8ans plus tôt

5 Septembre, 2014

Il était tard, les criquets chantaient en

Harmony, la seule lumière qu'elles pouvaient voir était la lune et ses étoiles scintillantes, l'air était doux et l'herbe leur caressait la peau. Allongées au sommet d'une colline sous un chêne qu'elle avait baptisé "lueur imparfaite", elles trouvaient amusant de donner des noms à n'importe qui et quoi de leur quotidien que seules elles connaissaient, des noms aussi étranges que poétiques, des petits secrets inoffensifs qu'elles partageaient entre elles et seulement elles.

Erin, la plus grande, l'aînée, la plus forte, la survivante.

Elle racontait, à la plus petite de sa famille, à quel point l'amour était beau mais dangereux. Elle en avait de l'expérience, elle qui travaillait en tant que serveuse et aussi en tant que prostituée dans un hôtel à temps plein. Elle en avait même été témoin dans le passé. Elle n'avait pas le choix, mais ce n'est pas pour autant qu'elle en souffrait... ou peut-être que si ? Peut-être que si, mais alors elle préférait se taire pour préserver sa famille. Erin, ce qu'elle voulait, c'était sortir sa petite famille de la pauvreté, lui donner une opportunité de vivre comme les autres, au lieu de trembler de froid en hiver ou de mourir de soif en été. Elle pourrait tout faire pour, n'importe quoi. Elle en payerait les conséquences, comme elle l'avait toujours fait.

Après que leur mère les avait quittés, tout s'était effondré autour d'elle : ses rêves, ses désirs, ses droits et sa famille, maintenant recouverte d'une bulle tout autant fragile que transparente, qui menaçait d'éclater à la moindre caresse, qu'elle soit bienveillante ou brutale. Erin avait plongé dans le désespoir mais pas seule, accompagnée de son père Charles, devenu un homme sans but précis, enchaînant les bouteilles d'alcool le jour puis s'effondrant la nuit, et de Lycoris, qui n'avait pas pu connaître la chaleur des bras d'une mère lorsque leurs bébés venait de naître. Dès sa naissance, elle n'était déjà plus là. Erin ne pouvait pas se permettre de rien faire.

"J'ai encore le choix de décider si je rouille ou si je brille", pensait-elle. Alors elle choisit de briller, du moins à sa façon.

— Écoute-moi bien, Lyris. Aimer, c'est prendre le risque d'être détruit par celui qui te rend le plus vivant. Est-ce que tu me comprends ?

Pendant qu'Erin s'était retournée sur le côté, appuyant sa tête sur sa main pour regarder sa petite sœur en attendant une réponse de sa part, elle espérait avoir été claire. Sa petite sœur réfléchit un moment, silencieuse, puis soupira. Hélas, Lycoris n'avait que huit ans. Elle en avait peu à faire des leçons de vie de sa grande sœur. Au lieu de ça, elle se redressa et se pencha sur son aînée. Elle la regarda avec ses yeux plissés, ses petites lèvres virées en un sourire s'étirant assez pour montrer un air à la fois interrogatif et insouciant.

— Lyris ? demanda-t-elle surprise. Je m'appelle Lycoris, pas Lyris ! disait-elle hilare en se laissant tomber en arrière, ses cheveux s'entremêlant dans l'herbe, les bras écartés.

Sa sœur se redressa à son tour en s'approchant de la petite Lycoris qui avait fermé les yeux pour se concentrer à sentir l'odeur de l'air frais chatouillant ses narines.

À quatre pattes, lentement et silencieusement, l'aînée se mit au-dessus de la cadette, lui faisant ce que sa petite sœur appelait "le martyr". Cette dernière s'agitait dans tous les sens, essayant de se libérer.

— Erin, non... PAS ÇA ! cria-t-elle en riant.

Mais impossible de fuir les "guilis de l'enfer de la tyrannique Erin", encore un nom que seules elles connaissaient. Aussi étrange que poétique, comme tant d'autres.