-goût de sarcasme, sachant que ma mère va perdre un de ses deux enfants d’ici ce soir. Son esprit n’est pas prêt à encaisser ce genre d'événement. Malheureusement, je ne peux pas la protéger de l’inévitable.

J’inspire et tasse mes angoisses dans un repli de mon esprit.

— Qu’elle profite des… Festivités. Catherine la raccompagnera dans sa chambre le moment venu. Viktor ? questionné-je, finalement.

Après sa traîtrise, il m’est encore difficile de deviner le prochain coup fourré de mon ancien conseiller. Il pourrait très bien venir, la fleur au fusil, et ce, sans la moindre gêne. Juste pour voir le résultat de ce qu’il a lui-même magouillé.

— Non, il n’est pas encore présent.

Monsieur continue donc à jouer les planqués.

Sur ces mots, je congédie Thomas d’un simple geste de la main. Mon regard fixe pendant quelques secondes la porte avant de lâcher un soupir.

— Tu as besoin de quelque chose ? me demande Mal.

Je grimace.

— De temps, j’ai besoin de temps…

Mais on ne m’en accordera pas. La grande Triade de New York n’est pas connue pour son indulgence, en particulier envers une détentrice d’ovaires. Alors je me contente de finir d’attacher mon harnais, ranger mon flingue et enterrer mes dés dans une de mes poches.

— Allons-y.

Ma démarche se fait énergique.

Ironiquement, alors que je traverse un couloir, le manoir ne m’a jamais paru aussi vivant. Le parquet grince, les portes claquent sous le passage du personnel et le parfum du bois vernis semble plus prégnant. Je ne peux m’empêcher de faire glisser mes doigts sur la rambarde de l’escalier comme pour graver dans ma mémoire les arabesques qui y sont sculptées.

Je n’ai jamais vraiment aimé ce foyer et pourtant, voilà que je deviens sentimentale.

C’est bien trop vite que j’atteins le jardin et sa fébrilité ambiante. Il n’y a pas à dire, mon majordome n’a pas lésiné sur les moyens entre l’immense buffet et ses bouteilles de champagne, le petit orchestre et les quelques paravents pour donner une ambiance chic.

Ne manque plus que les guirlandes et on se croirait à une fête d’anniversaire.

Heureusement, les invités n’ont clairement pas la dégaine de gamins shootés au sucre. Non, assurément, ceux-là ne sont ni très couleurs, ni très gâteau au chocolat. À la place, l’odeur de cigare vient les embaumer, cicatrices et tatouages pour ornement.

Mon arrivée me vaut plusieurs coups d’œil de leur part. Parmi eux, je repère Wallace et Joe Junior qui viennent me saluer. D’autres suivent le mouvement et s'enchaînent alors des poignées de mains inévitables et de faux sourires hypocrites. Je croise même le notaire, maître Lockwood, toujours étouffé dans sa chemise.

Toutefois, une présence m'interpelle.

Une femme d’une quarantaine d’années, la peau tannée, vêtue d’une longue veste d’époque au ton pourpre. Ses cheveux noirs ont été relevés en un chignon pour laisser entrevoir deux gouttes d’argent en guise de boucle d’oreille. Son regard, lui, est rivé sur un bouquin, ignorant tout à fait ce qui l’entoure. Une incongruité.

Mon front se plisse sous le poids d’une question.

Qui est-elle ?

Alors, au lieu d’user mes neurones en s'enlisant dans des hypothèses et autres spéculations sans fin, je choisis d’intercepter Thomas pour avoir ma réponse.

— C’est une des trois sœurs. Il semblerait que celle qui devait venir ait eu un empêchement.

— Une sœur ?

Mon majordome me confirme à nouveau l’information, mon regard toujours braqué sur l’inconnue. Elle ne ressemble en rien à la femme-arbre. Cette dernière ne croule pas sous les rides, bien au contraire avec sa silhouette longiligne et raffinée.

— Et quelle est la nature de cet empêchement ? demandé-je.

— Je ne saurais vous dire, mademoiselle.

Moui, en tous les cas, l’autre est bien plus absorbée par sa lecture plutôt que de faire montre de courtoisie envers son hôtesse. Je n’en demeure pas moins curieuse. Après tout, jusqu’ici, je n’avais vu que la vieille et son arbre. Pour autant, je ne suis pas certaine que cette apparition soit de bon augure. Malheureusement, elle est nécessaire pour officialiser l'ascension d’un nouveau chef de clan.

Règle de merde.

Avec un peu de chance, elle est moins vicieuse que son aînée. Sauf que je n’ai jamais eu d’atome crochu avec la chance.

— Ivy.

Je cligne des yeux pour me tourner vers deux autres femmes. Ma mère, accompagnée de Catherine en retrait. Cette fois, mes lèvres s'étirent avec authenticité, non sans une certaine hésitation, le souvenir de notre dernière conversation encore douloureux en tête. Pourtant, accoutrée d’une robe à fleurs et d’une capeline pour se protéger du soleil, elle semble pleinement profiter du moment, la démence comme envolée.

— Maman.

Je n’ose rien ajouter d’autre de peur de briser ce fragile équilibre retrouvé. Un équilibre précaire, prompt à s'effondrer à la façon d’un château de cartes. Derrière moi, Mal se rapproche en silence pour me communiquer son soutien. Je suppose que lui aussi se rappelle de moi, au pied d’un mur, en larmes.

Instinctivement, ma main cherche dans ma poche, la présence rassurante de mes dés.

— Cela fait longtemps qu’il n’y avait pas eu autant de monde à la maison. Je ne suis plus trop habituée à ses mondanités, mais regarde-toi ! On dirait ton père.

Mon sourire se froisse sous le tranchant de la comparaison.

— Je ne lui ressemble pas, rétorqué-je d'un ton plus abrupt que je ne le souhaite.

— Allons, ma chérie, je suis sûre que plus d’un invité pourra te le confirmer ici et c’est une bonne chose. Dans ce milieu, il faut savoir se faire respecter et Cyrius savait très bien le faire.

Mes mots s’entassent dans ma gorge, mais je me retiens de les déverser. Ce n’est ni le lieu, ni le moment. De plus, ma mère ne mérite pas ma colère.

— Je prendrai bien une coupe de champagne !

Encore une fois, je ne dis rien pour lui céder le passage afin qu’elle puisse intercepter un serveur et son plateau.

En attendant, le jardin grouille désormais de monde, ce qui m’oblige à endosser cette façade d’indifférence pour accueillir les nouveaux arrivants. Les airs dédaigneux sont omniprésents. En particulier lorsque le Jefe Quezada me fait enfin l’insigne honneur de sa présence. Un bel homme, grand, brun, regard clair, aux origines indéniablement mexicaines. De quoi faire chavirer quelques cœurs.

Rien d’étonnant quand on possède la capacité de se modeler à sa guise.

Je ne lui adresse qu’une brève parole avant de complètement m’en détourner pour la personne suivante. Une conduite que je répète encore et encore avec cette envie de dégobiller mon amertume sur les pompes de mes invités, toujours plus prégnante.

Jusqu’à ce que l’inéluctable survienne.

— Ander !

J’entends les pas précipités de ma mère sur l’herbe pour finalement la voir enlacer son fils. Ce dernier en fait de même. La scène en est presque touchante et au travers d’un certain masque, on pourrait y percevoir de l’amour. Une impression qui disparaît totalement au moment où nos regards se croisent.

Un instant, l’air devient glacial. Dans les arbres, les branches s’agitent, mes compagnons à plumes piaillant un peu plus fort à l’instar de mon palpitant. Je réprime le moindre frisson.

— Comment va le petit cafard ?

— Allons, n’appelle pas ta sœur ainsi, s’exclame notre mère.

La réplique est loin d’effacer l’expression cruelle qui m’est adressée.

— Oh, c’est juste une façon de la taquiner. N’est-ce pas, Ivy ?

Je l’ignore pour me tourner vers Catherine et lui signifier d’un geste de la tête qu’il est temps de ramener ma mère à l’intérieur. Seulement, la principale concernée proteste. Je lâche un soupir. Pas vraiment le genre de spectacle que j’ai envie d’offrir au reste des invités. Aussi, je glisse une main dans son dos pour l’encourager à écouter la jeune femme.

— S’il te plaît, maman, soufflé-je à voix basse. Tu pourras revoir Ander après, mais pour l’instant, il est préférable que tu rentres. Souviens-toi de ta santé.

— Ma santé…

Je m’en veux de lui rappeler ses fragilités, seulement, elle ne peut pas rester. Pas pour assister à l'exécution d’un de ses enfants. Heureusement, l’argument finit par faire mouche.

Ainsi, nous délaissons le jardin et ses occupants, ma mère, Catherine, Mal et moi. Toutefois, je peux encore sentir le regard brûlant de mon frère sur ma nuque et capter la prolifération de murmures derrière nous. Sûr que nous aurons donné de quoi cancaner pour d’autres.

Peu importe.

Un premier seuil est passé et enfin, le brouhaha s’estompe. Nous prenons alors l’escalier menant à l’étage, et après plusieurs couloirs, nous atterrissons dans une chambre.

— Je te laisse ici, Catherine s’occupera de toi, d’accord ?

Un vague hochement de tête me répond. Une réaction qui me pince le cœur alors même que c’est la dernière fois que nous nous voyons. Mes mains accrochent les siennes pour attirer son attention. Je lui souris lorsqu’elle se tourne vers moi.

— Au revoir, maman.

J’ai le droit à un froncement de sourcils. Mais avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, je l’embrasse sur la joue pour fuir la pièce. Il me faut plusieurs longues expirations afin d’effacer mon trouble interne. Redevenir l’Ivy Thornes imperturbable.

Et oublier la petite fille aux yeux d’automne.

Mais c’est sans compter sur deux bras qui viennent me happer dans une étreinte chaleureuse. Je n’ai pas la volonté de me débattre. Ni l’envie. Je me sens soudain exténuée, consciente de chaque tension qui occupe mes muscles, mes nerfs et mon esprit. Je m’agrippe alors à Mal comme à une bouée de sauvetage.

Mes épaules ont un soubresaut.

La seconde suivante, mes joues s’humidifient de larmes.

C’est ridicule.

Mon corps ne semble pas du même avis, lui, qui s’abandonne soudain à cette détresse sans aucune honte. Et peut-être qu’il a raison. Tout ce que je garde en moi me ronge de l’intérieur. Me réduit à une simple carcasse. À cet instant, dans ses bras, je n’ai pas la force de nier cette évidence. Pour cette fois, le barrage peut bien céder.

Alors je pleure ma colère, mes doutes et mes angoisses pour les laisser dégringoler. Se perdre dans une chemise, se répandre à mes pieds. Je ne veux pas mourir. Pas aujourd’hui. Pas ici.

Puis les sanglots se tarissent et je peux enfin respirer.

Le temps d’un silence, les épaules se redressent, la tête est relevée, plus légère.

Il me faut un plan.

— Je ne peux pas redescendre ainsi.

Je n’ai pas besoin de me voir dans un miroir pour savoir qu’entre mes yeux rougis et mes joues striées de larmes, je ne ferais pas bonne presse auprès du public qui m’attend. J’ai un standing à conserver, après tout. Aussi, un détour par ma chambre me semble indispensable, ce que je m’empresse de prendre comme direction.

Je crois apercevoir un sourire de Mal.

Décidément, difficile de résister à son charme.

Nous rallions alors ma chambre. Un bref coup d’œil est jeté par la fenêtre pour observer l’attroupement en contrebas. Mon absence ne paraît pas les avoir troublés outre mesure. Oleander, lui, en a profité pour être le centre de l’attention. Sans grande surprise.

Assurément, il doit avoir quelques anecdotes croustillantes en réserve après son petit tour en prison.

De mon côté, j’entre dans la salle de bain attenante pour me passer de l’eau sur le visage. Rien de bien miraculeux, mais au moins je n’ai plus l’air aussi bouffie. Du reste, je compte sur mes cernes habituels pour faire illusion. Un vilain froncement de sourcil et on y voit que du feu.

Parfait.

Ce sur quoi, je fais demi-tour, Mal attendant près de la porte. C’est alors que mon regard accroche la statue d’un arbre rabougri, rangée dans un coin. Celle retrouvée dans le bureau du géniteur. L’objet m’est complètement sorti de la tête depuis… Bien trop longtemps.

L’hésitation marque mon pas.

Je m’en rapproche.

Si je me souviens bien, il y a une inscription à son pied. L’arbre est alors bientôt soulevé, puis soumis à inspection. Du bout des doigts, j’éprouve une ligne gravée. Des chiffres. Mon front se plisse pour mieux en cerner les lignes et comprendre. Une date.

Celle d’aujourd’hui.

Un mauvais pressentiment me prend aussitôt à la gorge. Viktor avait parlé à la femme-arbre avant que nous quittions sa boutique. Elle était en colère. Les images défilent dans ma tête, mettant en branle mes neurones. Jusqu'à ce que le grincement des engrenages reconstruise l’affreux puzzle. Cet arbre, celui que je tiens entre mes mains, ce n’est qu’un des nombreux autres masques mortuaires que le géniteur aimait à créer, une représentation de chacune de ses victimes. Cela me paraît désormais évident.

Le masque mortuaire du physalis.

Mais pourquoi ?

À cette question, me revient aussitôt le souvenir de ces documents retrouvés dans le bureau. Ces recherches, ces légendes. Mes yeux se ferment comme pour mieux me remémorer les quelques lignes lues.

“Il est intéressant de noter qu’un fils peut esquiver le tranchant du ciseau d’Atropos, tant qu’un échange équivalent existe, c’est-à-dire, tant qu’une autre vie vient prendre fin.”

Une vie pour une autre.

Et la réponse se fait limpide : un chantage, voilà pourquoi.

Une affreuse possibilité commence alors à germer, glaçant mon sang, tandis que toutes les pièces s’assemblent avec le tranchant de la netteté. Le contenu de cette caisse, sa lourdeur et la terre sur les chaussures des complices de Viktor. Ils ont déterré quelque chose.

Sans réfléchir, mes arcanes se réveillent et un coassement me répond.

Nous nous arrachons à notre branche pour prendre le chemin du ciel.

L’urgence dans nos veines, nous battons un peu plus fort des ailes.

Nous ignorons l’écho des sirènes.

Ignorons nos confrères. 

Pour les trouver.

Ces stèles.

Et un trou.

Vide.

Le fils se brise et je respire comme si l’oxygène avait oublié, pendant plusieurs minutes, de remplir mes poumons. Je blêmis. Mon regard croise alors celui de mon garde du corps. Il saisit immédiatement la panique qui gratte à la surface.

Mes poings se serrent pour étrangler la terreur.

J’ai enfin trouvé une raison pour qu’Ander calme ses envies meurtrières.

— Hors de question que le géniteur sorte de son cercueil, décrété-je avec aigreur.

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