Et contre toute attente, la soirée s'était assez bien passée. Je ne sais pas si c'était les excuses sincères d'Aro, le fait d'avoir assuré que les maîtres prendraient leurs responsabilités en se mettant en tête de ligne, ou simplement le fait que tout le monde ait fait des efforts mais aucun incident majeur ne s'était produit. Jane avait soigneusement été éloignée des Cullen, et Demetri avait veillé à ce que ce soit mon cas également. Les végétariens et les loups, dont le reste de la meute arriverait dans les prochains jours, avaient quitté la salle quelques temps pendant qu'on se nourrissait bien que personne ne se soit comporté comme une bête afin de faire bonne impression. Même si le traqueur avait dû me ceinturer fermement entre ses bras pour me retenir de vider le festin entier à moi toute seule, sous les encouragements de Félix qui voulait voir si le vampire grec saurait contenir ma force de nouveau-né, ou si j'allais lui échapper pour fournir un peu d'animation.
J'avais ensuite fait la connaissance des différents invités puisque j'avais été officiellement présentée, avec Derren et son don qui provoquait le désespoir, vu qu'il n'était pas encore connu comme il avait intégré le clan après leur retour de Forks. Le colosse avait d'ailleurs insisté pour me présenter un homme qu'il avait transformé, dont le visage m'était familier sans savoir pourquoi, certaine de l'avoir déjà vu dans mes recherches historiques. Et si j'avais été encore humaine, mon sang se serait glacé en apprenant qui était ce vampire, un nom assez connu dans l'histoire de mon pays, surtout si on avait suivi l'épopée de Jeanne d'Arc. Félix était le créateur de Gille de Rais, et bien que ce soit impoli, j'avais fait un brusque pas en arrière en repensant à tout ce que j'avais lu dans des livres. L'ancien compagnon d'armes de la Pucelle n'avait pas cherché à nier ces accusations de tueur en série et de monstre aux pratiques contre-nature sur de jeunes enfants. Il se contenta de me lancer un regard si froid et insensible qui me donna la sensation de me liquéfier sur place, alors que Demetri m'avait vite éloigné qui semblait tout aussi mal à l'aise par ce personnage. Et pour que le traqueur décide de battre en retraite, c'est qu'il y avait sûrement d'autres choses que j'ignorais et que je ne voulais pas savoir. Il avait néanmoins appuyé sur le fait qu'il connaissait déjà l'art de la guerre de son vivant, et qu'il était un allié de taille parce qu'il n'aurait pas de scrupule à éliminer les menaces du camp adverse. J'avais eu ensuite l'occasion de rencontrer officiellement les reines que je n'avais pas encore vraiment vues, les deux souveraines semblaient tout aussi impliquées que leurs compagnons dans la vie de la forteresse malgré leurs présences plus discrètes. Et elles avaient bien fait comprendre qu'elles voulaient en découdre contre Aznar, comme cela faisait longtemps qu'elles n'avaient pas participé à une bataille.
Ayant laissé Demetri en train de converser avec son créateur sans retenue maintenant que les égyptiens étaient devenus des alliés, apprenant aussi à connaître Tia et Benjamin, j'observais les volontaires qui s'étaient essayés aux quelques jeux mis à disposition sur une longue table. Les Escape Game avaient l'air d'avoir trouvé leur public auprès des Denali et des Amazones, tandis que d'autres jouaient aux cartes en toute tranquillité. Quant à Félix et Emmett, ils s'étaient lancés dans un bras de fer où aucun des deux ne semblait réussir à prendre l'avantage sur l'autre. C'est alors que je remarquais le regard noir, presque assassin de l'adolescente anglaise et en le suivant, je vis son jumeau totalement absorbé par une jolie rousse à peine adulte qui avait l'air tout aussi intéressé par le brun. Si Jane était mécontente, elle donnait aussi l'impression d'être jalouse malgré ses efforts pour ne rien montrer. Comme elle avait repéré ma présence, je la rejoignis avec curiosité, alors qu'elle se mettait à taper du pied avec expressivité sans que cela ne suffise à sortir les deux immortels de leur conversation.
- Alec a trouvé sa compagne, ronchonna la blonde avec une telle moue que je lâchais un rire.
- Ça ne devrait pas te faire plaisir ? Fis-je en essayant de comprendre où était le problème.
- C'est une écossaise, une écossaise, une Stuart en plus ! S'offusqua la blonde comme si c'était évident.
Elle m'expliqua alors que la ravissante Beth était une descendante lointaine de la reine Marie Stuart, et qui avait été transformée il y a un peu plus de deux siècles. Mais qui avait préféré rester en solitaire dans l'un des châteaux de ses ancêtres, désormais en ruines. Elle côtoyait peu le reste des immortels, mais la menace d'Aznar en étant solitaire l'avait convaincue de venir en Italie pour voir ce que nous avions à lui proposer. Elle n'avait pas pensé qu'elle y trouverait son compagnon, qui lui n'était pas gêné par sa nationalité de toute évidence. Et son don de psychokinésie n'aurait aucun mal à plaire à Aro. En demandant comment Jane avait su tout ça, elle avait répondu qu'elle écoutait tout depuis le début, sans éprouver le moindre remord.
- Je crois que j'aurais préféré qu'elle soit française, et pourtant je ne les aime pas non plus, répliqua-t-elle en fronçant les sourcils en me voyant prête à protester. Oh ça va, ne me regarde pas comme ça, si je t'appréciais pas, tu seras déjà devenue mon nouveau souffre-douleur. Tu as fait cramer les Cullen, me rappela-t-elle avec un sourire ravi, même si elle était déçue que Demetri m'ait arrêté trop tôt à son goût.
- Il n'y aurait pas un peu de jalousie aussi ? Me risquais-je à l'interroger alors qu'elle devenait en réalité silencieuse, baissant les yeux au sol, me laissant entrapercevoir son mal-être avant de reprendre vite une mine impassible, pour faire bonne figure.
- On est ensemble depuis toujours, se contenta-t-elle de dire.
J'avais toujours entendu dire que les jumeaux partageaient un lien spécial en raison de leur naissance rapprochée. J'ignorais si c'était vrai, mais ils demeuraient frères et sœurs et avaient traversé les siècles ensemble, donnant aux Volturi cette réputation si sombre grâce à leurs ténébreux pouvoirs. Et même s'ils avaient noué des liens avec le reste de la garde, ils étaient toujours très soudés. Mais maintenant Jane allait devoir apprendre à partager son frère avec quelqu'un qui allait devenir sa nouvelle priorité en reléguant sa sœur au second rang. Je comprenais sa crainte, alors qu'elle ressentait peut-être même de la peur à l'idée d'être séparée pour de bon de son jumeau.
- Il restera toujours ton frère, votre lien est trop solide pour être aussi facilement détruit. Et puis ton tour viendra aussi Jane, lui assurais-je en tentant un argument qui ne sembla pas fonctionner. Je te rappelle que Demetri et Chelsea ont attendu très longtemps, plus de deux millénaires, avant de trouver leur moitié, mais pas parce qu’ils n’en avaient, c’est uniquement parce que ce n’était pas le bon moment Jane…
- Ah vraiment ? Qui voudra s'unir à la sadique des Volturi qui est restée figée dans son adolescence avec un corps à peine développé ? Cracha presque l'anglaise chez qui je percevais pour la première fois de l'insécurité et cette vision provoqua un peu de peine en moi.
Je comprenais lentement à chaque échange comment fonctionnait la petite protégée d'Aro. Elle se servait de son don si redoutable comme d'une arme pas uniquement pour faire souffrir, mais aussi pour repousser les autres et ne pas créer de liens avec le risque d'être trahie derrière. Je n'étais même pas certaine qu'elle ait confiance en les relations qu'elle avait nouées avec la garde. Elle avait très bien pu rencontrer son compagnon sans s'en rendre compte tellement elle était occupée à tenir les autres distance. J'étais troublée en cherchant quoi lui dire pour la réconforter, mais sa douleur était enfouie depuis si longtemps que je n'étais pas sûre de pouvoir l'aider.
- Quand le moment sera venu, tu n'auras qu'à demander à Félix de t'aider à dédramatiser ton don en l'utilisant comme cobaye, il le subit tellement souvent que ça doit lui faire l'effet de chatouilles maintenant, trouvais-je finalement alors qu'un sourire presque enchanté illumina son visage angélique, tandis que le concerné m'avait entendu et avait subitement relevé la tête.
- Félix ! Cria l'adolescente en se précipitant avec détermination vers le colosse qui fut battu par celui des Cullen en voyant la petite blonde l'approcher, le déconcentrant immédiatement.
- C'est moche de me faire ça Charlie ! Non vraiment Jane, même pas en rêve... Charlie revient ici ! M'appela le géant en me voyant détaler en rigolant alors que je croisais le regard de son jumeau qui me remercia simplement, ayant apparemment entendu les craintes de sa sœur.
Je rejoignis finalement Demetri qui m'attendait avec un sourire aux lèvres, me serrant contre lui avec un soupir de bien-être qu'on lâcha en même temps, le traqueur ayant fini de discuter avec Amun.
- Tu commençais à me manquer mais j'ai vu que tu étais occupée avec Jane, fit le blond en déposant un baiser sur la tempe sans perdre sa bonne humeur, accentuant la mienne, coulant un bref regard vers la blonde qui avait harponné mon ancêtre et qui ne le lâchait plus, le faisant ronchonner.
Demetri m'attira ensuite hors de la pièce en me tenant par la main, attisant ma curiosité.
- Où m'emmènes-tu ?
- J'ai quelque chose pour toi, j'y ai passé l'après-midi pendant que tu étais avec Chelsea.
Ce qui ne fit qu'accentuer mes questionnements alors que je m'apercevais que Demetri nous menait droit vers le garage après avoir remonté la multitude d'escaliers qui y menait.
- Tu veux me montrer le massacre de Jane commis sur les voitures des invités ? M'amusais-je.
- En fait, elle n'avait pas totalement tort pour cette histoire de pièces détachées, j'ai effectivement utilisé Regina qui était irrécupérable pour réparer une autre voiture en meilleure état, répondit Demetri en pénétrant dans le souterrain plongé dans une obscurité totale sans que cela ne nous dérange.
Il désigna ensuite une forme dissimulée sous une bâche que je soulevais et observais la voiture en question. Ce n'était pas Regina mais la ressemblance était si frappante que j'aurais pu me tromper si je ne connaissais pas si bien ses défauts. Or la peinture parfaite du véhicule en disait long, l'odeur indiquait d'ailleurs qu'elle était récente.
- C'est une voiture qu'on a récupéré il y a des années, ayant appartenu à un vampire que nous avons supprimé, elle devait être mise à la tombola une fois retapée mais je l'ai récupéré avant. Sa couleur blanche l'a rendait passe-partout, Félix m'a juste aidé à lui passer un coup de peinture pour lui donner la bonne teinte. J’ai réutilisé certaines pièces situées à l’arrière, et comme l’ancienne voiture n’avait plus de portes arrière, j’ai pris celles de Regina comme elles ont réussies à survivre à l’homicide de Jane. Pour le capot en revanche, rien n’était récupérable, l’accident provoqué par notre terreur blonde fut bien trop violent, expliqua le traqueur alors que je n'en revenais pas du cadeau qu'il me faisait.
D’abord surprise par ce présent, je passais vite de l’étonnement à un sentiment de bonheur face à cette attention. Ce n’était ni mon anniversaire, qui avait eu lieu en juillet, ni un jour qui méritait un cadeau, et il était offert sans rien attendre en retour. J’étais habituée à recevoir quelque chose uniquement pour un évènement particulier, ce geste de sa part me toucha alors que je le regardais avec des yeux brillants d’amour. Certaines personnes auraient en sûrement rigolé, mais le traqueur avait bien vu combien la destruction de ma petite voiture m’avait attristée, aussi ridicule que cela puisse être, alors à mes yeux c’était le plus cadeau que j’aurais pu recevoir. Ce n’était ni un bouquet de fleur, ni un bijou ou même un assortiment de poche de sang pour calmer une fringale, il était bien plus original, et unique. J’en étais ravie, cela me permettait de retrouver un bout de mon petit bolide, voyant d’ailleurs quelques reflets satinés sur la portière gauche, là où du vernis avait été posé par le passé. Ce véhicule fut baptisé tout naturellement Regina deuxième du nom
Je me rapprochais lentement de Demetri, presque avec timidité pour l’embrasser tendrement sur la commissure des lèvres alors que ses bras m’enlaçaient pour me garder de lui.
- Merci, fis-je doucement.
Nos regards se croisèrent, contenant un mélange de tendresse et un brin de désir, ma réserve s’envola rapidement alors que je me collais cette fois avec envie au traqueur qui empoigna mes hanches par-dessus ma robe. Posant mes mains sur son costume qui le rendait si séduisant, je m'apprêtais à le lui arracher quand ma vision exacerbée remarqua un point rouge clignotant dissimulé dans un recoin, en hauteur. Je repoussais lentement à contrecœur Demetri qui ne comprenait pas mon changement d'attitude.
- Je te promets que j’ai une bonne excuse… bredouillais-je, sentant mon cœur mort se serrer à l’idée de briser le sien en se pensant rejeté par sa compagne, et je savais qu’il n’aurait jamais été contre mon consentement malgré toute la frustration que je pourrais lui infliger.
J'avais passé beaucoup de temps avec les Volturi, assez pour connaître leurs habitudes, et surtout pour savoir qu'ils n'étaient pas perfectionnés dans l'utilisation de tout appareil électronique. Même l'installation de l'espace informatique du secrétariat était toujours confiée à un prestataire qui finissait en dessert pour un des gardes, et j’avais même dû aider Alec à paramétrer son téléphone. Alors je ne croyais pas une seconde qu'ils puissent utiliser ce genre d'outil malgré son utilité.
- On est bien d'accord que vous n'avez jamais fait installer de surveillance avec des caméras ? Lui demandais-je en m'approchant, suivie de très près par Demetri qui avait froncé les sourcils.
- Non. Et elle n'y était pas il y a encore quelques heures quand j'étais ici en train de travailler sur ta voiture avec Félix, gronda-t-il en me regardant abasourdi. Quelqu'un a réussi à s'introduire ici pendant qu'on avait le dos tourné.