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| CHAPITRE 3 |

• Un rayon de soleil finira toujours par se faire engloutir par l'obscurité •

KIAN 

Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. 

Et je me fais chier comme un rat mort. Tout ça parce que Lug a décidé de fêter mes vingt-huit ans avec moi et de me préparer une surprise dont je me fous complètement. Cette surprise, qui prend quelques années lumières à être préparée, a plutôt le don de m’agacer profondément. 

Plus les années passent, moins mon frère ne me connaît. Nous ne serions pas dans cet hôtel de mes deux s’il se préoccupait vraiment de mes goûts et de mes envies pour un jour comme celui-ci. Si nous sommes au Bacchus, c’est bien parce qu’il adore cet endroit et qu’il aime vanter les exploits financiers de notre patriarche, ce qui a tendance à me taper sur le système. 

Car les activités de mon père me révulsent. 

Je ne me serais pas exilé au fin fond de la campagne si passer mes soirées au Bacchus m’exaltait un tant soit peu.

C’est bien pour cette raison que je ne suis jamais venu ici avant aujourd’hui. Mes deux frères ont fait irruption chez moi dans l’après-midi afin de me forcer à venir en ville avec eux pour fêter ce jour particulier. 

Pourtant, mon anniversaire ne me fait ni chaud ni froid.

À vrai dire, je crois bien que je déteste ce jour, depuis qu’elle n’est plus là. Ça n’a strictement plus aucun intérêt de le fêter. 

Mais c’est sans compter sur Lug et ses lubies insupportables qu’il ne faut pas contrarier au risque qu’il fasse un caprice tel un enfant de six ans. 

Je grimace en apportant ma cigarette à mes lèvres, mes doigts tapotant d’agacement le tatouage qui orne mon cou. 

Assis à côté de moi, silencieux et bien plus patient, Dagda me lorgne du coin de l'œil, percevant sans la moindre difficulté l’irritation qui commence à parcourir mes veines. Il mange avec précaution la fin de sa glace à la pistache, comme s’il craignait de me faire sortir de mes gonds par un simple geste brusque. 

Glace à la pistache. Toujours, en toute circonstance, à toute heure de la journée et à toutes les saisons. Je me demande comment il peut manger ça... la pistache, je n'ai jamais aimé ça. Et je déteste encore plus manger de la glace en hiver. Mais Dagda en raffole et ne peut s’en passer, peu importe la température qu’il fait dehors. 

Essuyant les derniers vestiges de sa glace de son doigt épais, il épie mes gestes, sur le qui-vive. Je le sens prêt à réagir à la moindre grimace de colère que je pourrais faire alors je reste neutre… jusqu’à n’en plus pouvoir.

Que Lug aille se faire foutre. Je n’ai rien à faire là.

Je me lève brusquement dans un nuage de fumée. Dagda se redresse, alerté.

— Il ne va pas tarder, me rassure-t-il de sa voix basse.

Je le fusille du regard, les dents serrées.

La patience n’est pas mon fort. Surtout quand il s’agit de mon frère aîné.

— Dans mille ans ? grogné-je.

— Eh bien, Kian, tu allais déjà partir ? 

Je prends une grande inspiration pour me calmer quand deux mains se posent sur mes épaules et m’incitent à me rasseoir. Je me laisse tomber sur ma chaise, le corps tendu d’exaspération et observe mon frère aîné sourire de toutes ses dents en s’installant en face de moi, enfin revenu de son excursion. 

Il a dit s’occuper de mon « cadeau » mais je suis certain qu’il a dû se perdre entre les cuisses d’une femme en chemin. Je tire sur ma cigarette et expire ma fumée pour apaiser mes envies de fratricide. Si j’avais mon marteau sous la main, je pense qu’il aurait déjà percuté le sourire agaçant de Lug. 

J’imagine bien les pointes pyramidales s’enfoncer dans sa chair et meurtrir son rictus qui m’exaspère. 

Je hausse les épaules malgré moi face à cette image.

Ce ne serait pas si mal…

Lug ramène ses longues mèches brunes en arrière tout en faisant une moue réprobatrice qui m’est adressé. Je n’ai pas le temps de lui demander où il était qu’il lâche : 

— Arrête de fumer cette merde. Tu ne veux pas plutôt une vraie clope ? C’est quoi cette odeur d’ailleurs ?

Je regarde ma cigarette électronique avec un ennui profond. Il veut me parler tabac, maintenant ? Alors que j’ai attendu qu’il ramène son cul depuis vingt minutes ? Il se fout de ma gueule…

— Barbe à papa, je me contente de répondre avec nonchalance.

Je tire une fois de plus dessus pour m’envelopper dans un nuage à la senteur sucrée qui m’aide à ne pas étrangler mon frère. Bien évidemment, la colère qui boue en moi ne vient en aucun cas déformer mes traits qui demeurent parfaitement neutres. Heureusement pour lui que j’ai appris à contrôler ma colère avec les années. 

Mais parfois, ça me manque de ne plus être ce gamin violent au moindre commentaire. 

— Fais-moi plaisir, ose-t-il me dire, éteins ça.

Je laisse un rictus narquois surgir sur mon visage.

— Quoi ? Tu préférerais que je continue à me détruire les poumons comme toi ?

— Oui. Tu aurais moins l’air d’un bobo, lâche-t-il en grimaçant.

Je ricane, dépité par sa façon de penser et me laisse glisser dans ma chaise avec l’envie pressante de dégager de cet endroit le plus vite possible. Étant donné que Lug n’a pas l’air décidé à me donner ma surprise, je contemple les lieux d’un air ennuyé. 

La salle est immense mais elle ne crie pas au luxe bien que cet endroit ne soit accessible qu’aux plus aisés des habitants de Santa Faclino. La décoration est simple, apaisante et une musique agréable détend les esprits… ou du moins, ceux des clients. Car les femmes qui circulent entre les tables, dans des robes courtes et moulantes, feignent le détachement alors qu’elles transpirent la peur et l’angoisse par tous leurs pores.

Le Bacchus a tout l’air d’un hôtel normal de l’extérieur. Semblable à d’autres établissements de la ville, l’hôtel appartenant à ma… famille s’élève tel un monstre dans l’un des quartiers les plus chics de la ville. Le Bacchus n’est rien de plus qu’un lieu d’ivresse et d’indécence. 

C’est la maison close la plus prestigieuse de la ville. 

La quasi totalité des chambres de cet énorme édifice sert de lupanar et les serveuses qui voguent de table en table ne sont rien d’autre que des prostituées. Ces filles travaillent en ouvrant les cuisses au plus offrant et doivent rapporter le plus d’argent aux réseaux au risque de perdre tout ce à quoi elles aspirent… si leurs rêves ne se sont pas déjà envolés après avoir pour la première fois aspiré la verge d’un vieil homme à l’âge de seize ans. 

J’observe ces filles forcées à offrir leur corps aux clients aisés de cet hôtel dantesque. Le maquillage et les tenues soignées mais toujours provocantes ne parviennent pas à me tromper : ces filles sont beaucoup trop jeunes. 

Aucune d’entre elles ne doit avoir la majorité car la fraîcheur et l’innocence sont ce qui émoustillent le plus les hommes en manque de sexe. 

Ou ceux qui ne savent plus baiser leur femme et qui pensent pouvoir montrer leurs prouesses sexuelles à des jeunes filles qui pleurent et cauchemardent chaque nuit, ne connaissant rien d’autre que la violence et l’absence de consentement.

Pathétique. 

Je souffle ma fumée dans ce décor d’immoralité que tout le monde, ici, fait en sorte d’ignorer. J’aperçois quelques flics assis à une table et même des avocats boire des whiskys tout en tapotant le cul d’une jeune blonde qui sourit. 

Je me demande encore pourquoi mon frère a tant voulu m’emmener ici ce soir. 

Car je hais cet endroit. 

En partie parce qu’il s’agit d’un bordel illégal, bien évidemment mais surtout parce que mon père en est le propriétaire. Et je fuis chaque lieu qui appartient à Riordan Byrne quand je le peux… sauf si c’est pour le détruire.

— Qu’est-ce que ça fait d’avoir vingt-huit ans ? me demande soudain Lug.

— Ça me rapproche un peu plus de l’âge auquel t’es devenu casse-couilles, je réponds sans le regarder, plus intéressé par ce gamin d’une vingtaine d’année qui cherche du réconfort auprès d’une gamine de seize ans tout au plus.

Il devrait plutôt aller téter le sein de sa mère.

J’entends Dagda rire tout bas alors que j’imagine bien Lug me maudire. Je lui lance un coup d'œil en biais et vois avec satisfaction son air crispé. Lug se reprend bien vite alors que je détourne le regard.

— Quel humour ! Et toi, arrête de ricaner. Je ne suis pas casse-couilles, je suis attentionné, corrige-t-il.

Je laisse échapper un ricanement. 

Bien sûr, oui. Ce doit être ça.

— Qu’est-ce qu’on fout là ?

Je vois avec horreur le sourire de Lug s’agrandir. Il fait briller ses dents blanchies à 1 500 balles en les dévoilant sous les spots du bar. J’en aurais presque mal aux yeux si je ne portais pas mes lunettes teintées pour ne pas être ébloui par les lumières agressives de ce lieu dénué de tout intérêt.

— Nous sommes là pour ton cadeau.

— Sans blague, soupiré-je en envoyant ma fumée sucrée en sa direction.

Il grimace et balaye l’espace de sa main pour faire fuir l’odeur de barbe à papa qui m’enveloppe.

— C’est quel genre de cadeau ? je demande quand même. J’en ai pas besoin.

— T’as jamais besoin de rien de toute façon, s’agace Lug en roulant des yeux.

— Exactement.

Je vois Dagda me faire les gros yeux en sentant la tension qui s’instaure entre Lug et moi. Je sais ce qu’il essaye de me dire mais je fais semblant de ne pas le comprendre. 

— Tu ne veux vraiment pas savoir ?

— Non.

Mon ton est neutre et pourtant, j’ai l’impression d’avoir brutalisé mon frère qui contracte sa mâchoire et serre ses poings sur la table. Je le fixe. Je ne détourne pas les yeux même s’il aimerait sans doute que je le fasse et attends qu’il craque et me laisse tranquille. J’ai perdu mon temps en les suivant. J’aurais bien mieux profiter de mon anniversaire au calme, chez moi. 

— Tu devrais, lâche tout à coup Dagda.

Je lui jette un coup d’oeil et grimace face à ses suppliques muettes. Je sais très bien que si je mets Lug en rogne ce soir, tout retombera sur Dagda qui se laisse toujours écraser par les frustrations de notre frère alors qu’il serait prêt à envoyer n’importe qui d’autre à l’hosto pour ce comportement. Mais Dagda respecte bien trop notre aîné. 

Malheureusement pour lui, ce n’est plus mon cas. 

Si je cède parfois à ses caprices, c’est uniquement pour Dagda qui me fait de la peine et que je supporte bien plus que Lug. 

C’est sans doute parce qu’il est silencieux et qu’il ne parle pas pour ne rien dire.

Ou parce qu’il ne me fait pas perdre mon foutu temps. 

Je capitule.

Je lève les yeux au ciel.

— Très bien, très bien. Quel est ton cadeau, Lug ?

Dagda hoche discrètement la tête pour me remercier tandis que Lug retrouve son sourire aveuglant et irritant. Il change d’attitude comme il change de gamines à culbuter. Je souffle ma fumée.

— Tu vois toutes ces filles ? Choisis-en une.

J’arque un sourcil. 

— Mon cadeau… est une prostituée ?

Il sourit de toutes ses dents, fier de sa surprise.

Je vais le buter…

— Ah ouais ? 

Je lui laisse une chance de me dire qu’il plaisante et après, je me casse. 

Tout content de lui, il hoche la tête et se frotte les mains, les yeux brillant d’excitation.

— T’as le choix, mon frère ! Les meilleures putes de la ville et peut-être même du continent, oserais-je affirmer. Tout le monde aimerait être à ta place.

Je vais l’enculer.

Au sens figuré du terme, bien évidemment.

Je balaye les lieux des yeux pour regarder les filles qui volent de table en table et disparaissent parfois dans le fameux couloir de la luxure qui se trouve vers le bar. J’y crois pas… Comment peut-il imaginer que je puisse prendre mon pied avec une de ces gamines ? Je suis très sérieusement en train de considérer le fait de tuer mon propre frère quand mon regard s’accroche à une jeune femme qui détonne parmi ce tableau luxurieux.

Je plisse les yeux derrière mes lunettes. 

Elle a l’air plus âgée que les autres filles et surtout… elle rayonne au milieu des regards pervers et malsains masculins.

On dirait un… rayon de soleil dans une obscurité sans fin.

Une sorte de rayon d’espoir qui se force à briller et qui n’a rien à foutre là.

Derrière le bar, elle a l’air serein et sourit à tout bout de champ… Je décèle une certaine fausseté dans ses rictus affables et pourtant, elle rayonne quand même. La couleur or de sa veste fluide brille et attire les esprits en quête de sensualité et de rédemption. Sa tenue agrémentée d’accessoires en or s’accorde parfaitement avec la couleur de sa peau et ses multiples tresses brunes qui cascadent dans son dos.

Elle ne semble pas quitter son poste. Elle a l’air… différente des autres prostituées de l’hôtel.

Je cesse de contempler les lieux et me tourne vers mon frère qui attend ma décision comme un abruti. Je le scrute, immobile. Et il est heureux, cet imbécile, comme s’il venait de m’offrir un trésor inédit, comme si j’allais sauter de joie d’une minute à l’autre parce qu’il me donne « l’opportunité » de baiser une mineure.

— Alors, t’as choisi ? Imagine ! Elle fera tout ce que tu voudras, sans rechigner.

— Je n’ai pas besoin de l’une de tes putes pour baiser, je rétorque. Je sais trouver mes plans cul seul.

— Je n’en doute pas une seule seconde, petit frère, ricane Lug, mais je doute que les filles avec lesquelles tu couches d’ordinaire acceptent d’assouvir tes désirs les plus… primaires, disons.

— Tu serais étonné, je réponds en haussant les épaules.

Je suis en train de perdre patience.

— Allez, Kian. Fais-moi plaisir ! Et fais-toi plaisir ! C’est le premier anniversaire que tu fêtes hors de taule, me dit-il, ce qui me fait serrer les dents.

— Merci pour le rappel, grand frère.

Dagda se pince les lèvres face au ton acerbe que je viens d’employer en insistant sur le surnom affectueux. Surnom qui s’avère être plus une moquerie qu’une manifestation de tendresse ou autre connerie dont raffole Lug. 

Mais seul Dagda semble percevoir mon amertume et mon exaspération.

J’ai fait six ans de prison mais je crois bien que j’avais plus la paix au mitard qu’à Santa Faclino, à portée de main de Lug. Quand il se tape l’incrust’ chez moi, j’ai tendance à regretter ma cellule et le gars timide et silencieux avec lequel je cohabitais.

Je n’étais pas sur les nerfs tous les deux jours… ou presque.

— Il faut le fêter comme il se doit !

Je m’apprête à grogner une nouvelle fois quand le rictus narquois de Lug me coupe dans mon élan. Je fronce les sourcils.

— Je t’ai vue la mater. C’est elle que tu veux, la métisse au bar ? me demande-t-il en regardant dans la direction du rayon de soleil.

Pourquoi faut-il qu’il soit si observateur ? 

En réalité, il ne l’est que lorsque ça concerne le cul.

J’ouvre la bouche pour réduire en poussière ses espoirs mais il est déjà parti je ne sais où. Bordel, qu’est-ce qu’il fait…

— Il est allé chercher Sullivan, m’informe Dagda, comprenant sans peine mes questionnements intérieurs.

— Pour quoi faire ?

— Elle lui appartient.

— Qui ?

Dagda se redresse et me montre du pouce la jeune femme au bar.

— Elle. Celle que tu regardais.

Je ne suis pas certain de saisir.

Je n’ai pas le temps de demander plus d’éclaircissements à mon frère car Sullivan apparaît à nos côtés, un sourire idiot plaqué sur le visage, heureux d’avoir été appelé à notre table.

— Bonsoir ! Je suis ravi de vous voir ! Oh, et bienvenu M. Kelman. Lug m’a dit que c’était votre première fois ici.

Je le toise en silence. 

C’est le pire anniversaire qui soit…

— Première et dernière fois, je grommelle. 

Sullivan ricane avec gêne. Je constate sans difficulté les tremblements qu’il essaye de dissimuler en bougeant ses mains pour s’exprimer. Cet homme n’est pas à l’aise en ma présence et il le cache très mal. C’en devient pathétique.

— Voilà l’heureux propriétaire de la magnifique Sol, s’exclame Lug qui est revenu pour que je puisse enfin l’étrangler.

Je lui envoie le regard le plus sombre possible mais il l’ignore, ce qui me met encore plus en rogne.

— C’est lui qui nous a ramené ce bijou de la frontière, s’enthousiasme Lug, et comme son travail est irréprochable depuis des années, j’ai décidé qu’il fallait le récompenser. Et il a pu choisir l’une de nos filles. Tu vois, il a réussi à faire un choix et il ne s’est pas plaint, lui.

— Lug. Tu commences sérieusement à me les briser, je gronde.

Sullivan frissonne et fait un pas en arrière, se rapprochant de Lug et s’éloignant de moi. Il fait bien parce que je suis à bout de patience et mon agacement pourrait prendre n’importe qui comme souffre-douleur. 

— Je… je vais l’appeler pour vous la présenter, propose soudain cet idiot.

C’est ça, bonne idée… si ça peut lui faire plaisir. Ce n’est pas comme si faire la connaissance de sa pute allait apporter quelque chose à mon existence.

Dagda grimace de plus belle, comme s’il avait une fois de plus compris le fond de ma pensée mais il ne prend toujours pas mon parti si bien que Sullivan finit bel et bien par appeler la fameuse Sol. 

Avec un ennui profond, je me tourne vers le bar et observe la créature se diriger vers nous. Malgré moi, sa silhouette moulée par sa jupe en cuir éveille mon intérêt et je laisse mes yeux admirer ses chevilles et ses mollets magnifiés par le port d’escarpins. Son sourire est immense et pourrait presque m’éblouir autant que la lumière des spots.

Je ne peux pas mentir, elle est totalement le genre de femmes avec lesquelles je prends mon pied mais quelque chose chez elle me dérange et me fascine à la fois. 

Certainement son sourire. 

Certainement la beauté de son assurance. 

Certainement l’aura lumineuse qui l’enveloppe.

Tout à coup, ses yeux se posent directement sur moi. Je suis surpris d’avoir un contact visuel avec elle mais je n’en montre rien. En revanche, elle est bien moins maîtresse de ses émotions que moi.

Elle s’immobilise. Son corps se raidit et sa poitrine cesse pendant quelques secondes de se soulever au gré de sa respiration. 

Son visage est angélique mais déformé par une terreur compréhensible. 

Alors que je pense qu’elle va fuir, un sourire éblouissant élit domicile sur son visage.  Ses lèvres pulpeuses s’étirent comme pour me communiquer toute la bonté et la gentillesse dont peut faire preuve son petit corps, sans aucune raison. 

Ne me souris pas comme ça ou tu risques de m’intriguer… a rún.

— Sol !

Elle revient à elle quand Sullivan l’interpelle. Comme si elle s’était perdue dans mon regard, elle cligne des yeux et se tourne vers l’homme qui fait une drôle de moue, comme mécontent de la situation. Je laisse un léger rictus tordre mes lèvres en comprenant à quel point j’ai déstabilisé celle qui est censée lui appartenir.

Lui appartenir…

Quel genre d’homme peut se sentir puissant en possédant une femme comme s’il s’agissait d’un objet sans volonté ni désir ? 

Ce genre de type me révulse mais je n’en montre rien. Je ne fais aucun commentaire. Je laisse ce mec se ridiculiser en attrapant ladite Sol par la taille afin de la coller contre lui pour me montrer qu’elle est sa propriété. J’ai envie de rire face à son torse bombé, ses muscles bandés et l’air suffisant qu’il arbore et qui ne m’intimide pas le moins du monde.

Ça fait bien longtemps que ce genre de regard n’a plus aucun effet sur moi.

Il est si insignifiant que je m’autorise à dessiner les courbes de la femme dont le corps hurle la détresse et le dégoût.

Cette Sol n’apprécie que très peu ce Sullivan. Elle semble même le haïr malgré le sourire qu’elle porte comme un bouclier. Elle se tient droite et nous couve d’un regard d’une douceur subjuguante. Le pire, c’est que son attitude ne paraît pas fausse si on s’en tient à ce qu’elle renvoie mais si on l’observe, si on la regarde attentivement, si on s’attarde sur tous les micro-détails, on remarque son embarras et son agacement. 

Elle n’a clairement pas envie d’être là.

On est deux.

— Encore merci pour ce cadeau, Mr Byrne, flagorne Sullivan.

Son ton dégouline de soumission. Il fait tout pour être bien vu par mon frère aîné et ça fonctionne parce qu’il suffit de faire des compliments et de montrer sa reconnaissance à Lug pour l’avoir dans sa poche. Sullivan pourrait presque lui baiser les pieds que ça ne m’étonnerait pas. 

— Il n'y a pas de quoi. Tu l'as bien choisie, répond mon frère.

Cette remarque m’agace. Elle est pleine de sous-entendus qui me sont adressés. La présence de Sol ne sert qu’à me montrer que tout le monde est capable d’accepter un présent de la part de Lug… sauf moi.

— La tigresse domestiquée du Bacchus, ajoute Lug. Et en plus, elle porte les couleurs de l’hôtel.

Je ne sais pas pourquoi mais cette description m’étonne car je doute qu’elle soit réellement « domestiquée ». Elle a beau resplendir de gentillesse et de générosité, j’ai tout de même l’impression que cette fille sait mordre et exprimer ses contrariétés. Seulement… elle se maîtrise.

Certainement pour ne pas mourir.

Malgré moi, je détaille chaque centimètre carré de son visage, allant de ses yeux en amande d’un marron aussi sucré que le paraissent ses lèvres pulpeuses jusqu’à ses pommettes maquillées, la courbe de son nez, ses oreilles sertis de bijoux resplendissants…

J’expire ma fumée pour m’empêcher de lâcher un commentaire cinglant à l’intention de l’homme qui l’emprisonne dans ses bras. Je suis loin d’être aveugle. Même si ce Sullivan ressemble à chihuahua face à moi, il se transforme certainement en animal sauvage atteint de la rage lorsque la femme qui est à ses côtés montre les crocs. 

Elle ferait tout pour se défaire de l’emprise de son… propriétaire. Ça se voit. Ça se sent. Et cette situation m’énerve. Pourquoi ? J’en sais rien.

Tout à coup, son sourire m’aveugle. Je suis tellement absorbé par ce masque parfait qu’elle vient d’enfiler que je ne fais pas attention à ce qu’elle murmure à l’oreille de mon frère aîné. Je suis plus occupé à regarder ses doigts écorchés malmener son pendentif en forme de N ou alors à examiner ce rictus qu’elle semble avoir poli plus que de raison pour convenir à toutes les situations. 

Je reviens à moi quand mon frère, un air béat plaqué sur le visage, s’exclame :     

— Ah ! Merveilleux ! C’est dommage qu’elle ne soit plus disponible pour toi, Kian.

Quel idiot.

Je ne réponds rien, ne donnant pas de crédit à mon frère qui fait tout pour me faire tiquer ou changer d’avis.

Il a senti. 

Il a compris l’intérêt qui échauffe mes pensées.

Mais ce n’est pas pour autant que je vais succomber à mon envie de voir ce qui se cache derrière les sourires de ce beau et dangereux rayon de soleil.

— Après, Sullivan pourrait accepter de te la laisser pour une nuit. Hein, Sullivan ?

Je me retiens de rire en décelant l’irritation sur l’expression du soi-disant sous-directeur du Bacchus. Il n’a clairement pas envie de partager. Et je le comprends. Quel homme laisserait un autre toucher sa femme ? 

J’hésite un instant. Son expression mi-complaisante mi-pincée est ridicule. Je pourrais lui ordonner de me la laisser pour la nuit, il ne pourrait pas refuser. Personne ne peut me refuser quoi que ce soit. Même pas Lug ni Dagda. C’est l’avantage de laisser les rumeurs proliférer autour de soi : les gens enrichissent mes propres exploits macabres et j’obtiens le respect craint de tout le monde.

Mais je décide de camper sur mes positions quand je vois l’air furieux de la jeune métisse qui tente de s’éloigner de son supérieur. Sans succès.

Ce cinéma commence à m’ennuyer.

Encore plus quand elle redirige sa haine contre moi. Son petit corps se galvanise et expire une horreur éclatante de rage qui m’atteint malgré moi.

— Je te l'ai déjà dit ; je n'ai pas besoin de cadeau.

Lug grommelle. 

Dagda grimace. 

L’idiot se retient de soupirer de soulagement.

Et a rún écarquille les yeux. Sa réaction m’interpelle plus que celle des autres. Est-elle surprise par ce que je viens de dire ou par autre chose ?

Elle finit par partir et reprendre son poste derrière le bar après un ordre murmuré de l’abruti qui se tourne ensuite vers moi et essaye par tous les moyens de m’écraser d’une prestance bancale. Je le considère avec ennui, cigarette à la bouche. 

— Je vais vous laisser. Je vais vérifier que tout va bien pour tout le monde.

Il nous salue et déguerpit comme un lapin boiteux. 

J’expire ma fumée sucrée en l’observant s’enfuir.

— Pourquoi tu mens, Kian ? Ton regard ne m’a pas échappé : tu as envie de baiser cette petite métisse mexicaine.

Je soupire. Il ne va pas lâcher l’affaire.

— Peut-être. Et alors ? 

— Et alors ?! Je t’ai dit que tu pouvais choisir n’importe laquelle. Alors choisis-la ! Ça me fera plaisir, sourit Lug.

Dagda me supplie du regard.

— Je ne la baiserai que lorsqu’elle le voudra, je déclare. Et comme je ne compte pas la revoir, ce sera… jamais.  

Décidant que j’en ai assez entendu pour ce soir, je me lève de ma chaise sous le regard incrédule de Lug et l’air inquiet de Dagda. 

— Où est-ce que tu vas ?

— Dans la seule chose de bien que tu m’as offerte aujourd’hui : une chambre dans ce putain d’hôtel.

Je m’éloigne de la table alors que Lug me rappelle en me disant de revenir tout de suite m’asseoir. Comme s’il avait une quelconque autorité sur moi… Je porte ma cigarette électronique à mes lèvres et traverse le bar, main dans la poche en ignorant l’attention que l’on me porte. 

Je ne sais pas vraiment si on me fixe du fait de mon affection génétique qui a tendance à en surprendre toujours quelques-uns ou parce que j’étais à la table des proprios. Certainement un peu des deux.

Je me dirige vers la porte qui mène au fameux couloir que j’arpente seul, contrairement à tous ceux qui l’empruntent normalement mais ma solitude est de très courte durée. À mon grand malheur. 

Je roule des yeux, excédé quand j’entends les pas lourds de Dagda. Évidemment, il fallait qu’il me suive.

— Kian.

Sa voix est posée mais je sens l’urgence dans sa façon de m’interpeller. Je m’arrête au milieu du couloir et me retourne vers lui pour l’interroger du regard.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Pourquoi est-ce que tu n’as pas choisi une fille au hasard ? Tu aurais pu l’emmener dans ta chambre sans rien faire avec elle.

Je n’ai pas pensé à cette option. En réalité, j’étais bien trop agacé par la surprise merdique de Lug pour trouver des solutions afin de satisfaire la susceptibilité de mon frère.

— Il s’en remettra, je lâche en continuant de fumer. 

Dagda me regarde comme pour me dire : « tu sais très bien que c’est faux ». Et oui, merde, je le sais. Lug est aussi susceptible que rancunier. Et putain, ce que ça me casse les couilles de toujours devoir trouver des compromis pour éviter ses caprices. Il a plus de quarante ans, j’en ai vingt-huit, je ne suis pas censé le considérer comme un enfant insupportable.

— Je te dis qu’il s’en remettra, j’insiste, agacé.

— Choisis une fille, répète Dagda.

Je grimace et m’apprête à répondre que je n’ai pas les mêmes penchants que les clients habituels du Bacchus quand une voix d’homme s’élève dans le couloir.

— Aaaargh ! Reviens ici, espèce de salope !

Je me retourne, interloqué et aperçois une fille courir, chaussures à la main tout en regardant derrière elle, comme pour vérifier que la porte ait bien claqué dans son sillage. La voix de l’homme est étouffée mais je l’entends très clairement hurler alors que la fille fonce droit sur moi. 

Je l’observe un moment et la reconnais aussitôt. C’est la belle métisse de tout à l’heure. A rún.

Il me semblait bien qu’elle allait finir… par s’enfuir. Ce n’est que lorsqu’elle tourne la tête que je remarque que son visage hâlé a été éclaboussé de rouge, de sang. Il coule dans son cou et s’égare dans son décolleté. 

Sans pouvoir ralentir, elle me percute de plein fouet mais je ne fais rien pour la retenir alors qu’elle tombe en arrière. Elle atterrit sur les fesses, sonnée et fixe mes chaussures. Le temps qu’elle reprenne ses esprits, je la contemple en silence : son rouge à lèvres a bavé, l’une des bretelles de son t-shirt tombe sur son bras et la fente au niveau de ses genoux semble s’être agrandi jusqu’à sa taille, comme déchirée. Elle a l’air bouleversé. 

Et elle l’est encore plus quand elle relève la tête pour venir amarrer ses yeux aux miens. Ils s’écarquillent et sa bouche se tord, visiblement agacée de me voir apparaître sur son chemin. 

Je tire sur ma cigarette et expire lentement ma fumée. 

Je ne bouge pas. 

J’arque un sourcil en me heurtant à la tempête qui fait rage dans ses iris noisette : une violente détermination se mêle à une rage de vivre… inspirante. Je remonte mes lunettes teintées sur mon crâne et plonge mon âme dans la sienne. Pendant de longues secondes, nous nous toisons et c’est elle qui me déstabilise en premier quand son expression se transforme. 

Son impétuosité s’adoucit et comme si de rien n’était, elle commence à se relever tout en maintenant notre contact visuel singulier. Et je suis à deux doigts de grimacer lorsque ses commissures s’étirent pour former un sourire poli. D’un seul coup, son masque tombe sur son visage et m’empêche de tirer quoi que ce soit de son regard. Elle veut m’amadouer.

— D’où tu sors ? gronde Dagda, méfiant.

Elle ne répond rien. Elle se contente d’hocher la tête, comme pour me saluer et reprend sa course d’un pas plus calme et calculé mais au moment elle passe à côté de moi, un hurlement furieux se fait entendre. La porte du bureau de Sullivan Brown s’ouvre d’un coup et surgit alors ce dernier dans un état pitoyable. 

Sur le point d’exploser de rage, il a plaqué sa main ensanglantée sur son œil droit et crache des insultes en pointant un doigt accusateur sur la jeune métisse qui se fait la malle. 

— Cette garce vient de m’attaquer ! Attrapez-la, cette sale sauvage ! 

Dagda ne dit rien. Moi non plus. Il n’est pas difficile de comprendre ce qu’il vient de se passer. J’imagine bien cette soi-disante tigresse domestiquée lui planter quelque chose dans l'œil pour se défendre mais je suis surpris de voir que l’une des perles du Bacchus se rebelle avec autant de hargne. Habituellement, elles sont toutes plus ou moins dociles et ont trop peur des répercussions pour tenter quoi que ce soit. 

Mais pas elle.

Une tigresse « domestiquée » disait Lug…

Sans vraiment réfléchir, je me contente de me saisir du poignet de la jeune femme qui s’apprêtait à se remettre à courir et la tire vers moi. Interloquée, elle ne comprend pas ma brusque réaction et commence à se débattre pour fuir mais je ne la lâche pas.

Si je la laisse partir, c’est la mort assurée pour ce joli mystère. Ce qui me donne une exquise opportunité…

— Laissez-moi, siffle-t-elle entre ses dents serrées, jetant des coups d’oeil angoissés en direction de son « propriétaire » qui arrive à grands pas dans notre direction.

— Cette connasse m’a attaquée et vient de me rendre borgne ! Je vais la corriger, M. Byrne, ne vous en faites pas, ajoute Sullivan. Elle ne se rebellera pas plus que ça… 

Sullivan essaye de garder la tête haute alors que la douleur est en train de déformer son visage. Il va lui falloir très vite de l’aide s’il ne veut pas se vider de son sang et la jeune métisse comprend très bien que si elle ne s’enfuit pas tout de suite, elle va passer un mauvais quart d’heure. Et par mauvais quart d’heure, j’entends « mort affreuse » donnée par la main de cette vermine sans intérêt. 

Mais il n’a pas le temps de nous atteindre.

Car mes balles sont plus rapides.

Les coups de feu résonnent dans le couloir. Du sang est projeté un peu partout en des centaines de gouttelettes. 

Ça me soulage.

Pour être honnête, j’en avais envie depuis tout à l’heure.

La jeune femme sursaute et fait volte-face pour découvrir avec horreur le corps de Sullivan. Elle écarquille les yeux et contemple le cadavre de son propriétaire, analysant ce qu’il vient juste de se passer. Elle oublie momentanément que j’ai toujours mes doigts enroulés autour de son poignet.

Une flaque de sang commence à s’étendre sous sa tête alors que je range mon arme sans ciller. 

Je coince ma cigarette dans ma poche et entraîne déjà la jeune femme avec moi.

— Que… Lâchez-moi ! Laissez-moi ! LÂCHEZ-MOI !

J’ignore ses hurlements et la plaque contre moi alors qu’elle essaye désespérément de se défaire de ma prise. Sans succès. Elle est bien trop frêle même si sa détermination manque de me la faire lâcher. Mais elle continue de crier, jusqu’à changer de langue et commence à m’insulter.

— Occupe-toi de Sullivan, j’ordonne à Dagda qui nous contemple en silence.

Il ne demande pas pourquoi je l’ai tué.

— Je vais devoir trouver un autre sous-directeur, marmonne mon frère en se dirigeant vers le corps. Qu’est-ce que tu vas faire d’elle ?

— ¡ Suélteme ! ¡ Déjeme !  (Lâchez-moi ! Laissez-moi !)

— Je l’emmène dans ma chambre.

Dagda se redresse d’un coup et ouvre de grands yeux surpris alors que l’être frêle que j’ai entre les mains cesse de bouger pendant… cinq secondes. 

Perdona ?! hoquète-t-elle. Lâchez-moi ! Ne me touchez pas ! Suélteme, maldito bicho ! (Pardon ?! Lâchez-moi, sale bestiole !)

Je ne l’écoute pas et l’emmène avec moi vers la chambre que Lug a louée pour la nuit. J’entends Dagda me remercier mais je n’en fais pas cas. Je suis plus occupé à faire en sorte de ne pas lâcher la furie que j’ai contre moi.

— Il ne fallait pas me montrer cet insidieux sourire, A rún, je lui murmure.

Elle se crispe.

Et je souris.

Peut-être que cet anniversaire ne sera pas aussi barbant que prévu.

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