PDV Nina
Je suis restée un long moment figée devant cette fenêtre brisée, les jumelles serrées entre mes doigts tremblants. Mes yeux n’arrivaient pas à se détacher de la forêt dense, pourtant vide en apparence. Le vent faisait bruisser les feuilles, emportant avec lui un silence pesant. Mais moi, j’entendais encore sa voix.
« Si quelqu’un doit te tuer, j’espère que ce sera moi. »
Cassian. Ses mots tournaient en boucle dans ma tête, acides, froids, presque tendres… à leur manière. Dans ce cauchemar sanglant, c’était peut-être sa manière à lui de dire qu’il m’aimait encore. Ou que plus rien ne comptait. Je ne savais pas ce qui était le plus terrifiant.
Il était reparti, sans se retourner, comme une ombre. Comme s’il n’était jamais vraiment revenu. Il m’avait laissé avec cette promesse étrange, cet avertissement déguisé. Et avec les cadavres autour de moi.
Maëlys.
Je rangeai les jumelles dans mon sac, puis mes doigts effleurèrent l’arc qu’elle avait dans les mains quelques instants plus tôt. Ironie douloureuse. À ses côtés, les quelques flèches restantes semblaient dérisoires. Mais je les pris quand même. Il fallait bien une arme. Il fallait bien survivre.
Je descendis lentement les escaliers, jetant un dernier regard à la pièce. Le sang sur le sol avait commencé à sécher. L’odeur métallique flottait encore dans l’air. Chaque recoin semblait murmurer des souvenirs trop récents. Le corps sans vie de Maëlys me fit un haut le cœur. Je fermai les yeux un instant. Je n’étais pas sûre de pouvoir effacer ce regard vide qu’elle avait eu en tombant.
Je quittai la maison sans un bruit.
L’air frais me saisit d’un coup, glacial. Il n’était pas simplement froid — il était lourd, chargé de tension. L’île semblait retenir son souffle. Le ciel, gris et menaçant, laissait filtrer une lumière blafarde à travers les arbres décharnés. Chaque branche semblait me scruter. J’avais l’étrange impression que la forêt elle-même me jugeait, m’accusait. Comme si elle savait ce que j’avais vu, ce que j’avais vécu.
Je me mis à marcher, lentement, sur le sentier de terre humide, les bottes s’enfonçant légèrement dans la boue. Je n’avais pas de destination. Je fixais la carte sans savoir où aller. Tous les lieux indiqués me semblaient dangereux… Trop visibles. S’ils sont notés, beaucoup ont dû tenter d’y aller, non ?
J’espérais juste ne pas croiser quelqu’un de dangereux. Pas tout de suite. J’avais besoin de répit. Juste un instant pour souffler, pour comprendre ce que je devais faire.
Mais la forêt ne me laissa aucun répit.
Un craquement sec. Une branche qui cède sous un poids. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Je m’arrêtai net, les muscles tendus, la gorge nouée.
Je sortis l’arc d’un geste mal assuré et pointai devant moi. Mes mains tremblaient trop pour être précises, mais c’était tout ce que j’avais. Je n’avais jamais tiré sur personne. Je n’étais même pas sûre de savoir viser correctement.
— C’est moi, baisse ton arc ! fit une voix précipitée.
Je reconnus la voix avant même de voir son visage. Mon souffle se bloqua.
— Alexy ?
Il sortit brusquement des fourrés, la silhouette sale, les vêtements en lambeaux, une tache de sang sur le bras droit. Il courut vers moi, son visage exprimant à la fois un soulagement immense et une détresse profonde.
Il me prit dans ses bras, tremblant. Ce geste, aussi fragile soit-il, me réchauffa le cœur. Il était là. En vie. Un visage familier dans cette spirale d’horreur.
— Nina… tu vas bien ? Tu es blessée ? Tu es.. seule ?
Je hochai lentement la tête. Les mots me manquaient. Trop d’émotions en trop peu de temps. Il y avait tant à dire, tant à raconter. Mais ma gorge était sèche, bloquée.
Il recula légèrement, posant les yeux sur moi avec une intensité nouvelle. Puis sa voix se brisa :
— Ils ont tué Armin… Ils l’ont tué devant moi, Nina. Et je n’ai rien pu faire…
Ses yeux s’humidifièrent. Mon cœur se serra. Armin… son jumeau. Je me souvenais encore de ses rires, de ses remarques ironiques, de sa façon de protéger son frère malgré tout. Le voir mourir, impuissant… Je ne pouvais qu’imaginer ce que ressentait Alexy.
Je le pris à mon tour dans mes bras. Fort. Comme si je pouvais absorber sa douleur. La mienne. Celle de tous les autres. Mais je savais bien que ce n’était qu’une illusion.
On resta là quelques secondes. Deux survivants perdus dans un monde en ruines.
Puis il se redressa, reprenant son souffle.
— Écoute… Je sais où se trouvent les autres. Enfin… Je crois que Déborah est encore en vie. Et Nathan aussi. Je les ai vus. Ils étaient seuls, mais pas loin d’ici. Il faut qu’on bouge. Vite.
Son regard se fit plus dur, plus concentré. L’instinct de survie, viscéral.
Mais avant que je ne puisse répondre, un coup de feu retentit au loin.
Sec. Foudroyant. Trop proche. Mes membres se sont paralysés le temps d'une seconde.
Alexy se retourna brusquement vers le bruit sourd, les yeux écarquillés.
— Merde. Vite, suis-moi ! On doit sortir d’ici !
Et cette fois, je n’ai pas hésité. Je me mis à courir à ses côtés, le souffle court, les jambes déjà douloureuses. La peur me rongeait, mais elle me poussait aussi à avancer. L’adrénaline faisait battre mon cœur si vite que j’en avais mal à la poitrine.
Autour de nous, les arbres défilaient, menaçants. Le sol devenait de plus en plus glissant, et les ronces s’accrochaient à nos vêtements. Mais on ne s’arrêtait pas.
Mon arc rebondissait contre mon dos, chaque pas résonnait comme un écho d’urgence.
Et dans ma tête, une seule pensée : tenir bon.
Ne pas mourir.
Ne pas devenir comme Cassian. Ne pas me perdre à mon tour..
Morts : 15 | Survivants : 15