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Vous trouverez un lexique en fin de chapitre.
Var'ekZhar'in – Jrivan – Zytheor – Niv 3
Var'ek attendait que son garant lui apporte une réponse satisfaisante et Tharv'el, dans son hésitation, sembla prendre une décision.
— Il y a des questions qu'il est parfois préférable de ne pas poser mais si vous insistez.
Il prit le parti de ne pas répondre de nouveau. Avait-il le moindre choix ? D'un soupir et d'une main passée dans ses cheveux, son garant abdiqua.
— Très bien. Sachez que je n'ai jamais obtenu cette information vous concernant. Je ne pourrais donc pas vous en dire davantage. Les puissants de ce monde enlèvent des bébés sur Lunaris avec la complicité de la Matriarche Lunarae Thar'vash.
Il sentit distinctement le poids de ces mots s'abattre sur son cœur. Ses poumons se serrèrent un instant, une lourdeur s'installant dans son ventre, comme si une masse invisible s'était déposée sur lui et l'écrasait lentement. On enlevait des nourrissons ?
— Pourquoi ? Les abandons ne suffisent-ils pas à remplir les rangs des serviteurs comme moi ? Quelles informations avez-vous cherchées ?
— Il n'y a aucun moyen de dire quel enfant a été pris et quel enfant a été abandonné. Les rangs des serviteurs - en fonction du bienfaiteur - sont effectivement rapidement remplis. Mais il reste : les casernes, la fonction publique, ceux qui servent de boucs émissaires, et les autres... Il en a toujours été ainsi depuis que la richesse a repris ses droits sur Varhen, peut-être même avant.
— Nous ne sommes même plus en guerre !
— Ne vous y trompez pas jeune homme, la guerre n'est jamais loin, vos recherches actuelles le prouvent.
— Donc, vous me suggérez de laisser entendre que Lunarae Thar'vash pourrait révéler une seconde bombe, pour dissuader les pays voisins, dont Zytheor, d'investir sa terre ?
— Si c'est elle qui le fait, elle pourra aisément nier toute implication. Cette femme est adulée à travers le monde et tous les dirigeants le savent parfaitement. Rappeler les risques c'est ton travail. Et c'est le seul levier en ma possession qui puisse t'aider un tant soit peu.
— Une révélation pareille aurait le même effet que la profanation des terres de Lunaris ; la Guerre. Cette fois, ce sont les peuples qui se soulèveront d'eux-mêmes... avec rage et détermination. Mais si le secret est maintenu dans les hautes sphères, il tiendra à distance pendant quelques temps tous les gouvernements qui convoitent l'Accyum Pur...
Il tenait le coup pour l'instant. Il se redressa imperceptiblement, les doigts serrés sur la table, comme pour s'ancrer à une réalité qu'il ne parvenait pas à saisir. Un doute furtif passa dans son esprit, éphémère comme un mirage, avant de se dissiper. Ainsi, peut-être n'avait-il pas été abandonné ? Peut-être aurait-il pu prétendre à une autre vie ? L'homme à la peau foncée par les soleils, le regardait avec insistance, un pli incertain ourlant ses lèvres.
— Je m'attendais à ce que cette information vous ébranle davantage mon petit.
— Je compartimente pour garder l'esprit clair, mais vous avez raison cette information va m'ébranler. Assurément...
La maxime du jour faisait finalement sens. Il se leva d'un coup, ses mains se fermant et se dépliant avec nervosité, comme si un besoin irrésistible de fuir ses pensées venait de l'envahir. Son statut ne l'autorisait pas à faire une esclandre, même avec son garant qui lui témoignait une affection sincère. Son statut lui imposait des obligations qui ne sauraient attendre. Et son éthique lui imposait de faire quelque chose. S'appesantir sur sa découverte ne le mènerait nulle part... Un frisson d'angoisse traversa sa nuque mais il ravala la vague de panique qui montait en lui. Son regard se durcit en une résolution cachée derrière la nervosité de ses gestes.
— Je vous remercie, Thar'vel Lun'esh, pour votre déplacement et votre honnêteté.
— J'accepte vos remerciements pour le déplacement, mais ne me flattez pas pour ma lâcheté, j'aurais dû vous le dire il y a des rotations.
Le regard de Tharv'el se brouilla un instant, ses yeux fuyant légèrement avant qu'il ne se ressaisisse... Il l'aurait bien questionner davantage, mais le temps était compté.
— Ne vous accablez pas, ça n'aurait rien changé.
— Je vais m'accabler Var'ek Zhariel et avec toute l'affection que j'ai pour vous... acceptez rapidement que cette information va vous changer, car il ne peut en être autrement.
La pulsation pour la collation sonna ; il ne lui restait que 45 battements avant que le Conseil ne se réunisse.
— Je ne vous en voudrais jamais d'avoir voulu m'épargner l'incertitude et la blessure d'une potentielle trahison.
Son interlocuteur ferma les yeux un instant, hésitant à nouveau. Secouant la tête, il releva les yeux vers Var'ek et recula d'un pas ;
— C'est pour ça que je vous apprécie mon jeune ami : vous êtes trop bon pour ce monde. Bon courage et n'hésitez pas à me contacter, même s'il ne s'agit que d'états d'âme ou de chagrin d'amour.
Une étrange sensation se noua dans sa gorge, comme un goût acre qu'il n'arrivait pas à effacer de sa langue. Il n'avait jamais remarqué une telle tension dans la voix de Tharv'el. Il ne saurait dire pourquoi, mais il eut la sensation très marquée que cette dernière phrase sonnait particulièrement faux... Il devait se faire des idées, l'homme avait toujours été présent pour lui depuis son arrivé à Jrivan.
— Passez une bonne journée Thar'vel Lun'esh.
— Zhal'theris en'dorath mon petit.
Il regarda son garant quitter les lieux tandis que son cœur suivait un rythme erratique. Lui aussi devait avoir les pupilles dilatées sous ses lentilles. Il transpirait et sa respiration était un peu plus rapide que d'ordinaire. Un œil averti s'en rendrait compte mais il était très doué pour dissimuler son tumulte interne.
Il n'avait pas le temps de s'apitoyer sur un sort qui avait déjà eu lieu (30 ans plus tôt) et dont il ignorait tout. Pas pour le moment tout du moins. L'heure était au Conseil des Flux et aux réponses qu'il apporterait aux sept conseillers présents ce jour. Mais avant ça, il devait urgemment entrer en communication avec La Matriarche de Lunaris. La difficulté ? Il ne fallait pas qu'il laisse la moindre trace de cet échange.
Lunaris se trouvait à 5 pulsations en transport terrestre et plus de 4 pulsation en Xorr'Mekh, mais il lui faudrait une autorisation pour utiliser l'un de ceux à la disposition de La Tour. C'était surtout injouable en si peu de temps ! Les tubes seraient également trop lents et il n'avait aucun moyen de s'assurer qu'elle lise un message écrit rapidement. Non, il allait devoir la contacter via Étherlink, mais il lui en faudrait un qui ne soit pas le sien.
Ramassant tous ses papiers et son pad, il récupéra son dispositif de stockage et quitta à grandes enjambées la bibliothèque, puis retourna dans son appartement aussi discrètement que possible. Il devait se changer et rejoindre La Fosse. Bénissez les Flux, il connaissait bien cet endroit mal famé : y ayant passé une bonne partie de son temps plus jeune pour fuir ses devoirs et ses instructeurs.
Drapé sous une longue tunique marron à capuche, toujours décorée au niveau du col et des poignets, il quitta La Tour, la tête baissée. Il ne prendrait pas la peine d'observer les alentours qu'il connaissait par cœur. Ne s'arrêterait pas pour regarder la végétation lézarder sur les murs des habitations en pierres blanches. Ou pour commenter en son for intérieur les artifices que portaient les habitants de Jrivan qui flânaient sur la première circonférence du marché.
La saison chaude battait son plein et la 3ème pulsation diurne avançait. Dans le ciel, d'un bleu profond traversé de stries blanchâtres, les deux soleils, Liora et Kael, dominaient l'horizon. Liora, le plus brillant, irradiait d'une lumière éclatante alors qu'il atteignait son zénith, tandis que Kael, plus pâle et discret, suivait de près. Leur alignement projetait des ombres doubles et mouvantes sur le sol pavé de Jrivan, des formes dansantes qui se déformaient au gré des vents.
Une brise tiède glissait à travers les rues, charriant l'arôme des herbes aromatiques cultivées dans les plaines environnantes et les jardins flottants. Sous la lumière diffuse, les Vesh'ralen, ces majestueux arbres-tours, orientaient lentement leurs feuilles en disques vers les astres pour capter l'énergie solaire. Leurs ombres complexes dessinaient sur les places, des motifs en spirales, oscillant doucement sous l'effet des courants énergétiques.
À cette heure de la journée, la chaleur modérée caressait la pierre tiède. Les habitants, vêtus de toiles légères imprégnées de sels ignifuges et arborant des lunettes de soleil, se protégeaient de la luminosité ambiante. D'ordinaire, il aurait savouré la collation de milieu de journée à l'abri des Vesh'ralen, ses lunettes sur le nez, bercé par le chant lointain des Vol'rahn, les oiseaux-lunes, qui revenaient en cette nouvelle rotation. Mais pas aujourd'hui.
Avançant toujours, il passa la seconde circonférence du marché, puis finit par atteindre la dernière, sous laquelle se trouvaient des trappes censées donner sur les égouts de la ville (comme toutes les autres). Mais qui menaient plutôt à des bas-fonds qui permettaient à des commerces illégaux de s'implanter dans des galeries et de grandes salles en dôme. Un lieu de marchandages frauduleux, dans lequel il gardait le souvenir d'ateliers clandestins où des artisans peu scrupuleux assemblaient des appareils illégaux à partir de pièces volées ou recyclées. Ses explorations d'enfant allaient peut-être sauver temporairement cette paix fragile encore en place.
Toujours à grandes enjambées, il déambula dans les allées, ne s'adressant à personne et guettant la moindre étincelle, le moindre bruit de soudure dans le brouhaha ambiant. Il avait peu de temps et il ne devait pas tomber sur une patrouille. Il n'avait déjà rien à faire ici enfant, alors adulte, toutes ses économies dans la poche, l'idée était franchement ridicule. Cette journée n'en finissait plus de l'ensevelir sous son stress...
A l'angle d'un croisement, le bruit significatif recherché parvint à ses oreilles. Soulagé, il s'approcha et observa deux hommes édentés, assez imposants, rire à gorges déployées d'une plaisanterie graveleuse. Ils étaient entourés de morceaux métalliques et plastiques, d'appareils grossiers et plus ou moins imposants, dans un capharnaüm qui lui donnait le tournis.
— Zhal'theris en'korath, vel'ryn.
— Pas de ça ici mon gars, le Travyar s'invite dans ta ville. Dans la Fosse, tu lèves la main paume ouverte et t'attends en silence qu'on considère ta présence. Lui répondit l'un des lascars en Algue commune.
Il s'exécuta, piqué mais pressé.
***
Lexique
Lunarae Thar'vash : Codirigeante de Lunaris.
45 battements : 45 minutes.
Zhal'theris en'dorath : « Que la lumière guide vos pas » en Zar'vash. Formule de politesse pour clôturer un échange.
Lunaris incarne à la fois un mythe et une contradiction : dernier bastion supposé de pureté, lieu d'origine de l'Accyum Pur et refuge mystique pour ceux qui veulent préserver la vie. C'est l'endroit où maximiser les chances d'une naissance viable. Mais derrière l'image sacrée, la corruption s'y est infiltré. L'idée s'inspire de Human Project dans Children of Men.
Xorr'Mekh : Transporteur aérien individuel.
La Fosse : S'inspire de Flea Bottom / Culpucier, un bas-fond où se trament des complots dans « Game of Thrones » de G.R.R. Martin.
Nouvelle rotation : Nouvelle année.
Zhal'theris en'korath, vel'ryn : « Que la lumière de la prospérité brille sur votre entreprise, honorable vendeur » ; formule de politesse en Zar'vash.
Travyar : Terres sauvages dépourvues de gouvernement présentent sur les basses couches gravitationnelles et les plus hautes de Varhen.