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Nyssa Erelith – Le Sanctuaire – Lunaris – Niv 3

Un sourire narquois ourla les lèvres de l'homme qui la regardait avec un tendre amusement. Apparemment, il avait noté qu'elle préférait ne pas aborder le sujet de son ascendance et la réponse à sa question était manifestement particulièrement amusante.

— Vous êtes assise dessus, saï.

Il se payait sa tête, n'est-ce pas ? Toute cette morale, l'Accyum Pur et le grand-père, étaient une vaste plaisanterie, ça ne pouvait être que ça !

— Pour être plus précis, nous sommes tous les trois dedans et accessoirement assis dessus.

Elle resta coite, les paumes ouvertes sur la pierre noire aux fissures argentées sous ses fesses.

Comment avait-elle pu ne pas y penser plus tôt ?

— Comment peut-il être façonné ainsi ? Demanda-t-elle distraitement.

— Nous ignorons ses origines. Lunaris a été bâtie sur cet îlot pour maintenir son existence cachée et accessoirement protéger l'équilibre déjà fragile sur Varhen. Nous imaginons que cette infrastructure souterraine existait du temps de Nharos et que l'énergie du minerai a permis une forme d'autoprotection... lors de la fracture de la croûte terrestre.

La Matriarche reprit la parole avec agacement ;

— Il existe sur cette île sous une forme plus brute qu'on trouve dans certaines grottes de notre forêt ou sur les flancs de l'îlot. Un imbécile a rapporté une jolie pierre sur Volkyn. Des espions ont récupéré les informations du laboratoire et leurs échos ont fait le tour de Varhen. C'en est assez du fait divers ! Comprenez-vous ce que cela signifie... d'être la petite-fille du Khel'ra de Lunaris ?!

Elle aussi commençait à gentiment se crisper. Elle ne voulait ni y croire, ni en parler.

— Pas grand-chose, je suppose ? Si tel était le cas, j'aurais eu vent de cette ascendance bien plus tôt ?

— Quel manque de respect ! Tu n'aurais pas dû lui dire, ni l'amener ici. Elle ne va t'attirer que des problèmes !

— Za-linna, sa réaction est naturelle et elle ne connaît pas nos lois.

— Très bien ! Les codirigeants n'ont pas le droit d'enfanter. Nous transmettons notre savoir et nos pouvoirs à des apprentis auxquels nous devons exclusivement nous consacrer, de leur sélection à notre mort. Votre père n'a pas connu son père. Elle se tourna vers son ami et ajouta : je te l'avais pourtant dit qu'une amourette ne valait pas tant de complications !

— Et tu n'es pas sans savoir que je ne l'ai jamais regretté.

— Ça pour le savoir ! Combien d'espion as-tu envoyé après cette femme, ton morveux, puis sa dame et cette enfant ?

Le Patriarche arbora un sourire discret mais très doux, remerciement silencieux envers la femme qui - malgré son déplaisir - laissait entendre qu'elle avait toujours eu de l'importance pour lui.

— Tu ne pourras jamais comprendre, mais je te remercie de tout ce que tu as fait jusqu'ici pour moi et mon besoin de conserver un lien avec mes descendants.

— Tsss.

Ils parlaient comme si elle n'était pas là, tandis qu'elle fixait avec insistance l'homme qui prétendait partager le sang de son père. Elle restait imperméable à l'information, elle était comme ça depuis des rotations. C'était un peu comme si son organisme n'était plus en capacité de ressentir autre chose que de l'agacement, de la frustration ou de la colère et accessoirement de la culpabilité. Étonnement, elle ne ressentait rien de tout ça, rien du tout en fait. Elle avait la désagréable impression d'avoir été assommée et d'en ressentir le contrecoup. Mais à voir l'espoir teinté l'expression du vieux monsieur - qui lui paraissait d'un coup moins imposant et moins solide - elle était bien la seule à être confrontée à un tel vide intérieur.

Comment était-elle supposée réagir ?

— Je n'ai pas connu mon père, alors...

Un regard de la vieille femme la fit taire. Visiblement, l'idée de mettre cette information sous le tapis n'était pas au menu du jour. C'était bien sa veine ! Elle n'avait rien fait de bon depuis son arrivée, perdue plusieurs jours à errer et s'était épuisée alors qu'elle aurait pu tout expédié en 30 pulsations. Et elle se retrouvait là, avec un grand-père qui voulait nouer des liens, sa " meilleure amie " tout crocs dehors en guise de garde-fou. On ne pouvait faire plus merveilleux...

— Ignore-là, tiens.

Elle ouvrit la paume et il déposa sur sa peau un petit morceau de pierre. Son poids la pris par surprise compte tenu de sa taille. Il était dense, lourd et son contact était électrisant. Elle ne s'attendait pas du tout à ça. Elle se sentit instantanément moins fatiguée et perçut que sa physionomie se stabilisait. En une fraction d'oscillation, elle était de nouveau fringante et sa peau la picotait agréablement, comme si un trop plein d'énergie s'exprimait.

— Incroyable pas vrai ?

— La Lame avait raison, ça vaar l'Inhérence.

— Et pas que Nyssa, tu n'es pas la manieuse que tu penses être.

— Vous l'avez sous-entendu plus tôt oui.

— Sais-tu d'où vient l'Inhérence ?

— Du noyau de Varhen et du Cœur de Nharos sous Jrivan ?

— Non, la planète est bien porteuse de cette magie au sens physique du terme et le Cœur la fait circuler c'est vrai. Mais l'Inhérence est partout dans l'Univers. Seulement, elle n'est qu'une part d'un tout bien plus grand ; La Trame.

Voilà qu'il divaguait maintenant...

— Je vois ton air dubitatif, mais La Trame était la forme de magie la plus complète de Nharos. Elle n'était maîtrisée pleinement que par un peuple très ancien qui a disparu lors du Grand Renversement. A cette époque, les manieurs pouvaient manipuler un ou plusieurs aspects de cette Trame avec plus ou moins de réussite, comme c'est le cas aujourd'hui. L'Inhérence reste la mieux préservée depuis le cataclysme, elle est la magie de l'âme, de l'esprit et de la transformation. Celle qui est propre à l'essence même de chacun d'entre nous. Elle nous est rattachée, n'est pas extérieure. C'est certainement ce qui a permis sa sauvegarde... Les autres configurations se sont perdues dans l'oubli, et ceux qui en conservent les vestiges ou les pleins potentiels, les confondent avec ce qu'ils appellent « les dérives de l'Inhérence ». Qui n'existent pas, bien entendu.

— Et quelles sont ces autres formes de magie qui composeraient cette Trame ? Demanda-t-elle - on ne pouvait plus - dubitative.

— Pour faire simple. En plus de l'Inhérence, il y a ; l'Intimation, l'Emprise, l'Accord, l'Empreinte, l'Éther, l'Ombre, et l'Infusion. Chacune d'entre elles appartient à un tout ; la Trame. Elles incarnent respectivement un aspect de la magie de notre univers ; le Verbe, la Chair, les Liens, le Temps, les Flux, les Ruptures et la Création.

Bon, c'était un peu trop précis pour avoir été inventé à l'instant. Et la dévotion dans sa voix laissait entendre qu'il y croyait vraiment. En revanche, ça ne l'aidait pas à comprendre quoi que ce soit. Elle s'éloignait de sa mission principale, battement après battement, mais c'était trop lui demander que d'ignorer ce genre d'information.

— Huit aspects donc.

— Pour huit cycles lunaires oui.

— Très bien... lesquels serais-je en mesure de manier et pourquoi ?

Il ne répondit rien, mais son visage s'effaça. Pas à la manière du Voile, non : il ne fut remplacé par ... rien. Une vision d'horreur si vous vouliez son avis. L'instant d'après, c'était leur environnement qui se teinta d'obscurité, pour ne plus rendre quoi que ce soit de perceptible. Et en une fraction de seconde, tout était redevenu normal, enfin ... Qu'est-ce qu'elle faisait ici ? Qui étaient ces gens ?

— Excus...

Et tout lui revint à l'esprit. C'était... renversant de possibilités et de dangerosité.

— Parce que je suis un manieur de l'Ombre, tu en es une aussi. Certainement à minima, mais une tout de même. Pour ma part, je ne manie pas du tout l'Inhérence, alors qui sait ?

— Vous pensez que c'est héréditaire ?

— Je n'en ai pas la preuve. Mais je sens une résonance entre nos énergies. Mon aptitude vibre au contact de la tienne. J'ai rencontré nombre de manieurs au cours de ma vie et je n'ai ressenti cette sensation qu'au contact de l'Ombre.

Voilà qui mettait les choses au clair. Sa paume se referma sur la pierre, elle en avait presque oublié son existence. Quelle étrange journée que celle-ci. Qu'allait-elle faire maintenant ?

La Matriarche, qui avait perçu son désarroi, se dérida quelque peu et prit de nouveau la parole alors qu'elle s'était mise en retrait pour leur donner de l'espace.

— Vous avez raté les rituels de salutations, mais vous allez pouvoir prendre le temps de réfléchir pendant que nous procédons au rituel de la mi-journée, veuillez nous suivre s'il vous plaît.

Elle ne prit pas la peine de vérifier s'ils la suivaient. Un petit rire de gorge prit Nyssa par surprise, tandis que son soi-disant grand-père l'aidait à se relever.

— On devrait la suivre, elle est très à cheval sur ses horaires et craint que tout ne s'effondre si elle ne procède pas à chaque rituel selon les processus établis depuis des cycles.

— J'ai hâte de voir ça.

Et pour une fois, elle disait vrai. Les rituels sacrés de Lunaris étaient perçus et entendus, mais jamais effectués devant des témoins extérieurs. Secrets farouchement gardés - elle savait pourquoi désormais - c'était un véritable honneur que d'y assister. Elle se sentait privilégiée, là, à marcher calmement aux côtés du Patriarche, pour rejoindre la codirigeante du Sanctuaire et leurs apprentis.

***

Lexique :

Za-linna : Traduit de l'Algue commune ; « ma chère amie »

Vaar : Tiré du Nhaïrn, la langue ancestrale de Nharos. P.G.R le préfixe Vaar est interprété comme lié à la stabilité, à l'énergie ou à la force. Vaar signifie une augmentation, un renforcement ou une intensification, en lien avec l'idée d'énergie ou de puissance. Equivalent à boost en anglais.

L'idée d'une Trame magique que les Tisseurs peuvent manipuler s'inspire de la magie du « Disque-monde » de Terry Pratchett, où les mages doivent équilibrer les forces cosmiques.

Cycles : Siècles.