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Sethir Ravakan – Bas Travyar – Dralmar – Niv 1
Alors que les ruines de l'appareil s'effondraient autour de lui, Sethir tourna les talons et quitta les lieux, son lourd manteau flottant autour de sa silhouette imposante. Il traversa les décombres avec flegme, son esprit déjà tourné vers la prochaine étape de son voyage. Il se dirigerait vers Dralmar, le plus grand bouge du Bas Travyar, un lieu où les informations circulaient aussi librement que l'alcool et où les secrets les mieux gardés finissaient toujours par être révélés. Un coupe-jarret comme ils en avaient toujours existé du temps de Nharos, il en retrouverait presque le sourire.
Il allait devoir marcher environ 200 gravitons, puis retrouver sa monture qui l'attendait sagement. La dernière fois qu'il l'avait vue, elle était occupée à grignoter d'étranges champignons phosphorescents qui s'effritaient sous la force du vent et qui poussaient à flanc de falaise.
Thael'vyr était une Sylvaris, une créature magnifique qui acceptait rarement d'être montée. Sethir, qui l'avait soigné, quand - toute petite - elle était tombée dans le piège d'un braconnier (qui convoitait ses écailles), avait obtenu cet insigne honneur. Les Sylvaris avaient toujours été des êtres à la fois majestueux et étranges. D'abord craints dans les temps anciens, ils étaient aujourd'hui éminemment respectés pour leur ancienneté, leur sagacité ainsi que leur sensibilité aux Flux et aux différentes zones gravitationnelles. Érigées au rang de créatures sacrées, alors qu'elles étaient sur le point de disparaître ; elles étaient réapparues le cycle dernier dans le Haut Travyar, le niveau le moins adapté à leur nature et la zone la moins explorée de cette planète. Varhen restait garante de ses mystère...
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Deux pulsations plus tard, il la retrouva à l'endroit prévu. Elle était allongée de tout son long sur le dos, la membrane diaphane de son ventre exposée, frottant le sommet de son crâne sur les petits cailloux sous sa tête. Il allait repasser pour la grâce et tout le reste.
Sethir s'approcha lentement de Thael'vyr avec une familiarité tranquille, bien que la Sylvaris fût toujours imprévisible. Il la contempla un instant, elle était bien plus qu'un simple animal. La Sylvaris était majestueuse dans son repos et semblait presque fusionner avec le paysage. Les ailes étendues, leurs plumes s'écartèrent suffisamment pour laisser la peau translucides et iridescentes capter la lumière volcanique, projetant des éclats de couleurs pâles sur les pierres alentours. Il s'assit à ses côtés sans hâte, frotant sa main sur les écailles de son épaule, cachées sous son plumage imposant. Plus bas au niveau de l'abdomen, l'épiderme de la Sylvaris, lisse et chaude, formait un contraste frappant avec le froid environnant. Il souffla de soulagement, retrouvant la sensation au bout de ses doigts. Les griffes cristallines de Thael'vyr - qui semblaient forgées dans du cristal - raclaient distraitement le sol, mais Sethir savait que cela n'était que le signe d'une tranquillité intérieure. Elle était détendue à sa manière. Peut-être sortait-elle d'une sieste ?
La queue de la créature frémissait doucement, comme une réaction à un souffle qu'elle seule semblait percevoir. Sethir l'observa, le regard doux, ses pensées glissant lentement vers les souvenirs d'un autre temps. Cela faisait près d'un cycle qu'ils se connaissaient et pourtant chaque moment passé à ses côtés restait comme le premier : mystérieux et empreint d'une communion rare. Il lui vouait un respect profond, reconnaissant de cette compréhension mutuelle qui ne nécessitait pas de mots.
— Thael'vyr. Murmura-t-il en apposant son front contre son épaule massive.
La créature tourna lentement la tête et leva vers lui ses grands yeux en amande aux iris complexes mêlant : nuances de bleu, de violet et de vert, traversés de reflets dorés et argentés. Elle émit un son bas - presque un ronronnement - qui résonna dans l'air comme une vibration. Sethir tendit une main, laissant ses doigts effleurer les plumes irisées de son cou. La texture était soyeuse, même s'il sentait la chaleur des filaments énergétiques pulser en harmonie avec les flux de Varhen.
— On a du travail, dit-il en se relevant. Dralmar nous attend.
En réponse, elle roula sur le ventre avec une grâce surprenante pour une créature de sa taille, ses ailes se déployant lentement avant de se replier contre son corps. Elle se leva, ses pattes puissantes la soulevant avec une aisance déconcertante. Et sa crête, naturellement discrète au repos, commença à briller plus intensément, comme si elle anticipait le voyage à venir.
Sethir ajusta son manteau. La coupe serrée - une fois fermée - empêchait le tissu de claquer sous les vents violents du premier niveau gravitationnel. Tandis que les sangles d'ancrage - croisées sur son torse et dans son dos - lui permettraient de rester solidement fixé en cas de turbulence. Il vérifia son sac en cuir, où les artefacts technologiques qu'il avait récupérés reposaient en sécurité, avant d'ajuster ses gants isolés. Le froid ne lui laisserait aucun répit, même sous la protection de la doublure thermique.
Il grimpa sur le dos de la Sylvaris, s'installant confortablement entre les ailes. Les bottes à crochets qu'il portait se fixèrent à l'assemblage d'écailles sous les plumes, assurant son équilibre. Il serra la ceinture de sécurité - fixée au harnais de fortune qu'il avait fait fabriquer - autour de sa taille : un réflexe devenu vital depuis qu'il avait frôlé la chute lors d'une turbulence gravitationnelle. Thael'vyr émit un autre son, cette fois plus aigu.
— Allons-y, ajouta-t-il, se penchant légèrement en avant.
Avec un puissant battement d'ailes, Thael'vyr s'éleva dans les airs. Le poids accru dû à la gravité exigeait un effort considérable à chaque battement, mais la créature compensa en déployant pleinement ses appendices, optimisant ainsi la portance. Les plumes de ses ailes brillèrent d'un léger éclat bleu intense, leur pulsation s'accordant aux Flux telluriques qu'elle lisait instinctivement pour naviguer.
Une brise chaude et cendrée s'engouffra autour d'eux, réchauffant Sethir qui commençait à perdre la sensation de ses extrémités. Il rabattit son masque sur son visage afin de filtrer les particules corrosives des nuages volcaniques. La visibilité était faible et il savait que les projectiles incandescents pouvaient surgir à tout instant. Pourtant, il se détendit légèrement, passant sa large paume dans ses cheveux noirs qui retombaient sur ses tempes.
Thael'vyr fendait l'air avec une agilité remarquable, ajustant sans cesse sa trajectoire pour éviter les poches d'apesanteur et les puits gravitationnels. Chaque turbulence était une menace mais aussi un défi auquel la Sylvaris répondait par des manœuvres précises. Sethir restait attentif, prêt à activer le mousqueton de son harnais si la créature devait effectuer une embardée soudaine.
Il regarda autour, observant un minuscule îlot en contrebas et le noir abyssal qui entourait les terres flottantes sur ce niveau gravitationnel, pensant aux ruines qu'ils venaient de quitter. La machine de Zytheor était maintenant réduite à un tas de métal tordu et de câbles brisés, mais il savait que ce n'était qu'une victoire temporaire. Il lui fallait trouver une solution permanente.
La vérité c'était qu'après le Grand Renversement, il avait erré pendant un peu moins d'un cycle, rongé par la culpabilité et le chagrin. Le second, il l'avait consacré à la reconstruction de Varhen avec ses habitants, prêtant main forte à Volkyn, Zytheor, Lysorth et Karath. Il était resté une vingtaine de rotations sur Lunaris, formant les premiers Patriarche et Matriarche, Gardiens du véritable et dernier Cœur de Nharos.
Il avait ensuite voyagé pendant des centaines de rotations, redécouvrant sa planète, approchant sa faune, étudiant sa flore. Il lui avait fallu autant de temps pour comprendre et exploiter " pleinement " son potentiel. Mais surtout pour faire honneur à son peuple disparu...
Puis un premier îlot avait chuté, deux autres s'étaient entrechoqués, un pan tout entier du Haut Travyar avait disparu, emportant avec lui les terres en contrebas, sur la trajectoire des vestiges qui dégringolaient. Des tremblements de terre étaient survenus, des fluctuations gravitationnelles ainsi que la baisse drastique du taux de natalité... L'Inhérence, pourtant préservée jusqu'ici, s'était faite plus faible, tandis que le reste de la Trame disparaissait, aussi vite que les astres faisaient s'évaporer l'eau en Haut Travyar...
Il voulait réparer... Il devait faire quelque chose ! C'était comme ça que tout avait commencé pour lui. Mais il n'arrivait à rien, si ce n'était : ralentir Zytheor dans sa quête de pouvoir et conserver les secrets primordiaux bien enfouis...
Le paysage défilait rapidement sous eux, les îlots rocheux et les vallées laissant place à des étendues plus vastes où la lumière astrale filtrait toujours difficilement à travers les couches gravitationnelles. Certaines zones laissaient apercevoir quelques lumières artificielles, d'autres étaient éclairées par la faune et la flore environnante devenues bioluminescentes avec les rotations. Le vide abyssal quant à lui, noir comme la suie, semblait dévoré de plus en plus d'espace. C'était un spectacle à la fois angoissant et vertigineux.
Thael'vyr ajustait constamment son vol, utilisant sa crête énergétique pour capter les flux et naviguer avec précision. Les motifs complexes sur ses ailes semblaient danser avec la lumière qu'elle émettait : un spectacle fascinant qui contrastait avec l'hostilité du niveau un. Sethir sentait la connexion entre la créature et la planète ; une symbiose presque palpable. Leur vitesse - bien que réduite par la densité de l'air - leur permettait de couvrir une bonne distance. Cependant, il savait qu'ils ne tiendraient pas plus de trois pulsations avant que la fatigue ne force une halte. Il gardait difficilement un œil sur l'horizon, sombre et parfois saturé par les cendres, vigilant face aux prédateurs aériens ou aux courants traîtres.
Après une petite pause et quatre pulsations de vol (environ 4000 gravitons), Dralmar apparut à l'horizon. Le bidonville du Bas Travyar était une masse informe de bâtiments entassés les uns sur les autres, construits avec des matériaux de récupération et des technologies hybrides. De la fumée s'échappait des cheminées et des lumières artificielles clignotaient dans l'obscurité. C'était un lieu de peu de contraste, où la misère côtoyait la survie et où les secrets se vendaient au plus offrant.
Thael'vyr descendit en spirale, atterrissant avec une légèreté gracieuse sur un promontoire rocheux surplombant la ville. Sethir descendit de son dos, caressant une dernière fois les plumes irisées de la créature.
— Reste ici, dit-il. Je ne sais pas combien de temps cela prendra.
La Sylvaris inclina la tête, ses yeux brillant d'une lueur d'intelligence. Elle émit un son doux - qu'il avait appris à associer à un acquiescement - avant de se recroqueviller sur elle-même, ses ailes enveloppant son corps comme un manteau protecteur.
— Ne mange pas n'importe quoi.
Un reniflement suivit d'un claquement de bec, lui répondirent. Elle se redressa sur ses quatre pattes, fit faire une rotation à son corps et se recoucha dos à lui. De là où il se trouvait, il pouvait encore apercevoir les mouvements saccadés de ses minuscules oreilles arrondies, qu'elle avait aplati sur son crâne le long des ses cornes incurvées.
Haussant les épaules, Sethir se dirigea vers le centre de la « ville », resserrant son manteau autour de lui. L'air frais était chargé d'odeurs : de fumée, d'alcool, d'épices et de quelque chose de plus âcre auquel il refusait de penser. Les rues, elles, étaient bondées de Vahréniens - de tous horizons - se croisant dans un ballet chaotique. Des marchands proposaient des articles illicites ou des denrées alimentaires plus ou moins étranges, des individus douteux chuchotaient dans les coins et des gardes patrouillaient avec une indifférence feinte. Il savait qu'ici, il obtiendrait ce qu'il était venu chercher.
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Lexique
Unité de mesure sur Varhen ; 200 gravitons = 10km
Thael'vyr = Nom dans une langue ancienne de Nharos ; le Vaë'Liran, la langue des nomades des vents. Traduction littérale ; compagnon des vents.
Haut Travyar = Regroupe tout les îlots du quatrième et cinquième niveau gravitationnel, qui ne soit pas indexé à Lysorth. Il s'agit de Terres Sauvages, souvent inhabitables, dépourvues de gouvernement.
Pulsations = Heures.
Cycles = Siècles.
Rotations = Années.
La Sylvaris vole en moyenne à 50km/h, il leur a fallu 4 heures pour traverser la distance entre la machine détruite et Dralmar. 50 km/h × 4 h = 200 km. 1 Graviton (Gv) = 50 mètres. Ils ont donc parcourus 4000 gravitons.