Il m'avait fallu une douche glacée pour faire redescendre la température après le passage de Demetri. Et même après deux jours de tranquillité sans présence vampirique, je cherchais toujours à savoir pourquoi le traqueur me faisait un tel effet, parce que je n'arrivais vraiment pas à contrôler l'incompréhensible attirance qu'il exerçait sur moi.
Parce que j'avais vraiment besoin de prendre l'air et de quitter la vieille forteresse quelques heures, j'avais obtenu l'autorisation de sortir sans chaperon. Aro, toujours aussi mystérieux, ne semblait pas inquiet de me voir disparaître dans la nature, et je n'allais pas m'en plaindre. Pourtant je savais que cette fois, les autres vampires étaient au courant de ce qu'il s'était passé au secrétariat sans que personne ne me fasse de reproches. Enfin, personne sauf Heidi qui m'avait bien fait comprendre de rester à bonne distance du traqueur. Si au début j'avais cru à une réaction typiquement jalousie, je me disais que je ne serais plus de ce monde si ça avait été le cas. Il y avait donc une autre raison que je n'étais pas pressée de connaître. En fait, j'avais vu tellement de noms de secrétaires remplacées avec les dates de « renouvellement » que j'étais étonnée d'être toujours en un seul morceau. A croire que les Volturi avaient plus de respect pour leurs employées qu'ils ne le pensaient eux-mêmes.
J'en avais donc profité pour prendre un bon bol de vitamine D, le soleil commençait sérieusement à me manquer, et la lumière du jour aussi. Alors sentir la caresse de la chaleur estivale me fit le plus grand bien, profitant de l'instant avant que l'automne ne s'installe d'ici quelques jours. J'étais même restée dehors plus longtemps que prévu. Grâce aux recherches effectuées avant de venir travailler en Italie, j'avais vu que Volterra était une vieille cité étrusque qui comportait encore des vestiges, notamment un vieux théâtre antique, désormais en ruine et recouvert de mousse par le temps. Mais dès que j'avais trouvé l'emplacement du vieux monument, je l'avais tout de suite adoré. Situé légèrement à l'extérieur du centre historique, il semblait totalement délaissé. Il n'y avait pas un chat aux alentours alors je m'étais assise sur un muret pour lire un peu. De temps en temps, je levais les yeux pour admirer la vue. La tour de la forteresse était si haute qu'elle dépassait des maisons. Bien que je ne sache pas comment y monter, je voyais d'ici des barrières tout en haut, comme pour délimiter un petit balcon panoramique. Elles étaient placées juste sous les cloches qui ne sonnaient plus, du moins je ne les avais jamais entendues depuis mon arrivée. Cela voulait sûrement dire qu'il était possible d'y monter et avoir une jolie vue sur la campagne Toscane, ainsi que sur le théâtre et le reste de la ville. Si un humain n'aurait pas pu me distinguer de si loin, le Volturi qui déciderait de s'y mettre pour admirer la ville me verrait et me reconnaitrait, j'en étais certaine. Et aussi bête que cela puisse semblait, cela me rassurait. J'avais passé déjà plus d'un mois en leur compagnie, et j'avais dû prendre une sacrée confiance pour me sentir en sécurité auprès du clan italien.
Ce ne fut que lorsque le soleil commençait à se coucher et que la luminosité n'était plus suffisante que je sortis de ma torpeur et ramassais mon petit sac de courses que j'avais pris au passage. Prenant quelques minutes pour me remémorer le bon chemin qui menait au palais avec tout ce dédale de ruelles étroites, je remarquais au loin un petit groupe qui semblait se diriger dans la même direction, me montrant au passage le parcours à faire. Mais à mesure que je marchais, un mauvais pressentiment commençait à m'envahir. J'avais passé assez de temps entouré de vampires pour pouvoir faire la distinction entre leur démarche aérienne et celle des humains qui était plus lourde. Et comme tous les gardes portaient une cape, je sus immédiatement que ceux-là n'étaient pas des Volturi, parce qu'aucun n'en était habillé. La petite dizaine d'individus était vêtue de façon « civile ».
Quelque chose était en train de se préparer et je n'aurais pas le temps d'arriver dans les souterrains pour les avertir. Je sortis mon téléphone pour appeler Félix, qui m'avait donné son numéro en cas d'urgence, et le fait qu'il ne décroche pas me laisser envisager le pire. Dans la précipitation, je retournais dans mon répertoire pour joindre Demetri dans l'espoir qu'il décroche et quand j'entendis que c'était le cas, je me dis qu'il n'était pas trop tard.
- Demetri, je...
- Il est occupé, me répondit la voix sifflante d'Heidi qui avoir décroché à sa place alors qu'une sensation désagréable m'envahissait, me faisant imaginer toutes sortes de scénarios.
La rouquine raccrocha avant même que je ne puisse dire autre chose. Prenant sur moi, je fis d'autres tentatives mais ni la rabatteuse ni le traqueur ne répondirent, et comme je n'avais pas la capacité d'appeler d'autres gardes, je rangeais le portable dépitée. Je me remis en marche alors que je ne voyais plus les vampires mais que les grandes portes en bois, qui donnaient sur la place et sur la fontaine, se refermaient à l’instant. Poussée par quelque chose, je traversais la vieille place en courant et je fis la seule chose qui me traversa l'esprit.
- Demetri vous êtes envahis ! Criais-je en atteignant les portes, espérant que son don lui permettrait d'entendre mon avertissement alors que j'entrais en trombe dans le couloir du rez-de-chaussée pour tomber nez à nez avec un vampire.
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Actuellement assis dans la salle de repos de la garde à écouter Heidi me rabâcher les oreilles, je lançais un regard noir à mon meilleur ami qui semblait amusé par la situation. Ça faisait des semaines qu'il me gonflait à vouloir me parler de ses théories comme si j'étais le dernier des idiots. Il avait tendance à oublier qu'avant d'être un Volturi, j'avais vécu auprès d'Amun pendant plusieurs siècles. Où j'avais d'ailleurs rencontré Chelsea avant qu'elle ne décide de partir pour découvrir d'autres horizons en rejoignant Aro. Le leader du clan égyptien m'avait appris tellement de choses, à commencer par la manière d'exploiter mon don, que malgré tous les efforts d'Aro pour avoir ma loyauté et m’abrutir à coup de privilèges, les enseignements du vieux vampire restaient ancrés en moi.
Lorsque j'avais croisé le regard absinthe de Charlie le premier jour, j'avais immédiatement compris ce qu'il se passait alors que son parfum naturel de vanille et de chocolat m'avait envahi. J'attendais ce moment depuis tellement longtemps que je l'avais préparé pour être prêt lorsque ce jour viendrait. La petite humaine s'était révélée être ma compagne et je n'avais pas l'intention de gâcher ça. Je n'avais pas patienté plus de deux millénaires à trouver ma moitié pour la perdre bêtement. Mais j'avais sous-estimé les effets que cela engendrerait. J'avais beau avoir un self-control hors-norme grâce à ma longue existence et mon expérience, j'avais dû lutter contre le besoin primitif de la posséder. Si j'avais été au début surpris par sa température corporelle qui m'avait semblé plus élevée que chez les autres humains, c'était son parfum qui avait failli me faire dérailler. L'odeur de Charlie avait failli me faire perdre les pédales lorsque sa fragrance sucrée s'était mélangée à celle de son désir. Je l'avais ressenti avec tellement de force dans ma tête qu'il s'était fondu au mien, le décuplant au passage. Si Félix ne m'avait pas obligé à m'éloigner, la secrétaire n'aurait certainement pas survécu à mon assaut. La deuxième fois, j'avais mieux gérer mes instincts mais le besoin primaire de la prendre était toujours aussi fort. Surtout alors que je la savais frustrée et que sa frustration glissait sur la mienne. Si d'ordinaire je percevais les émotions des personnes dans mon radar de façon discontinue, celle de la française restaient constamment ancrées dans ma tête comme s'il s'agissait des miennes, probablement parce qu'on était lié. Et aussi à cause de mon don.
Or, même si certains avaient des doutes ou même le savaient déjà, certitudes agrémentées par les pouvoirs relationnels de Marcus et Chelsea, je refusais de le reconnaître à haute voix. Les Volturi avaient trop d'ennemis pour prendre ce risque. Ci-tôt que la nouvelle se répandrait dans notre monde, Charlie deviendrait une cible pour m'atteindre et affaiblir le clan, et il était hors de question de la perdre. Quant à une transformation pour la protéger, si je le faisais maintenant, elle ne me le pardonnerait jamais. Il était trop tôt même si j'avais déjà réfléchi à la manière dont je m'y prendrais, je n’avais pas l’intention d’imiter le Cullen pour préserver son âme, théorie que j’avais trouvé ridicule, convaincu que nous les gardions une fois vampire, autrement nous n’aurions pas d’âmes-sœurs. Si au début elle avait été épargnée pour ses capacités de secrétaire impliquée, et une raison inconnue qu'Aro refusait toujours de partager, elle était désormais protégée juste par ce lien aux yeux des Volturi. Ce que j'allais devoir expliquer à Heidi qui ne cessait de s'immiscer au milieu, n'ayant pas conscience de ce que représentait Charlie pour moi. Et de mon côté, je n'avais pas envie de précipiter les choses.
- Tu peux me dire ce que tu trafiques avec la secrétaire ? S'emporta-t-elle abasourdie par l'appel de la petite blonde, s'emparant du téléphone avec tellement de rapidité que même moi je n'eus pas le temps d'intervenir.
Et je percevais déjà les ravages qu'elle venait de provoquer au vu de la déception qui envahissait Charlie parmi d'autres ressentiments que je n'arrivais pas à expliquer. C'était déroutant de percevoir ses émotions sans même chercher à la localiser. Et vu qu'elle ne pouvait pas imaginer la vérité, ma meilleure amie allait réussir à détruire ma compagne en cherchant à me protéger. Si la belle rousse avait un physique ravageur, contrairement aux rumeurs, nous n'avions jamais été amants même si j'avais un tableau de femmes assez long à mon actif. La rabatteuse n'était rien d'autre que ma confidente et même si je ne voulais pas me disputer avec elle, j'allais devoir la recadrer.
- Tu vas laisser Charlie tranquille, lui ordonnais-je sérieusement, attirant l'attention des jumeaux et de mon meilleur ami sur nous.
Jusqu'à maintenant, j'étais resté en retrait, c'était la première fois que je prenais sa défense devant les autres. Je vis le visage de Félix s'illuminer comme s'il avait compris que je n'étais pas totalement débile, tandis que celui d'Heidi me dévisageait ahurie.
- Et pourquoi ?
- C'est évident non ? Se mêla l'armoire à glace qui me servait d'ami.
Il était affalé sur un canapé après avoir cassé son portable en voulant partager une énième blague au petit diable blond, qui s'était vengée en lui lançant l'un des livres que Charlie avait mis à sa disposition, percutant le téléphone qui s'était écrasé au sol.
- Tu as déjà vu Demetri s'intéresser à une secrétaire, ou un quelconque être humain, pour autre chose que son sang ?
- Si tu insinues que Demetri aurait trouvé...
- Il n'insinue rien, c'est un fait, assurais-je plus doucement alors que les traits de mon amie se faisaient moins durs en réalisant enfin de quoi il était question. Je n'ai pas besoin de te dire la valeur de cette information, et les conséquences si elle parvenait aux roumains par exemple, ou pire à Aznar... ? Lui demandais-je pour bien lui faire comprendre ce qu'il en était.
- Pourquoi tu ne m'as rien dit ?
- Parce que tu es une vraie commère et que je n'ai pas besoin de t'entendre l'ébruiter, et encore moins aller le dire à Charlie qui n'a pas la moindre idée de ce que cela signifie, répondis-je simplement sans chercher à la vexer, mais il était vrai que lorsque ce n'était pas Félix qui faisait des commérages, c'était ma meilleure amie.
Je vis Heidi répliquer pour la forme mais je n'entendis rien de ce qu'elle piailla parce que la seule chose qui me parvint, c'était une voix d'habitude si chantante à mes oreilles.
- Demetri vous êtes envahis !
Me redressant d'un bond, je mis la garde en alerte alors que je percevais désormais des bruits de pas très légers se diriger vers l'ascenseur qui menait au secrétariat. Et comme je ne percevais aucune odeur ni trace de signature que je connaissais, ça ne voulait dire qu'une seule chose.
- Aznar vient d'entrer, lâchais-je alors que tout le monde se mettait sur ses pieds. Alec, tu vas avec les maîtres pour les prévenir et envoyer davantage de gardes dans le couloir qui mène au secrétariat. Heidi, assure-toi que les reines sont bien protégées et reste avec Corin et Derren pour les aider si nécessaire. Félix, je te laisse t'occuper de ceux qui vont arriver par l'ascenseur. Toi tu viens avec moi, ordonnais-je à Jane alors que je descendais déjà vers le secrétariat à toute vitesse pour prendre la cabine dès qu'elle serait en bas, pendant que Félix et Santiago seraient en train d'éliminer ceux qui en sortiraient.
Je percevais maintenant une dizaine de présence grâce aux bruits des pas laissés par les hommes d'Aznar. Mais ce qui m'inquiétait le plus, c'était que Charlie venait de débouler dans le couloir.
- Tiens, mais qu'avons-nous là... ricana le vampire espagnol que je sentais se rapprocher physiquement de l'humaine alors que j'étais toujours coincé en bas. Fidèle à lui-même, je l'entendais lâcher des propos immondes à la jeune femme qui semblait tétanisée parce que je ne la sentais plus bouger.
- Comment tu as su qu'Aznar était entré ? M'interrompis Jane avec sa voix fluette qui savait comme le reste du clan que l'ibérique était le seul vampire à échapper à mes pouvoirs, avec Isabella Swan même si son cas était plus complexe.
Elle jeta d'ailleurs un œil au standard juste derrière, conscient qu'elle ne percevait pas la présence de Charlie à proximité.
- Où est-elle ?
- En haut, avec lui... grimaçais-je en redoutant le pire, ressentant la terreur de l'humaine comme si c'était la mienne au moment où les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur sept vampires inexpérimentés que je laissais aux autres gardes, contenant ma fureur pour la déverser sur l'espagnol une fois que je l'aurais enfin sous la main.
J'entendais Charlie se débattre pour essayer de se défaire de son emprise au moment où un horrible craquement et un hurlement de douleur me parvenait, le regard meurtrier de l'anglaise se posant sur moi pour étudier mes réactions.
Dès que ce fichu engin arriva à destination, j'en sortis en trombe pour remonter les escaliers et les couloirs qui me séparaient de la jeune femme avant qu'il ne soit trop tard. Je me jetais sur Aznar qui me vit arriver au dernier moment, l'attrapant par le col pour le jeter à terre avant d'être rejoint par un de ses larbins qui voulait lui prêter main forte. Pendant que Jane torturait à outrance le dernier envahisseur, je laissais les siècles d'expérience me guider pour tenir les deux intrus à distance de Charlie. Elle était à terre en train de se tenir le poignet, des larmes dévalant sur ses joues, contenant des gémissements de douleur, souffrance que je percevais au travers de mon don. Mais contre toute attente, ce fut elle qui sauva la situation. Ses yeux terrifiés croisèrent les miens au moment où une flammèche émana de son corps pour percuter l'envahisseur le plus près. Cela lui permit de le déconcentrer, me permettant de le décapiter alors qu'Aznar sortait précipitamment pour s'évanouir une fois encore dans la nature. Oubliant vite la frustration de le voir s’échapper, je reportais mon attention sur l'humaine. Je vis qu'elle avait perdu connaissance alors que Jane l'a regardé ébahie après avoir supprimé son adversaire aussi.
- Elle a un don... releva-t-elle soudainement plus intéressée alors que c'était loin d'être ma préoccupation.
Je m'abaissais pour la soulever délicatement et la porter en prenant soin de ne pas heurter sa main blessée. Bien que je ne puisse pas discerner Aznar sur elle à l'odorat, le simple fait qu'il l'ait touché me mettait en rogne. Et je fus incapable de penser à autre chose le temps de retourner dans les souterrains de la forteresse, gardant la petite humaine contre moi avec douceur, prêt à arracher la tête de celui qui tenterait de la prendre.