Rennes, France, septembre 2008
Nous étions officiellement trente-cinq élèves dans la classe de terminale S1, 18 filles et 17 garçons. Les élèves de ma nouvelle classe étaient regroupés dans l'une des cours intérieures du lycée. Nous attendions que la prof principale arrive pour nous conduire dans une salle où elle nous communiquerait notre emploi du temps pour le reste de l'année.
- On a vraiment pas de bol d'être tombés sur Vicard, elle va pas nous louper en physique-chimie , entendis-je à ma droite, où se trouvait un garçon blond aux joues rouges et à l'air dépité.
- Franchement, je ne me plains pas, on aurait pu tomber sur Josselin comme les S4 , lui répondit un autre à la peau métisse et aux yeux noirs abyssaux.
Les deux se mirent à rire en se tapant sur l'épaule, se délectant a priori de la poisse de l'autre classe.
Soudain, un léger coup sur mon épaule me tira de ma rêverie.
- Tu es nouvelle, non ? , me dit une fille géante avec un grand sourire. Elle était très jolie et devait bien mesurer un mètre quatre-vingt. Ses cheveux châtains lui arrivaient au milieu du dos et ses yeux couleur océan me regardaient avec curiosité.
- Heu, oui, je viens de déménager à Rennes , lui répondis-je quelque peu prise au dépourvu. Je ne m'attendais pas à ce que quelqu'un vienne me parler sans avoir à faire le premier pas. Plus le temps passait et plus il était difficile de se faire des amis, mais arriver dans un groupe qui semblait déjà bien formé était encore plus compliqué.
- Je me disais bien que j'aurais remarqué une aussi jolie fille si tu étais là l'année dernière. À moins d’avoir effectué un méga relooking, tu sais, comme dans les séries américaines ? Ou comme la série Le destin de Lisa , continua-t-elle à toute allure alors que je me mis à rougir.
- Hmm , je commençais.
- Tu connais pas ? Franchement, tu perds quelque chose, il doit bien y avoir un million d'épisodes, mais ça en vaut la peine , me coupa-t-elle, n'attendant pas ma réponse.
Comme un moulin à vent qui tournait sans cesse, les mots qui sortaient de sa bouche défilaient à un rythme frénétique, me tirant un sourire amusé.
- Mais tu vas te taire, intervint une autre fille dont le ton jovial contrastait avec ses mots. La nouvelle arrivante était plus petite que la pipelette, elle avait de longs cheveux blonds et un visage moucheté de taches de rousseur.
- Tu es méchante, Alice, lui répondit la pipelette feignant d'être blessée.
- Tu ne voudrais tout de même pas faire peur à la nouvelle, lui rétorqua-t-elle avec un sourire moqueur.
- C'est vrai tu as raison, elle n'a pas encore l'habitude, conclut-elle avant de se retourner vers moi.
- Pardon, je crois que je vais commencer par le commencement. Je suis Héloïse, bavarde sans filtre officielle de la classe et toi ?, me dit-elle en me tendant la main.
- Tu es tellement bizarre, se mit à rire ladite Alice.
Je m'avançais et pris la main qu'elle me tendait avant de parler :
- Je suis Camille, enchantée de te connaître enfin, de vous connaître, poursuivis-je en reportant également mon regard sur la blonde dont le sourire me mettait tout de suite à l'aise.
Héloïse lâcha ma main pour passer un bras au-dessus de mes épaules et un autre au-dessus de celles d'Alice, ajoutant dans ma direction :
- On va être copines, tu n'as pas le choix , ponctuant son affirmation d'un large sourire chaleureux.
- Ok, lui dis-je en me mettant à rire.
…
Madame Vicard était aussi petite qu'elle était terrifiante avec son air sévère et sa ride du lion qui creusait son entre-sourcils.
Après avoir débarqué dans la cour, elle avait pris la tête de notre cortège, comme le ferait un officier de l'armée, nous faisant déambuler dans les étages supérieurs du lycée dans le plus grand des silences.
Sous nos pieds, seules les lattes de parquets grinçaient, témoignant des nombreuses années et élèves qu'elles avaient vues passer.
Elle sortit un trousseau de clés de l’une de ses poches et ouvrit une porte en bois au vernis brillant.
- Veuillez prendre place, s'il vous plaît, jeunes gens et attendez que je revienne. La photocopie était en panne et je n'ai pas pu imprimer vos emplois du temps, commença-t-elle. Mademoiselle Gérard, auriez-vous l'obligeance de prendre la responsabilité de la classe en mon absence, je vous prie ?, demanda-t-elle sur un ton qui ne laissait aucune place au refus.
- Bien sûr, Madame, lui répondit une fille qui ressortait clairement du lot. Elle était très belle avec ses longs cheveux lisses et ses yeux chocolat en forme d'amande. Elle n'était pas très grande, même si elle semblait bien avoir quelques centimètres de plus que moi, et son sourire dévoilait une rangée de dents parfaitement droites et blanches. Elle aurait pu facilement être le visage d'une marque de produits de beauté.
Cependant, la professeure avait à peine eu le temps de disparaître au fond du couloir que le visage de la jeune fille se métamorphosa, prenant une moue dédaigneuse. Elle prit la tête du groupe, entourée d’autres filles qui jaugeaient la classe avec un air de supériorité.
- Vous connaissez la musique, et venez pas me casser les couilles, c’est pas le jour, cracha-t-elle avant de rentrer dans la classe suivie de sa troupe.
- Ahh, le tyran ne m’avait pas manqué, ironisa Héloïse.
- Le tyran ?, lui demandai-je, mes sourcils relevés.
- Lia Gérard, la charmante jeune fille qui vient de nous demander de ne pas lui casser les couilles qu’elle n’a pas d’ailleurs. On pourrait croire qu’arriver en terminale S, elle s’en serait finalement rendu compte, se moqua Alice.
- Elle était déléguée de classe l'année dernière et celle d'avant d'ailleurs, même si je me demande toujours comment elle arrive à gagner des votes avec son sale caractère. Sûrement ses grands talents d'actrice qui en font la chouchou des profs, poursuivit Héloïse.
Quand vint enfin notre tour de passer le pas de la porte, il ne restait plus qu'une rangée de libre au fond de l'amphithéâtre. Je devinais qu’il devait s’agir de la classe de physique avec ses instruments préservés derrière de grandes baies vitrées.
Alors que je m'apprêtais à suivre mes deux nouvelles copines en grimpant les quelques marches qui menaient au fond de la classe, mon regard croisa celui de Lia. Elle me regardait d'un air mauvais et je ne perdis pas une minute pour accélérer le pas.
Quelques minutes plus tard, madame Vicard était de retour, une liasse de feuilles à la main.
- Voilà, nous allons enfin pouvoir commencer, soupira-t-elle alors que l'horloge au-dessus du tableau indiquait déjà 10 h 12.
- Je vais commencer par faire l'appel, Ewenn Alain...
- Présent.
- Karl Bachant.
- Présent, répondit le jeune homme métisse que je reconnaissais de la cour.
L'appel se poursuivit avant que la professeure ne relève les yeux en prononçant mon nom.
- Camille Henri.
- Présente, annonçai-je à voix haute.
Et une dizaine de paires d'yeux se retournèrent au même moment dans ma direction. Je crus bien qu'il était trop tard pour demander à mon cerveau de ne pas enclencher le mode panique. Je savais que tous les élèves de la classe avaient à présent une vue imprenable sur mes pommettes rougies.
- Ça va ?, me demanda Héloïse à ma droite. Tu as les joues toutes rouges, tu as trop chaud ?, continua-t-elle, me confirmant ainsi que mon maquillage ne servait même pas à cacher mon embarras.
- Oui, je vais ôter ma veste, lui répondis-je avant d'en sortir mon labello pour en appliquer une couche généreuse sur mes lèvres.
Après quelques instants, madame Vicard mit fin à l'appel et poursuivit :
- Comme chaque année, vous serez séparés en deux groupes pour effectuer les travaux pratiques en laboratoire, je vous demande donc de bien faire attention à votre emploi du temps pour ne pas vous tromper.
- Vous êtes à présent en terminale, votre dernière année avant les études supérieures. J'attends donc de vous que vous soyez autonomes et que vous fournissiez le travail nécessaire afin de mettre toutes les chances de votre côté pour décrocher votre baccalauréat.
- J'en profite également pour vous rappeler que le voyage scolaire des classes scientifiques se déroulera comme chaque année à l'île de Groix. Je laisse toutefois à votre professeur de SVT le soin de vous communiquer de plus amples informations sur le sujet.
Un brouhaha déçu gronda dans la classe.
- Silence, je vous prie, annonça sèchement la professeure.
- Mais Madame, pourquoi avons-nous toujours les voyages les plus pourris ?, demanda alors un garçon situé au deuxième rang à droite.
- Monsieur Magnant, si vous avez d'autres suggestions, je suis certaine que monsieur le proviseur sera ravi de les entendre, tranche-t-elle froidement, obtenant ainsi le silence de toute la classe.
- Voilà qui est mieux.
Elle s'avança vers les pupitres du premier rang et remit à Lia le tas de feuilles de papier fraîchement imprimé.
- Mademoiselle Gérard, veuillez s'il vous plaît faire passer l'emploi du temps à vos camarades, dit-elle avant que cette dernière ne se leva pour distribuer une petite liasse à chaque début de rang.
Une fois l'emploi du temps entre les mains, je ne pus constater qu'une seule chose. L'emploi du temps craignait, et c'était peu de le dire. Nous commencions tous les jours à 8 h et finissions presque tous les jours à 18 h avec des trous de une à deux heures éparpillés par-ci par-là. Seul le mercredi échappait à ce désastre avec des cours qui commençaient à 8 h et finissaient à 12 h. Avec ces horaires, je ne risquais pas de voir beaucoup ma mère, sauf le week-end peut-être si elle ne bossait pas.
- En ce qui concerne les groupes, reprit-elle, le groupe A sera composé de 18 élèves allant du début de l'alphabet jusqu'à Mademoiselle Lefebvre et le groupe B sera composé des élèves restants.
Avec un nom de famille en H, je compris de suite que j'étais assignée au premier groupe. Je ne me rappelais pas cependant du nom de famille de mes deux nouvelles voisines qui me regardaient à présent avec un air dépité.
Il me semblait avoir obtenu ma réponse.
- Oh non, c'est trop dommage, commença Héloïse. On n’est pas dans le même groupe.
- Ça va aller, ce ne sont que quatre heures par semaine. Le reste du temps, on sera ensemble, tempéra Alice.
- Ahah, ne vous en faites pas pour moi. Je n'en suis pas à ma première fois comme nouvelle. Je devrais arriver à me trouver un binôme de TP, leur dis-je avec un sourire qui se voulait assuré.
De toute façon, avec un nombre pair, je ne pouvais pas être mise de côté, non ?
⭐️⭐️⭐️