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â¶ïž đđźđŹđąđȘđźđ : A Dangerous Thing - AURORA
MamĂĄ ne vivait pas sans musique.
Je n'ai jamais passĂ© une seule seconde de ma vie sans ĂȘtre bercĂ©e par la voix des chanteurs et chanteuses prĂ©fĂ©rĂ©s de ma mĂšre.
Elle faisait la vaisselle en fredonnant.
Elle étendait le linge en chantonnant.
Elle me bordait en murmurant.
Sa voix douce et paisible allĂ©geait l'atmosphĂšre quand les tensions me serraient le cĆur. J'adorais l'entendre chanter. Je faisais toujours en sorte de mettre la musique au plus bas pour permettre Ă sa voix de surpasser le son du vieux lecteur.
J'aimais l'écouter en faisant mes devoirs.
J'aimais l'écouter en dessinant, assise dans la cuisine pendant qu'elle préparait le repas.
J'aimais l'écouter, couchée dans mon lit et elle, assise sur une chaise prÚs de moi.
Je me rappelle son groupe prĂ©fĂ©rĂ©, un groupe espagnol qui mĂȘlait rock et pop et mĂȘme si elle se dĂ©lectait de chacun de leur album, la joie aux lĂšvres et la vie au bord des hanches, ma chanson favorite Ă©tait la plus connue.
Hijo de la luna.
Plus tard, c'est cette chanson-là qui est restée et que j'ai associée à Mamå. Je me rappelais sa voix, je me rappelais ses caresses sur mes bras, je me souvenais... d'elle. J'aimais cette chanson parce qu'elle racontait une histoire, une légende particuliÚre. C'était aussi simple que ça. Elle me donnait envie de peindre.
Mes premiĂšres Ă©bauches de dessin reprĂ©sentaient les paroles du groupe Mecano : la gitane dĂ©sespĂ©rĂ©e d'ĂȘtre aimĂ©e, l'homme blessĂ© et paranoĂŻaque, l'enfant diffĂ©rent abandonnĂ© pour ses cheveux blancs...
J'ai dessinĂ© chaque partie de la chanson. Je la connaissais par cĆur.
Aujourd'hui, j'aime la fredonner quand ça ne va pas parce qu'elle me donne l'impression de ne pas ĂȘtre seule dans la solitude que l'on m'a imposĂ©e.
Ma sĆur adorait m'Ă©couter murmurer cette chanson, ça la dĂ©tendait aussi. On imaginait toutes les deux cet enfant dont personne n'avait voulu et sur lequel la lune veillait et on se disait que la lune Ă©tait lĂ pour nous, nous aussi et qu'elle gardait un Ćil sur tous les gamins abandonnĂ©s.
Mais visiblement, la lune semble nous avoir elle aussi laissées seules...
Et je n'ai plus pu coucher mes sentiments sur une toile depuis... depuis trop longtemps.
Quand j'ouvre les yeux, je suis submergée par une douleur si vive que je referme aussitÎt les paupiÚres.
J'ai mal Ă la tĂȘte, mal Ă la nuque, mal Ă l'Ăąme, mal Ă l'espoir.
Ces hommes ont rĂ©duit Ă nouveau en poussiĂšre mes rĂȘves de libertĂ© et de bonheur mĂ©ritĂ©.
Mais je me rappelle ce que je me suis promis : ne plus me laisser faire et me battre.
Ne pas abandonner sinon ce sont eux qui gagneront.
â Ouvre les yeux.
La voix de Dagda Byrne me fait frissonner. J'obĂ©is sans me poser de question et lui jette un coup d'Ćil timide, peu sĂ»re de vouloir affronter son expression impassible mais je n'ai pas bien le choix puisque ses gros doigts se plantent sur mon menton et m'oblige Ă le regarder.
Je lùche un gémissement plaintif. Ma peau me semble se déchirer au niveau de ma nuque. J'ai si mal et je ne sais absolument pas pourquoi. Je lÚve ma main pour tùter mon cou mais Dagda m'offre une moue si effrayante que mon geste reste en suspens.
â Touche pas.
Sait-il dire autre chose que des ordres ?
Je déglutis. Pourquoi ?
â T'as pas intĂ©rĂȘt Ă faire l'idiote. Reste tranquille, ferme-la et sois une bonne poupĂ©e.
No soy un juguete, cabrĂłn. (Je ne suis pas un jouet, connard.)
Je me mords si fort l'intérieur des joues pour éviter de lui cracher cette phrase que le goût du sang vient déranger ma langue.
En revanche, je ne suis pas certaine d'avoir réussi à contrÎler mon regard car je vois ses sourcils se plisser de mécontentement.
Il me relĂąche et je me redresse pour calmer les violentes palpitations qui font vibrer ma peau vraisemblablement meurtrie. Qu'est-ce qui me fait si mal, bon sang ?
Et oĂč est-ce qu'ils m'emmĂšnent ?
Mon cĆur s'affole, malmenant ma poitrine. Je regarde le paysage qui dĂ©file Ă travers la vitre et ne parvient pas Ă empĂȘcher les scĂ©narios sinistres d'Ă©lire domicile dans mon cerveau.
Je me vois déjà enfermée dans un cabanon répugnant, entourée des mafieux qui m'ont enlevée.
Je me vois prise au piĂšge et abusĂ©e pour la centiĂšme, peut-ĂȘtre mĂȘme milliĂšme fois...
Je me vois la peau sur les os, des bleus sur la peau.
Je me vois dĂ©coupĂ©e en morceaux et enterrĂ©e dans une forĂȘt, dans un sol que personne ne foulerait.
Je me pince les lÚvres et serre les poings sur mes cuisses mais mon cerveau part dans des hypothÚses toutes plus glauques et sordides les unes que les autres et ça défile, ça défile sous mes yeux, remplaçant les champs de blé par un cimetiÚre dans lequel se trouveraient seulement mes membres éparpillés, les granges et les ranchs par des entrepÎts de torture peuplés par des ùmes martyrisées.
Mais brutalement, alors que je frotte mes cuisses de mes mains, je me rends compte que je ne porte plus mes vĂȘtements. Je baisse les yeux sur le tissu qui recouvre mes jambes puis je palpe ma nouvelle tenue, horrifiĂ©e en comprenant que ces hommes m'ont dĂ©vĂȘtue pour m'habiller comme ils le voulaient.
Je porte une affreuse robe rose à bretelles qui n'est pas du tout adaptée à la saison. Je suis sûre qu'ils ont choisi un tel coloris pour me rendre plus... innocente, plus mignonne.
Je vais vomir.
Un coup d'Ćil dans le rĂ©troviseur intĂ©rieur me suffit pour comprendre qu'ils ont mĂȘme fait en sorte de me coiffer telle une Barbie ridicule. Mes tresses ont Ă©tĂ© relevĂ©es en une couette avec un nĆud rose. Toujours du rose.
Ce n'est pas que je n'aime pas cette couleur mais étant donné qu'il s'agit d'un choix masculin, je cerne assez facilement la raison d'une telle décision stéréotypée.
Pourquoi de tels efforts ?
Ils ont changĂ© l'intĂ©gralitĂ© de mon apparence. Je ne porte mĂȘme plus mon nostril. En revanche, ils m'ont laissĂ© mes piercings aux oreilles et mon collier. Je porte mes doigts Ă mon pendentif et, soulagĂ©e, je dessine le contour du N de mon index.
Mais j'ai un pincement au cĆur en me rappelant que c'est le seul souvenir que j'ai dĂ©sormais en ma possession. Le reste est quelque part dans mon quartier, imbibĂ© d'eau de pluie.
â OĂč est-ce que vous m'emmenez ?
Silence.
Dagda ne se donne pas la peine de me rĂ©pondre et je sais que mĂȘme si j'insiste, tout ce que j'aurais comme rĂ©ponse sera un canon vissĂ© sur mon visage pour me demander de la fermer.
Agacée et nerveuse, je pivote vers la vitre et observe à nouveau les champs qui se succÚdent, les vaches qui ruminent dans leur pùturage, les chevaux qui galopent dans leur pré, les quelques randonneurs qui croisent la route de ma nouvelle prison mobile.
Mes yeux finissent par s'égarer au niveau de la poignée et une idée folle me traverse l'esprit.
Et si j'ouvrais la porte ?
Et si je sautais ?
â N'y pense mĂȘme pas.
Je sursaute. Dagda me fixe, ses Ă©normes bras croisĂ©s sur son torse, faisant ressortir ses biceps qui pourraient imploser Ă tout moment. Il me dissuade d'un seul regard de mettre Ă exĂ©cution l'idĂ©e suicidaire qui m'est venue en tĂȘte, pourtant, je le fixe en silence. J'ai l'intime conviction qu'il n'a pas le droit de me faire du mal.
Sinon pourquoi serais-je habillée comme une poupée ?
Pourquoi mes ongles seraient-ils faits ?
Pourquoi mes cheveux seraient-ils ainsi coiffés ?
Mes doigts s'impatientent sur mes cuisses mais ils se crispent au moment oĂč la gueule froide d'une arme vient percuter ma tempe. Mon corps entier se fige et j'Ă©carquille les yeux alors que le regard de Dagda s'assombrit et me laisse entrevoir la souffrance que me vaudrait une telle prise de risque.
â Fais pas la conne.
â Y'a la sĂ©curitĂ© enfant, ajoute notre conducteur.
Je plisse les lĂšvres, mauvaise.
Ces monstres adorent m'infantiliser.
J'abandonne l'idée de m'enfuir et continue de soutenir le regard de Dagda. J'en déteste la couleur et la profondeur.
Il pousse un peu plus fort son arme contre ma tempe comme pour me dire « baisse les yeux, joue pas à la maligne ». Et je n'ai pas envie d'affronter la véritable colÚre de Dagda Byrne alors je reprends la contemplation affligeante de l'extérieur mais les champs et les animaux ont laissé la place à d'immenses murs d'une austérité sans pareille.
Qu'est-ce que...
La voiture s'arrĂȘte au niveau de l'imposant portail en fer forgĂ© qui, tout comme les murs, dissimule l'intĂ©rieur du terrain. Ne sont visibles que les branches nues de quelques arbres tristes et au loin, j'aperçois le dĂ©but d'une forĂȘt de conifĂšres qui empiĂšte sur le gris du ciel.
OĂč sommes-nous ?
â Descends.
Dagda quitte le vĂ©hicule et j'en fais de mĂȘme aprĂšs qu'il m'a ouvert la porte. En une seconde, je suis congelĂ©e. Le vent s'attaque Ă mes jambes et mes bras nus mais Dagda se fiche bien de mon confort, engoncĂ© dans un Ă©pais blouson que je lui envie.
L'esthétique pour les femmes.
Le confort pour les hommes.
â Pinche cabrĂłn, je marmonne en me frictionnant les bras, la peau recouverte de frissons. (Sale connard.)
â Avance.
Je fais à peine un pas et le portail s'ouvre. Je fais quelques enjambées pour me retrouver aux cÎtés de Monsieur Hulk qui attend avec un air résigné que les battants nous dévoilent la propriété.
Et je ne comprends pas pourquoi nous sommes sortis alors que la voiture pouvait remonter le long de l'allĂ©e qui se dessine devant nous et nous arrĂȘter devant la maison qui se dresse Ă quelques mĂštres de lĂ .
D'un signe de la main, Dagda m'ordonne d'avancer, ce que je fais en me demandant si je ne vais pas perdre mes pieds dans ces talons horribles.
Un sentiment bizarre me provoque la chair de poule en plus du froid.
Cet endroit...
Cet endroit ressemble à un décor de film d'horreur.
Mes yeux ne savent plus quoi regarder tant les éléments qui décorent le jardin me mettent mal à l'aise.
Il y a des dizaines... et des dizaines de statues. Elles infestent la pelouse couverte de gel et hurlent une affliction qui m'atteint en plein cĆur. J'ai l'impression d'ĂȘtre assiĂ©gĂ©e par leur peur, leur souffrance, leur colĂšre sans pouvoir rien y faire. Aucune d'entre elles ne semble vouloir ĂȘtre lĂ ... elles ont l'air...
Elles ont l'air piégé.
Sous la bruine et le ciel gris, elles sont encore plus inquiétantes. Et elles sont tellement nombreuses que je me sens observée par leur regard vide, fait de plùtre ou de pierre.
Je...
Je me sens... mal.
Est-ce que c'est possible d'ĂȘtre aussi gĂȘnĂ©e par des statues ?
Et les arbres dépourvus de feuilles, balayées par l'hiver et son souffle glacial, paraissent presque morts. Rien ne respire la vie.
Peut-ĂȘtre est-ce Ă cause de la saison ? Peut-ĂȘtre que lorsque vient le printemps, ce jardin paraĂźt plus... vivant ?
Mais pour une raison qui m'échappe, je n'arrive pas à imaginer cet endroit autrement que plongé dans une atmosphÚre lourde, chargé de chagrins et de désolations.
â Qu'est-ce que tu fous lĂ ?
Cette voix me paralyse.
Je m'immobilise à quelques pas de la porte d'entrée de la vieille bùtisse et mon regard se braque sur l'homme à qui appartient ce timbre grave et perturbant.
Je crois rĂȘver, ou plutĂŽt cauchemarder, quand je reconnais le propriĂ©taire de cette maison malade qui se tient sur le seuil de sa demeure, mains dans les poches et aussi impassible que la veille.
L'Albinos est devant moi.
Je suis chez Kian Kelman, le meurtrier qui a réussi à me terrifier grùce à une seule photo. Celui qui a tué Sullivan sans ciller. Celui qui avait promis de m'éloigner d'ici.
Je... C'est impossible !
Mais qu'est-ce que je fais lĂ ?!
â Cadeau de Lug.
Je frémis d'horreur.
Quoi de qui ?
Il suffit d'une intervention de Dagda Byrne pour que le regard glaçant de Kian Kelman me harponne. L'effet de ma présence sur lui est immédiat. Ses sourcils blancs comme la neige se froncent, sa forte mùchoire se tend et son mépris soudain me désarçonne.
Mais contrairement Ă d'habitude, je ne souris pas pour cacher mon embarras. Non, je le fusille du regard.
Parce que je devine que c'est Ă cause de lui que je me trouve ici.
â Tu dĂ©connes, j'espĂšre ? gronde-t-il Ă l'intention de Dagda.
â Non.
Il me dĂ©visage, m'examine, me dĂ©shabille. Son regard me scanne des pieds Ă la tĂȘte et j'ai la sensation qu'il dĂ©teste autant que moi ma nouvelle tenue. J'espĂšre que c'est le seul point commun que nous aurons.
Je suis prise d'un brusque frisson, suite à une rafale qui fait voler ma couette et soulÚve ma jupe que je suis obligée de plaquer brusquement contre mes cuisses.
Je ne sais pas si sa réaction est la conséquence de ce que je lui renvoie - à savoir une fille transie de froid qui ressemble à une poupée - mais il roule des yeux et disparaßt à l'intérieur de la bùtisse, laissant la porte ouverte à notre intention.
Mais je ne bouge pas. Je prĂ©fĂšre mourir de froid que rentrer dans cette bĂątisse qui s'annonce ĂȘtre ma nouvelle prison.
Cependant mon immobilisme ne plaĂźt pas Ă Dagda qui vient me chercher par le bras. Sa prise sur ma peau me fait grimacer. Je lui communique toute ma haine alors qu'il me maudit du regard, lui aussi.
â Avance, gamine.
La chaleur qui m'accueille me fait presque soupirer d'aise mais je serre les dents pour me retenir de montrer autre chose que de la haine. Ăa a beau ĂȘtre la maison d'un meurtrier, je ne peux que me sentir mieux ici que dehors, dans le froid polaire. Je tremble parce que je ne me suis pas encore rĂ©chauffĂ©e mais j'essaye de contrĂŽler du mieux que je le peux mes frissons pour ne pas attirer l'attention.
Enfin... c'est raté.
Kian Kelman me fixe toujours.
Et l'intérieur de sa propriété est tout aussi inquiétant que l'extérieur.
La piĂšce Ă vivre est immense et combine salon, cuisine et salle Ă manger mais elle n'est ni lumineuse ni chaleureuse Ă cause des murs peints en noir, des meubles qui suivent un camaĂŻeu sombre, des statues qui par leur couleur d'albĂątre attirent l'attention et des Ă©pais rideaux noirs qui empĂȘchent la lumiĂšre naturelle et blafarde d'Ă©clairer un peu les lieux. Seule une lumiĂšre faible empĂȘche l'obscuritĂ© de nous envelopper.
Pourquoi vivre dans un lieu si... morne, lugubre ?
â J'ai dit ne pas avoir besoin de cadeau, s'exclame Kian Kelman.
Je me rappelle alors la discussion entre les Byrne et Sullivan. L'aßné cherchait visiblement à m'offrir à l'Albinos. Je me souviens encore de sa proposition affreuse.
« C'est dommage qu'elle ne soit plus disponible pour toi, Kian. AprÚs, Sullivan pourrait accepter de te la laisser pour une nuit. Hein, Sullivan ? »
Et Kian Kelman lui a rĂ©pondu la mĂȘme chose que ce qu'il vient de dire Ă Dagda.
« Je te l'ai déjà dit ; je n'ai pas besoin de cadeau. »
Dagda Byrne vient-il de m'amener ici sous ordre de son frĂšre parce qu'il m'offre Ă l'Albinos ? C'est certainement pour cette raison que je suis habillĂ©e de la sorte. Je ne suis pas empaquetĂ©e mais c'est tout comme. J'ai envie d'arracher le nĆud rose qui retient mes tresses.
Furieux, il lance un regard réprobateur à Dagda Byrne et ajoute :
â Tu lui as dit qu'elle Ă©tait avec moi cette nuit, c'est ça ?
Dagda détourne les yeux, sort son téléphone sans répondre au criminel qui semble perdre patience et pianote sur son écran.
Pour ma part, j'aimerais bien que Dagda clarifie cette horrible situation car pendant qu'il prend son temps à faire je ne sais quoi, Kian Kelman brûle ma peau de son regard ardent. Et je ne supporte que trÚs peu l'irritation qui fait briller ses yeux si clairs.
Entre nous deux, c'est moi qui suis la plus Ă plaindre, je crois, pinche bichito de mierda... (Sale bestiole de merde...)
Ses iris s'accrochent Ă ma robe rose, s'Ă©garent sur mes jambes nues, glissent jusqu'Ă mes talons inconfortables jusqu'Ă faire le chemin inverse pour me dĂ©visager sans aucune gĂȘne.
Enfin, son attention se détourne de ma personne et ce n'est qu'à ce moment-là que je m'autorise à respirer à nouveau mais je suis subjuguée par ses muscles qui se tendent lorsque Dagda lui tend son téléphone.
Intimidant...
Mauvais, il le lui arrache des mains et m'envoie un regard noir qui me fait tressaillir. En réponse, je lui offre un sourire qui ressemble plus à une grimace. Il enclenche le haut-parleur, permettant à la voix joviale de Lug Byrne de venir me nouer l'estomac. C'est à cause de ce malévolo (homme malintentionné) que je n'ai pas pu m'enfuir comme je l'avais prévu.
â Alors, content ? Heureux ?
â Reprends ton foutu cadeau, Lug, gronde Kian, sans me quitter des yeux.
â Quoi ? Pourquoi ? Je pensais que ça te plairait d'avoir cette mexicaine chez toi, Ă portĂ©e de mains.
â Dans quel monde ça me plairait, au juste ?
J'ai l'impression que sa voix plonge de plus en plus dans les graves. J'agrippe mes bras et enfonce mes doigts dans ma peau.
â Ne fais pas ton difficile.
â Je ne la garderai pas.
Bien.
C'est une bonne chose.
Comme ça, je pourrais retrouver mes affaires et quitter cette maudite ville.
â Ni repris ni Ă©changĂ©, clame Lug Byrne.
Si je pouvais le tuer par la pensée, je n'hésiterais pas une seule seconde. Ni repris ni échangé ? Il est... je rumine ma rage, ma haine dirigée vers le téléphone.
â Et je serai lĂ pour ĂȘtre sĂ»r que tu ne te dĂ©barrasses pas de mon cadeau ! Profite ! Tu peux goĂ»ter encore une fois Ă cette petite mexicaine ! Le rĂȘve, non ?
Un frisson terrible remonte le long de ma colonne vertébrale.
Me goûter encore une fois...
Je me revois assise sur lui, je revois ma bouche collée à sa peau chaude, je me revois le mordre, je me revois planter mes ongles dans ses muscles noueux. Hors de question de l'approcher de trop prÚs !
Pourtant, vu le regard qu'il continue de m'adresser, j'ai la sensation qu'il n'a aucune envie de me toucher ou mĂȘme de m'avoir dans les pattes. Ou alors il le cache magnifiquement bien.
â Non.
â Tu sais que c'est malpoli de refuser un cadeau ?
Le criminel grimace et roule des yeux. Il bascule la tĂȘte en arriĂšre pour lĂącher un soupir exaspĂ©rĂ© et mes yeux s'attardent malgrĂ© moi sur son cou tendu qui Ă©tire les ailes de l'Ă©norme insecte qui siĂšge en maĂźtre sur sa gorge. Il passe ses doigts tatouĂ©s dans ses cheveux d'un blanc irrĂ©el puis raccroche sans rien dire de plus avant de rendre le tĂ©lĂ©phone Ă Dagda Byrne, tout Ă coup un peu moins furieux.
Son impassibilitĂ© refait surface et il semble plus ennuyĂ© que agacĂ© lorsqu'il me dĂ©visage. Je ne parviens pas Ă savoir ce qu'il se passe dans sa tĂȘte. Son dĂ©tachement interdit Ă quiconque l'accĂšs Ă ses pensĂ©es ou ses Ă©motions. Il a cadenassĂ© si vite son expression pour redevenir impĂ©nĂ©trable, le rendant insaisissable.
Sans prévenir, il se plante devant moi.
J'ai un mouvement de recul. Mon cĆur loupe un battement et mes sourcils se lĂšvent de stupĂ©faction.
Je remarque Ă quel point il est grand par rapport Ă moi.
Il me dĂ©passe de deux tĂȘtes.
Je me sens minuscule, insignifiante, facile à écraser mais je me redresse pour dissiper cette sensation de torpeur.
Si avant, quand j'écoutais les chansons d'amour dont ma mÚre raffolait, je m'imaginais avec un homme dont la taille et la carrure me prodigueraient un fort sentiment de sécurité, aujourd'hui, tout cela m'intimide et me pétrifie.
Il est grand. Trop grand.
Je suis obligée de me briser la nuque pour soutenir son regard glacé et ça me fait grimacer, réveillant la douleur dans mon cou.
â Ni repris ni Ă©changĂ©, marmonne-t-il comme s'il venait de comprendre quelque chose.
Et d'un coup, il attrape ma couette et la tire en avant pour m'obliger Ă baisser la tĂȘte. Je gĂ©mis de douleur et stupĂ©faite, j'essaie de le repousser, sans grand rĂ©sultat.
â Ne me touchez pas !
Il n'a que faire de mes réclamations hargneuses. J'ai presque le front collé contre son torse, qui se soulÚve doucement, illustrant à merveille son calme glaçant qui renforce mon propre malaise. Je sens son souffle effleurer la peau sensible de ma nuque et je me fige quand ses doigts touchent avec précaution cet endroit précis.
â Putain.
â Ni repris ni Ă©changĂ©, affirme Dagda.
â SĂ©rieusement...
Contrairement Ă son geste prĂ©cĂ©dent, il tire doucement sur mes cheveux et passe sa main sous mon menton pour m'accompagner dans le mouvement et me redresser. Je ne comprends pas bien ce qu'il se passe. Ăa doit se lire sur mon expression perdue car il reste un moment Ă contempler mon visage, comme s'il rĂ©flĂ©chissait.
â Bonne soirĂ©e, Kian, lĂąche soudain Dagda.
â Ouais, c'est ça, rĂ©pond simplement l'homme qui s'Ă©loigne brusquement de moi, les mandibules ondulant d'agacement.
Quelques secondes plus tard, je me retrouve seule dans le silence angoissant du salon, immobile avec l'ex-taulard qui s'est plongé dans un mutisme agacé. Il est plongé dans ses pensées.
Je ne bouge pas. Je le dévisage, l'expression fermée avant de laisser mes yeux naviguer sur tous les détails du séjour. Comment une maison peut autant ressembler au maßtre des lieux ? C'est vraiment troublant.
Tout en m'attardant sur les statues qui contrastent avec les murs noirs, je brise le silence :
â Vous aimez les poupĂ©es ?
Je cesse de contempler l'homme statufié dans la tristesse pour reporter mon attention sur l'expression désabusée de Kian Kelman. Sorti de ses pensées sombres par ma question improbable, il plisse les yeux et enfonce ses mains dans ses poches. Il ne va pas me répondre, c'est quasiment certain. Alors je continue de parler parce que je suis nerveuse.
â Non, vous n'aimez pas les poupĂ©es, j'affirme. Vous n'avez pas la tĂȘte Ă aimer ça. Je pense qu'une peluche Pinocchio vous aurait mieux correspondu.
Il arque un sourcil, intriguĂ© par ce que je raconte et penche la tĂȘte sur le cĂŽtĂ©, examinant mon expression sous un nouvel angle. Pendant ce temps, je m'arrache les cuticules et je cache la douleur que je m'inflige en parlant parce que son immobilisme me tend.
â Une peluche Pinocchio pour un menteur, c'est une bonne idĂ©e, non ?
Oui, je le provoque.
Oui, je suis en colÚre de voir que dans mon monde, le verbe « promettre » n'a plus aucun sens.
Oui, c'est dangereux parce que je sais de quoi cet homme est capable et qu'il n'a plus aucune raison de me laisser en vie. Je n'ai rien à lui apporter. Et il n'a pas l'air enchanté de m'accueillir dans son manoir de vampire assumé. Il fait si sombre ici. C'est vraiment dérangeant.
Ăvidemment, il ne me rĂ©pond pas. Il ne tique mĂȘme pas Ă ma provocation, comme si ça lui importait peu et me tourne le dos pour se diriger vers un couloir, le seul qui permet d'accĂ©der aux escaliers qui montent aux Ă©tages et Ă une seule porte, juste en face de l'entrĂ©e.
â AmĂšne-toi.
Je me pince les lĂšvres.
Toujours aussi aimable.
Je m'avance avec méfiance dans cette maison que la joie ne semble pas habiter pour rejoindre Kian Kelman qui se trouve déjà en bas des escaliers. Il m'attend à peine avant de se mettre à les gravir et je l'imite, trÚs peu à l'aise à l'idée de me retrouver si proche de lui, sans personne pour m'aider.
Enfin... ce n'est pas comme si à notre premiÚre rencontre, quelqu'un m'avait aidée dans les couloirs du Bacchus.
Il pousse une porte et me laisse passer avant lui, à l'affût de mes réactions que je fais en sorte de dissimuler derriÚre un rictus qui n'atteint pas mes yeux. J'hésite quelques secondes à faire demi-tour, ouvrir la porte et me précipiter dans le jardin des ùmes damnées mais il ne me laisse pas le temps de faire volte face ; il me bloque l'accÚs au couloir dÚs que je me retrouve dans la piÚce.
â Vous n'allez pas me laisser partir, hein ? je maugrĂ©e, plongĂ©e dans l'obscuritĂ© de la chambre aux volets clos.
Pourquoi haĂŻt-il autant la lumiĂšre ?
Il ne me rĂ©pond pas. Il tend le bras vers l'interrupteur et appuie dessus pour Ă©clairer la piĂšce. Comme le reste de la maison sans doute, cette chambre est d'une sobriĂ©tĂ© prĂ©occupante. Personne ne semble vivre ici, Ă part lui, ce qui ne m'aide pas Ă ĂȘtre plus rassurĂ©e. Je n'arrĂȘte pas de gratter les cuticules que j'arrache habituellement avec mes dents dans une vaine tentative de contenir ma nervositĂ©.
Et si je lui donnais tout de suite ce qu'il voulait ? Peut-ĂȘtre qu'il me relĂącherait ?
Comme l'a dit Lug Byrne, il faut juste qu'il... me goûte à nouveau.
Non, plutÎt mourir que de faire ça !
â Tu m'as Ă©tĂ© offerte, dit-il finalement en grimaçant. Ce n'est pas dans mes intentions de me mettre Ă dos mon frĂšre maintenant et selon lui, tu m'appartiens Ă vie. Donc, non, je ne te laisserai pas partir.
â Pardon ?
Il vient tapoter sa nuque dans un message silencieux. Je cours jusqu'à la psyché que j'ai aperçue en entrant et relÚve mes tresses en me contorsionnant pour essayer de voir ce qui me fait si mal depuis que je me suis réveillée dans la Range Rover. Mais c'est physiquement impossible.
Jusqu'Ă ce que Kian Kelman apparaisse dans mon reflet, un miroir Ă la main.
J'ouvre la bouche, horrifiée.
â Es imposible...
â Tu m'appartiens. C'est ce que dit la marque que tu as lĂ .
Choquée, je fixe ce... cette... cette brûlure.
Ils m'ont...
Ils m'ont brûlée au fer rouge, ils m'ont marquée au fer rouge, comme du vulgaire bétail.
Le code barre ne leur suffisait pas ?!
J'ai désormais une brûlure qui a la silhouette grossiÚre d'une libellule.
Vraisemblablement l'emblĂšme de l'homme qui se tient dans mon dos.
â Alors je ne peux pas te laisser partir, a rĂșn.
Le surnom qu'il n'a de cesse de me donner sonne comme une menace ou une moquerie. Quoi qu'il en soit, un certain Ă©coeurement s'empare de moi. Je ne suis vouĂ©e qu'Ă appartenir Ă un homme. Je n'ai visiblement pas le droit de m'appartenir Ă moi-mĂȘme. On me fait passer d'un homme Ă un autre, sans scrupule.
Et si vivre avec Sullivan Brown me rendait folle, vivre avec Kian Kelman me donne envie de hurler.
Qui sait ce qu'il me fera subir...
â Je ne vous appartiendrai jamais. Je ne resterai pas ici, chez vous. Prefiero morir.
Mon regard se fond dans le sien à travers le miroir. Je ferai tout pour m'échapper de cette propriété car je n'ai rien à perdre à part ma vie. Quelque chose me dit qu'il pourrait bien avoir un jour envie de me supprimer comme il l'a fait avec Sullivan, parce que le parasite que je suis l'aura un peu trop mis sur les nerfs.
Mon air effrontĂ© ne lui fait ni chaud ni froid. Ăa me dĂ©stabilise et fragilise ma confiance.
â Pour ça, il faudrait dĂ©jĂ que tu arrives Ă quitter ma propriĂ©tĂ© et il s'avĂšre que je suis trĂšs bon pour garder les gens prisonniers. Alors, reste sage, a rĂșn.
Je frissonne, décontenancée par sa voix caverneuse et la lueur dangereuse de ses iris céruléens. Je fais volte-face pour l'insulter mais il est déjà au niveau de la porte et il sort sans dire un mot avant de m'enfermer dans ma nouvelle cellule.
~ âŸâŒâœ ~
ÂĄ Hola, mis libĂ©lulas ! đŠ (nouveau surnom redĂ©bloquĂ© â )
Comment allez-vous ?Â
J'espÚre que vous avez aimé ce nouveau chapitre !
Bon, Sol a changĂ© de prison... peut-ĂȘtre que celle-lĂ sera meilleure que l'autre, qui sait ? đ«ą
Pas sĂ»re que j'aimerais vivre dans un manoir comme celui de Kian... les statues me feraient flipper đ€Ł
Oui, oui, vous pouvez dĂ©tester Lug et Dagda, c'est tout Ă fait normal. Et ça ne va pas aller en s'arrangeant... Oupsi đ
- AdiĂłs -
AyĂ©lĂ© đž