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| 𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟖 |

• Je ne serai pas la Raiponce de son manoir hanté •

𝐒𝐎𝐋








▶︎ 𝐌𝐮𝐬𝐢𝐪𝐮𝐞 : Survivor - 2WEI




Dormir par terre n'était pas une bonne idée.

Quand je me redresse, j'ai encore plus mal au cou que la veille et mon corps est tout ankylosé. À force d'avoir pleuré en silence, mes yeux sont gonflés et mes paupières sont collées entre elles. Je me les frotte en grimaçant, la gorge sèche et le cœur en vrac.

Je me lève et m'étire tout en observant cette porte toujours close. Heureusement qu'il y a de l'électricité dans cette vieille bâtisse sinon je crois que je perdrais encore plus mon sang-froid, plongée dans l'obscurité.

Mais je ne comprends toujours pas pourquoi aucune des pièces de cette maison n'a le droit à un bain de lumière naturelle : tous les volets sont clos, même ceux de cette chambre.

J'ai bien essayé d'en dégoter la télécommande mais elle était introuvable.

Aucun moyen de les ouvrir à moins de les défoncer.

Je soupire et m'assois sur le rebord du lit.

Qu'est-ce que je suis censée faire maintenant ?

Quand est-ce que Bichito va m'ouvrir ?

Est-ce qu'il compte même m'ouvrir, d'ailleurs ?

J'ai l'impression d'être un chien qui attend que son maître l'autorise à prendre l'air. Ça me rend folle.

Au moment où je me laisse tomber sur le matelas, un bruit agréable retentit dans le silence de la pièce : celui de ma délivrance. Je me redresse.

Quelqu'un est en train de déverrouiller la porte, certainement Kian Kelman. Pourtant quand le battant glisse sur ses gonds, je suis surprise de faire face à une vieille dame à la peau marquée par le temps qui apparaît comme un ange dans la lumière du couloir.

Je me précipite sur elle, le sourire aux lèvres, soulagée et la prends par les épaules.

— Merci ! Merci beaucoup ! J'ai cru que j'allais devenir cinglée !

Sa manière de m'examiner en silence de la tête aux pieds me rappelle Dolores et cela me pince le cœur mais je n'en montre rien. Je me contente de sourire pour lui montrer toute ma reconnaissance et attends qu'elle se décale pour me laisser passer ou qu'elle m'explique la raison de sa présence mais elle ne dit rien.

Ses yeux sombres analysent ma tenue et mon visage qui doit sans doute être affreux — dure conséquence d'une nuit entière à pleurer toutes les larmes de mon corps. Elle finit par me pousser à l'intérieur de la chambre à mon plus grand malheur et je vois avec désolation la lumière du couloir disparaître derrière le battant qui se referme.

Bon sang, je ne vais jamais sortir !

— S'il vous plaît... faîtes-moi sortir d'ici, je la supplie.

Son silence est ma plus grosse humiliation.

Elle imite parfaitement bien Kian Kelman : son expression est indéchiffrable bien qu'elle paraisse concentrée pour une raison que j'ignore, son attitude ne laisse présager en rien sa bienveillance et son silence immuable met à mal mon sourire qui devient bancal et hésitant.

Pourquoi est-elle là ?

Elle finit par se détourner de ma personne pour se diriger vers une porte, celle de la salle de bain. Elle pousse le battant et se retourne vers moi pour me faire signe de la suivre. J'hésite. Et si elle me tuait là-dedans ?

Son expression agacée a raison de moi.

Pourtant elle n'a pas l'air bien méchante avec ses lunettes rectangulaires desquelles pendent des cordons serties de pierres, avec sa robe bleu ciel qui détone parmi tout ce noir décoratif et avec ses rides qui suggèrent d'innombrables sourires plus chaleureux que l'expression qu'elle affiche en ce moment.

Je me dépêche de la rejoindre et l'observe faire de grands gestes sans comprendre le message qu'elle veut me faire passer.

Face à mon manque de coopération, elle pose ses mains sur mes épaules pour me guider et me pousse vers la douche. Ça y est, je comprends.

— Vous voulez que je me douche ?

Elle hoche la tête.

— Je n'ai pas d'habits de rechange.

Je regarde ma robe. Pas moyen que je reste vêtue ainsi. Je me sens « poupérisée » et ça me met profondément en rogne.

La vieille femme secoue la tête et laisse échapper un petit rire moqueur dont j'ignore le destinataire.

J'espère qu'elle n'est pas en train de se moquer de moi... elle balaye mes propos de la main et me remontre avec un air sévère la douche avant de sortir de la salle de bain et de fermer derrière elle pour me laisser de l'intimité sans doute.

Je reste immobile au milieu de la pièce. J'ai du mal à comprendre ce qu'il vient de se passer.

Je ne sais même pas qui est cette femme... peut-être travaille-t-elle pour Kian Kelman mais je le voyais plutôt seul car incapable d'être apprécié et supporté par quiconque.

La vieille femme a raison : il faut que je me douche.

Ça me réveillera un peu et je serai plus apte à trouver un plan pour dégager d'ici une fois le corps rafraîchi et propre.

C'est le moment de me débarrasser de la honte qui m'a submergée hier soir.

Je secoue la tête pour effacer les souvenirs qui me viennent à l'esprit et retire cette affreuse robe et ces sous-vêtements affriolants. Je me défais de l'élastique rose bonbon et le jette à la poubelle avec une grimace de dégoût avant de me diriger vers la paroi en verre de la douche à l'italienne.

Je ne me sens pas vraiment à l'aise ainsi dénudée dans une salle de bain qui ne m'appartient pas...

Même si mon corps a été vu par des centaines d'hommes, la pudeur fait encore partie de moi. Je n'aime pas ce corps qui ne m'appartient plus. J'aimerais m'en défaire, le remplacer par un autre un peu moins sale, un peu moins détruit, un peu moins pourri de l'intérieur.

Je n'ose même pas me regarder dans l'immense miroir rectangulaire pendu à l'horizontal au-dessus des vasques. Comme s'il me narguait, il se trouve juste en face de la douche. Alors je lui tourne le dos et tends des doigts pressés vers le robinet pour ouvrir l'eau, un bras contre ma poitrine.

L'eau chaude nettoie mes larmes, détend mes muscles crispés et me donne l'impression d'apaiser les maux qui grondent sous mon épiderme. Je passe mes braids sous l'eau et finis par me frotter avec le gel douche que je trouve par terre. Je contemple la bouteille, l'ouvre et hume le parfum en espérant qu'il ne s'agisse pas de l'odeur de Kian Kelman.

Je ne supporterai pas de porter la même odeur que lui.

Mais n'ayant pas le choix, je me savonne avec ce savon au jasmin. Mon maquillage s'estompe. Désormais, les bleus sur mon visage apparaissent et je sais que ma peau est marquée par la main d'un mort : autour de mon cou, sur ma hanche, autour de mes poignets... la présence de Sullivan est partout sur mon corps, ça me donne la nausée.

Une fois lavée, je m'enroule très vite dans une serviette qui patientait près des vasques pour cacher le plus possible de marques mais certaines restent malheureusement visibles. Et j'attends.

J'attends que la vieille femme revienne en fixant la robe rose échouée sur le sol près des sous-vêtements et des talons.

Être habillée comme une poupée Barbie, ça excite vraiment les hommes ?

Je n'ai pas le temps de cacher ma moue écoeurée derrière l'un de mes sourires quand la femme revient dans la salle de bain, des vêtements dans les bras. Je me détourne des vestiges d'hier posés sur le sol et l'observe déplier le pull et le jogging simple.

Aussi ternes que cette maison...

Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces habits sont à ma taille. Je ne veux pas savoir comment elle a pu connaître mes mensurations...

Elle me tend également des dessous dont la sobriété me soulage.

Puis elle sort.

J'enfile le tout. Je me sens mieux.

Je me demande pourquoi Kian Kelman a fait un tel choix - car c'est lui qui a dû les acheter. La plupart du temps, les hommes aiment habiller leur poupée de manière à ce qu'elles stimulent leur libido. Ou du moins, ceux que j'ai connus.

C'était le cas pour Sullivan : il mettait un point d'honneur à ce que je porte des jupes, des robes... tout ce qui était fait pour les femmes. Les joggings, les jeans, les sweats à capuche de toutes les couleurs ne faisaient pas partie de ma penderie, à moins que Dolores ne soit allée m'en acheter.

Il fallait que je sois attirante, sexy, bandante.

Du point de vue de Sullivan, bien entendu.

Mais je ne me plains pas, ce jogging est parfait. Je ne risque pas d'avoir froid non plus dans ce pull. C'est déjà bien plus adapté au temps que le bout de tissu rose qui gît à mes pieds.

Je m'apprête à sortir de la salle de bain quand l'inconnue fait son retour. Son expression trahit une certaine compassion quand ses yeux s'attardent sur les couleurs qui tachent ma peau. Elle m'incite à m'asseoir sur un tabouret. J'obéis, perplexe.

Elle fouille les tiroirs et sort de quoi soigner toute une garnison. Je comprends ce qu'elle veut faire quand elle me fait signe de baisser la tête et d'enlever mes tresses de ma nuque : elle va soigner ma brûlure.

Ma... marque.

Elle me brûle toujours. C'est insupportable.

Est-ce Kian Kelman qui lui a demandé de faire ça ?

Peut-être que ce n'est pas une cause perdue... peut-être a-t-il un cœur au fond ?

Un Byrne n'a pas de cœur, Sol.

Je serre les dents quand elle tapote la zone meurtrie avec un coton imbibé de désinfectant. Je serre les poings sur mes cuisses et retiens des gémissements de douleur. Je l'entends soupirer plusieurs fois.

Avec précaution, elle applique une crème apaisante sur ma nuque et par ses gestes délicats, je sais qu'elle ne me veut aucun mal.

Enfin, elle me met un énorme pansement pour éviter que mes cheveux ne viennent irriter ma peau et permettre la cicatrisation de cette abominable blessure. Elle ajoute même de la crème sur les autres.

— Merci, je lui souris en me redressant.

Enfin, son expression s'adoucit.

Et je me sens moins seule.

Elle prend ensuite ma main et m'oblige à me lever. Je la suis sans rechigner car elle me fait enfin sortir de cette maudite chambre. Nous regagnons le rez-de-chaussée et alors que nous traversons la salle de séjour pour atteindre la cuisine, je jette des coups d'œil inquiet de tous les côtés.

J'ai peur de voir surgir Kian Kelman.

Je n'ai pas envie de le voir sortir de nulle part.

De plus, s'il est absent, ça me donne plus de chances de réussite concernant ma fuite.

— Il n'est pas là, votre fabuleux patron ?

Elle me sourit, comme amusée par ma question et me fait signe que non. Je m'installe à la table en bois sombre lorsqu'elle me montre une chaise du doigt et la regarde s'affairer à la cuisine.

Enfin... il semblerait qu'elle m'ait déjà préparé de quoi manger.

Elle arrive avec une assiette garnie d'œufs, de bacon, de jambon et un verre de jus de fruit avant d'accompagner ce petit-déjeuner d'une feuille blanche qu'elle pose à ma droite.

— Merci beaucoup. C'est très gentil, hum... vous vous appelez comment ?

Sous mon air décontenancé, elle se lève et revient avec un calepin et un stylo. Elle vient près de moi tout en griffonnant quelque chose sur le papier puis me le montre.

| Appelle-moi Antonia. |

Je me redresse et arque un sourcil. Ne peut-elle pas parler ? Elle doit lire ma question dans mes yeux car elle ricane puis se pince les lèvres en écrivant à nouveau sur son cahier.

| Es-tu facilement choquée ? |

— Ça dépend... Vous commencez à me faire peur, je ris.

Elle me fixe pendant quelques secondes comme si elle jugeait ma capacité à être résistante à sa révélation puis elle tapote sa bouche de son index avant de l'ouvrir et de me montrer sa langue... ou du moins, ce qu'il en reste. J'écarquille les yeux, horrifiée.

— Mais qui vous a fait ça ?!

Elle hausse les épaules.

Mais... qui a bien pu lui couper la langue, bon sang ?

Qui peut faire une chose pareille ?!

Mon cerveau fait une hypothèse qui me coupe l'appétit.

Serait-ce... Kian Kelman ?

Bordel... et s'il me faisait la même chose ?

Je secoue la tête. Ça me donne une autre raison pour me libérer de cette nouvelle prison. Je ne peux pas rester ici. Je trouverai un moyen de m'en aller. Je dois essayer.

— Oh bon sang ! Je ne me suis pas présentée, j'exclame. Je m'appelle Sol.

| Je suis ravie de te rencontrer, Sol.

Même si ça ne doit pas être le cas pour toi. |

— Je suis enchantée aussi mais je le serais plus si les circonstances étaient différentes, oui, je lui concède.

Elle hoche la tête, comprenant sans peine ma situation puis elle m'invite à lire le papier que j'ai ignoré jusqu'à maintenant. Je pose mon regard sur les quelques lignes qui noircissent la feuille et fronce les sourcils en lisant ce dont il est question.

C'est une blague ?

𝘗𝘰𝘶𝘳 𝘈 𝘳ú𝘯.

- 𝘕𝘦 𝘱𝘢𝘴 𝘴𝘰𝘳𝘵𝘪𝘳 𝘴𝘢𝘯𝘴 𝘴𝘶𝘳𝘷𝘦𝘪𝘭𝘭𝘢𝘯𝘤𝘦 (𝘮ê𝘮𝘦 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘦 𝘫𝘢𝘳𝘥𝘪𝘯)

- 𝘕𝘦 𝘱𝘢𝘴 𝘦𝘯𝘵𝘳𝘦𝘳 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭'𝘢𝘵𝘦𝘭𝘪𝘦𝘳

- 𝘕𝘦 𝘱𝘢𝘴 𝘵𝘰𝘶𝘤𝘩𝘦𝘳 𝘭𝘦𝘴 𝘴𝘵𝘢𝘵𝘶𝘦𝘴

- 𝘕𝘦 𝘱𝘢𝘴 𝘰𝘶𝘷𝘳𝘪𝘳 𝘭𝘦𝘴 𝘳𝘪𝘥𝘦𝘢𝘶𝘹

- 𝘕𝘦 𝘳𝘪𝘦𝘯 𝘵𝘰𝘶𝘤𝘩𝘦𝘳 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘢 𝘮𝘢𝘪𝘴𝘰𝘯 à 𝘱𝘢𝘳𝘵 𝘤𝘦 𝘲𝘶𝘪 𝘴𝘦 𝘵𝘳𝘰𝘶𝘷𝘦 𝘥𝘢𝘯𝘴 𝘭𝘢 𝘤𝘩𝘢𝘮𝘣𝘳𝘦

𝘚𝘪 𝘣𝘦𝘴𝘰𝘪𝘯 𝘥𝘦 𝘲𝘶𝘦𝘭𝘲𝘶𝘦 𝘤𝘩𝘰𝘴𝘦, 𝘥𝘦𝘮𝘢𝘯𝘥𝘦𝘳 à 𝘈𝘯𝘵𝘰𝘯𝘪𝘢


Ce sont des règles.

Ce sont des règles imposées par Kian Kelman qui m'empêche de faire quoi que ce soit.

Mais celle qui m'indigne le plus, c'est la première. Comment ça "ne pas sortir sans surveillance" ? Il me voit vraiment comme un animal de compagnie, c'est ça ? Ma situation est pire que celle d'un chien ; je n'ai même pas le droit de sortir dehors.

— Il plaisante, n'est-ce pas ? je demande à Antonia.

Elle fait une drôle de moue qui m'indique que non, il ne plaisante pas. Je me demande même s'il lui arrive de plaisanter.

Je me tends et fixe ce bout de papier qui détermine les limites de ma liberté d'existence. Plus je le lis, plus ça me paraît absurde parce que je ne sais même pas où se trouve son atelier.

Ou encore parce que ça ne me viendrait même pas à l'idée de m'approcher ne serait-ce que de quelques pas de ces statues qui m'observent depuis leur emplacement, intrusives et incommodantes.

Ouvrir les rideaux, en revanche, j'aimerais bien le faire parce que la lumière tamisée crée une atmosphère intime dont je me passerais bien.

Je froisse le papier dans mes mains et le balance sur la table, agacée.

Comme si j'allais suivre ces règles idiotes...

N'ayant plus faim, je ne mange qu'un bout de bacon pour rendre grâce aux efforts d'Antonia puis déterminée à connaître un peu mon ennemi avant de braver l'une de ses règles à la noix, je plonge mon regard dans celui attentif de la vieille femme qui s'est assise en face de moi.

— Pourquoi vous travaillez pour lui ?

| C'est un travail comme un autre. |

— Mais vous n'avez pas peur ? Peur de lui et de ce qu'il pourrait vous faire ? Vous ne vous ennuyez pas dans cette maison trop silencieuse ?

Pour toute réponse, elle se met à rire, comme si ce que je venais de dire était drôle. Visiblement, elle trouve ma question ridicule et elle n'écrit rien sur son calepin, me laissant dans le flou le plus total.

Je ne sais pas comment interpréter sa réaction et ça m'inquiète assez...  

— Où est-il maintenant ?

Elle joue avec son stylo, un léger rictus énigmatique au bord de lèvres qui ne m'inspire guère confiance. Elle peut aussi bien sembler bienveillante et gentille que louche et déconcertante alors même si elle est plus avenante que son patron, je ne lui donne pas mon entière confiance.

— Vous savez ce qu'il compte faire de moi ?

Elle soupire.

C'est un long soupir de désespoir.

Et ça ne me rassure pas.

Je pourrais moi aussi soupirer face à ses réponses évasives ou même face à ses silences déstabilisants mais je me retiens parce qu'elle a sans doute signé un contrat avec Kian Kelman qui l'empêche de divulguer certaines informations sur son patron. Le même genre de contrat que j'ai dû signer quand je suis entrée à l'hôtel.

Ce qui se passe au Bacchus, reste au Bacchus...

Il ne faudrait pas ternir l'image des clients les plus influents. Ce serait dommage.

— Quand est-ce qu'il va revenir ?

| Il ne le dit jamais. |

Je grimace.

Je n'ai pas envie de tomber nez à nez avec lui au moment où je tenterai de m'évader et cette réponse ne m'aide pas le moins du monde. Je pose ma tête dans le creux de ma main et contemple la pièce dans laquelle je me trouve, à la recherche d'une issue... de survie.

La porte d'entrée. Antonia doit avoir la clef mais je me vois mal la lui demander ou même  l'agresser pour la lui prendre de force en cas de refus - ce qui est plus que probable.

Les fenêtres. Toutes ont les volets fermés. Alors à moins que je ne me découvre un pouvoir qui me permettrait de passer au travers, ce n'est pas une issue possible.

Et... et voilà.

Il n'y a pas trente-six mille issues possibles dans cette maison.

Allez, réfléchis, réfléchis...

Peut-être que si je fais le tour du propriétaire, je trouverai une solution ?

Je décide de me lever. Je prends mon assiette mais au moment où je m'apprête à mettre mes couverts dans le lave-vaisselle et à demander à Antonia où se trouve le film alimentaire, elle se jette presque sur moi et fait un drôle de bruit avec sa bouche comme pour me dire de la laisser faire.

— Mais je peux vous aider ? Non ? Non, d'accord, je rigole en la voyant me faire de gros yeux. Je vais aller faire un tour dans la maison puisque je ne peux pas sortir.

Antonia me sourit et me dit de déguerpir d'un vague geste de la main.

Alors qu'elle s'affaire déjà à ranger la nourriture dans le frigo après avoir recouvert l'assiette de film plastique, je suis attirée par les énormes couteaux de cuisine qui trônent sur l'un des plans de travail. Antonia ne me regarde pas. Ma main me démange. Et si j'en prenais un, au cas où ?

Plus tard. Antonia est muette, pas sourde.

Je me pince les lèvres et abandonne l'idée de voler un couteau mais une petite voix dans ma tête émet l'idée de revenir plus tard quand Antonia ne sera pas là pour me prendre sur le fait. Je quitte la cuisine et traverse rapidement la salle de séjour en évitant soigneusement les regards scrutateurs des statues qui m'entourent.

Je déteste vraiment l'atmosphère de cette maison...

Je me frictionne les bras, incommodée et me dirige vers les escaliers mais avant de poser le pied sur la première marche, je pivote en direction de la seule porte présente dans ce très court couloir. Je fronce les sourcils.

Il est temps de visiter, fouiller un peu, non ? Je n'ai le droit de toucher à rien, d'accord mais il ne m'a pas interdit de me balader chez lui, du moins à l'intérieur.

Peut-être trouverai-je une fenêtre sans volet ? Une fenêtre ouverte, même ?

J'appuie sur la poignée mais la porte ne s'ouvre pas. C'est fermé à clefs. Est-ce que toutes les pièces à part ma chambre seront fermées ? 

J'abandonne et grimpe à l'étage. La première porte est celle de la chambre que j'occupe. En face, il y en a une autre. Je me dirige vers cette dernière et elle n'oppose aucune résistance. Je rentre alors dans une seconde chambre qui doit être celle de mon... hôte. J'allume la lumière et contemple cette nouvelle pièce en m'adossant à la porte que j'ai refermée derrière moi.

Je pensais me confronter à un intérieur impersonnel mais je me suis trompée.

Cette chambre recèle d'informations concernant Kian Kelman ; un cadre photo repose sur une commode, des cahiers et des stylos jonchent un bureau en bois, d'autres photographies sont accrochées à un tableau en liège.

Je devrais peut-être fouiller un peu cette chambre pour savoir à qui j'ai à faire en vérité.

J'aimerais connaître quelques détails sur lui au cas où ma fuite ne soit qu'un échec cuisant de plus, ainsi pourrais-je faire en sorte de m'adapter à lui comme je l'ai fait avec chaque homme qui m'accompagnait jusque là et l'amadouer pour qu'il me donne ce que je veux.

Je serais morte si je n'avais pas un tant soit peu mémorisé ce que Sullivan aimait ou n'aimait pas.

Je dois faire la même chose avec Kian Kelman.

Je dois l'amadouer.

Mais ça me semble d'une difficulté supérieure.

Je m'approche du premier cadre que j'ai aperçu et découvre le visage souriant d'une femme d'une trentaine d'années qui contraste énormément avec l'expression indéchiffrable du criminel.

Est-ce... sa sœur ? Une amie ? Plus qu'une amie ?

Elle est vraiment jolie. Ses longs cheveux bruns ondulent autour de son visage rond et ses iris presque noirs n'ont aucun éclat malveillant.

Elle a l'air... gentille, vivante et douce.

Tout le contraire de celui qui possède sa photo.

Je me détourne du cadre pour jeter un coup d'œil au cahier. Je grimace en me rendant compte que nous avons encore quelque chose en commun : le dessin. J'espère qu'il ne peint pas... Il dessine bien. Trop bien. Chacun de ses dessins ressemble presque à une photo prise en noir et blanc. C'est si réel.

Comme les statues qui jonchent son jardin...

Je frissonne et décide de prêter attention aux autres clichés qui le montrent, lui, avec un air toujours aussi ennuyé entouré d'hommes et de femmes à l'attitude plus chaleureuse.

Deux femmes, un homme. Il y a une femme noire au sourire incroyable et un homme et une femme qui se ressemblent trop pour être autre chose que des jumeaux. Ils sont tous les deux vraiment beaux.

Je reconnais tout de suite le frère. Il s'agit de Jae. Cet homme fait donc bien partie des proches de Kelman. Ça m'étonne vu les différences qui les séparent.

Je ne touche à rien et finis par me diriger vers la salle de bain privée. Je vais directement vers la douche et les produits et vois avec dépit que le savon que j'ai utilisé plus tôt est bien le même que le sien.

Je porte son odeur...

Je quitte la chambre avec l'envie pressante de retirer le parfum de jasmin qui imprègne ma peau. Je traverse le long couloir : je trouve une autre chambre, une autre salle de bain et... une immense salle.

On dirait un mélange entre un bureau et une bibliothèque et même si elle n'a pas l'air utilisée, elle est très bien entretenue : pas la moindre trace de poussière ou de toile d'araignées.

C'est sans doute l'œuvre d'Antonia qui doit travailler comme gouvernante dans cette vieille bâtisse retapée. J'avance à pas précautionneux dans la pièce et laisse mon regard s'égarer sur les meubles et la décoration.

Cette pièce est lumineuse.

Ici, il n'y a pas de volets, seulement de lourds rideaux qui ne sont même pas tirés devant les bow-windows qui donnent une vue imprenable sur une partie du jardin que je n'ai pas encore vue.

Je pose mes genoux sur les assises qui précèdent les fenêtres et me penche pour observer le reste du terrain : ce côté n'a rien à voir avec l'entrée.

Pas de statues flippantes à l'horizon.

Enfin... si. J'ai parlé trop vite.

Je plisse les yeux et en aperçois une, assise sur un large bloc en pierre blanche de forme rectangulaire. Elle est seule sous un kiosque en pierre envahi par la végétation, certainement des plantes qui au printemps font des fleurs magnifiques. Il y a même un petit pont qui passe par-dessus une petite rigole qui fait le tour de la structure, accompagnée de massifs de fleurs.

C'est bien plus... apaisant.

C'est étonnant.

Mais j'arrête d'observer cet étrange jardin pour me rendre compte que c'est sans doute l'issue que je cherchais. Il faut juste que je brise le verre et que... je trouve un moyen de descendre sans me briser le cou.

Pas question de sauter, mes chevilles hurleraient à l'agonie.

Je me retourne et cherche de quoi casser la fenêtre. Mon regard finit par se poser sur une petite sculpture en marbre posée sur le bureau. Ça fera l'affaire. Je me lève et suis surprise de son poids quand je tente de la soulever. J'aurais dû m'y attendre : le marbre, c'est loin d'être léger. Je serre les dents, amène la sculpture vers la fenêtre et la pose sur les coussins.

Tant pis, ça fera du bruit mais Antonia mettra un peu de temps avant de venir voir ce qu'il se passe.

Maintenant, il me faut quelque chose pour descendre.

La seule idée qui me vient à l'esprit, c'est de regrouper des draps, de les attacher ensemble et de descendre en rappel, comme si j'étais une grimpeuse professionnelle.

D'ailleurs, je ne sais même pas comment je vais faire pour passer les hauts murs qui entourent toute la propriété. Je ne sais pas de quoi cet homme se cache ou se protège mais je préfère ne pas trop penser aux raisons qui l'ont poussé à construire ce genre de remparts.

Priant pour que Kelman ne revienne pas tout de suite et que Antonia reste au rez-de-chaussée, je passe dans toutes les chambres et récupère tous les draps possibles avant de les nouer entre eux dans la bibliothèque.

J'espère que cette technique va fonctionner... je n'ai jamais fait ça.

Tu peux le faire, Sol.

J'accroche le premier drap au bureau qui me semble assez lourd pour rester en place et pose le reste près de la sculpture que je soulève à nouveau, les lèvres pincées.

Allez...

Uno...

Dos...

Tres !

Je ferme les yeux et frappe plusieurs fois la vitre avec le marbre.

Sous la force des impacts répétés, elle se brise puis explose. Je tourne mon visage dans l'autre sens tout en continuant de taper pour enlever le plus possible de verre. Je sens quelques morceaux couper mes mains et mes bras.

Une fois finie, j'ouvre les yeux pour contempler mon œuvre et pose le marbre sur un coussin. Je ne perds pas de temps. Je prends les draps et les jette par la fenêtre. Ils se déroulent... ça ne me rassure toujours pas de m'y agripper.

Mais je n'attends pas plus.

Tu ne dois plus hésiter.

Vamos.

J'enjambe la fenêtre et m'accroche aux draps, le cœur battant. Je sens mon corps trembler à cause de l'adrénaline. Je ferme les yeux et mes poings froissent le tissu.

Bon sang, ne regarde pas en bas.

Ne regarde pas...

— AAAAAAH !

Je tombe. Je vais m'écraser par terre ! Mais d'un coup, ma chute se stoppe, me coupant la respiration par la même occasion. J'ai l'impression que mon estomac a sauté dans mon ventre et vient de retomber violemment sur mes intestins. Madre mía...

Je n'ai pas demandé à vivre de telles frayeurs !

Je lève la tête et comprends que la table a bougé sous l'effet de mon poids et a été arrêtée par la banquette. Je laisse échapper un soupir, le ventre noué.

Et malgré moi, je finis par regarder en bas. Je ne suis pas très haute mais tout de même, il doit bien y avoir trois mètres qui me séparent du sol. Je prends une grande inspiration et commence à descendre.

Je parviens finalement à toucher l'herbe gelée du bout de ma chaussette. Je me lâche et pose ma main sur mon cœur en constatant l'exploit que je viens de réaliser mais je ne perds pas plus de temps.

Mission suivante : trouver un moyen de sortir du terrain.

Et si je passais par la forêt ?

Mmm... non, je pense qu'il y aura aussi des murs.

Je ne sais pas où aller...

En plus, il fait bien trop froid. Je ne peux pas me permettre de me perdre dans les bois seulement vêtue d'un pull, d'un jogging et de chaussettes. Je n'ai même pas pensé à mettre des chaussures... mais ce n'est pas le plus important.

Les bras croisés, j'affronte les bourrasques qui me surprennent à chacun de mes pas et avance en direction du kiosque qui me protégera peut-être de la bruine désagréable.

Je traverse le pont et vois enfin à quoi ressemble cette statue abandonnée là, dans ce qui me fait penser à une sorte de mausolée ouvert.

Assise à genoux sur le bloc en pierre, elle a les deux mains posées sur le cœur et elle regarde devant elle... enfin, quand je me rapproche du banc qui se trouve juste en face d'elle, je me rends compte qu'une fois postée là, cette statue me fixe droit dans les yeux, avec une expression douce mais d'une tristesse infinie.

Elle a l'air cependant sereine...

Mais j'ai l'impression de la déranger sans savoir pourquoi.

Je quitte alors le kiosque mais un bruit étrange me parvient.

Par-dessus le bruit du vent, j'entends comme un... grognement. Je tends l'oreille et tourne sur moi-même pour comprendre d'où vient ce bruit.

— J'hallucine ou quoi, je marmonne.

Je secoue la tête. Je dois imaginer.

Je reprends mon chemin et retraverse le ponton quand le grognement retentit à nouveau, suivi d'un feulement très animal.

Cette fois-ci, mes pieds butent contre le sol mouillé. Je cesse de bouger. Mon sang quitte mon visage et mes doigts harponnent mes bras.

Je...

Je suis en train de rêver ?

C'est... c'est une plaisanterie ?

Qu'est-ce qu'un tigre fait ici ?!



















~ ☾☼☽ ~

Hello !

Comment avez-vous trouvé ce chapitre ?

Sol avait prévenu : elle ne restera pas sagement au manoir. Mais pas sûre que sa tentative de fuite soit... réussie. Vous en dîtes quoi, vous ? Vous pensez qu'elle va y arriver ?

Avec un tigre dans les parages, ça va être chaud 😂 (Je vous promets, je ne suis pas folle, y'a une explication derrière tout ça!)

Est-ce que vous aimeriez vivre dans un manoir comme celui de Kian ? Moi... j'hésite... 🤔

(Am I sadistic? a little...)

¡ Adiós mis vidas !

Ayélé 🌸

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