Rennes, France, septembre 2008
- Tu es sûr que c'est une bonne idée ? me questionna Matthieu tout en calquant son rythme sur le mien.
- Non, c'est définitivement une mauvaise idée, répliquai-je honnêtement.
Tout avait commencé un peu plus tôt dans la soirée. Mon père était rentré après plusieurs jours sans donner de nouvelles et je savais qu'il fallait que je me tire. Délia avait été invitée à passer la nuit chez une de ses copines. J'étais au moins certain qu'elle ne le croiserait pas ce soir.
En temps normal, j’aurais passé la soirée chez Matthieu, mais ses parents avaient organisé leur propre petite fête et j'aurais tout fait pour échapper aux griffes de madame Champenois, la meilleure amie de la mère de Matthieu. Il fallait croire que le fait que je sois encore mineure ne la dissuadait pas pour autant.
Nous étions sortis en ville pour boire une bière lorsque le SMS d'Anderson était arrivé. Dire que son SMS avait été une surprise aurait été un euphémisme, mais je savais qu'il y avait un motif ultérieur à son invitation. Sûrement quelque chose qui me mettrait dans la merde, mais je n'étais pas à une bêtise près et ma curiosité avait été piquée.
Nous étions à présent devant sa porte et profitions qu'une élève de notre classe sorte pour nous faufiler dans le hall d'entrée. À peine le pas de la porte passé, Matthieu me donna une tape dans l'épaule.
- Mec, je te laisse, je viens de voir ma future copine, s'exclama-t-il tout en indiquant un fauteuil où était assise Alice. Ne fais pas de bêtises, me pria-t-il.
- Et toi, ne joue pas les gros lourds avec elle, je n'ai pas envie qu'elle te fasse la peau. Je te rappelle que je dors chez toi ce soir, lui dis-je en lui donnant un coup de coude dans les côtes.
- Tout par intérêt, vraiment, je suis déçu Raph, déclara-t-il en rigolant avant de s'éloigner vers la fille qui monopolisait ses pensées.
Si Alice était là, il y avait fort à parier que Héloïse aussi. Ces deux-là passaient tout leur temps ensemble, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du lycée. Peut-être que Camille s’était également jointe à leur petit groupe; après tout, elle semblait s’être rapprochée assez rapidement des deux autres.
Camille, je ne l’avais pas revu depuis le cours de sport du jeudi. Il avait bien sûr fallu qu’elle choisisse le groupe de natation. J'espérais qu’elle serait plus intelligente que lors de notre première rencontre à la piscine, car, en plus de sa présence, j’allais devoir supporter celle de Lia qui avait également choisi cette option.
En parlant de la nouvelle, je la vis se diriger vers les escaliers qui menaient à l’étage. Elle était plus maquillée qu’à son habitude et sa bouche était d’un rouge sang qui contrastait parfaitement avec la pâleur de sa peau. Elle portait un genre de robe courte qui mettait en valeur ses jolies jambes et elle avait sûrement bu quelques verres, car sa démarche était quelque peu chancelante.
Elle devait sûrement chercher les toilettes pour aller vomir et je n’allais pas l’en empêcher.
Je me dirigeais vers une table où se trouvaient les boissons et me servis une vodka. Alors que je remettais la bouteille à sa place, Marie, l’une des groupies de Lia, en profita pour se rapprocher.
- Raphaël, me dit-elle avec une voix teintée par l'alcool. Je ne pensais pas te voir ce soir.
- On est deux dans le même cas, je ne pensais pas venir non plus, lui répondis-je froidement. Je préférais me méfier et m'en tenir au strict nécessaire, car tout ce que je dirais serait amplifié ou empiré avant d'être répété à Lia.
- J'étais tellement désolée d'apprendre que toi et Lia n'étiez plus en couple, poursuivit-elle en déposant sa main sur mon avant-bras qu'elle se mit à caresser doucement.
Ça, c'était nouveau. Elle devait avoir bu plus que de raison pour s'aventurer sur ce terrain. Elle ne se serait jamais permise de faire ce genre de chose en présence de Lia ou en étant complètement sobre, sachant les répercussions que cela pourrait avoir sur elle.
Je me dégageais de sa caresse. J'étais peut-être un connard, mais je n'avais pas envie qu'elle paye pour un moment d'égarement.
- C'est comme ça, répliquai-je brièvement. Garder des réponses courtes me permettrait sûrement de m'en libérer rapidement. Il semblait cependant qu’elle n'avait pas compris le message, car elle se rapprocha un peu plus pour se planter devant moi.
À présent, son index traçait les coutures de ma chemise.
- C'est tellement dommage qu'on ne se soit pas connus avant Lia, soupira-t-elle. Je suis certaine que toi et moi, cela aurait été différent, mieux même, si tu vois ce que je veux dire.
Malheureusement, je ne voyais que trop bien, mais un mouvement au niveau de la cage d'escalier retint mon attention. Anderson gravissait les marches au pas de course alors que je n'avais pas encore vu Camille redescendre.
Elle était peut-être descendue et je ne l'avais pas vu passer ou peut-être s'était-elle endormie à l'étage ? Ce n'était pas mes affaires, mais je repensais à Anderson et à ce qu'il avait dit en cours.
Il avait semblé particulièrement intéressé par ma conversation avec Matthieu et peut-être se jetterait-il sur Camille pour se prouver qu'il pouvait l'avoir avant moi, comme l’une de ces stupides compétitions qu’il aimait tant.
Mais encore une fois, il se trompait complètement sur mes intentions. Il pouvait l’avoir s’il la voulait, cela ne me faisait ni chaud ni froid. Je ne m’étais pas sorti d’un plan foireux pour me lancer dans un nouveau.
Alors que j’essayais de me concentrer sur le doigt de Marie qui continuait son chemin vers mon estomac, les pas chancelants de Camille me revinrent en mémoire.
- Et merde, fis-je en me dégageant brusquement avant de me diriger vers les escaliers. Elle avait déjà failli se tuer cette semaine, je n’allais pas à présent la laisser se faire abuser par un mec qui profiterait de son état d'ébriété.
Marie émit un léger cri dans mon dos, mais je l'ignorais.
En haut, tout était sombre. Seule une lumière blanche se faufilait au travers d'une porte laissée ouverte. On aurait pu croire le lieu complètement désert, mais le bruit étouffé d'une conversation fendit le silence nocturne.
Je me rapprochais, j'allais seulement m'assurer qu'il ne s'agissait pas de Camille et je redescendrais. Je faisais juste ma bonne action de la journée. Comme tout gentleman, je veillais seulement à ce qu'il n'arrive rien à une fille dont les capacités cognitives étaient altérées par l’alcool.
C'est alors que je les vis. Camille était plaquée au mur, les joues rosies par l’alcool et maintenue en place par les bras d’Anderson.
- J'adore quand tu réagis avec autant de force. Je préfère ça à te voir pleurer, susurra Anderson.
OK, j'allais définitivement devoir le frapper. Quel genre de mec se délectait d'abuser d'une fille qui tentait de le repousser ?
Camille restait muette et immobile, comme un lapin hypnotisé par les phares d'une voiture qui allait le renverser. Il fallait que je fasse quelque chose, mais quoi ? Décocher mon poing dans la gueule d'Anderson me ferait sûrement le plus grand bien, mais les filles avaient tendance à prendre peur devant l'étalage d'autant de violence. Les championnats régionaux de natation approchaient également à grands pas et je n'allais pas donner à mon père les munitions dont il avait besoin pour me soustraire à l'une de mes seules échappatoires.
Je devais donc me rendre à l'évidence : j'allais devoir la jouer civilisé.
- Je n'ai pas envie de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais embrasser une fille en état d'ébriété est plutôt moyen, même pour toi, Anderson, commentai-je d'une voix glaciale.
- Raphaël, ça faisait longtemps, répliqua Anderson sarcastique. Camille et moi étions en pleine conversation. Si ça ne te dérange pas, tu peux fermer la porte en partant.
Je sondais les yeux de Camille pour savoir ce qu'il en était vraiment, mais l'obscurité environnante rendait la tâche plus que compliquée. Avant que je ne me décide à intervenir physiquement, elle s'exclama.
- Je crois que j’ai un peu chaud, je ferais mieux de sortir prendre l'air.
J'avais donc vu juste : elle n'était pas là de son plein gré.
Anderson se mit à rire puis se redressa, mettant ainsi fin à leur proximité.
Avant de partir, il ajouta en direction de Camille :
- Je suis sûr que nous aurons l’occasion de nous revoir au lycée ou sous ton balcon, Juliette, puis il quitta la pièce en me bousculant au passage. Une bien piètre manifestation de son agacement selon moi. Et en plus, il ne se souvenait plus du prénom de la meuf qu'il allait embrasser un instant plus tôt.
Comme pour se sortir d'une hallucination, Camille se secoua légèrement la tête avant de prendre la direction de la porte. Alors même qu’elle arrivait à ma hauteur et sans bien comprendre pourquoi, ma main se posa sur son bras pour la retenir.
- Tu devrais éviter de te retrouver seule et bourrée avec un mec, d’autant plus dans un endroit complètement désert. Certains mecs n’ont pas que de bonnes intentions.
- Et pourtant, c’est toi qui me retient dans un endroit désert alors que tu es un mec et que tu ne m’apprécies pas vraiment. Et pour ta gouverne, je ne suis pas bourrée, s’énerva-t-elle.
Putain, il semblait que l’on ne pouvait pas avoir une conversation sans que l’un de nous finisse irrité.
- Je crois t'avoir déjà démontré cette semaine que mes intentions à ton égard étaient plus que respectables. Évite de te retrouver dans ce genre de situation et je ne me mêlerai plus de ta petite vie.
Son regard s'obscurcit et soudain, elle pointa son index sur ma poitrine, me faisant reculer à la force de son doigt. Autant dire aucune, mais à chacun de ses assauts, je reculais d'un pas.
- J'en ai par-dessus la tête que l'on me dise ce que je peux faire ou ne peux pas faire.
Un pas.
- J'en ai ras le bol que tout le monde pense savoir ce qu'il y a de mieux pour moi sans vraiment jamais s'intéresser à ce que je pense moi.
Un pas.
- J'en ai ma claque d'être la gentille petite fille, alors que ce que je fais ne semble jamais suffisant même aux yeux de ceux qui sont censés m'aimer.
Un pas de plus et l'arrière de mes genoux butait contre une surface dure. Je me retrouvais déséquilibré et retombais sur une banquette qui se trouvait dans la bibliothèque. À présent assis, nos deux visages se retrouvaient presque à la même hauteur.
- J'en ai plus que marre de ne pas pouvoir faire ce que je veux quand je veux, par peur de décevoir ou de me prendre la tête plus tard à force de tout ressasser, finit-elle en frappant une dernière fois mon torse avec son doigt.
Pas plus de quelques centimètres nous séparaient maintenant. Je pouvais presque sentir son souffle chaud sur mon visage et une étincelle nouvelle brillait dans ses yeux noisettes. Je sentais mon pouls accélérer. Mon dieu, j'allais faire une grosse connerie si elle continuait à me regarder comme ça. Je n'avais pas empêché Anderson de se jeter sur elle pour en faire de même un peu plus tard. Merde, je n'étais pas ce genre de mec.
Je levais les mains pour les poser sur sa taille, prêt à la repousser, mais avant de l'éloigner, je m'entendis lui demander :
- Et qu'est-ce que tu veux faire ?
Pour toute réponse, elle se pencha en avant, encercla mon visage avec ses mains et posa ses lèvres sur les miennes dans un baiser qui n'avait rien de tendre. À travers ses lèvres, elle semblait vouloir se défaire de toutes les émotions qui avaient envahi son esprit. La colère, la frustration et une note de désir ?
D'abord surpris, je me vis finalement répondre à ses caresses en intensifiant la pression de ma bouche sur la sienne. Je devais arrêter ça tout de suite, mais mon corps avait d’autres plans et mes mains glissèrent pour se resserrer autour de ses hanches. Sa présence était magnétique et je n'arrivais pas à me détacher d'elle.
Mon dieu, son parfum me rendait fou. L’odeur de cette foutue fleur que je n’arrivais pas à identifier était à présent imprimée dans mon esprit.
J’entrouvis légèrement la bouche à la recherche de sa langue et soudain, elle se recula comme si elle venait de se faire électrocuter.
- Merde, merde, merde, merde… commença-t-elle tout en portant une main à sa bouche.
Encore pris dans l’intensité de son baiser, je ne sus quoi dire. C'était une erreur, mais cela faisait très longtemps que je n’avais pas ressenti ce courant électrique en embrassant qui que ce soit, Lia incluse.
- Je suis vraiment désolée, je n’aurais jamais dû faire ça.
Avant même que je puisse lui répondre, elle se précipita vers le couloir sans un dernier regard dans ma direction.
Je m’étais promis qu’aucune fille ne se mettrait en travers de ma route en terminale, mais je n’allais clairement pas pouvoir oublier les lèvres de la petite nouvelle sur les miennes.
⭐️⭐️⭐️