â Stan, Kamilla, ça vous dit d'aller manger dans un restaurant traditionnel ?
La salle qui a accueilli le fansign se vide petit à petit et Magalie en a profité pour me coincer dans un coin avec les filles. Façon de parler, je ne suis pas vraiment coincé ni dans un coin. Elle devait me surveiller parce que je me suis à peine levé qu'elle était déjà devant moi, faisant barrage de son corps. Je ne peux pas fuir par l'autre cÎté : Grognon est toujours là , en pleine conversation avec ses amis. Ou ses collÚgues. Enfin, les deux membres de son groupe.
â Je comptais plutĂŽt aller dormir, lĂ ...
Kamilla me dévisage comme si j'avais dit une ùnerie. J'en ai certes dit pas mal durant l'heure écoulée, mais d'une, ce n'était pas avec elle et de deux, ma remarque cette fois n'a rien d'extravagant.
â T'es fou ou quoi ? On est Ă SĂ©oul, on va pas dormir quand mĂȘme !
â Je suis totalement pour que tu ne dormes pas pendant quinze jours, mais moi, je suis...
â Trop vieux pour ça, m'interrompt la vipĂšre. Pas besoin de le dire, Boomer, ça se voit Ă ta sale tronche !
â VoilĂ . Je suis vieux. Les vieux ont besoin de sommeil !
Il n'y a guĂšre plus que nous dans la salle Ă prĂ©sent. Ma voix rĂ©sonne contre les murs, rebondit tout autour de nous. Heureusement qu'en dehors de Grognon (qui n'est peut-ĂȘtre mĂȘme plus lĂ , je ne l'entends plus), personne ne comprend ce que je dis.
Enfin, je pense. La derniÚre fois que j'ai pensé ça, il s'est justement manifesté.
â Stan, s'il te plaĂźt, couine Magalie. Je pense que ce serait vraiment une super idĂ©e si on allait dans ce resto. Aujourd'hui. Avant demain.
Oh bon sang. Je crois qu'elle veut faire l'annonce au resto.
Raison de plus pour pas y aller, hein !
Je m'humecte les lÚvres pour refuser : aprÚs tout, ce n'est PAS mon problÚme. Je ne suis là que pour baby-sitter Kamilla. La suivre au concert, puis l'oublier sitÎt que nous serons chez Magalie pour le reste des vacances. Là , seulement, ça deviendra mon problÚme, mais je laisse le soin de gérer ça à Stan d'aprÚs-demain.
â Je comprends, mais je suis vraiment Ă©puisĂ©. Le bruit, la foule, tout ça, pour ce soir ça fait trop !
â Alors vous n'avez qu'Ă venir avec nous, Hana, Yoonie, Jeonho, Seongwa et moi, on va dans un restaurant discret ce soir ! Je peux vous filer l'adresse et on se rejoint lĂ -bas !
Une main s'abat sur mon épaule gauche. Un menton s'enfonce dans la droite. Grognon, évidemment, de qui d'autre pouvait venir une idée aussi mauvaise ? Il se venge d'avoir perdu notre petit jeu tout à l'heure ? Pourtant, il a déjà obtenu réparation quand, aprÚs m'avoir demandé vingt fois mon nom de plume, j'ai cédé en lui donnant tous mes réseaux sociaux le plus vite possible. Mon seul espoir est d'avoir parlé trop vite et qu'il n'ait rien retenu.
â Il y aura aussi nos managers, Ă©videmment.
La mùchoire de Kloé se décroche. Les yeux de Kamilla s'arrondissent. De stupeur, elles lùchent leur sac et leurs achats se répandent au sol.
â Attends... il parle français, le nugu ? bafouille Kamilla tandis que son ami se jette par terre pour tout ramasser.
â I don't speak french, you silly girl !
â Il dit qu'il parle pas français, traduis-je aussitĂŽt en omettant Ă dessein de prĂ©ciser ce qu'il a ajoutĂ© ensuite.
â Mais il vient juste de...
â T'as rĂȘvĂ©, coupĂ©-je Kamilla qui se renfrogne aussitĂŽt.
â You forgot to translate silly girl, s'amuse Grognon. You must be very tired ! (Tu as oubliĂ© de traduite «âidiotes !â», tu dois ĂȘtre trĂšs fatiguĂ©â»).
Il me lùche, trottine vers Magalie à qui il empreinte un stylo et un papier sur lesquels il griffonne. Rosie l'observe, la bouche pincée. Son regard glisse aussi sur moi sans qu'il ne tente d'engager la conversation. Lui qui était si souriant et entreprenant tout à l'heure me semble morne et presque éteint.
J'espÚre que ce n'est pas à cause de la vipÚre... pas que ça me concerne ni ne me touche, mais je suis responsable de la sale gamine... donc un peu responsable de ses agissements aussi.
Magalie s'éloigne de quelques pas, absorbée par son téléphone. Grognon, lui, revient vers nous. Lorsqu'il s'appuie sur moi, je jurerais voir John-oh se crisper avant qu'il ne se détourne vers son autre ami et AustÚre Man qui vient de les rejoindre.
â Au fait, je m'appelle pas Grognon, mais Minjin. Min, comme une mine de crayon et jin, comme un jean.
â Je prĂ©fĂšre Grognon, rĂ©torquĂ©-je avec un sourire narquois. Ăa te va beaucoup mieux.
â Tu vois que tu parles français ! glapit la vipĂšre, l'index pointĂ© sur lui. Stan ! Mon tĂ©lĂ©phone ! J'dois poster sur ça !
â I don't speak french and this sassy stan won't give you your phone back. (Je ne parle pas français et ce Stan insolent ne vous rendra pas vos tĂ©lĂ©phones).
Grognon rĂ©duit la distance entre lui et Kamilla Ă peau de chagrin. Elle frĂ©mit. Recule d'un pas. Pousse un petit cri lorsqu'il lance sa main devant son visage pour... attraper de l'air avant de «âleâ» semer au-dessus de la tĂȘte de l'adolescente.
Mais qu'est-ce qu'il fabrique ?
â This was magic, explique-t-il en levant les sourcils plusieurs fois. Forget what just happend or become a Stormy.
â Stan ! Il dit quoi le flop ?
â Magie magie, soit tu oublies ce qu'il vient de se passer, soit tu deviens une Stormy.
â Quoi ? Jamais ! PlutĂŽt crever que de staner ce groupe ! Ils ont rien pour eux, proteste aussitĂŽt KloĂ©.
Ces gamines n'apprendront jamais ?
â Mais ils t'ont fait quoi ce groupe, Ă la fin ? Parce que vous crachez votre haine, mais y a quoi, en vrai ?
â Leur agence gaspille de l'argent pour eux au lieu de faire la promo des Pink'Girls !
â Ils gagnent des rĂ©compenses que grĂące au payola, renchĂ©rit Kamilla. Ils sont tellement pas organiques !
â Leur musique sont juste nulles, en plus, trop mainstream, ça plaĂźt Ă personne ! continue KloĂ© qui a l'air bien lancĂ© sur les conneries.
â Mais trop ! Et Seongwa, lĂ , c'est le pire, juste un attention seaker !
â Mais sĂ©rieux, vous les avez chopez ou toutes vos infos ? On dirait des perroquets qui rĂ©pĂštent des trucs complĂštement random.
â Sur Tiktok ! Mais elles mettent leurs sources, hein : c'est des Pinkyes sur Twitter.
Ă mes cĂŽtĂ©s, Grognon se crispe, me rassure d'une phrase en anglais lorsque je l'interroge du regard : Oui, ça va. Non, il n'est pas blessĂ©. Aucun d'eux trois ne l'est, ils savent que ça fait partie du «âjeuâ». Ce n'est pas pour autant agrĂ©able que de devoir Ă©couter des haters dĂ©blatĂ©rer leur venin. Il est bien heureux que les deux autres n'entravent que dalle.
â Qu'est-ce qu'il dit, l'autre ?
â Il me dit juste Ă tout Ă l'heure parce qu'ils doivent y aller, mens-je pour leur offrir une porte de sortie.
â Ouais, ben qu'ils dĂ©gagent !
Mais c'est qu'elle commence Ă me les briser, la p'tite !
â Merde, KloĂ©, ta mĂšre t'a jamais appris que c'Ă©tait vilain de dire ça Ă quelqu'un ? lĂąchĂ©-je sans rĂ©flĂ©chir.
â Oh que si, gronde Magalie en revenant vers dans dans un bruit de claquement de talons . Sa mĂšre lui a dit plus d'une fois. Je ne supporte pas ce genre de comportement ! Tu sais qu'il y aura des consĂ©quences, KloĂ© ?
Conséquences ? Oh, mais je sais ! Punis-la ! prive-la de concert ! ProblÚme réglé pas besoin de resto et bonjour mon lit à l'hotel !
â Excuse-toi tout de suite auprĂšs des 6Thunderight, exige-t-elle en toisant sa fille d'un regard sĂ©vĂšre...
Mais non ! Pas d'excuses ! Juste la punition !
â... Ou nous n'irons pas les rejoindre dans ce restaurant !
Bon, ça, je suis pour.
â Kamilla, toi aussi, ordonne Magalie.
Les deux jeunes filles baissent la tĂȘte, mortifiĂ©es. Elles approchent Ă petits pas du trio
Fichtre, on est passé à deux doigts de régler tous nos problÚmes...