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Var'ek Zhar'in – Jrivan – Zytheor – Niv 3
La lumière douce des cristaux de Vrith suspendus baignait la bibliothèque d'une lueur irisée - aux teintes bleutées, nacrées et ambrées - que les vitres de La Tour des Flux diffractaient en halos mouvants. Du haut du treizième étage - le plus élevé après les flèches du Palais - Var'ek surplombait Jrivan, la capitale vibrante de Zytheor.
À cette hauteur, la ville s'offrait comme une mosaïque d'îlots suspendus aux structures organiques et basses, rarement au-delà de cinq étages. Chaque bâtiment lévitait légèrement au-dessus du sol, soustrait aux secousses telluriques et aux caprices gravitationnels du troisième niveau. Entre ces masses flottantes serpentaient des passerelles végétales et des conduits translucides où circulaient les Tubes.
Il était tard. La troisième pulsation nocturne avançait lentement, mais l'agitation ne faiblissait pas. Dans le ciel, la brume résiduelle du jour s'était mêlée aux flux, formant de longues traînées luminescentes. Sur la terre ferme, le Festival de l'Éveil d'Onaril atteignait son apogée. Sur le vaste marché circulaire en contrebas, les trois anneaux d'étals étaient baignés de brumes florales et vibraient au rythme des pulsations rituelles. Des lanternes flottaient lentement, portées par les vents chargés d'ions. Il devinait les effluves d'encens, mêlés aux parfums d'éclosion des vrithlines, qui emplissaient sûrement l'air, saturant les sens. Var'ek observait, le regard happé par les flammèches d'énergie qui dansaient au-dessus des rues, traçant des arabesques lumineuses dans la nuit.
Il finit par se résoudre à s'écarter de la table chargée de documents anciens et s'approcha de la vitre incurvée. Son reflet fantomatique se superposait au spectacle en contrebas. Des processions serpentaient lentement à travers les allées : des silhouettes drapées dans des tissus irisés portant les lanternes d'Onaril, symboles de renouveau. Ici, on célébrait la nouvelle rotation, les alliances sacrées et les serments de l'aube nouvelle.
Mais lui n'avait guère le cœur aux festivités. Un éclat attira son regard. Les Enfants de la Tempête s'étaient rassemblés pour leur bénédiction rituelle. Ils levaient leurs mains vers le ciel, invoquant la transformation que seules les variations énergétiques pouvaient offrir, tandis que des feux d'artifices explosaient dans le ciel. Non loin, des adeptes de la Voie de l'Harmonie partageaient une table commune, échangeant pains épicés et promesses de paix.
Un soupir s'échappa de ses lèvres. Jrivan, dans toute sa splendeur, semblait à la fois proche et lointaine. Mais d'ici, dans la Tour des Flux, on ne percevait que l'écho feutré des festivités. Et demain, il quitterait cet espace protégé pour plonger dans les intrigues du Conseil...
Var'ek ferma un instant les yeux, laissant les vibrations du festival imprégner son esprit fatigué. Une pulsation diffuse, amplifiée par les flux de l'Eclosion, montait lentement du sol, résonnant dans les arches de la Tour comme une respiration ancestrale : c'était la signature vivante de Zytheor, un battement nourricier qui emplissait l'air. L'Éveil d'Onaril annonçait un nouveau cycle, et avec lui, certains tournants inéluctables.
Il était temps pour lui de reprendre ses lectures...
***
3ème pulsation croissante et 30 battements. Tous les jours et inlassablement, son réveil sonnait.
L'homme, aux cheveux mi-longs - blonds ambrés aux reflets cuivrés - étalés sur son oreiller, peinait à se réveiller. Ses longues jambes à la peau cuivrée en travers de sa couchette, sa main sur le front et la bave au menton : il semblait à l'agonie.
Ayant poursuivi ses recherches sur Lunaris et l'Accyum Pur jusqu'à la 12ème pulsation nocturne, ne lui laissant que 3 pulsations et 30 battements de sommeil : la journée allait être particulièrement longue.
Pour autant, la force de l'habitude et la rigueur d'une personnalité rigide, le poussèrent à se redresser. À son mouvement, la petite pièce où il dormait s'anima lentement. Des capteurs de présence déclenchèrent une lumière orangée qui s'éleva par paliers discrets du sol au plafond, caressant les parois d'un éclat tamisé. Tandis qu'un pan du mur s'illumina d'une interface translucide. Sa maxime du jour y clignotait doucement, comme si elle hésitait à troubler son réveil : « Organiser son esprit, c'est cultiver la paix ».
Un soupir lui échappa. Toute sa vie était compartiment : horaires, protocoles, silences. L'adage avait, sans surprise, une résonance morne et exacte. Il ne jeta aucun regard aux prévisions climatiques de cette matinée : une légère brume devait déjà recouvrir les hauteurs de la ville. Et l'humidité croissante, typique de la saison, devait s'infiltrer - comme toujours - jusque dans les structures les plus hautes. Il ne pourrait pas mettre le nez dehors de toute façon.
Se frottant les paupières, il s'extirpa de son cocon : un module de couchage rétractable sans fioritures, dont la mousse adaptative avait perdu une partie de sa souplesse depuis longtemps. Le siège du Conseil n'aurait lieu qu'après la collation. Il avait encore un peu de répit. Ça s'annonçait relativement complexe, il aurait préféré ne pas avoir à y penser. « S'inquiéter avant l'heure, c'est souffrir une fois de trop » : la maxime d'il y avait trois jours aurait mieux convenu.
La routine... La routine c'était rassurante, facile... Un peu de courage !
Il traversa les deux pas qui séparaient l'alcôve de sommeil du sas d'hygiène intégré, en retrait dans l'angle de sa petite chambre. Ce modèle, des plus standards, ne proposait ni ondes régénérantes, ni diffusion de plasmons énergétiques et encore moins de brume parfumée. Juste une fine douche ionique. Assez pour ne pas se plaindre. Insuffisant pour s'y attarder.
Il franchit le seuil, et le rideau translucide glissa dans un sifflement mécanique un peu fatigué. Une lumière pâle clignota brièvement avant de stabiliser son éclat blafard. Le flux d'air démarra avec un souffle rauque, plus proche d'un courant d'aération défaillant que de la technologie de pointe qu'il aurait pu espérer. Des ondes énergétiques de faible intensité parcoururent sa peau, provoquant un léger picotement sur les zones les plus sensibles. L'air balayait mollement la sueur et les résidus d'une nuit trop courte, et lui, laissa son esprit vagabonder : Lunaris, l'Accyum Pur, le Conseil... Son quotidien était devenu une mosaïque d'obligations. Pas une pulsation sans que l'ombre du devoir ne vienne s'infiltrer dans ses pensées.
Un grésillement le ramena au présent : le signal que le cycle était terminé. Il haussa les épaules en sortant du sas, ses cheveux encore légèrement électriques sous l'effet du nettoyage. Il ne pouvait pas se permettre de demander mieux ; un serviteur n'aurait pas mieux, même un tel que lui.
Sa tenue officielle l'attendait, savamment pliée sur le fauteuil en feuilles séchées et vernies - du plus bel effet - qui faisait face à sa couchette. Il enfila sa tunique à col montant, longue et ajustée, faite d'un tissu fluide mais structuré, qui épousait son corps sans entraver ses mouvements. De couleur grise cendrée, elle était ornée de broderies argentées discrètes aux poignets et au col : motifs géométriques évoquant son appartenance au système bureaucratique de Zytheor, mais également marquage de sa soumission. Un haut placé issu de la noblesse ou du peuple, se verrait habillé de ses broderies, sur le cœur et dans le dos.
Ce vêtement s'accompagnait d'une ceinture minimaliste, fine et en cuir sombre, qui lui serrait la taille, renforçant l'aspect structuré de son apparence. Elle servait autant d'élément décoratif que de support utilitaire où il pouvait accrocher : une petite pochette contenant des documents, son stylus multifonction et tout autre petit outil qu'il jugerait utile.
Dessous on retrouvait un pantalon droit et souple, conçu dans un textile technique, gris lui aussi. La coupe restait impeccable en toute circonstance.
Venaient ensuite les bottes mi-hautes en cuir noir, rappel discret de la ceinture. Elles étaient à la fois pratiques et élégantes, adaptées aux longues heures debout ou aux déplacements discrets. Leur design était épuré, sans ornement superflu.
Son regard se posa ensuite sur le petit chevet à côté du lit : un lien de cuir et une petite boîte l'y attendaient, rangés avec le soin d'un rituel quotidien. Dans un soupir, il rassembla ses ondulations épaisses en une queue basse sur la nuque, dévoilant au passage le tracé légèrement effilé de la pointe de ses oreilles. Puis, il apposa sur chacun de ses globes oculaires une fine pellicule transparente au centre sombre exagérément grand. Il devait les porter depuis son plus jeune âge, pour se rendre " plus accommodant à ses interlocuteurs ". Cet homme avait de très jolies iris lilas, mais le problème était ailleurs. C'était d'ailleurs la raison de la transparence des lentilles, qui n'étaient normalement pas autorisées à moins de présenter une incapacité. Non, Var'ek était contraint de dissimuler « sa difformité ». Il était né avec deux pupilles dans chaque œil. Deux pupilles, qui, non contentes d'être une aberration à elles seules, s'avéraient être mobiles.
Ceux qui l'avaient recueilli, avaient longtemps cherché à connaître l'origine de cette bizarrerie. Puis, les mois et les rotations avaient passé et Var'ek ne développa aucune autre étrangeté. Pour autant ses camarades - et les adultes qui l'entouraient - avaient continué de se sentir mal à l'aise. Alors, un jour, on lui avait imposé ces ridicules petites choses qu'il devrait porter en toutes circonstances. Aujourd'hui : il était presque certain que tous avaient oublié son véritable regard et qu'il était devenu son seul secret, l'unique petite chose qui lui appartenait vraiment...
Chassant ses idées noires, il attrapa son insigne gravé du symbole représentant son statut au sein de l'administration et du nom de son garant. Un haut fonctionnaire qui l'avait pris sous son aile à la fin de sa formation (dont il était sorti second).
Alors qu'il quittait le confort spartiate de son petit logement, la porte se referma derrière lui avec un souffle discret. Le couloir qui s'ouvrait devant lui appartenait à un autre monde. Ici, plus aucun compromis : les parois, miroitantes et nervurées de vrith purifié, pulsaient doucement au rythme des Flux de la Tour. La lumière, filtrée par des panneaux de diffraction suspendus au plafond, projetait des reflets mobiles aux teintes ambrées et bleutées sur le sol poli.
À intervalles réguliers, des niches murales laissaient éclore de fines vrithlines - maintenues en lévitation dans des matrices d'énergie subtile - dispensaient une fraîcheur florale à peine perceptible. L'air lui-même semblait plus dense et emprunt de solennité. Tandis que chacun de ses pas résonnait légèrement, absorbé par des matériaux souples et insonorisés, pensés pour ne jamais troubler le silence sacré du lieu.
Il croisa d'autres silhouettes, toutes pressées, toutes vêtues de tuniques sobres mais élégantes, lissées par la fonction. Personne ne parlait. Chacun semblait absorbé par l'invisible réseau d'obligations qui animait la Tour. Lui se contentait de suivre les lignes discrètes tracées au sol, des filaments lumineux encastrés dans la pierre qui guidaient vers les différentes sections.
Devant les portes incurvées de l'ascenseur, il s'arrêta un instant. Le métal clair - orné de motifs vrithésiens à peine perceptibles - pulsa à son approche. L'appareil cylindrique s'ouvrit dans un souffle mécanique et la voix nasillarde de Thar'vel Lun'zarith - un serviteur plus âgé, commis aux cuisines - vint troubler davantage son humeur :
— Zar'vash'in ou plutôt Khar'vel Va'lun qui peine vraisemblablement à trouver la lumière.
— Suffit Vash'threk !
Il bénit intérieurement les Flux que son rang lui ait accordé quelques prérogatives. Dans un autre contexte, il aurait pu faire expulser cet imbécile hors de la Tour, avec perte de statut et mémoire effacée... L'énergie lui manquait pour les représailles.
Las mais déterminé, il poursuivit et l'autre sortit sans un mot. Il monta ensuite tout en haut de La Tour, jusqu'à l'entrée de la Suprême : la plus vaste bibliothèque du monde connue et sans doute la plus luxueuse. Un long couloir - identique aux autres - le mena à son entrée et lorsque son badge fut apposé sur le cadran d'identification, un frisson imperceptible courut sur les lignes murales, discret signe d'appartenance aux lois de la résonance énergétique.
Les portes de la Suprême ne s'ouvrirent pas. Elles s'évasèrent. Deux battants monumentaux, taillés dans un alliage translucide mêlant verre et métal, formaient un arc en spirale, comme des ailes sur le point de s'ouvrir. La surface - ni lisse ni brute, mais striée de filaments de Vrith coulant sous la matière - captait la lumière ambiante pour la renvoyer en ondulations pigmentées douces et hypnotiques, évoquant les vitraux d'un temple.
L'ouverture était lente, presque cérémonieuse. Un rituel dont il ne s'était jamais lassé. Dans ces longues oscillations, Zytheor se dévoilait tout entier : puissance sans brutalité, prestige sans trop d'ostentation. Tout y était codifié : le luxe passait par l'harmonie, la technologie par la discrétion et l'autorité par l'équilibre énergétique.
Il avança sans prêter attention à ses pas, son esprit absorbé par le sujet de la veille et du jour : Lunaris et l'Accyum Pur, la plus grande découverte des deux derniers siècles. Le Conseil des Flux devait se réunir dans quelques pulsations à peine, pour décider de la meilleure stratégie - ou plutôt, de la décision la moins frontale - pour ne pas contrarier Le Grand Dirigeant : Zar'thar Va'lun, dont l'obsession du monopole sur cette ressource transcendait toute prudence politique.
Sept des neuf seront là, dont Le Gardien du Cœur, qui n'omettra aucune question. Un mal de tête lancinant commençait déjà à s'installer, alors qu'il n'avait pas encore choisi les ouvrages qu'il allait éplucher les cinq prochaines pulsations. Oui, sa journée promettait d'être longue.
« Organiser son esprit, c'est cultiver la paix ». Il allait devoir éprouver cet adage très concrètement.
La Suprême s'étendait sur les trois derniers étages de la Tour des Flux, un espace monumental, entièrement ouvert sur plus de vingt mètres de hauteur, culminant sous une coupole de verre, elle aussi, unique au monde. Ce niveau, entièrement vitré, était une merveille architecturale et technologique. C'était le cœur intellectuel de Zytheor, un endroit où se concentraient les secrets les plus anciens et les plus précieux de Varhen. Son lieu favori entre tous.
Toute la structure était circulaire, suivant la forme arrondie du bâtiment. Les parois filtraient la lumière irisée des soleils, adoucie en cette saison par les vapeurs atmosphériques et les cristaux en floraison. En ce moment précis, une teinte rosée baignait les lieux, subtilement modulée par les flux ambiants. La technologie incorporée au verre, elle, empêchait toute altération des ouvrages précieux et l'éblouissement des lecteurs. Tandis que tout autour, des claustras suspendus, ajourés, en fibres claires, translucides et flottant à mi-hauteur, dessinaient des ombres mouvantes.
Au centre exact de la structure, s'élevait une colonne de pierre claire, à la fois sobre et imposante, conçue comme un autel. C'est là que reposaient, en suspension, quelques-uns des manuscrits les plus anciens de Varhen, remontant à l'époque de Nharos. Maintenus à distance les uns des autres et protégés par des cloisons de verre adaptatif, ils flottaient dans un équilibre fragile entre préservation et exposition. Peu étaient encore capables d'en lire ne serait-ce qu'un fragment (ceux-là se comptaient sur les doigts d'une seule main).
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Lexique
La Seconde = oscillation. La Minute = 60 oscillations, nommée battements. L'Heure : 60 battements, nommée pulsations. La Journée : 30 heures/pulsations.
Une journée sur Varhen se découpe ainsi ; trois pulsations croissantes, douze diurnes, trois décroissantes et douze nocturnes.
Nouvelle rotation = Nouvelle année.
Accyum Pur = Minerai rare ; Amplificateur énergétique + Propriétés magnétiques extrêmes + Réaction à l'Inhérence.
Zar'vash'in = Titre honorifique de Var'ek ; « Celui qui parle pour les Flux ».
Khar'vel Va'lun = Sobriquet mi respectueux, mi moqueur de Var'ek ; « L'ombre privilégiée qui guide la lumière » ; ombre pour son statut de serviteur et privilégié par qu'il a sa place auprès du conseil et qu'il ne connait rien de la véritable servitude.
Vash'threk = Insulte équivalente à lâche ; « Parole fuyante ».
Avant le Grand Renversement, sera toujours noté A.G.R dans les notes.