Vers 1830
Les Volturi venaient d’éradiquer les clans mexicains qui se livraient une guerre sans merci pour quelques lopins de terre. Benito et son clan de nouveau-né avaient été détruits pour avoir mis en péril le secret de leur existence en s’adonnant au grand jour à des transformations devant les humains qui vivaient au sud de l’Amérique du Nord. Le clan italien ignorait qu’en mettant un terme à cette première guerre des États du Sud, un chaos allait ravager le Mexique et ses environs dans les années à venir. Sa priorité avait été de supprimer les vampires aux pratiques ostentatoires. Cela leur demanda plusieurs mois tant le conflit était virulent, la moitié de la garde avait été missionnée, sous le commandement de Demetri, bien que Jane essaye souvent de lui prendre les rênes. Ils s’étaient absentés durant de longs mois de Volterra, et ils avaient hâte de rentrer chez eux.
Les jumeaux s’étaient précipités sans attendre en Italie, suivi d’Heidi qui s’était liée à l’un des nouveaux gardes, Santiago, délaissant un peu son meilleur ami, qui avait été abandonné également par Félix sur le chemin du retour. Le traqueur se retrouva seul avec Charmion qui n’était pas plus pressée que lui de retourner à Volterra pour obéir à Aro. Ils avaient donc traîné sur le chemin, prenant leur temps pour chasser la proie qu’il leur conviendrait. Les deux vieux amis s’étaient séparés depuis un moment, et Demetri ne pouvait que constater l’absence de l’athénienne au point de rendez-vous qu’ils s’étaient donnés pour retourner à la forteresse. Ce genre de retard n’était pas normal venant de l’immortelle, qui était toujours très ponctuelle. Et Demetri savait que Charmion n’aurait pas déserté les Volturi sans avoir une bonne raison de le faire, alors il avait remonté sa signature mentale pour la pister, se demandant bien ce qui avait pu se passer.
Le traqueur se mit à suivre le fil invisible de son amie tout en admirant les paysages poussiéreux et arides qui l’entouraient, ne prenant pas souvent la peine d’observer la nature depuis qu’il était un Volturi. Il marchait sans se presser dans cet immense territoire jusqu’à arriver à la lisière d’une forêt. Au loin, il y avait une petite bâtisse en bois, des enclos, du bétail dans les champs, et une rivière qui serpentait entre les plaines. Demetri ne comprenait pas ce qu’il faisait là, mais il savait que son amie était ici, son instinct ne se trompait jamais. Ce n’était pas son genre de se mêler au monde des humains en-dehors d’une mission, mais cela n’avait pas arrêté Charmion, car il entendit son rire résonner dans la campagne environnante.
C’est alors qu’il le vit. Un homme, un jeune homme qui n’avait pas encore trente ans, le torse nu, s’affairant près d’une barrière sous le soleil couchant, tentant de maîtriser un cheval fougueux. Il riait tout en parlant avec l’animal, d’une voix douce et patiente. Et à côté, accoudée à la barrière, il vit sa plus vieille amie en train de dévorer l’humain des yeux. Mais pas comme un futur repas. Non, il avait déjà vu ce regard. Chez Heidi, lorsqu’elle avait vu Santiago pour la première fois. Demetri savait ce que ça impliquait. L’athénienne avait trouvé son compagnon. Il était humain mais il lui était destiné. L’espace d’un instant, le traqueur ressentit la jalousie lui broyer l’estomac, il attendait cet instant depuis trop longtemps, il était pourtant très patient, mais lui aussi voulait rencontrer sa compagne et lui accorder toute son attention. Ce genre de sentiment n’était pas courant chez le spartiate, mais il n’avait pu contrôler son amertume d’être seul. Secouant la tête, il se ressaisit et finit par se réjouir pour son amie, qui avait seulement quelques décennies de plus que lui, et qui attendait donc ce moment depuis une éternité.
Le traqueur resta planté là, couvert par l’ombre des arbres pour observer la scène malgré sa volonté de leur laisser de l’intimité. L’humain ne semblait pas avoir encore remarqué l’immortelle, qui n’avait pas senti la présence de Demetri. Lorsque l’humain redressa la tête pour essuyer la sueur de son front, c’est à cet instant qu’il la vit. Malgré sa silencieuse présence, il ne semblait pas effrayé par la femme aux cheveux châtains, juste surpris de la voir.
- Vous semblez perdu…
- Je passais dans le coin, et je n’ai pas pu résister à l’envie de vous observer, avoua Charmion avec un sourire empreint d’une douceur que Demetri n’avait jamais vu.
- Je m’appelle Afton, se présenta l’humain après quelques secondes de silence, lui tendant la main.
Charmion hésita un instant avant de l’imiter, la serrant d’une poigne ferme et glaciale, savourant la chaleur du brun qui avait froncé les sourcils.
- Vous êtes gelée… voulez-vous que j’appelle un médecin ?
L’immortelle lâcha un petit rire charmée, avant de se reprendre sérieusement. Elle savait pourquoi elle n’avait pas pu s’empêcher d’approcher cet homme. Et surtout elle savait ce que ça impliquait. Elle allait devoir le contraindre à quitter sa vie pour vivre à ses côtés, sans savoir s’il accepterait la transformation.
- C’est adorable de votre part… mais je ne suis pas malade Afton, je suis un vampire, avait avoué Charmion sous le regard incrédule de Demetri qui failli tomber à la renverse à cause du choc. Et toi, tu es spécial pour moi…
Le traqueur n’en revenait pas que son amie balance une information pareille dans le plus grand des calmes sans se soucier des conséquences. Il avait envie de lui passer le sermon du siècle. Heureusement, l’humain ne sembla pas prendre peur. D’ailleurs, il n’était pas certain qu’il ait cru la belle femme qui s’intéressait à lui.
- C’est une façon polie de me dire que je devrais fuir en courant ?
- Ce serait une décision sage, ria doucement Charmion qui n’était pas offusquée par le fait qu’il ne la croit pas. Mais jamais je ne te ferais le moindre mal, Afton… il y a beaucoup de choses que tu devrais savoir.
- Alors restez, je suis curieux de découvrir ces choses que j’ignore, sourit le brun qui semblait tomber sous le charme de l’athénienne, ne montrant aucune peur ni méfiance.
Demetri fut contraint de s’éloigner pour les laisser passer quelques jours seuls, comprenant avec soulagement que Charmion n’avait pas totalement perdu l’esprit avec les siècles, et qu’elle allait prendre la bonne décision. Cela dit, il repensa à la réaction d’Afton qui n’avait démontré aucune crainte à laisser une inconnue lui parler. Il ignorait si sa propre compagne serait humaine lorsqu’il la rencontrerai, mais Demetri espérait que cela soit aussi facile de la convaincre. Il décida de rentrer à Volterra pour ne pas inquiéter Aro de ne pas voir ses deux plus anciennes recrues revenir. Il justifia son absence par un besoin de traquer, et protégea celle de son amie en assurant qu’elle serait de retour dans quelques jours, et accompagnée. Les Volturi furent surpris de cette annonce où Demetri n’exprimait pas de manière explicite la présence de son compagnon, puisqu’il n’avait aucune certitude sur ce que ferait Charmion. Mais l’immortelle revint rapidement comme l’avait annoncé le spartiate, son bras enroulé autour de celui du jeune homme, toujours humain, et moins serein une fois que les grandes portes de la forteresse se refermèrent derrière lui. De toute évidence, Charmion lui avait tout raconté, et il savait qu’il n’avait plus de retour possible. Le traqueur, malgré sa capacité à commettre des choses épouvantables au nom des Volturi, faisait de son mieux pour garder un semblant d’humanité. Et il ne put que plaindre l’humain, imaginant sa propre compagne en train d’arpenter les couloirs sombres, à la merci du premier garde qui déciderait de la mordre. Il voyait Afton en train d’observer le château, dont les couloirs de pierre étaient éclairés par de faibles torches, se sentant sûrement oppressé par ce décor très éloigné de son ranch baigné de soleil, de grands espaces et de nature vivante. Le lien qui l’unissait à Charmion devait vraiment être solide pour se tenir à ses côtés en cet instant sans chercher à faire demi-tour pour retrouver ses chevaux et son ranch. Pourtant Demetri pouvait ressentir sa peur malgré ses efforts pour garder un visage neutre. Il se plaça derrière eux, une manière de sécuriser la survie de l’humain alors que les vampires qu’ils croisaient observaient le mortel, soit comme un futur en-cas, soit avec mépris malgré qu’il soit aux côtés de sa puissante compagne.
Le traqueur en déduisait que Charmion voulait le laisser s’acclimater à leur mode de vie pour lui éviter des débuts de vampire trop chaotiques, ce qui aurait pu fonctionner s’ils étaient restés sur le nouveau continent. Mais ici, entouré de prédateurs amateurs du liquide rouge qui circulait dans ses veines, Demetri ne lui donnait pas plus de quelques jours à vivre. Lorsque l’athénienne le fit entrer dans la salle aux trônes pour le présenter aux souverains, il sut de suite que son amie avait commis une erreur, ce qu’elle avait sûrement réalisé aussi. Mais il était trop tard. Aro l’avait vu. Et surtout, il avait vu son humanité.
- Bienvenue dans ta nouvelle demeure, Afton.
Le roi télépathe lui avait souri sur un ton mielleux et bienveillant, comme il savait si bien le faire. Mais ce n’était qu’une mise en scène, comme à chaque fois qu’Aro pouvait en tirer un bénéfice. L’expérience de Demetri lui avait appris à déceler les manigances de son maître, à reconnaître le plaisir cruel qui illuminait les yeux d’Aro qui étaient devenus laiteux au fil des siècles. Afton n’était pas un invité, il était devenu l’objet d’un jeu qui le dépassait encore. Grâce à l’incroyable don de manipulations relationnelles de Charmion, elle avait su obtenir des rois tous les privilèges, tous les avantages qu’elle voulait, sans la moindre restriction. Aro avait trop peur de la voir partir malgré le pouvoir de Corin. Il n’avait jamais réussi à trouver le moyen de la contrôler comme il le souhaitait. Jusqu’à aujourd’hui. Demetri savait que si Aro devenait celui qui serait à l’origine de la transformation de l’américain, alors il pourrait manipuler Charmion à sa guise, qui serait contrainte de se soumettre pour qu’il use le moins possible de son autorité naturelle de créateur. Demetri ne comprenait pas pourquoi Charmion n’avait pas patienté quelques jours de plus pour enclencher sa transformation elle-même plutôt que le laisser à la merci des rois. Et vu la tension qui émanait de l’immortelle, de toute évidence elle regrettait également son choix.
- Charmion vous attend depuis si longtemps… c’est fascinant ce que l’amour peut nous pousser à faire.
Et malgré le regard intense d’Aro, le jeune homme l’avait soutenu sans broncher, sous l’admiration du traqueur.
- L’amour ne nous pousse pas à faire. Il nous pousse à être.
- Charmant, murmura Aro alors qu’on pouvait presque entendre les rouages se mettre en marche dans sa tête. Vous avez l’air robuste pour un humain, mais toute personne possède des limites n’est-ce pas ? Ajouta-t-il d’une menace à peine voilée, ignorant royalement l’athénienne qui avait placé l’humain derrière elle par précaution, mais depuis qu’elle l’avait fait entrer à Volterra, il n’y avait plus de sécurité possible pour l’humain.
Ils finirent par sortir et Charmion lui fit visiter les lieux l’air de rien, mais une angoisse permanente grandissait en elle. Elle fit installer le jeune homme dans ses appartements, là où il serait protégé, car seuls les membres de la garde rapprochée avaient le droit de circuler à l’étage qui leur était dédié. Les jumeaux étaient trop occupés à faire régner la terreur dans les souterrains pour savoir qu’il y avait un humain qui dormait à côté de leur chambre dans laquelle ils restaient très peu, et Félix n’aurait jamais attaqué le compagnon d’un de ses camarades, même humain. Les âmes-sœurs des vampires étaient trop précieuses pour que l’un des gardes hauts placés aille jouer avec celle de l’un des Volturi. La châtaine avait donc veillé à ce qu’il ne manque de rien, pour qu’il n’ait pas à se balader dans les couloirs à la merci des gardes anonymes qui ne savaient pas se contrôler. Elle le regarda s’endormir avec des yeux remplis de tendresse, avant d’aller toquer à la porte située en face de la sienne quand elle fut certaine que seul Demetri se trouvait dans les parages.
Quand il ouvrit la porte, il n’avait jamais vu la moindre inquiétude sur le beau visage de son amie. Jusqu’à cet instant. Le vieux vampire hésita à se moquer de son amie pour qu’elle se détende un peu, mais il doutait que cela fonctionne.
- Que veux-tu ?
- Il faut qu’on parle.
- Tu n’as pas d’autres priorités actuellement ? Tu devrais être en train de le protéger de la garde, et d’Aro, ajouta Demetri qui était parfois surpris que le don du souverain n’ait pas été semblable à celui de l’athénienne, car il maîtrisait cet art mieux que personne, notamment grâce à une hypocrisie parfaitement acquise.
- C’est ce que je fais, assura Charmion qui avait retrouvé son assurance, et un plan pour contrer ceux du leader volturien.
- En venant m’embêter ? Interrogea-t-il avec un sourire léger. Je suis content que tu l’aies trouvé tu sais, je t’envie pour ça.
- Ton tour viendra aussi, lui assura l’athénienne qui avait une autre discussion en tête.
Elle agrippa le traqueur par sa cape et le força à rentrer dans ses propres quartiers, profitant de sa surprise qui l’empêcha d’esquisser le moindre effort pour résister. Elle voulait parler à Demetri, mais même en étant au même étage, elle ne pouvait garantir à 100 % la sécurité d’Afton si elle ne l’avait pas dans son champ de vision.
- J’allais te demander ce que c’était de se sentir enfin complet, apparemment ça t’a fait vriller la cervelle, ronchonna le traqueur en remettant sa cape en état, totalement froissée par la poigne de la châtaine.
- Tu veux bien la boucler deux secondes ? S’emporta-t-elle. Je préférais l’époque où tu restais cloîtré dans le silence, tu as passé trop de temps avec Félix.
- Bien. Puisque tu n’as visiblement rien d’important à me dire, je te laisse avec ton compagnon, répliqua Demetri dont la patience s’effritait.
- Attend !
L’immortelle s’était précipitée sur sa porte pour en bloquer la sortie.
- Tu ne peux pas partir. J’ai besoin de toi Demetri, l’avait-elle supplié, ce que Charmion ne faisait jamais, jetant au passage un œil à la silhouette humaine endormie dans la pièce d’à côté. Il n’est en sécurité nulle part ici. Aux yeux des autres, ce n’est qu’un repas de plus, et un nouveau jouet aux yeux d’Aro.
- C’est pour ça que tu aurais dû l’amener ici qu’une fois transformé.
- Je voudrais bien t’y voir, à devoir choisir entre ton besoin d’avoir ta moitié à tes côtés, et le devoir de la protéger, avait ricané l’immortelle. Je ne pouvais pas l’arracher à sa vie sans lui donner d’explications Demetri, je veux lui éviter de se sentir perdu, et de vivre l’instabilité des nouveau-nés. On en reparlera quand tu trouveras ta compagne, et que tu devras la convaincre de tout quitter pour toi et te suivre dans cette prison, et qu’elle deviendra un pion de plus sur l’échiquier d’Aro. Qu’elle soit humaine ou vampire d’ailleurs.
Le traqueur ne trouva aucun argument pour la contredire, parce qu’il n’y en avait pas. C’était justement ce que lui-même craignait, il ne pouvait pas reprocher à la châtaine de chercher par tous les moyens une échappatoire.
- Il a un don ?
- Je ne sais pas. Non. Je ne crois pas. En tout cas, il n’y a pas de signe avant-coureur.
- C’est son obsession. S’il se réveille sans le moindre pouvoir, Aro le laissera vite tranquille.
- Depuis quand es-tu aussi naïf ? On sait tous les deux que le problème ne vient pas d’un éventuel don. Et je lui souhaite vraiment d’en avoir un, parce que je refuse qu’il subisse des moqueries quant au fait que sa compagne est plus… puissante que lui, confia Charmion qui ne supportait pas l’idée qu’on lui veuille du mal. Ces moqueries pourraient bien venir d’Aro d’ailleurs, tu le sais aussi bien que moi.
D’ordinaire perspicace et doté d’une répartie infaillible, le blond se sentait idiot face à son amie, ne parvenant pas à la rassurer.
- Il va tout faire pour le transformer. Il va chercher à m’éloigner, pour que je ne puisse pas le faire. Il veut le contrôler, et il veut me contrôler. Il va le réduire en esclavage Demetri, souffla Charmion même s’il le savait déjà.
- Et crois-moi, j’en suis peiné pour toi, ce n’est pas le destin que je souhaite pour nos compagnons, mais je ne vois vraiment pas comment contrer Aro. Tu es en train de réfléchir à un plan alors qu’il en a sûrement déjà deux d’avance sur toi.
- On parie ?
Le traqueur la regarde suspicieusement, plissant les yeux avec méfiance.
- Qu’est-ce que tu complotes ? Je te préviens, je ne ferais pas de baby-sitting, m’occuper des jumeaux m’a largement suffi.
- Je vais tout faire pour le faire transmuter, les liens entre compagnons sont encore plus solides quand le venin de l’un transforme l’autre. Mais je sais qu’il manigance quelque chose… alors dans l’éventualité qu’il se produise un drame en mon absence, je veux que ce soit toi qui le fasse.
- Pardon ? Demanda le traqueur ahuri.
- On est les seuls assez expérimenté pour réussir à échapper à ses intrusions mentales, il ne saura rien de ce qu’on vient de se dire, et parce que tu es le seul à pouvoir percevoir ce qui échappe aux autres. Si Afton doit être transformé dans la précipitation, je veux que tu en prennes la responsabilité. Je te connais assez pour savoir que tu ne chercheras pas à le dominer pour prendre l’ascendant sur lui et que tu lui laisseras son libre-arbitre. Et en tant que créateur, c’est toi qui auras la charge de son initiation au combat et tout ce qui implique sa nouvelle condition, il ne peut pas être entre de meilleures mains, assura Charmion avec sincérité, qui savait qu’elle ne pouvait le demander à personne d’autre.
Le traqueur demeura silencieux, réfléchissant à tout ce qu’impliquait cette décision.
- Demetrios ?
- Redis ça et Afton passe par la fenêtre, grogna Demetri qui détestait toujours autant ce surnom ridicule, se moquant pas mal de l’expression choquée de son amie. Tu devrais voir le bon côté des choses, tu pourras le changer toi-même dans les secondes qui suivent.
- Tu es un monstre !
- On est tous des monstres. Et il en sera bientôt un aussi je te rappelle.
- Où est passée ton humanité ?
- Elle a disparu à la seconde où Aro m’a arraché à Amun pour faire de moi un Volturi, avec ton aide, lui rappela le spartiate qui restait rancunier.
- Tu m’en veux encore pour ça ?
- Parfaitement. Si tu ne lui avais pas dit…
- Je ne lui ai rien dit, lui rappela l’immortelle. Il t’a vu en fouillant dans mon esprit, et tu le sais. C’est ce genre d’intrusions qui m’a poussé à protéger mes pensées.
- S’il vient à découvrir ce que tu prépares dans son dos, toi il te livrera à Jane, privilège ou pas. Quant à Afton, il préférera encore le supprimer que d’en faire un vampire. Et tu n’auras même plus la capacité de résister au don de Corin si tu perds ton compagnon. Et moi…
- Je suis prête à courir tous les risques pour le sauver Demetri. Et je préfère qu’il te prenne en grippe plutôt que le laisser s’en prendre à Afton. Toi, tu peux te défendre.
- Délicate attention de ta part, nota le traqueur.
- Et si tu t’inquiètes de représailles sur Amun, il ne risque rien. Aro sait que tu peux quitter les Volturi à tout moment en te servant de ton don pour leur échapper, tout en embarquant Kebi et son compagnon avec toi.
Demetri se mura à nouveau dans le silence pour réfléchir, conscient qu’il avait une opportunité à saisir.
- S’il te plaît… il ne mérite pas ça… s’il est condamné à vivre ici à cause de moi, je veux qu’il puisse avoir une chance d’être heureux…
- Je le ferais, à une condition, ajouta le traqueur qui leva la main pour empêcher Charmion de le couper avant qu’il n’ait fini. Je veux que lorsque les rôles seront inversés, et que c’est ma compagne qui deviendra la cible d’Aro, et dans l’éventualité qu’elle soit humaine et que je ne puisse pas le faire, que tu t’en charges, pour exactement les mêmes raisons que celles qui t’ont poussé à me demander ce service. Et je ne veux pas que tu manipules ses attaches pour la lier à Aro. Même si elle est déjà vampire d’ailleurs, je ne veux pas qu’elle devienne son pantin.
- Tu as ma parole, lui accorda Charmion sans réfléchir, le marché lui convenant parfaitement.
- Alors nous avons un accord, conclut Demetri sous le soupir soulagé de son amie.
Dans les jours qui suivirent l’arrivée d’Afton dans la forteresse, comme elle le redoutait, Charmion se retrouva éloignée de l’humain, Aro prétextait des missions diplomatiques importantes pour la tenir à bonne distance de l’américain. En temps normal, elle aurait dû être accompagnée du traqueur, afin qu’il puisse s’imprégner des empreintes mentales des potentiels individus qu’ils pourraient croiser, mais il avait réussi à négocier de rester à Volterra en mettant en avant la sécurité de la forteresse. De nombreux gardes étaient sollicités dans différentes parties du globe, laissant la résidence du clan sans grande protection, car même les jumeaux étaient missionnés. Ne voulant pas mettre en péril la sécurité de leurs compagnes, les rois avaient autorisé Demetri à rester sans se poser de questions, trop soucieux de perdre les reines en cas d’assaut surprise. Et le spartiate avait eu raison de rester, car les ennuis pour Afton commencèrent dès que l’athénienne fut loin de lui.
Sous couvert d’améliorer son adaptation, Aro l’avait délibérément laissé exposé au danger, espérant sûrement arriver en héros en cas d’attaque pour pouvoir le mordre et lui injecter son venin, et ainsi fidéliser Charmion par la contrainte. Mais comme bien souvent, le roi télépathe ne mesurait jamais vraiment les conséquences de ses décisions, ne voyant que l’aboutissement tant convoité. Jamais il n’imaginait qu’il puisse perdre le contrôle sur la situation. Et malgré l’incident envers Corin dans les jardins, il n’avait toujours pas retenu la leçon.
Ainsi, le jeune homme se retrouva à errer seul dans les couloirs de la forteresse, car malgré les recommandations de sa compagne de rester dans sa chambre, il lui fallait se rendre dans les vieilles cuisines pour manger. Et il croisait souvent les regards affamés des gardes de rang inférieur, se moquant des interdictions de ne pas le toucher, puisqu’ils n’étaient pas réprimandés par Aro. Le palais volturien était un véritable labyrinthe, avec un nombre impensable de pièces, de couloirs, d’escaliers… que même les vampires avaient besoin de temps avant de mémoriser leur emplacement. Alors un humain qui cherchait son chemin à tâtons parce que très peu de torches brûlaient pour montrer le passage… il se retrouva à plusieurs reprises dans des endroits où il n’aurait jamais dû mettre les pieds. Comme une des salles d’entraînements, où il a failli se faire encastrer dans un mur parce que deux vampires s’affrontaient sans se soucier des autres. Puis il y eut les cachots, où il failli être enfermé quand il fut confondu avec un prisonnier humain. Ou encore quand Afton s’est retrouvé dans la salle aux trônes alors qu’on vidait les cadavres du dernier festin dans la fosse. Si Demetri ne l’avait pas rattrapé à temps, l’américain serait tombé dans le trou et se serait brisé la nuque dans sa chute de plusieurs mètres de haut. Le traqueur avait donc, encore une fois, averti Aro qu’il devait reprendre en main les gardes anonymes avant qu’une catastrophe n’arrive, étant souvent occupé, et donc il s’inquiétait d’arriver trop tard en cas d’attaque. Aro n’écouta toujours pas le spartiate. Et comme on pouvait s’y attendre, une catastrophe arriva.
Après avoir englouti rapidement son dîner, le jeune homme avait vite quitté les cuisines en piteux état pour se lancer à la recherche du bon trajet pour retourner dans la chambre de Charmion qui lui manquait terriblement. Il savait qu’il ne devait pas traîner dans les couloirs, mais il ne pouvait pas non plus rester plusieurs jours sans se nourrir. Il avait donc marché d’un pas rapide en suivant les rares torches murales, se tordant parfois la cheville à cause de l’obscurité permanente de la forteresse. Il écoutait constamment le moindre bruit proche de lui, mais il vivait reclus dans un château avec des prédateurs qui se déplaçait en silence. Pourtant, au bout d’un moment, son instinct lui disait qu’il était suivi. Il n’osa même pas se retourner, il accéléra le pas alors qu’un grognement animal résonnait quelque part derrière lui. Afton se mit à courir, terrifié, alors que deux vampires l’avaient pris en chasse, attirés par l’odeur de son sang, et excités par sa tentative vaine de fuite.
L’un d’eux fondit sur lui si rapidement que l’humain ne comprit pas ce qu’il se passait. On le saisit brusquement par la gorge, et lâcha un hurlement de douleur lorsque des dents pénétrèrent sauvagement la fine peau de son cou. L’autre vampire le mordit de l’autre côté, vidant Afton de son sang avec rapidité.
Situé à l’autre bout de la forteresse pour évaluer des travaux de rénovation dont il n’avait rien à faire, Demetri s’était précipité dans les couloirs quand il avait perçu la terreur d’Afton avant même qu’il ne soit mordu. Malgré sa réactivité, lorsqu’il arriva sur place, l’humain gisait au sol, presque inerte. Il n’eut même pas le temps de tuer en représailles les deux gardes à l’origine de son état, ils avaient détalé quand ils avaient senti le traqueur approcher. Il s’occuperait d’eux plus tard, il n’aurait aucun mal à les retrouver. Conscient qu’il était peut-être déjà trop tard, il s’agenouilla devant l’humain qui se tenait la gorge dans l’espoir de contenir le sang qu’il lui restait.
- Charmion va me tuer si tu me claques entre les doigts.
- C’est… pas plutôt moi… qui va mourir… ?
- Pas ce soir, grommela le traqueur en croisant son regard apeuré, avant de planter à son tour ses crocs dans sa gorge.
Il craignait que son venin soit inopérant à cause de l’état extrêmement faible de l’américain, mais il ne pouvait rien faire de plus. Peu de temps après, il vit Afton se tordre de douleur, lâchant des cris de souffrance qui faisaient frémir Demetri, toujours connecté à l’humain via son don.
- Ça passera Afton, souffla le blond en le tenant fermement pour contenir ses convulsions. Tiens bon.
Quand il chercha ensuite l’empreinte de Charmion, il remarqua tout de suite qu’elle venait de rentrer dans la forteresse, sans se douter de ce qu’il venait de se passer. Il sentait son impatience de revoir son compagnon, et le cœur mort de Demetri se serra dans sa poitrine en imaginant sa réaction.
L’immortelle traversait les couloirs avec empressement, haïssant Aro de l’avoir tenu éloignée aussi longtemps, alors que son âme-sœur était à la merci de créatures assoiffées de sang, elle avait craint le pire à chaque seconde. Elle voulait le croire en sécurité, mais quand elle atteignit l’aile où logeait l’humain, elle se tendit. Il y avait une odeur de sang beaucoup trop forte pour qu’elle soit normale. Affolée, elle courut à travers le couloir avant de voir Afton inerte dans les bras du traqueur. Un hurlement de désespoir lui échappa, faisant grimacer le spartiate qui se prenait de plein fouet son angoisse et qui n’avait pas le courage de lui dire que son compagnon ne tiendrait peut-être pas trois jours. Elle se laissa tomber à côté des deux hommes, sanglotant des larmes qui ne coulèrent jamais. L’athénienne n’avait jamais ressenti une telle détresse, incapable de dire quoi que ce soit.
- J’ai fait ce que j’ai pu, la suite ne dépend que de sa volonté à se battre… avait murmuré Demetri en espérant ne jamais vivre ce moment avec sa propre compagne.
La châtaine finit par lever les yeux vers Demetri, et remarqua le sang séché autour de sa bouche, signe qu’il avait respecté le pacte qu’ils avaient conclu. Pourtant elle n’arrivait pas à s’en réjouir, pas en voyant son compagnon se tordre sous les brûlures du poison.
- Non… il n’était pas prêt… je voulais être là… j’aurais dû être là… s’en voulut l’immortelle en se reprochant de ne pas être restée pour veiller sur lui.
- J’ai prévenu Aro qu’il jouait à un jeu dangereux, il n’a pas voulu m’écouter… s’agaça le blond mais son amie n’avait pas la force d’y penser.
- Tu m’avais promis de tenir bon idiot… souffla-t-elle d’une voix brisée alors qu’elle prenait délicatement son corps dans ses bras, caressant ses joues avec douceur. S’il meurt… après avoir passé deux millénaires à l’attendre… je ne pourrais pas surmonter ça…
Ils restèrent accroupis dans le couloir, seuls, durant un moment, une éternité du point de vue de Demetri, quand Aro arriva tout sourire, dans le but de transformer ce qu’il restait d’Afton. Quand il vit l’humain entre les bras de sa compagne, une large mare de sang sous lui, et les sanglots de Charmion qui ne cessaient pas, lui suppliant de tenir le coup car elle ne pourrait pas survivre à sa perte, le souverain perdit de sa superbe. Il essayait de comprendre ce qu’il s’était passé, avant de lancer un regard des plus sombres au traqueur en réalisant qu’il l’avait devancé, mais Demetri ne baissa pas les yeux, espérant qu’Aro parvienne à comprendre que ses manigances finissaient toujours par mal se terminer. Le roi télépathe envisagea sûrement pendant un instant de le punir, mais il se ravisa en constatant que le cœur d’Afton s’arrêtait à plusieurs reprises, le venin de Demetri ayant été diffusé tardivement dans son organisme. Si l’humain succombait, il savait qu’il perdrait Charmion, il n’était même pas certain que Corin puisse consolider sa loyauté si l’athénienne finissait aussi amorphe que Marcus. Et c’était toute la réputation des Volturi qui risquait de voler en éclat. Le vieil immortel finit par accepter, intérieurement, qu’il avait mal géré la situation, et que Demetri lui avait sûrement évité une situation qu’il n’aurait su gérer.
Le traqueur ne fut jamais réprimandé pour avoir transformé Afton. Et lorsque l’américain se réveilla en vampire au bout de trois pénibles jours de crainte et d’angoisse pour les trois immortels présents dans ce couloir, Charmion le serra dans ses bras avec une possessivité brutale. Elle avait failli le perdre, mais Aro ne pourra jamais user de son autorité de créateur sur son compagnon. Et elle espérait que Demetri ne le fasse jamais non plus.