PDV INCONNU
Le silence régnait de nouveau.
Un silence dense, oppressant, presque vivant. Comme si le monde lui-même retenait son souffle après ce qui s'était passé.
Il ne restait plus que moi. Moi et l'écho de ce que je venais de faire. Ou plutôt... de ce que j'avais laissé faire.
Je descendis lentement les marches branlantes de la maison, chacun de mes pas s'accompagnant d'un craquement discret, étouffé par l'épaisse couche de poussière et les débris de verre éparpillés au sol. L'odeur âcre du sang, de la peur, et de la sueur. Ça collait à la gorge. Ça imprégnait la peau, les vêtements. Ça restait. Comme une cicatrice invisible.
Mes yeux balayèrent les lieux, méthodiques. Des traces de lutte. Un meuble renversé. Une tache brune séchée sur le mur. Un filet rouge s'échappant vers la sortie arrière, dessinant une trajectoire hésitante. Je la suivis, calme, patient. Il ne pouvait pas être loin.
Chaque goutte au sol était comme un battement de cœur. Une pulsation qui guidait mes pas.
Quand j'ouvris la porte arrière, elle grinça, comme si elle voulait trahir ma présence. Mais je savais qu'il n'avait plus la force de fuir.
Et je ne m'étais pas trompé.
Il était là. Affalé contre un vieux mur, dans la cour en ruines. Son dos glissé contre la pierre humide, une jambe tendue devant lui, poisseuse de sang. Sa respiration était irrégulière, haletante. Ses yeux, mi-clos, s'ouvrirent lentement lorsqu'il sentit ma présence.
Louis.
Ses traits étaient tirés. Fatigués. Livides. Pourtant, au fond de ses pupilles, il y avait encore cette petite flamme. Un reste d'orgueil ? De colère ? Je n'étais pas certain.
— Toi... articula-t-il dans un souffle rauque. Comme s'il m'attendait.
Il tenta de se redresser. D'atteindre quelque chose à sa ceinture. Un couteau. Une pierre. Peu importe. Ses doigts tremblaient trop pour que ce soit une menace crédible. Son corps ne répondait plus vraiment. Mais il essayait. Il voulait se battre. Même au bord du gouffre.
— J'ai... j'ai pas peur de crever, t'entends ?... balbutia-t-il.
Je restai immobile, à quelques pas de lui. Le vent se leva un instant, emportant avec lui une feuille morte et quelques particules de poussière.
Je le regardai.
Pas de compassion. Pas de haine. Juste une sorte de curiosité clinique. Comme on observerait un animal blessé, piégé.
Je ne répondis pas. Je m'approchai à pas lents, mes bottes raclant doucement le sol. Je m'accroupis face à lui, en silence, prenant soin d'éviter la mare de sang qui s'étendait sous son corps.
Il me regarda comme on regarde un fantôme. Son visage se crispa, oscillant entre douleur et résignation.
— T'as pas... d'âme, hein ?
Un sourire presque imperceptible naquit sur mes lèvres. Pas de moquerie. Plutôt un constat silencieux.
Je sortis ma lame. Pas celle que j'utilise pour me battre. Plus fine. Plus discrète. Elle brillait faiblement dans la lumière pâle du matin. Ma lame personnelle. Celle que je n'utilise que lorsque ça doit être propre. Précis. Silencieux.
Louis me fixait toujours. Il essaya de dire quelque chose d'autre. Un dernier mot. Une prière. Une insulte. Je ne saurais jamais.
Je m'approchai encore. Juste assez pour qu'il voie son propre reflet dans mes yeux.
— Tu n'étais pas prêt pour ce jeu, soufflai-je. Pas comme moi. Dis-toi que j'abrège tes souffrances.
Il eut un soubresaut. Ses lèvres bougèrent à peine.
— Je... Je...
Mais il n'eut pas le temps de finir.
Ma main bougea d'un seul mouvement, précis, entraîné, méthodique. La lame s'enfonça droit dans sa gorge, à l'endroit exact où les cris meurent avant d'atteindre l'air.
Un seul râle.
Un seul sursaut.
Puis plus rien.
Son regard se vida. D'un coup. Comme une lumière qu'on éteint.
Je retirai la lame avec douceur. Le sang perla, épais, sombre. Je l'essuyai sur sa veste, puis me redressai sans un mot.
Aucune colère. Aucune fierté. Aucune émotion.
Juste une tâche à accomplir. Une case cochée.
Je laissai son corps là. Il ne méritait ni sépulture, ni cérémonie. Pas dans ce jeu. Pas ici.
Je sortis de la cour, reprenant le même chemin qu'à l'aller, effaçant mes traces derrière moi.
Louis n'avait pas été une menace. Pas vraiment. Il avait essayé. Joué les durs. Mais ici, il ne suffisait pas d'avoir du courage. Il fallait être prêt à devenir monstre. Et lui ne l'était pas.
Je marchai à travers les arbres, mes pas avalant la distance entre la maison et ma cachette temporaire. Mes pensées, elles, restaient là-bas. Flottant entre les gouttes de sang et les soupirs étouffés.
Je n'étais pas comme eux.
Je n'avais pas besoin d'excuses pour tuer.
Pas besoin d'un "il m'a menacé". Pas besoin d'un "c'était lui ou moi". Non. Moi, je le faisais parce que c'était nécessaire. Parce qu'il fallait nettoyer le plateau. Éliminer les variables inutiles. Protéger ce qui comptait vraiment.
Je levai les yeux vers le ciel. Les lueurs du jour filtraient à travers le feuillage. C'était presque beau. Presque paisible. L'ironie me fit sourire. Un décor idyllique pour un monde qui s'effondrait.
Et elle... où était-elle à cet instant ?
Vivante. Forcément.
Je devais retrouver sa trace.
Je l'avais vue, la veille. Cachée derrière les buissons, son arc prêt, ses mains tremblantes. Elle n'avait pas vu l'autre fille approcher. L'arme à la main. Prête à frapper.
Alors j'avais tiré. Un seul coup.
Pour tuer cette fille qui l'a suivait elle.
Après ça elle avait fuit avec Alexy. Mais elle avait survécu. Encore une fois.
Elle ne le savait pas. Elle ne savait pas que, dans l'ombre, quelqu'un veillait. Quelqu'un nettoyait le terrain autour d'elle.
Mais combien de temps cela allait-il durer ?
Je l'avais suivie plus longtemps que je ne l'aurais dû. Observée de loin. Protéger, oui... mais pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ?
Peut-être parce qu'elle était différente. Parce qu'elle résistait là où les autres s'effondraient. Parce qu'elle essayait encore de croire en quelque chose.
Je ne sais pas ce que ces gens veulent en m'ordonnant de la protéger.
Je n'étais pas sentimental. Je ne l'avais jamais été. Enfin plus depuis longtemps maintenant. Et pourtant, il y avait en elle... quelque chose. Quelque chose que je ne comprenais pas encore. Quelque chose que je voulais voir jusqu'au bout.
Je m'arrêtai un instant, écoutant les sons de la forêt. Des oiseaux. Une branche qui craque au loin. Rien d'alarmant.
Je sortis mon carnet. Une petite chose usée, que je gardais toujours sur moi. J'y traçai une ligne sous le nom de Louis. Puis, d'une écriture rapide :
- Mort confirmée. Jambe droite ouverte. Défensif. Aucune résistance significative. Élimination propre.
En dessous, je notai :
- Cible toujours vivante. Situation stable. Aucun contact.
Observer. Protéger si nécessaire.
Je rangeai le carnet, resserrai la sangle de mon sac, et repris ma route.
Chaque pas me rapprochait d'elle.
Et bientôt, je le savais...
Le vrai jeu allait enfin commencer.
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