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Carazachiel
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Chapitre 6

— Attends, le vieux ! Entre pas. On sait pas, ça peut ĂȘtre dangereux.

Elle m'arrache la carte-clef des mains juste avant que je ne déverrouille la porte de notre chambre d'hÎtel et agite l'index sous mon nez.

— Toi, tu restes dans le couloir pendant que je vĂ©rifie tout.

Ben voyons.

— Brillante idĂ©e, ça ! Toi, la gamine de quatorze ans pas fichue de gagner une bataille de pouce, tu entres dans la chambre en premier pour vĂ©rifier s'il y a du danger pendant que moi, certes pas bien douĂ© en sport, mais tout de mĂȘme plus habile que toi, je reste en sĂ©curitĂ© dans le couloir ! J'ai bien rĂ©sumĂ© ?

Son assurance vacille. Elle déglutit. La carte entre ses doigts menace de tomber. Puis l'instant passe et l'arrogance gagne la bataille.

— Oui, ben si t'as peur dans le couloir, on a qu'Ă  entrer en mĂȘme temps et voilĂ . Pas besoin d'inventer des trucs. À ton Ăąge, ça fait pitiĂ©. Boomer. 

Je l'invite Ă  ouvrir d'un geste de la main, attends qu'elle s'engouffre dans la piĂšce pour y entrer nos valises (parce que mademoiselle n'allait tout de mĂȘme pas porter la sienne !) et me fige dans un sifflement admirateur qui me vaut encore un « boomer ».

Pas sûr qu'elle sache ce que c'est un boomer, mais passons.

De tous mes sĂ©jours Ă  l'hĂŽtel (deux, en rĂ©alitĂ©), je n'ai Ă©tĂ© que dans des F1. Rien Ă  voir avec la piĂšce qui s'Ă©tale sous mes yeux. Si les lieux ne sont pas beaucoup plus grands, il s'en dĂ©gage un chic bien supĂ©rieur. Dux lits moelleux garnis de draps blancs qui donnent envie de s'y rouler. De grandes fenĂȘtres avec une vue Ă  couper le souffle sur un grand parc. Un bureau moderne en bois et un Ă©cran plat plus grand que ma tĂ©lĂ©vision.

Le charme des lieux compense un peu la déconvenue qui m'a frappé de plein fouet lorsque j'ai constaté que nous allions partager une chambre. Certes, ce n'est que pour trois nuits, aprÚs, nous serons logés par une de ses amies dont les parents se sont expatriés en Corée. Je me souviens vaguement d'eux, ils habitaient notre quartier il y a quelques années. 

Je comprends pourquoi une seule chambre : on ne laisse pas une adolescente de son ùge seule dans une ville étrangÚre. C'est logique. C'est sécuritaire.

Mais c'est Kamilla et moi, je suis dĂ©jĂ  Ă©puisĂ©. Jamais je ne vais survivre Ă  une cohabitation avec cette vipĂšre juvĂ©nile !

— Je prends le lit double, toi tu vas dans le simple ! Et t'as pas intĂ©rĂȘt de me mater quand je me mettrai en pyjama, rouspĂšte-t-elle en s'approchant d'une des lampes de chevet, les yeux rivĂ©s sur son portable.

— Oserais-je demander ce que tu fais ? soufflĂ©-je en arquant un sourcil alors qu'elle dĂ©visse l'ampoule.

— Je vĂ©rifie qu'il y a pas de camĂ©ra, j'ai vu faire ça sur tik tok, faut toujours vĂ©rifier ses Airbnb.

— À ce stade, tiktok est plus dangereux pour toi que les camĂ©ras.

Je me laisse tomber sur le lit qu'elle m'a assigné et retire mon hoodie en épiant la piÚce malgré moi. 

— Tu me prends pas au sĂ©rieux ? s'emporte-t-elle. C'est un phĂ©nomĂšne qui s'appelle Molka, c'est des hommes qui installent ça dans les motels et Airbnb pour filmer des relations sexuelles Ă  l'insu des clients !

— Je doute pas une seconde que des tordus fassent ce genre de choses. Par contre, je me demande comment t'en est arrivĂ© Ă  la conclusion qu'on risquait quelque chose, lĂ  ? 

— Bah... ha, nan, c'est gĂȘnant ! Quelle horreur, putain, les images que j'ai en tĂȘte maintenant ! En plus, t'es mĂȘme pas mon style !

Mais qu'est-ce qui ne va pas chez elle ? Je n'ai pas le temps de lui lancer une réplique bien sentie qu'elle est repartie dans son délire.

— Oh, tu as du scotch ? Je dois vĂ©rifier le miroir aussi ! Toi, tu vĂ©rifies les appliques, les poignĂ©es de porte et les portes-trucs !

— Les patĂšres, corrigĂ©-je machinalement.

— Bah non, pas par terre, t'es con ou quoi. Ils vont pas en mettre par terre ! Bon, tu te bouges, on va pas y passer la nuit ! 

— Tu... 

— Quoi, tu vas pas m'aider ? m'interrompt-elle, dĂ©daigneuse. J'suis pas ton ta bonne, hein !

— Ce serait sans doute mieux pour toi qu'on en trouve une, de camĂ©ra, maugréé-je en me redressant. Et qu'on la mette bien en vue pour tout filmer.

— Quoi ?

Pour ta survie.

— Non rien, articulĂ©-je en ravalant ma vraie rĂ©ponse. Je vais vĂ©rifier les... « portes-trucs ». 

Et nous passons une heure Ă  tout vĂ©rifier, et une demi-heure de plus Ă  tout ranger. Parce qu'elle nous a fait retourner les matelas. DĂ©caler tous les meubles qui pouvaient l'ĂȘtre. Passer la salle de bains au peigne fin, c'est-Ă -dire que nous avons vĂ©rifiĂ© chaque Ă©chantillon gratuit, le sĂšche-linge, les serviettes, les porte-serviettes, les lumiĂšres du miroir, le plafonnier et bien sĂ»r, le miroir grĂące Ă  la fameuse mĂ©thode du scotch Ă  laquelle je n'ai rien compris. 

Bien sĂ»r, aprĂšs ça, alors que je ne rĂȘve que d'une bonne douche avant d'aller au restaurant de l'hĂŽtel, la vipĂšre dĂ©crĂšte qu'en tant que fille, elle a la prioritĂ©. Suffisante, elle tire sa valise juste devant la porte de la salle de bains et commence Ă  fouiller dedans. Longtemps. TrĂšs longtemps. Plus longtemps que je n'en avais besoin pour me laver. Et c'est au moment oĂč je m'agace qu'elle « trouve enfin » sa trousse de toilette. Sa moue mesquine ne me trompe pas : la vipĂšre l'a fait exprĂšs.  Et je parie qu'elle fait aussi exprĂšs de prendre cinquante minutes avant de ressortir, ce qui... ne me laisse pas le temps de me doucher si je veux aller manger. Je ne peux qu'enfiler Ă  la va-vite des vĂȘtements propres avant de devoir suivre (une fois de plus) Kamilla qui n'en fait qu'Ă  sa tĂȘte et sort seule de la chambre.

J'ai le droit de dire que je la déteste ? Oui. J'ai le droit de la secouer ? Hmm, non, ça je peux pas. Dommage. La secouer ou la pousser dans l'escalier ? Non, Stan, non. C'est encore une gamine. Une saloperie de gamine, mais une gamine. Respire.

Si Kamilla se pavane comme une princesse sitĂŽt que nous avons atteint le restaurant, je suis pour ma part aussi impressionnĂ© qu'Ă  notre arrivĂ©e dans la chambre. Rien Ă  voir avec le crous oĂč j'ai passĂ© la majoritĂ© de mes repas Ă©tudiants. Rien Ă  voir avec la crĂȘperie oĂč Remi m'emmener pour nos « rendez-vous galants ». Spoiler alert : le voir s'empiffrer de galettes en se mettant du jus partout sur le menton n'avait rien de romantique ni de galant. Et aprĂšs, il se plaignait que je ne finissais pas mes plats alors que j'Ă©tais simplement Ă©cƓurĂ©.

Je m'avance jusqu'Ă  la baie vitrĂ©e qui court sur toute la largeur de la piĂšce et nous offre une vue boisĂ©e. C'est dĂ©cidĂ©, c'est ici que je veux m'asseoir ! Mais avant, je dois comprendre le fonctionnement des lieux. Et donc aller parler Ă  l'employĂ©e tirĂ©e Ă  quatre Ă©pingles qui regarde les clients d'un air bienveillant.

Savoir quoi dire aux inconnus n'a jamais fait partie de mes qualitĂ©s. Moi, je suis douĂ© (enfin, c'est relatif) pour les inventer. Pour les peindre. Pour les dĂ©crire. Dans mes romans. Sans que eux ne puissent me rĂ©pondre. Je ne suis pas douĂ© pour parler Ă  de vraies personnes ! Encore moins dans une langue qui n'est pas la mienne ! Encore moins en devant saluer dans une langue dont je viens en catastrophe d'apprendre quelques mots dans un avion !

Comment on dit bonjour, déjà ? Ha oui !

— AnyongassĂ©yo, do you speak english, please ?

Elle m'adresse un sourire indulgent, me rend mon salut en corĂ©en (j'essaie d'enregistrer la prononciation, mais mon esprit s'Ă©parpille lorsqu'elle enchaĂźne sur un anglais presque sans accent). AprĂšs avoir vĂ©rifiĂ© dans quelle chambre nous nous trouvions, elle m'apprend que nous bĂ©nĂ©ficions de la formule all inclusive avec buffet Ă  volontĂ©. Elle m'indique oĂč se trouvent les assiettes, les couverts et me parle du fonctionnement un peu trop vite pour que je n'arrive Ă  tout saisir. Puis elle prend congĂ© avec un dernier sourire. Je n'insiste pas. J'ai les informations principales, le reste se fera en observant les autres clients. 

Je retrouve Kamilla au beau milieu du restaurant, en train de filmer tout et n'importe quoi sans oublier de commenter les choses avec désobligeance. Elle me suit jusqu'à un immense comptoir marbré chargé de nourriture, une moue boudeuse sur les lÚvres.

Le buffet à volonté me met l'eau à la bouche. Toutes sortes de pùtes locales (dont je meurs d'envie d'apprendre le nom !), des beignets frits, des légumes en sauce. Des gùteaux et biscuits dignes d'une publicité. Des fruits couverts de sucre. Un régal pour les yeux... et l'odorat !

Bon sang, cette odeur... cette odeur ! Le paradis sur Terre !

— Mais attends, c'est une blague ? grognonne soudain la vipĂšre. Y a mĂȘme pas de frites ?

L'odeur est peut-ĂȘtre paradisiaque, mais cette sale gamine, elle promet d'ĂȘtre infernale du dĂ©but Ă  la fin.

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