Flashback - PDV CHLOÉ
- Mais pourquoi on est ici ?! hurla Lian, les traits déformés par la panique.
Elle était hors d'elle. Sa voix vrillait dans la pièce close, percutant les murs comme une alarme assourdissante. Ses bras s'agitaient dans tous les sens, son regard affolé trahissait une détresse profonde. On ne voyait même plus ses yeux tant ses paupières clignaient frénétiquement sous le coup de l'émotion.
- Ouais, on veut savoir là ! enchaîna Charlotte, sa voix chevrotante, ses bras croisés contre sa poitrine dans un réflexe de protection.
Moi, je ne disais rien. Pas par lâcheté. Ni par apathie. C'était autre chose. Je les regardais, simplement. Je voulais observer. Comprendre. Sentir. Voir jusqu'où ça irait. Ce qu'ils oseraient faire. Moi aussi j'avais peur. Bien sûr que j'avais peur. Une peur sourde, profonde, insidieuse. Mais je refusais de la montrer. Je la coinçais entre mes côtes et je l'étouffais comme je pouvais.
Lian, elle, ne tenait plus. Elle laissa éclater sa rage, sa terreur. Elle courut vers la porte, la secoua frénétiquement, tambourina dessus de toutes ses forces.
- Laissez-moi sortir !! hurla-t-elle. JE VEUX RENTRER CHEZ MOI !
Ses poings heurtaient le métal avec la force du désespoir. Elle agitait la poignée comme si elle pouvait la faire céder par la seule force de sa volonté. Ses cris transperçaient l'air.
Et puis, soudain, cette voix.
Froide. Mécanique. Inhumaine.
- Mesdemoiselles, veuillez cesser immédiatement ou nous serons contraints d'employer les grands moyens.
Le haut-parleur était dissimulé au-dessus de la porte, presque invisible. Mais cette voix... elle s'était imposée, comme une entité spectrale. Elle avait quelque chose de robotique, comme si ce n'était même pas un humain qui nous parlait, mais un programme. Un système sans cœur. Sans conscience.
- Les grands moyens ? répéta Lian avec défi, les larmes au bord des yeux mais le regard incandescent. VAS-Y ! Je veux rentrer chez moi, moi !
Charlotte tenta de l'agripper par le bras, de la retenir.
- Lian, calme-toi... s'il te plaît... arrête ça... on va trouver une solution, on...
Mais elle n'écoutait plus. Elle était comme possédée. Prête à tout pour faire cesser ce cauchemar.
Et puis, la porte s'ouvrit.
Pas en grand. Pas brutalement. Non. Elle s'ouvrit avec une lenteur clinique, contrôlée. Comme si tout avait été planifié. Comme si cette scène avait déjà été jouée des dizaines de fois. Le silence s'abattit dans la pièce, seulement troublé par les halètements saccadés de Lian.
Un homme entra.
Il portait un masque noir aux traits lisses, sans expression. Pas de bouche, pas d'yeux apparents. Juste un vide. Il était vêtu d'une combinaison sombre, presque militaire. Et surtout... il tenait une arme.
Un pistolet.
Il ne parla pas. Ne cria pas. Ne fit aucun geste menaçant.
Il leva simplement le bras.
Bang.
Une seule balle. Un son sec, brutal, qui explosa dans nos tympans.
Lian s'effondra au sol, comme une marionnette à qui on aurait tranché les fils.
Un cri déchirant s'échappa de la gorge de Charlotte. Suivi de tout les autres. Charlotte se jeta à genoux près du corps de Lian, tenta de la secouer, de la réveiller.
- Non non non non non... putain non... Lian ! Tu peux pas... tu peux pas me laisser !
Ses pleurs étaient bruyants, hystériques. Elle hurlait, insultait l'homme, le traitait de monstre, de psychopathe.
Il ne broncha pas.
Bang.
Une seconde balle.
Charlotte s'écroula à son tour. Sa tête heurta le sol dans un bruit mat.
La pièce sombra dans le silence, un silence sourd on entendait plus que le tic tac de l'horloge. Et moi... je ne bougeais plus.
Mes jambes avaient cessé de répondre. Mes bras tremblaient. Mes dents s'entrechoquaient. Et pourtant, je ne criais pas. Je ne pleurais pas. Pas encore. Pas devant lui. Pas devant ça.
L'homme masqué tourna lentement la tête vers le reste de la pièce. Nous étions encore cinq ou six, assis ou debout, tétanisés. Il nous regarda un à un, en silence. Puis prononça quelques mots, d'une voix glaciale.
- D'autres volontaires ?
Personne ne répondit.
Le silence devint un mur infranchissable.
Il resta une seconde encore. Nous ordonna à tous de nous asseoir sur les chaises en silence et de ne plus bouger. Puis sortit, calmement, refermant la porte derrière lui.
Et là, j'ai craqué.
Mes jambes m'ont lâchée. J'ai glissé au sol, mes mains plaquées sur ma bouche pour étouffer mes sanglots. Mais ils étaient trop forts. Trop puissants. Mes deux amies venaient de se faire tuer. Comme ça. Sans sommation. Sans procès. Comme si leur vie ne comptait pas. Comme si elles n'étaient rien.
Je ne sais pas combien de temps j'ai pleuré. C'était flou, irréel. Mon cerveau refusait de comprendre.
Et puis... la porte s'est rouverte.
Un frisson me parcourut tout le corps. Mon cœur s'arrêta un instant.
Deux silhouettes entrèrent.
Deux garçons. L'un avait les cheveux noirs en bataille, les vêtements froissés, l'allure effacée. L'autre... une chevelure rouge foncé, qui jurait dans la pénombre, comme une flamme dans la nuit.
Et là, mon cœur a raté un battement.
- C... Cassian ?
Je l'avais reconnu immédiatement. Même si ses traits s'étaient durcis, même si sa posture avait changé. Même si son regard était devenu plus tranchant, plus sombre. Il n'était plus le garçon populaire, charmeur et insolent que j'avais connu. Non. Celui qui me faisait rire en classe. Celui que je regardais en secret pendant les cours, le cœur serré.
C'était lui. Mais ce n'était plus le même.
Il ne me regarda même pas. Il parcourut la pièce du regard, indifférent aux cadavres, à nos larmes, à notre peur. Il avait un rictus en coin. Presque amusé. Comme s'il savait quelque chose que nous ignorions tous.
Un poids s'écrasa sur ma poitrine. J'eus du mal à respirer.
Le garçon aux cheveux noirs restait en retrait, presque effacé. Une ombre.
Mais Cassian... il brillait d'un éclat froid, cruel. Comme s'il avait abandonné tout ce qu'il était pour devenir... un autre. Une arme.
Un monstre ?
Un frisson glacial descendit le long de ma colonne.
Je baissai les yeux. Tentai de calmer mes tremblements. Mais rien n'y faisait. Ce n'était que le début. Je le savais. Il allait se passer bien pire.
Et malgré tout, au milieu du chagrin, de la peur et du chaos... une pensée insidieuse se glissa dans mon esprit. Une pensée honteuse. Une pensée que je ne pouvais pas contrôler :
J'aurais préféré le revoir dans d'autres circonstances. Ou même jamais.