Quand Grognon a dit que le restaurant Ă©tait secret, je ne m'attendais pas Ă ce qu'il soit si secret. Quand nous sommes montĂ©s dans la voiture, Magalie a juste dit que nous en aurions pour un peu de temps. Je me suis endormi presque aussitĂŽt pour une sieste qui a durĂ© une heure et demie, ressentie trois minutes.Â
Quelle ne fut pas ma surprise de me réveiller en pleine nature, la voiture garée devant une maison traditionnelle trÚs jolie, mais qui ne ressemblait en rien à un restaurant. Pas d'enseigne. Pas de carte affichée. Personne pour accueillir.
Je tire sur les cordons de ma capuche pour protĂ©ger mes oreilles du vent glacĂ©, pestant une fois de plus contre Kamilla qui ne m'a pas laissĂ© l'occasion de prendre mon manteau en sortant de l'hĂŽtel. Magalie a tenu Ă aller vĂ©rifier que nous Ă©tions Ă la bonne adresse avant que nous ne dĂ©barquions tous lĂ -bas. Les vipĂšres (Ă qui j'ai hĂ©las dĂ» rendre leur tĂ©lĂ©phone) piaillaient beaucoup trop fort en regardant des vidĂ©os du fansign sur YouTube. C'Ă©tait insupportable. Et incomprĂ©hensible : on vient tout juste de le quitter, ce fansignâ! Quel besoin elles ont d'en chercher des vidĂ©osâ! Le pire ? Au bout de trois clips, elles ne cherchaient plus leurs chanteuses, mais... elles-mĂȘmes.Â
Ces dindes se cherchaient elles-mĂȘmes.Â
Quand elles ont commencé à insulter les Pinkyes coréennes présentes sur place, je suis sorti. à croire qu'elles n'ont pas compris pourquoi elles se sont excusées Inutile d'essayer encore de leur inculquer le respect, ces deux gamines n'ont pas de neurones fonctionnels.
Le vent forcit. Je souffle sur mes doigts pour les rĂ©chauffer, ne parviens qu'Ă les nimber d'un halo de buĂ©e.Â
Bordel, elle fait quoi, Mag ? Je me gĂšle les miches moiâ!
Faute d'avoir une autre idée, je sautille sur place d'avant en arriÚre tout en tapant dans mes mains. J'ai probablement l'air idiot, mais au moins, je ne rivalise pas avec les poissons panés de mon congélateur. Pas encore.
Sautiller devient vite lassant. Magalie n'est toujours pas lĂ . Mon nez va bientĂŽt tomber et les vipĂšres jacassent encore. Si je ne devais pas garder un Ćil sur elles, je grimperais ce vieil escalier de pierre pour me prĂ©cipiter Ă l'intĂ©rieur et peu importe s'il s'agit d'une habitation ou d'un restaurant. Mais je ne peux pas faire ça. S'il leur arrivait quelque chose sous ma surveillance, je finirais en prison. Hors de question de finir en taule Ă cause de Kamillaâ!
Alors je souffle encore. Je trĂ©pigne. Je tourne sur moi-mĂȘme. Je tape dans mes mains. Et pousse un cri de joie lorsque la porte s'ouvre enfin... sur une silhouette qui n'a rien Ă voir avec celle de Magalie.
Je plisse les yeux dans la pĂ©nombre. C'est un homme. Plus grand que moi. EmmitouflĂ© dans un manteau qui me rend jaloux. Un bonnet sur la tĂȘte. Une dĂ©marche Ă©lĂ©gante.Â
D'instinct, je me dĂ©cale sur le cĂŽtĂ© pour le laisser passer, mais il vient droit sur moi. S'arrĂȘte juste devant moi, me forçant Ă relever le nez. Et avant que je ne puisse faire ou dire quoi que ce soit, la personne m'enfonce quelque chose sur la tĂȘte.Â
Le bonnet ?
Je lĂšve des yeux surpris. Tombe sur un sourire immense.
â Don't watch a cold, chuchote Rosie avant de se dĂ©faire de son manteau pour le poser sur mes Ă©paules. I can't wait to see you inside. (n'attrape pas froid. J'ai hĂąte de te voir Ă l'intĂ©rieur.)
Et il repart comme il est venu, de ce pas aérien et élégant.
Et mon cerveau gÚle comme s'il n'était pas désormais au chaud. Mon processeur interne ne répond pas. Ne comprend ce qu'il vient de se passer. Ne comprend pas ce qu'il est en train de lui arriver. Il se contente de tourner dans le vide alors que Rosie retourne à l'intérieur en frissonnant.
Plusieurs secondes me sont nécessaires pour comprendre pourquoi je me sens si bien.
La premiĂšre raison est physique : il m'a prĂȘtĂ© son manteau. Je suis au chaud. Mes oreilles sont au chaud. Mes mains sont au chaud. Mon nez... non, lui n'est pas au chaud, mais je peux remonter le col tellement haut que ça ne gĂȘne pas.
La deuxiĂšme raison est mentale : il m'a prĂȘtĂ© son manteau. Alors que nous sommes deux inconnus. Alors qu'il a lui-mĂȘme froid Ă cause de ça. Il m'a prĂȘtĂ© son manteau sans rien demander en retour. Sans mĂȘme attendre de merci. Personne n'avait encore eu un geste aussi gentil pour moi. Ni mon pĂšre. Ni mes exs. Ni mĂȘme mes rares amis (je ne compte pas Steph puisque je ne l'ai jamais rencontrĂ©).
Et pour la premiÚre fois depuis que mes yeux se sont posés sur son visage angélique, je vois vraiment John-oh. Pas comme une célébrité. Pas comme une aide potentielle. Pas comme mon tortionnaire involontaire.
Seulement Lui. John-Oh. Le jeune homme au sourire Ă©blouissant et au regard doux.Â
Mon cĆur s'affole. Mon cerveau, lui, n'aime pas ça.
Je suis ici pour l'argent. Je suis ici pour m'occuper de la vipĂšre.Â
Rien d'autre, et surtout pas baver devant une idole de KPOP aux cheveux roses.Â