Raphael
Les deux amies ont finalement accepté de m'accompagner au Flamingo. En réalité, leur décision m'importait peu. J'y serais allé avec ou sans elles. C'était pour leur bien-être que je leur avais proposé de venir dans ce club. Pour qu'elles puissent s'amuser sans sentir la main poisseuse d'un mec en chaleur en train de peloter leurs cuisses ou une haleine dégueulasse leur souffler des mots crus dans l'oreille. Faudra que je prête attention à ce loup, la prochaine fois que je me rendrai au Sphinx. Celui-ci n'avait pas l'air d'avoir beaucoup d'humour.
Notre trajet se fait en silence. Loren, la blonde, pianote sur son téléphone — sans doute pour prévenir quelqu’un du changement de programme et de sa nouvelle destination — tandis que la brune se tient à ses côtés, les bras renfermés autour de sa silhouette généreuse. Elles marchent deux mètres derrière moi, comme si elles ne me faisaient pas encore totalement confiance pour partager un tronçon de trottoir. Je comprends toutefois leur méfiance. Après tous ces shots, j’ai grand mal à suivre une ligne droite. Alors, de temps en temps, je lance un rapide coup d’œil par-dessus mon épaule pour m’assurer qu’elles ne se sont pas défilées. Mais non. Elles sont toujours là.
Quinze minutes plus tard, le néon en forme de flamant rose pointe enfin le bout de son bec.
— Voilà, on est arrivé, annoncé-je.
— Enfin, souffle la brune, je suis complétement gelée.
— Moi aussi, ajoute Loren.
Nous montons les trois marches qui mènent à l'entrée du club. Malgré mes paupières lourdes et ma démarche bancale, je passe haut la main l'étape du videur. Un colosse à la peau mate et aux longs cheveux noirs tirés en une queue de cheval. Tous les deux échangeons un bref regard, ni complice ni indifférent. Un regard qui renferme les souvenirs d'une nuit de sueur à l'arrière d'une voiture garée dans une ruelle. Carrure imposante. Mais loin d'être mon meilleur coup.
Dès que je pousse la porte de l'établissement, mes sens sont aussitôt agressés. La musique. Les cris. Les rires. L'odeur de sueur et d'alcool. Je me tourne vers mes invités et désigne la piste de dance dans une révérence.
— Mesdames, amusez-vous bien.
Je les abandonne sans attendre de réponse et fonce droit vers le bar où je commande mon ixième verre de la nuit. Je regretterai sans aucun doute cette soif insatiable demain lorsque la migraine me vrillera le cerveau. En attendant, je profite de l'état d'euphorie que me procure l'alcool en sondant les alentours. Même danse lascive. Même musique assourdissante. Même projecteurs aveuglants. La seule différence réside dans les guirlandes de drapeaux arc-en-ciel qui pendouillent mollement depuis le plafond. Mes yeux embrumés cherchent dans la foule un regard sur lequel s'accrocher. Ils en croisent quelques uns, s'arrêtent sur d'autres. Aucun ne m'attire vraiment. Je change d'angle pour poursuivre mes investigations d'un nouveau point de vue. Les corps se déhanchent. Les langues se cherchent et se trouvent sans pudeur. Loren et son amie — dont je n'ai pas saisi le nom, — ont franchi la barrière de la timidité et celle de ne pas se sentir à leur place, et commencent à se laisser aller sur Tik Tok de Kesha. Quand le refrain arrive, elles chantent toutes les deux, les yeux dans les yeux. En voilà au moins deux qui s'éclatent.
Je les observe un instant. Si la blonde est jolie, la brune la surpasse de loin. Ses mouvements restent néanmoins désordonnés. C'est officiel. Elle n'a pas le rythme dans la peau. Vraiment pas. Je suis à ça d'y aller pour lui apprendre comment bouger. Cette maladresse me tire un second sourire. Je dois reconnaître que ce manque évident de talent pour la danse lui rajoute un certain charme. S'il n'y avait pas eu cette altercation avec ce mufle au Sphinx, j'aurais tenté ma chance avec elle. Certes, ce n'est pas un homme, mais elle me plaît. Un visage fin. De grands yeux noirs. Des courbes que sa robe écarlate épouse parfaitement. Le tissu remonte quand elle lève les bras au-dessus de sa tête, dévoilant quelques centimètres supplémentaires de ses cuisses charnues. Je me force à regarder ailleurs pour ne pas passer pour un pervers, quand un souffle mentholé me caresse le visage.
— Tu cherches quelqu'un ?
Je sirote mon verre, détaillant de haut en bas, l'apollon qui vient de s'installer à mes côtés. Grand. Brun. Épaules larges. L'air sûr de lui. Des paumes gigantesques capable de plier une nuque. Seront-elles capable de m'emmener au septième ciel ? Qu'importe. Il fera l'affaire. Ce soir, j'ai besoin de ça : de bras puissant, d'un corps assez solide pour encaisser, pour donner surtout.
J'adopte un regard séducteur avant de me pencher vers lui.
— Toi.
L'apollon me répond d'un sourire qui révèlent des pattes d'oies aux coins de ses yeux et un piercing à la pointe de sa langue. Sexy à crever ! Sa bouche frôle mon oreille, et un frisson court le long de mon échine tandis que sa large main s'invite sur ma hanche.
— Tu danses ? propose-t-il.
Kesha se tait et Far East Movement prend le relais. Le beat vibre dans mes organes. Sans répondre, je termine mon verre et entraîne le grand brun sur la piste. Je m'accroche à sa nuque pour l'attirer à moi. Mon cavalier répond langoureusement à mon baiser, ses doigts enfouis dans mes cheveux teintés en rose et les tire jusque comme il faut. Un soupire s'échappe de mes lèvres. J'adore ça : être pris, possédé. Nous dansons au rythme du synthé. Nos souffles chauds se mélangent. Une jambe s'infiltre entre mes cuisses. Des mains s'aventurent dans le creux de mes reins avant de descendre plus bas. Comme dans la chanson, je me sens planer comme un G6. La tête me tourne. Le monde vacille. Je déboutonne la chemine noire de ma conquête, un bouton après l'autre, puis dépose mes lèvres sur son torse. Le sel de sa peau envahit mon palais quand je la lèche. Le kiff total !
Mon cavalier me relève la tête pour s'emparer de ma bouche. Face à ce geste possessif, le désir monte. Mon sexe durcit douloureusement dans mon pantalon et mon excitation s'accentue sous les mouvement de va-et-vient de mon partenaire.
Un goût de fer envahit ma gorge. Je m'écarte pour porter mon majeur à ma lèvre inférieure. Du sang. Ce mec m'a mordu et je ne m'en suis même pas rendu compte. Monsieur est du genre à marquer son territoire. Très bien. Moi aussi. Je plonge dans son cou moite avec une faim vorace et crois même l'entendre gémir sous mes morsures. Ma respiration accélère. Mon corps brûle. Quand je m'écarte, sa peau commence déjà à tourner au rouge.
Je lui offre mon dos dans une invitation explicite. L'apollon n'hésite pas une seconde. Il se colle à moi, dur. Son souffle chaud derrière mon oreille m'embrase. Mon désir monte d'un cran quand son parfum musquée parvient jusqu'à mes narines. Les doigts agrippés à mon bassin, l'inconnu se frotte contre mes fesses, embrasse la lisière de ma nuque tandis que j'ondule mes hanches contre son entrejambe, satisfait de l'effet que cela procure chez lui.
Chaque va-et-vient me provoque une décharge dans le ventre. J'ai envie de lui, de ses caresses et de ses coups, de le sentir en moi et de le prendre en retour. Ici et maintenant. À genoux dans les chiottes de ce foutu club. Dans une impasse crasseuse. Dans une voiture. Qu'importe.
L'apollon me retourne d'un geste brusque. Je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle que, déjà, il part à la conquête de mes lèvres. Sa langue se fait plus gourmande. Ses mains baladeuses remontent sur mes flancs, poursuivent leur chemin jusqu'à mes mamelons qu'il titille du pouce.
— Ça te plait ? me demande mon inconnu.
Plus qu'il ne l'imagine. Ce petit jeu a assez duré. J'empoigne les fesses de mon partenaire pour le plaquer encore plus contre moi et lui faire comprendre à quel point je le désire. Lui aussi, ressent la même chose, si je devais me fier à cette bosse qui cogne contre ma cuisse.
— J'en ai marre de danser. On va chez toi ou chez moi ?
L'apollon éclate de rire.
— Tu sauras retrouver ton chemin dans ton état ? demande-t-il d'une voix forte pour couvrir la musique.
— On peut toujours aller chez toi, minaudé-je en lui caressant la hanche.
— Je connais même pas ton prénom.
— Je connais pas le tien, non plus. On n'est pas obligé de faire les présentations. C'est même plutôt excitant de ne pas savoir à qui on a affaire, tu ne penses pas ?
Je lui attrape la main et l'entraîne en dehors de la piste de danse. Il me suit, sans résistance, mais avant de quitter la fosse, il me ramène contre lui.
— Je dois t'avouer que baiser avec un inconnu ne fait pas parti de mes fantasmes.
— Il faut une première à tout, mais puisque t'insistes, d'accord. Je m'appelle Alex.
L'apollon penche la tête sur le côté, ses yeux dotés d'une lueur amusée plongés dans les miens.
— Pourquoi j'ai l'impression que c'est un mensonge ?
Super. Fallait que ce mec ait des principes. Il m'a plutôt donné l'impression du contraire. Je rumine. Je n'ai vraiment pas envie de lui révéler mon nom. Ça me permet de rester un maximum discret et de ne pas tomber sur une personne qui chercherait à me revoir après une nuit brûlante. Si ce type ne veut pas de moi, je rentrerai à mon appartement en réprimant mes ardeurs. Je suis crevé et n'ai plus l'énergie de chercher un camarade de jeu. Devant mon silence, l'apollon arbore un air lubrique et glisse dans mon oreille.
— T'as de la chance d'être sexy, Alex. Je pense pouvoir mettre mes valeurs de côtés, rien que pour toi. Tu peux m'appeler Ruben. Et c'est mon vrai nom.