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LiiymScart
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CHAPITRE V

Charles

Seize ans plus tôt

14 octobre 2006...

L'odeur désagréable des hôpitaux me dégoûtera toujours autant. Les infirmiers qui courent dans tous les sens, leurs pas lourds résonnant sur le carrelage, me fileront la migraine pour toute la journée... J'ai beau avoir passé douze ans dans les études de neurologie, exercé dans des services plus durs les uns que les autres, je ne m'y suis jamais vraiment habitué.

Mais là, maintenant, assis sur une chaise en plastique sûrement pas propre, j'ai la nausée. Mes pensées se brouillent. Et pourtant, je suis excité. Heureux.

Si ce soir je ne déballe pas une de mes meilleures bouteilles pour fêter ça, alors je ne m'appelle plus Charles.

Je jette un coup d'œil à l'horloge murale. Une heure. Ça fait une heure qu'elle est là-dedans. Je me repasse mentalement les étapes d'un accouchement, comme si ça allait m'aider. Comme si mon fichu diplôme pouvait me préparer à ça. Mais je ne suis pas médecin aujourd'hui. Je suis juste un mari qui va bientôt être le père de deux filles. Et j'ai peur.

Je me lève, fais quelques pas dans le couloir, puis me rassois aussitôt. Ça ne sert à rien. Je me sens comme un lion en cage, inutile, à attendre qu'on vienne me dire si le monde que j'ai construit jusqu'ici est sur le point de s'agrandir... ou de s'écrouler.

Une infirmière passe. Elle ne me regarde même pas. Elle tient un dossier contre sa poitrine, avance vite, concentrée. Je veux croire que tout est normal. Je veux croire qu'il n'y a pas ce silence bizarre derrière ces portes. Mais mon instinct me trahit.

Je serre les poings. J'ai mal à la mâchoire, je ne m'étais même pas rendu compte que je la crispais. Je pense à Erin. Ma première fille... Elle n'est pas là ce soir. Une partie de moi me dit que j'ai bien fait de la laisser à la maison avec ses copines. Je pense que c'est bientôt son anniversaire, en plus elle va avoir 12 ans. Bordel, comment j'ai fait pour passer d'un sujet à ça ? Nan... c'est complètement normal de penser à sa fille.

Oh mon Dieu, j'espère que je ne serai jamais l'un de ces parents cons qui font du favoritisme.

Je ferme les yeux. Juste un instant. Pour essayer de repousser cette boule qui me serre la gorge. Je pense à Elsa. À ses éclats de rire, à la manière dont elle posait ses mains sur son ventre quand elle sentait le bébé bouger, comme si elle voulait déjà lui transmettre tout l'amour du monde.

Elle était si belle, ce matin. Fatiguée, un peu pâle, mais elle souriait. Elle m'a regardé avec ses grands yeux pleins de lumière et elle m'a dit :

« Si jamais je ne me réveille pas... tu lui diras que je l'aimais déjà, d'accord ? »

Je l'ai engueulée, bien sûr. Comme si on plaisantait avec ce genre de chose. Mais elle, elle avait ce ton calme, presque doux. Un ton de quelqu'un qui sait. Qui sent. Et moi, je n'ai rien vu venir.

Je pourrais mourir pour elle. Je pourrais tuer pour elle.

Un long frisson me parcourt l'échine.

Les portes battantes s'ouvrent dans un claquement sec. Une sage-femme s'avance vers moi. Elle a ce regard que j'ai vu des centaines de fois sur le visage de collègues, quand il faut annoncer quelque chose. Elle tient toujours ce fichu dossier contre sa poitrine. Ses yeux se posent sur moi, hésitants. Elle ralentit. Mon cœur s'emballe.

Elle s'arrête à quelques pas. Elle inspire profondément.

— Monsieur Assline ?

Je me lève. Le sol tangue sous mes pieds.

— Oui... oui, c'est moi !

— Votre fille est née. Elle va bien...

Je soupire. Je suis tellement content, bordel.

— ...Mais votre femme...

Elle hésite. Juste une seconde. Mais c'est suffisant. Ce genre de silence, je le connais trop bien. Il est chargé. Dense. Il dit ce que les mots ne veulent pas dire.

— Elle a fait une hémorragie, dit-elle enfin. On fait tout notre possible. Les médecins sont encore en salle avec elle. Elle est stable... pour l'instant.

Pour l'instant.

Ces deux mots me claquent au visage comme une gifle. Ma gorge se serre. Mon cœur cogne fort, trop fort, dans ma poitrine.

Je reste figé. Un instant, je ne comprends plus comment respirer. Je la vois encore ce matin, Elsa. Elle me faisait un clin d'œil en plaisantant sur le fait qu'elle allait bientôt perdre le peu de sommeil qu'il lui restait. Elle était vivante. Elle était là.

Et là, maintenant, elle est entre la vie et la mort.

— Est-ce que... est-ce que je peux la voir ? je demande, la voix rauque, presque brisée.

La sage-femme secoue doucement la tête.

— Pas encore. Ils font tout leur possible. Je reviendrai vous voir dès que j'ai des nouvelles.

Je me laisse tomber sur la chaise. Mes mains tremblent. Je passe une paume sur mon visage, puis sur mes yeux. Je ne pleure pas. Pas encore. Mais quelque chose me brûle à l'intérieur.

Je voulais fêter ça. Ouvrir une bouteille. Hurler de joie. Et au lieu de ça, je prie un Dieu auquel je ne crois même pas.

Je reste là, à moitié debout, accroché à un espoir qui s'effrite à chaque seconde. Puis un médecin s'avance. Blouse blanche. Regard fermé. Il parle doucement, comme s'il marchait sur du verre.

— Monsieur Assline...

Je l'interromps, le souffle court.

— Je veux voir ma femme.

Il baisse les yeux. Et là, je comprends. Avant même qu'il parle, je sens que quelque chose ne va pas. Mon cœur ralentit. Ma gorge se serre.

— Je suis... désolé. Votre femme... elle n'a pas survécu.

Tout s'arrête.

Les murs s'effondrent. Les bruits deviennent sourds. Même mon souffle semble suspendu.

— Quoi ? je chuchote. Non... non, c'est pas possible. Vous m'avez dit qu'elle était stable...

Il hoche doucement la tête.

— L'hémorragie a repris. Elle est partie très vite. On n'a pas pu...

Je recule d'un pas. J'ai envie de le frapper, de hurler, de le supplier. Mais je ne bouge pas. Je suis figé.

— Je veux la voir. Je dois lui dire au revoir.

Le médecin croise les bras. Il hésite. Trop longtemps. Puis :

— Le corps... a été transféré. Il y a eu... des complications. Administratives. Il faudra un peu de temps avant que vous puissiez... la voir. Je suis désolé, vraiment.

Je le regarde comme s'il venait de m'arracher un morceau de moi-même. Il évite mon regard. Il ment mal. Mais je suis trop brisé pour m'en rendre compte.

Je m'effondre sur la chaise. Et cette fois, je pleure. Vraiment. Sans retenue.

Elsa est morte. Ma femme. La mère de mes filles.

Et je n'ai même pas pu lui dire au revoir.

Je reste là, les mains crispées sur mes genoux, le visage noyé de larmes, incapable de penser à autre chose qu'à elle. À Elsa. À la promesse que je n'ai pas pu lui faire tenir. À ce foutu matin où elle m'a souri pour la dernière fois.

Puis, une infirmière s'approche doucement. Une jeune, à la voix douce, aux gestes calmes.

— Monsieur Assline ?... Votre fille est réveillée. Vous pouvez venir la voir, si vous le souhaitez.

Je relève la tête. Ma gorge me brûle, mes yeux aussi. J'hésite. Et puis je me lève. Parce qu'il faut bien avancer, non ? Parce qu'elle est là, maintenant. Ma fille. Celle qu'Elsa m'a laissée.

Je suis l'infirmière à travers les couloirs silencieux, jusqu'à une petite salle éclairée par une lumière pâle. Et là, dans un berceau en plastique transparent, emmitouflée dans une couverture trop grande pour elle... elle est là.

Si petite. Si fragile. Elle bouge à peine. Juste ses doigts qui s'ouvrent, se referment. Et ce minuscule souffle, presque imperceptible.

L'infirmière s'écarte discrètement, me laisse seul avec elle.

Je m'approche. Je tends la main. Mon doigt touche le sien, et elle s'y accroche. Pas fort. Juste... assez pour me détruire un peu plus.

— Salut, petite...

Ma voix se brise. Un sanglot monte, mais je le ravale. Je veux qu'elle entende autre chose que ma peine.

— Ta maman t'aimait déjà. Elle me l'a dit. Elle aurait été fière de toi. Si belle...

Je m'assois à côté du berceau. Je reste là, longtemps, à la regarder respirer, comme si elle seule pouvait m'empêcher de m'effondrer complètement.

— Tu t'appelleras Lycoris, je murmure. C'est ce prénom qu'elle t'avait réservé..

Et puis c'est plus fort que moi, mes sanglots me reviennent.

Retour au présent

17 septembre 2022

— Va te faire enculer, Charles !

Putain, mais il se prend pour qui, Kai ? Ça fait des jours qu'il refuse de me servir. J'ai besoin de ma dose, bordel.

— Pourquoi tu me sers plus ? je finis par lâcher, la voix pâteuse.

Il se retourne, blasé, en s'essuyant les mains derrière le comptoir.

— La police est venue me voir, Charles. Ils m'ont ordonné de plus te servir d'alcool.

Un silence. Puis il enchaîne, plus sec.

— Et puis toute la ville se plaint de ton comportement d'ivrogne. Alors soit tu commandes quelque chose de soft... soit j'appelle tes petits copains de la police.

Je me lève calmement.

— CONNARD C'EST TOI QUI DOIT ALLER TE FAIRE ENCULER ! Je lui hurle avant de franchir la porte de sortie.

J'ai toujours Lycoris qui pourrait aller me chercher à boire à la Supérette ?

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