Lycoris
— Rentre bien, dormeuse ! lance Dani en m'ouvrant la porte du portail, avec ce sourire de flic du dimanche.
— Tu joues vraiment avec mes nerfs, là ! je réplique, plus énervée que je ne le montre.
Il m'ignore, évidemment, et repart à l'intérieur du hall, satisfait comme un gosse qui vient de gagner à un jeu idiot.
Me voilà seule, plantée devant le grand portail. Y'a plus un bruit. L'école derrière moi semble déjà avoir tourné la page. Et moi, je vais rentrer seule, sans les filles. Un frisson me parcourt tout le corps. L'air est plus frais, ou alors c'est juste l'ambiance ?
Je remonte mon sac sur mes deux épaules. Il me paraît lourd, trop lourd pour ce qu'il contient. Comme si toute ma journée était en train de peser sur mon dos. L'appareil photo glisse doucement contre ma poche, je l'avais sorti de mon sac pour la contempler en retenue, pour peut être tuer le temps où de me rappeler de Stefan j'en sais rien.
Je commence à marcher, je m'éloigne de l'école jusqu'à sortir complètement de son champ de vision. Et là, je m'arrête.
Je sors mon portable. Je fixe l'écran vide, hésite. Je peux demander à Mikaïl de venir me chercher ? Juste un message, un appel... Il le ferait, je le sais. Il viendrait sans hésiter. Mais...
Non. Laisse tomber. Il travaille. Je peux pas le déranger pour un petit caprice comme ça.
Je souffle fort par le nez, range mon téléphone. C'est rien. Je vais juste rentrer par un chemin plus court.
Ou... non. C'est peut-être mieux si je prends un chemin plus long, plus habité, plus sûr...
Mais si je fais ça, je vais mettre trois plombes à rentrer...
Je soupire. Ok. Je rentre vite. C'est mieux. Je rentre vite.
Go prendre le raccourci, de toute façon, qui je pourrais croiser, hein ?
Je me convaincs comme je peux, et je bifurque. Le chemin est étroit, un petit parc déserté à cette heure, bordé d'arbres fatigués et de chemins de pierres mal alignées. C'est calme.
Je souffle un peu, mes pas résonnent seuls. Je stresse vraiment pour rien, pff...
Je sens les cailloux touts petits touts blancs sous mes converses qui deviennent un peut trop vieille à mon goût, les vans me manquent je les aimer bien avant...je devrais peut être essayer des d'autres chaussures
Un instant... c'est pas une moto, là-bas ?
Au bout du sentier, légèrement à l'écart, dans une zone encore faiblement éclairée par le soleil et le ciel rose entre deux arbres... ouais. Une moto. Pas garée. Pas posée sur un trottoir. Non. Elle est là, immobile, presque mise en scène.
« On pourrait prendre des photos de motos qu'on croise dehors. Ce serait plus réaliste. Et en plus, j'ai mon appareil dans mon sac. »
La voix de Stefan résonne dans ma tête.
J'ai l'impression de revivre le cours d'art plastique. C'est fou comment ça me rend heureuse. J'ai pas rêvé mieux comme occasion.
Arriver assez proche de véhicules, je décide de me positionner devant le derrière de la moto, haha...
Je jette un coup d'œil autour de moi. Personne. Juste le vent, les feuilles qui frémissent, et cette lumière rose-orangée qui rend tout un peu irréel.
Je glisse ma main dans la poche de ma veste. Mes doigts accrochent la sangle, je sens le métal froid du boîtier. Il est là. Bien là. Ça me rassure.
Je le sors doucement. Il tient pile dans ma main, pas trop encombrant, discret, mais quand même... je sens le poids de sa valeur. C'est pas juste un appareil photo. C'est son appareil. Celui de Stefan.
Je le place comme il m'a montré, j'ajuste vite fait l'angle. La moto est parfaite. Perdue au milieu du décor, immobile, presque abandonnée. Comme un fantôme mécanique.
Je cale l'appareil, je retiens mon souffle une seconde, et...
clic.
Je souris. Toute seule. Je souris comme une idiote. Parce que j'ai l'impression qu'il serait fier. Qu'il me dirait « bien vu », ou qu'il m'aurait fait ce petit sourire en coin qu'il a parfois. Quand je lui la montrerai, j'ai hâte même.
Mais mon sourire s'efface.
Cette chose...cet appareil photo qui a l'une des plus grandes valeurs pour moi à cet instant...tombe brutalement de mes mains.
Il s'écrase contre le sol.
Le bruit du choc me déchire de l'intérieur. Et je le vois se fracasser en mille morceaux, comme mon cœur, d'un coup, qui s'effondre sous le choc.
La panique me prend à la gorge. Je n'ai même pas eu le temps de comprendre. Mon souffle se bloque, mes yeux cherchent ce qui vient de se passer.
Et là... je relève la tête.
Devant moi, à quelques mètres à peine, y'a quelqu'un. Je sais pas si c'est un homme ou une femme, j'arrive pas à identifier. Sa tête est cachée sous un casque de moto noir, opaque, sans rien d'humain.
Il a l'air immense.
Et le pire ?
Il, ou elle est en costard-cravate. Un vieux costard mal taillé, froissé, trop grand ou trop petit. Bizarrement sinistre.
Mon sang se glace.
Je recule. Un pas. Deux. Trois.
Putain, merde.
Stefan va me tuer... il va me détester...
Je le reverrai plus jamais sourire face à moi...
— PUTAIN ! Mais qu'est-ce qui vous prend ?! hurle ma voix, plus forte que je l'aurais cru. La colère prend le dessus, toute seule.
— Toi, qu'est-ce qui te prend à prendre en photo une moto qui est pas à toi ?! répond l'autre. C'est mon père qui t'envoie ou quoi ?!!
Sa voix me frappe. C'est pas celle d'un adulte. Pas grave, pas rauque, pas inquiétante dans ce sens-là.
Non. C'est juste... la voix d'un gamin. De mon âge.
Mes doutes s'effacent d'un coup.
— Mais bordel t'aurais pu me le dire au lieu de le casser ! je crie, la gorge serrée.
Je me fous de lui, de sa moto de merde, de son délire. Je m'abaisse au sol, à genoux, et j'essaye de rassembler les morceaux, les miettes de verre et de métal. Mes doigts tremblent. Mes yeux piquent.
Les larmes coulent sans que je les sente venir. Elles me floutent tout. Mes membres tremblent tous aussi maintenant.
Merde... pourquoi il m'a fait confiance, lui ?
Pourquoi à moi ? À une putain de nana pauvre qui pourra même pas rembourser un truc de luxe comme ça...fais chier pour une fois que je m'étais rapproché d'un garçon que j'aime...
Je me relève, brûlante. Les yeux noyés de larmes. Je dois avoir une sale tête. Je fais vraiment pitié...
— T'es content maintenant ?!! je hurle, la voix brisée. Enlève ton casque que je te donne une bonne gifle !
J'ai le souffle court. J'ai envie de disparaître. De fondre. Je tremble encore.
Putain... je fais vraiment pitié. Merde. Mais je sais pas quoi faire d'autres.
Il le fait vraiment... ?!
Il enlève son casque. Lentement. Sans dire un mot, comme s'il savait que c'était inévitable.
— Excuse, je pensais que t'étais—
Je l'écoute même pas jusqu'au bout.
C'est ma main à moi qui s'écrase maintenant sur sa joue droite.
Un claquement sec. Il ne recule même pas. Mais je sens tout : le choc, sa peau lisse, bizarrement agréable contre ma paume tendue. Mon visage se crispe.
Ses yeux.
D'un noir profond, troublant. Trop sombre pour un ado. On dirait un gouffre. Qui finit par nous avaler.
Ses cheveux, légèrement ondulés, s'envolent sous le coup. Ils retombent ensuite sur son front pâle.
— Ah ouais... tu y tenais à ce truc, toi, qu'il lâche en se frottant la joue, un demi-sourire en coin.
Je le fixe, encore haletante, la main toujours chaude du coup que je viens de lui coller. Mon cœur bat trop fort. Il se fout de moi, je vais...
Mais là, il glisse une main dans la poche intérieure de sa veste.
Il en sort... des billets. Plusieurs. Froissés, comme s'ils traînaient là depuis longtemps. Et sans rien dire de plus, il me les tend.
— Tiens. Pour ton appareil.
Je reste figée. Je comprends pas. Je bouge pas. Juste mes yeux qui alternent entre l'argent et son visage toujours calme, presque détaché.
— Quoi ? je murmure.
— C'est ça que tu voulais, non ? dit-il en haussant les épaules. Je t'ai cassé ton truc, je paye. Fin de l'histoire.
Ah ouais. Je vois le genre.
Un putain de gosse de riche. Comme les autres. Toujours eux. Toujours leur fric, leur façon de tout acheter, même ce qu'ils comprennent pas.
Je vais péter un câble. Pourquoi c'est toujours moi l'intruse ? Pourquoi c'est toujours moi qui dois courber l'échine ?
— Va te faire enculer, toi et ton fric ! je crache, la voix éraillée. Je suis pas une mendiante !
Je me baisse, enragée, et je ramasse les restes de l'appareil, pièce par pièce. Même s'il n'y a plus rien à sauver. Même si c'est ridicule. Je m'en fous.
Je suis furieuse. J'en tremble.
— Bah, laisse au moins t'aider. Je suis désolé... qu'il dit, un peu plus bas.
Je ne le regarde même pas. Je serre les dents. Je ravale mes larmes.
Je m'arrête. Une seconde. Les doigts encore tendus vers les débris.
Puis je me relève. Lentement. Et je le fixe.
— Garde-les, je crache. Garde tout. C'est foutu de toute façon.
Je sens ma gorge se nouer, mes yeux piquer à nouveau,
Je fais volte-face, le sac plaqué contre mon dos comme un bouclier.
Et cette fois, je pars. Pour de bon. Sans les morceaux. Sans l'argent. Sans rien.
Sauf ce vide écœurant dans la poitrine.
Je suis vraiment conne. Une grosse conne.
J'a urais dû prendre son fric. Merde. Merde, merde, merde, merde...
Stefan va me mépriser jusqu'à la fin du lycée. Il va m'ignorer, se moquer, retourner tout le monde contre moi.
Il m'a fait confiance. Et j'ai brisé ça. Comme l'appareil. En mille morceaux.
Je suis qu'une idiote.
Idiote. Idiote. Idiote. Idiote. Idiote. Idiote. Idiote.
Erin n'aura jamais les moyens d'acheter un truc pareil. Pas avant des semaines. Et encore.
Faut attendre la fin du mois. Faut toujours attendre. Toujours compter. Toujours s'excuser d'exister.
Je serre mon sac contre moi, le cœur en feu, les yeux secs maintenant. Trop brûlés pour pleurer.
Go.
Je prends le chemin le plus long, le plus sûr, celui qui me laisse bien le temps de me torturer l'esprit.
Je marche longtemps. Trop longtemps.
Les battements de mon cœur ralentissent, mais dans ma tête, c'est le chaos total. Des flashs, des phrases, des regrets. L'appareil. Sa voix. Sa moto. Mon geste. La gifle.
Quand j'arrive devant la maison, le soleil a quasiment disparu.
Le ciel est sale, fatigué comme moi. Le quartier est toujours calme, un calme.
Je glisse ma clé dans la serrure, j'entre.
Personne à l'entrée. Pas un bruit.
Je referme doucement derrière moi.
J'enlève mes chaussures sans y penser, je pose mon sac au sol.
Je veux pas parler. Je veux pas manger. Je veux pas exister pour quelques heures.
— Lyris, c'est toi ?
La voix d'Erin traverse le silence depuis sa chambre, un peu inquiète.
— Ouais, c'est moi...
Je souffle, la voix cassée, et je traîne jusqu'au salon.
Je fouille du regard, cherchant un truc, de l'argent, n'importe quoi. Faut que je répare ce bordel.
— Tu cherches quoi au juste ?
Je sursaute. Putain, c'est vraiment la pire journée.
— J'ai cassé un truc à un mec que j'aime bien, et du coup j'essaie de réparer ma merde.
Je l'entends se laisser tomber sur le canapé, un soupir.
— Un gars que t'aimes bien ou que t'es amoureuse ?...
Je me retourne, les yeux rivés dans les siens.
— Erin, c'est pas la question ! C'est un truc de luxe !
Elle sourit, la tête qui bascule en arrière.
— Oh s'il vous plaît... Je peux mourir en paix ? Ma petite sœur que j'ai élevée si durement aime les hommes riches !!
Je roule des yeux, me lève et m'assois près d'elle.
Je rapproche mes mains des siennes, le regard suppliant, cerise sur le gâteau.
— S'il te plaît...
Elle me regarde un instant, puis soupire.
— Je te promets que si j'avais l'argent, je t'aiderais.
Mais là, ce que j'ai, c'est pour les factures, la bouffe, et tout le bordel qui va avec...
Je baisse la tête, les épaules qui tombent un peu plus.
— Ouais... je comprends.
Un silence s'installe, lourd.
— Mais on va trouver un moyen, d'accord ? On va pas laisser ça te bouffer.
Je relève la tête, un peu plus rassurée, même si la peur est encore là.
— Merci, Erin.
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Coucouuuuuuuuuu !!
Vous avez aimez ??
la scène de l'appareille photos est l'une des raisons principales pour lesquelles j'écris cette histoire ahah...
Bon bye bonne journée où soirée mais aussi je souhaite :
Eid Mubarak !!!! pour tout les musulmans, passés un très bon moment avec vos familles en ce jour sacré !