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Carazachiel
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Chapitre 4

Le flot de la vipÚre volubile s'est tari. Enfin. Il aura mis deux heures. Deux longues heures. Cent vingt minutes à écouter parler de KPOP. Et de KPOP. Et de KPOP. Et encore de KPOP.

C'est la premiÚre fois que Kamilla me parle si longtemps et si elle ne s'était pas endormie à cause de sa nuit blanche (elle ne dort jamais en voiture, apparemment), je gage qu'elle me parlerait encore. 

Pour ĂȘtre honnĂȘte, je ne comprends pas l'engouement de la gamine. Certes, ce groupe de filles (je peux presque entendre la voix criarde me sermonner « On dit Girls groupe, Stan ! ») se dĂ©brouille bien. Les chorĂ©graphies sont bien rĂ©alisĂ©es, les voix maĂźtrisĂ©es. Mais de lĂ  Ă  dĂ©penser presque 3000 euros pour aller voir un concert de 3 heures ? Ça m'Ă©chappe. Surtout pour une adolescente de 14 ans qui risque de se lasser, de changer de groupe fĂ©tiche (« On dit les favs, Stan ! C'est mes Favs ! Et si je stanais plusieurs groupes, ce serait mes Ults ! ») en grandissant. 

Si encore il ne s'agissait que d'acheter des albums et voir des concerts... moi aussi, j'ai dĂ©pensĂ© des fortunes dans mes loisirs Ă  son Ăąge ! Pour acheter mes sagas prĂ©fĂ©rĂ©es. Pour assister Ă  une dĂ©dicace Ă  l'autre bout de la France. Pour m'offrir une version collector reliĂ©e avec jaspage.

Mais pour Kamilla, ça va beaucoup plus loin. Elle a les albums, oui... mais elle a aussi des porte-clefs. Des bracelets. Des T-shirts. Un survĂȘtement. Les mĂȘmes chaussures que Yoonie (je n'ai retenu que ce prĂ©nom). Des peluches et des photos (« Des photocards ! SĂ©rieux, tu le fais exprĂšs ? »). Beaucoup de photos. Des tonnes de photos. Elle (ou plutĂŽt, ses grands-parents Ă  qui elle fait du charme) achĂšte parfois les albums en double ou triple pour avoir la photo qu'elle veut. 

Non, vraiment... je ne comprends pas.

Je secoue la tĂȘte, vĂ©rifie que Kamilla est bien endormie. Elle ronfle doucement. Parfait, je vais peut-ĂȘtre pouvoir travailler maintenant ! DĂ©sabusĂ©, je ferme les quinze onglets ouverts par Kamilla. Que des vidĂ©os que je suis censĂ© regarder dĂšs notre arrivĂ©e Ă  l'hĂŽtel.

Elle rĂȘve. 

Que notre conversation se soit bien passée relÚve du miracle, pas d'un début de relation fraternel entre nous. Nous ne partageons rien d'autre qu'un pÚre... et un voyage en Corée du Sud. 

Distrait, j'ouvre discord et frissonne d'effroi face Ă  la multitude de messages non lus. Je fais l'impasse sur les serveurs des plateformes littĂ©raires, vĂ©rifie les tags sur ceux des plus petites communautĂ©s et m'arrĂȘte sur celui que j'ai créé avec Steph.

Mon doppleganger. Mon partenaire de crime. 

Steph, qui écrit de merveilleuses romances historiques. Steph, que j'ai sans aucune honte détourné du droit chemin pour l'embarquer sur le chemin des romans déjantés, étranges et inintéressants pour les lecteurs et lectrices.

Steph, la seule personne au monde capable de me faire culpabiliser de ne pas écrire.

Steph, qui depuis hier soir m'a laissé des tas de messages.

Oups.

Je parcours les messages de yeux, un peu plus mortifié (et amusé) de ligne en ligne.

Shadow Sprint, hier à 19 : 33
Hey, Stan, je suis rentrĂ©e ! T'as passĂ© une bonne journĂ©e ?
 Oh ? Pas lĂ  ce soir ? Une sortie avec RĂ©mi ?
C'Ă©tait quoi que tu voulais me dire sur RĂ©mi, d'ailleurs ?

Shadow Sprint, hier à 21 : 33
J'espùre que j'aurais au moins mon chap, ce soir, j'ai trop hñte de le lire ! Je l'attends depuis... fiouuuu
Bon, ben tu n'es pas lĂ , alors.

Shadow Sprint, hier à 23 h 51
Je suis crevĂ©, je vais dodoter avec mes poilus ! À demain !

Shadow Sprint, aujourd'hui à 9 : 33
Toujours pas lĂ  ce matin ? Je vais finir par m'inquiĂ©ter !
Stan ! Je dois appeler les secours ou quoi !?

Shadow Sprint, aujourd'hui à 10 h 46
HA ! JE TE VOIS CONNECTÉ !! RÉPONDS !
STAAAAANNNNNN

Je retiens un ricanement ; ce n'est pas le moment de rĂ©veiller la vipĂšre.

Moonlight Hunter, aujourd'hui à 10 h 47
Salut Steph ! Devine d'oĂč je te cause. 

Shadow Sprint, aujourd'hui à 10 h 47
Pas de chez toi, donc.

Moonlight Hunter, aujourd'hui à 10 h 47
Nope.

Shadow Sprint, aujourd'hui à 10 h 48
De chez RĂ©mi ?? 

Mes lĂšvres se pincent. J'ai peut-ĂȘtre aussi oubliĂ© de prĂ©venir Steph de ma rupture... en quelques mots bien choisi, je l'informe de la situation. M'amuse ensuite de voir ses diffĂ©rentes propositions quant Ă  ma « position gĂ©ospatiale ». Lui donne quelques indices qui ne l'aident en rien.

Shadow Sprint, aujourd'hui à 10 h 53
Je donne ma langue aux chats ! Et j'en ai plein, des chats !

Moonlight Hunter, aujourd'hui à 10 h 53
Je suis dans un avion. Avec ma demi-sƓur. On s'envole pour SĂ©oul !

Je préfÚre lui taire que je dois assister à un concert de KPOP. C'est de la musique comme les autres, je sais, et pourtant, j'ai honte. Surtout que ça ne me ressemble pas. 

Shadow Sprint, aujourd'hui à 10 h 54
Mais comment tu t'es retrouvĂ© embarquĂ© lĂ -dedans ?

Moonlight Hunter, aujourd'hui à 10 h 54
Baby-sitting payĂ© grassement, je pouvais pas refuser ! On reste deux semaines, alors tu t'inquiĂštes pas si je peux pas venir te causer trop souvent ! Je sais mĂȘme pas si j'aurais le wifi Ă  l'hĂŽtel.

Shadow Sprint, aujourd'hui à 10 h 55
Aaaaargh ! Mais du coup, j'aurais pas mon chapitre ? J'ai besoin de mon chapitre. Écris-moi mon chapitre s'teuplaiiit ! En plus, j'ai que des rĂ©unions chiantes aujourd'hui, pffff. J'en ai une dans 5 minutes, une autre cet aprĂšm et encore deux demain.
blblblblblblb

Moonlight Hunter, aujourd'hui à 10 h 56
Couraaaaaage ! J'vais essayer de te bĂącler ça, lĂ , au cas oĂč ! Mais j'garantis pas le bousin.

Shadow Sprint, aujourd'hui à 10 h 57
Pfff, je les aime, tes chapitres, moi. Bon, je file ! Et aprùs, cantine ! À toute si t'es encore là !

Moonlight Hunter, aujourd'hui à 10 h 58
Je serai encore là pour au moins 9 heures encore. Sauf si je dors. Ou si je mange. Allez file !

Steph se dĂ©connecte. Je fais de mĂȘme avant d'ĂȘtre tentĂ© d'aller sur les autres serveurs discord au lieu de travailler... et finis sur Twitter, Ă  lire tout et n'importe quoi. Surtout n'importe quoi. Des avis littĂ©raires ; des auteurs qui pleurnichent ; d'autres heureux ; des lectrices odieuses ; d'autres absolument adorables, qui me donnent envie d'avoir des chroniques de leur part (mais jamais je ne le leur demanderai). Et puis, apparaĂźt de nulle part un tweet en rapport avec la KPOP. 

Merci Kamilla...

Un deuxiĂšme tweet suit, sur lequel j'Ă©vite soigneusement de passer du temps. Au troisiĂšme, je ferme l'onglet. Hors de question que ma timeline soit pourrie Ă  cause de ça ! 

Le bon cÎté des choses, c'est que n'ayant plus rien à faire, je me penche enfin sur mon chapitre. 

Les mots ne viennent pas. J'ai l'horrible sensation de les arracher un par un. De les forcer Ă  sortir contre leur grĂ©. De les engluer de force sur mon traitement de texte alors qu'ils rĂȘvent de caracoler loin de moi. Et ce qui devait arriver arrive : je me retrouve bloquĂ© sur une phrase. Impossible d'enchaĂźner. J'ai beau tenter toutes les tournures possibles, rien Ă  faire.

Rageur, je sĂ©lectionne tout le paragraphe pour l'effacer et recommencer. Rien ne sert de forcer. Si je suis dans une impasse, c'est que j'ai pris le mauvais chemin. Inutile de tenter de percer une nouvelle route, il faut juste revenir sur mes pas pour trouver oĂč je devais bifurquer.

Et je trouve, finalement. AprĂšs avoir effacĂ© deux paragraphes de plus. Les Ă©motions de mon hĂ©ros n'Ă©taient pas en adĂ©quation avec ses actes, ça ne pouvait pas fonctionner ! Au terme d'une heure et demie de travail acharnĂ©, je mets le point final Ă  mon chapitre.

Je suis vidé. J'ai faim. Soif. Envie de dormir.

Et Kamilla vient de se réveiller.

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