Rennes, France, septembre 2008
Dans un monde où les apparences étaient reines, il n'y avait rien de plus cruel que le jour de la rentrée.
Hormis le stress habituel de l'emploi du temps ou de savoir si l'on se retrouverait ou non dans la même classe que ses amis, il existait une pression invisible qui nous poussait à nous montrer sous notre meilleur jour dès que l'on passait la grille d'entrée. Tout devait être parfait : la tenue, les cheveux, les chaussures, le sac, et sans oublier le fameux récit de nos super vacances d'été.
J’enviais mes amis qui étaient dans le sud et qui allaient passer cette première journée entourés de quelques visages familiers, même s’ils ne se retrouveraient probablement pas tous dans la même classe.
À deux mois de fêter mes 17 ans, ma routine de veille de rentrée était parfaitement millimétrée. Je préparais mon sac ainsi que ma trousse et cette année, j'avais choisi un sac cabas Longchamps kaki. Ma tenue était déjà prête et posée sur mon bureau. Un jean slim bleu foncé, un pull noir léger avec un léger décolleté carré, ainsi qu’une paire de ballerines noires vernies qui m’attendaient dans l’entrée. Au fil des années, ma garde-robe hyper colorée s’était transformée peu à peu en un camaïeu de noir, de kaki et de bleu.
Lorsque ma mère avait appris qu'elle serait mutée à Rennes, j'avais effectué toutes les recherches possibles sur mon nouveau lycée. Il en était ressorti que le lycée Dreyfus, bien que public, avait la réputation d'être fréquenté par les enfants des « bourges de la ville », comme j'avais pu lire sur la page Skyblog d'une élève d'un lycée rival.
Nous n'étions certes pas riches, mais avec son nouveau poste d'infirmière de nuit, ma mère gagnait bien sa vie et, malgré leurs différents, mon père avait toujours mis un point d'honneur à payer la pension alimentaire en temps et en heure. Il était bien trop heureux de ne pas m'avoir aussi souvent dans les pattes que le jugement de divorce le stipulait.
J'étais à présent dans la salle de bain, en train de me débattre avec la pince à épiler pour éradiquer le monosourcil qui avait presque élu domicile entre mes deux yeux après plusieurs semaines de paresse estivale. Les escaliers s'étaient mis à craquer, m'indiquant l'apparition prochaine de ma mère. Il était 19 h, ce qui voulait dire qu'elle ne devrait plus trop tarder avant de partir prendre son service de 20 h.
- Camille, m'interpella-t-elle.
- Je viens de te laisser un croque-monsieur dans le four, tu n'auras qu'à le réchauffer pour le dîner, me dit-elle en me scrutant depuis le pas de la porte.
Alors que mes yeux noisette croisaient les siens dans le miroir, j'attendais la remarque. Elle avait toujours une remarque ou une chose à redire.
- Tu aurais vraiment dû aller chez le coiffeur comme je te l'avais conseillé, tes cheveux sont trop longs et cela alourdit ton visage, soupira-t-elle, comme si j'avais commis un crime.
- J'avais envie de les laisser pousser pour voir ce que cela donnerait, mam's, lui répondis-je avec un sourire qui, je l'espérais, cachait mon air vexé.
La vérité, c'est que j'avais l'intention de redonner une chance à mes boucles, mais mon ancien carré court ne m'aidait pas vraiment à les apprécier.
- Dommage, tu es pourtant si jolie avec un petit brushing carré.
- J'aurai toujours le temps de changer d'avis jusqu'au week-end prochain, lui dis-je rapidement, sachant pertinemment qu'elle remettrait plusieurs fois le sujet sur le tapis jusqu'à ce que je cède.
- Comme tu voudras, ma chérie.
Ceci était bien évidemment un mensonge, ce n'était jamais comme je voulais et elle mettait toujours tout en place pour que je finisse par plier.
- Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir être présente demain matin pour ta rentrée en terminale ; tu me raconteras. Je dois filer si je ne veux pas arriver en retard. Bisous, bisous, finit-elle avant de reprendre la direction des escaliers.
Il ne se passa même pas cinq minutes avant que j'entende la porte d'entrée se refermer et la clé être tournée dans la serrure. J'aurais aimé être surprise ou attristée par l'absence de ma mère à la veille d'un jour aussi important pour moi, mais ces sentiments avaient depuis longtemps laissé place à la déception. L'hôpital était à peine à 10 minutes en voiture, embouteillages compris, et je savais que ma mère préférait passer la demi-heure qui précédait son service à papoter avec ses nouveaux collègues plutôt que de s'intéresser à moi.
Je devrais plutôt être heureuse, plutôt que de m'apitoyer sur moi. Nombre d'adolescents rêvaient sûrement d'être aussi libres que je l'étais une fois que ma mère passait le pas de la porte. Nous étions lundi soir, la rentrée ayant lieu un mardi cette année. Il devait donc bien y avoir un épisode de Joséphine, ange gardien ou autre que je pourrais regarder avant d'aller me coucher.
...
23 h 30. Ma session beauté était finie et le croque-monsieur avait été englouti depuis plus de deux heures, mais je n'arrivais toujours pas à fermer l'œil. On pourrait croire que le stress de la rentrée était à l'origine de mon insomnie, mais je devais dire que le mérite en revenait à mes voisins qui semblaient avoir décidé qu'un lundi soir était une soirée parfaite pour organiser une fête.
Cela faisait bientôt une heure que je me tournais et retournais dans mon lit, incapable de faire abstraction de leurs rires et de la musique qui s'échappait de la stéréo. Je devais bien malheureusement me rendre à l'évidence : je n'aurais pas mes huit heures de sommeil beauté. Il faudrait que je pense à bien cacher mes cernes avec un peu de poudre demain matin.
Les chiffres de mon réveil se reflétaient sur le plafond de ma chambre, me rappelant qu'il ne me restait plus que six heures et cinquante-quatre minutes avant que mon réveil ne sonne. Puisqu'il m'était impossible de dormir, je décidai donc d'ouvrir la fenêtre et les volets de ma chambre. L'air était encore chaud pour un mois de septembre en Bretagne et peu d'étoiles étaient visibles en raison de la contamination lumineuse. Une pluie légère s'était mise à tomber.
Je montai sur le rebord de la fenêtre pour mieux observer ce spectacle discret qui me rappelait des souvenirs plus joyeux. Le dos et la tête appuyés sur le crépi extérieur, tout semblait plus tranquille, la musique qui me parvenait de la maison voisine ne me gênant plus autant.
- Tu ne vas pas sauter, hein ?, me dit une voix masculine depuis la pénombre.
L'élément de surprise me fit sursauter, manquant de peu de me faire retomber dans ma chambre. Remise de mes émotions, je me mis à observer d'où venait la voix, mais rien. Aucun son ne semblait sortir de l'ordinaire, hormis cette musique, et aucune forme ne semblait se dessiner dans les arbustes qui faisaient face à l'entrée de la maison. Je devais sûrement être très fatiguée pour m'imaginer des voix.
Un léger ricanement se fit entendre dans l'obscurité et un jeune homme en sortit, une cigarette à la main. Il leva les yeux dans ma direction et aspira, faisant rougeoyer les cendres naissantes. Il semblait avoir mon âge ou peut-être quelques années de plus, le manque de lumière rendant l'appréciation un peu plus compliquée, mais je pouvais tout de même dire qu'il était assez grand en comparant sa silhouette à la taille du muret à côté duquel il se trouvait maintenant.
Il se rapprocha encore un peu plus, déclenchant la lumière extérieure qui se trouvait devant la porte d'entrée de ma maison, et mes mains devinrent soudain moites. Il était beau, vraiment très beau, et me fixait de ses yeux gris dont je discernais à présent la couleur. Ses cheveux d'un blond presque blanc étaient légèrement ébouriffés comme s'il avait passé ses mains dedans et son sourire manquait définitivement de me faire basculer une nouvelle fois.
- Il est tard, petite fille, tu devrais déjà être couchée, dit-il sarcastiquement.
- Je ne suis pas une petite fille, répondis-je d'un ton agacé.
- Tu es majeur ? me questionna-t-il en me fixant toujours de ses yeux perçants.
- Je ne crois pas que cela te regarde, répondis-je. Ma réponse sembla lui donner l'affirmation qu'il attendait.
- Donc bien une petite fille, renchérit-il sur un ton railleur.
Je me renfrognai. À presque 17 ans, je n'avais clairement plus l'apparence d'une enfant, même si le fait de porter un pyjama Aristochats ne jouait pas en ma faveur. L'inconnu se rapprocha un peu plus, levant les yeux pour ne pas me perdre de vue, et sembla s'amuser des émotions qu'il apercevait passer sur mon visage. Les secondes s'écoulaient, comme s'il attendait que je le contredise à nouveau, lui prouvant ainsi son point.
Plutôt que de rentrer dans son jeu, je lui répliquai froidement :
- Tu as raison et, au vu de ton grand âge, il serait plus prudent que tu t'abstiennes de me parler. Les gens pourraient penser que tu souhaites corrompre une mineure.
Il écarquilla légèrement les yeux, mais se reprit :
- Quel dommage, moi qui venais enfin de trouver une distraction après avoir échappé à une fête ennuyeuse.
- Et en quoi discuter avec une inconnue serait-il plus intéressant que de faire la fête entouré de tes amis ? lui demandai-je sans même y penser.
Il ricana, ignorant ma question et demanda :
- Je n'ai jamais cru au hasard et toi ?
Devant mon air interdit, il poursuivit :
- Quelle était la probabilité que je sorte prendre l'air pile au moment où tu déciderais de sauter par la fenêtre ?
- Je n'allais pas sauter ! m'exclamai-je.
- Un détail, balaya-t-il d'un geste de la main.
Un long silence s'installa et mon regard se reporta sur le ciel pour tenter de mettre fin à la gêne que me procuraient ses yeux rivés sur mon visage.
- Tu es nouvelle en ville ? demanda-t-il finalement après de longues minutes, et mes yeux se reportèrent immédiatement sur ces iris gris qui me clouaient sur place.
Face à mon absence de réponse, il poursuivit en ricanant :
- Il semblerait que le chat ait mangé ta langue, mais je finirai par le découvrir.
Soudain, la musique s'arrêta et la porte d'entrée de la maison voisine s'ouvrit bruyamment.
- J, tu es où ? On sort en ville, tu viens ? dit une voix haut perchée. Celle d'une jeune femme clairement.
Mes yeux se reportèrent sur l'inconnu qui jeta son mégot dans les jardinières de ma mère avant de me fixer à nouveau.
- Bonne nuit, Juliette, me dit-il avec un sourire plein d'assurance avant de se diriger vers la voix qui, je compris, venait de l'apostropher, sans même me laisser la possibilité de le corriger.
- Tu parlais avec quelqu'un ? demanda la jeune femme.
- Non, juste avec le chat du voisinage, répondit-il lassé.
- T'en con, se mit-elle à rire. Les autres nous attendent, viens.
Ce furent les derniers mots que j'entendis avant de refermer ma fenêtre.
⭐️⭐️⭐️
Voilà pour le premier chapitre, qu'en avez-vous pensé ? 😊