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8. Sofia

Sofia

— Arrête. Arrête, c'est pas comme ça qu'on fait, s'exclame Raphael.

— Qu'on fait quoi ?

— Danser !

J'agite une main de façon lasse.

— On s'en fiche, non ? Personne ne regarde.

— Moi, si ! proteste-t-il.

— On est là pour s'amuser. Ce n'est pas un concours !

Il éclate de rire en me toisant de bas en haut.

— Heureusement, parce qu'avec une chorégraphie pareille, t'attribuer la dernière place reviendrait à te faire une faveur.

Ma bouche forme un "oh !" outré avant de se refermer aussitôt.

Non, mais quel goujat !

— Je ne t'entends pas ! hurlé-je, en désignant mes oreilles.

— Tu m'as très bien entendu !

Les murs vibrent au rythme de la musique électro tandis que les faisceaux lacèrent l'obscurité, illuminant par à-coups rapides la piste emplie de danseurs survoltés. Certains, grisés par l'ambiance, se sont hissés sur les îlots et le bar, malgré les tentatives d'un malheureux serveur pour les faire descendre de leurs perchoirs. C'est la deuxième fois que je me rends dans cet établissement. La première en étant seule. Même si je savais qu'ici je ne risquais pas de recroiser le lourdaud du Sphinx, j'ai hésité avant de franchir les portes du Flamingo. Sans Loren — qui a annulé notre soirée entre filles au dernier moment, après s'être souvenue que c'était leur anniversaire avec Dylan— j’avais peur de m’ennuyer. J'étais à deux doigts d'attraper ma veste et de filer sous ma couette à dévorer des nouilles instantanées devant une série quand il est apparu : le garçon aux cheveux roses qui nous a aidés à nous débarasser de ce chien en rut quelques semaines plus tôt. Raphael.

Son regard, qui juste à présent ne m'avait pas lâchée d'un millimètre, m'abandonne un instant pour se braquer sur un beau gosse aux épaules carrées, en pleine discussion avec un jeune blond filiforme qui n'a d'yeux que pour lui. Le grand brun le saisit soudain par la taille et l’embrasse à pleine bouche. Une scène anodine dans un club, mais qui déclenche une réaction viscérale chez mon partenaire de danse. Ses mâchoires se crispent. Une veine pulse dans son cou et les tendons de ses avant-bras se contractent. A la façon presque féroce dont raphael dévisage cet homme, je me demande si tous les deux ont partagé une histoire, un lit.

Je profite de son inattention pour le détailler à la dérobée. Ce garçon au look punk dégage quelque chose d'énigmatique. Ses traits sont doux, presque angéliques, en totale inadéquation avec la maturité de son regard. Plutôt mignon, je dois le reconnaitre. Il n'est pas très large. Pas très grand non plus. Même plutôt petit pour un homme. Avec mes un mètre soixante-cinq, il me dépasse à peine. Ses mèches roses pâles retombent en boucles indiciplinées et moites sur son front. L'une d'elle lui barre l'œil droit en deux. Je me mords la lèvre inférieure, réprimant l'envie de la balayer vers l'arrière.

— Où as-tu appris à danser comme ça ? lui demandé-je.

Raphael secoue la tête pour éloigner cette mèche solitaire de son champ de vision, puis ses yeux reviennent vers moi. Plus tendre. Ils sont bleus, ou gris, cerclés de crayon noir. Dans l'obscurité, je ne suis pas sûre. Ils ont cette teinte entre-deux de l'océan avant l'orage. Ce n'est cependant pas leur couleur qui m'intrigue le plus, c'est la profonde mélancolie que j'y lis. Je me demande bien ce qui a pu ternir un regard aussi jeune.

— Hein ?

— Tu as pris des cours de danse ? m’enquiers-je, plus fort.

— Nan.

— Tu devrais. J’avoue que tu es plutôt doué et t’as une sacrée souplesse.

C'est vrai qu'il est bien meilleur danseur que moi. Je l'ai aperçu la dernière fois. Il ne se déhanche pas comme les autres. Il bouge avec une agilité féline. Il ne se contente pas de suivre le tempo. Il l’anticipe.

Son sourire provocateur me désarçonne.

— Et encore… Tu m’as pas vu au lit, rajoute-t-il.

Mes joues s’empourprent quand l’information parvient jusqu’à mon cerveau. Je lui gifle le bras.

— Je veux rien savoir gros dégeulasse !

La musique redouble d’intensité. Je tente de masquer mon trouble en me trémoussant, mais dans ma poitrine ça tambourine. Je remue mes épaules, sautille sur place comme un pantin désarticulé tandis que Raphael observe la scène avec un mélange de fascination et de consternation. L'expression sur son visage m'amuse.

— Quelle horreur, c'est catastrophique, commente-t-il, en se masquant les yeux. T'es sûre qu'il était soft ton cocktail ? Non, parce que là c'est inquiétant. Qu'est-ce que ça doit être quand t'es bourrée...

Je pars en fou rire, incapable de me contenir. Dans un coin de la salle, une machine crache une épaisse fumée blanche. Les cris fusent de plus belles. Sur leurs perchoirs, les courageux sautent, les mains levées vers le plafond tandis que le serveur, chargé de les calmer, a abandonné la bataille.

Je m'arrête pour reprendre mon souffle, mains sur les hanches et la poitrine haletante.

— Bah vas-y, montre-moi. Toi qui es si malin, le défié-je.

Il arque un sourcil, l'ombre d'un sourire au coin des lèvres.

— C'est facile. Tout est dans le bassin.

Sans me laisser le temps de répliquer, il se met à onduler au rythme des basses dans un déhanché fluide. Ses mouvements sont souples, sensuels, en parfaite synchronisation avec le beat. Quand il lève les bras, son t-shirt dévoile des abdominaux fins mais joliment dessinés. Un régale.

— Tu vois ? C'est pas compliqué... quand on a ça dans le sang.

Mon regard s'attarde une seconde de trop sur sa peau pâle. Il me surprend en train de le reluquer. Je détourne vite les yeux, prise en flagrant délit de voyeurisme.

— Ok. J'avoue. Pas mal, admets-je, tant pour sa chorégraphie que pour la sublime vue qu'il vient de m'offrir.

Je tente de l'imiter. Dans un élan enthousiaste, j'effectue une pirouette hasardeuse et le percute avec une force inattendue. Ses jambes s'entortillent. Il chancelle, et se rattrape in extremis à l'épaule d'un inconnu qui éclabousse de bière son débardeur moulant.

— Eh, fait gaffe, bouffon, grogne celui-ci.

Raphael s'excuse rapidement puis se tourne vers moi. Je pince mes lèvres pour contenir mon rire.

— T'es un vrai danger public, ma parole, s'écrie-t-il, t'as vu les bras de ce mec ? Il peut m'arracher la tête facilement.

— C'est toi qui voulais que je bouge les hanches !

— Mais pas comme ça ! On dirait que tu fais une crise d'épilepsie.

Je rigole, la tête projetée en arrière.

— Ça ne risque pas d'être pire qu'au mariage de ma tante.

— Oh, alors là, je veux savoir.

— J'étais toute petite, commencé-je, nous étions à la fin du repas. A un moment donné, je ne sais pas ce qui m'a pris, mais j'ai couru puis je me suis élancé sur les genoux pour glisser sur le sol. Comme les joueurs de soccer quand il marque un but, tu vois ? Le serveur qui portait le gâteau ne m'a pas vu et il a trébuché. La pièce montée a fini par terre. Ma tante m'en a voulu pendant des semaines d'avoir gâcher le plus beau jour de sa vie.

Raphael ricane.

— Tu m'étonnes. T'es une vraie catastrophe ambulante depuis la naissance, en fait ?

— Peut-être. Mais moi, monsieur, la musique je la vis à fond ! dis-je, de manière théâtrale, paume sur le cœur

— Ouais, je vois ça.

— Allez, l'incité-je, en me penchant vers lui, lâche prise !

Son parfum musqué m'engloutit. Sa bouche est proche. Trop proche. Je recule gênée par cette soudaine promiscuité, puis glisse mes mains chaudes dans les siennes pour l'entrainer plus loin sur la piste. Quand mon talon ripe sur une flaque d'un liquide inconnu, je manque de tomber, rattrapée in extremis par sa poigne. Raphael lève les yeux au ciel.

— Ça commence bien, commente-t-il.

— Chut. Fais pas ton rabat-joie.

Les doigts entremêlés aux miens, il se laisse entraîner au centre du dance floor. Les basses ralentissent. Les lumières s'adoucissent. Le tumulte s'apaise. Les plus téméraires qui s'étaient hissés sur les tables retrouvent la terre ferme et se mettent en quête d'un partenaire pour un slow improvisé. Fini la pile électrique. Mes muscles se relâchent et mes mouvements deviennent plus lents. Je presse mon corps contre le sien et sens Raphael se raidir. Des veines se dessinent sur ses avants-bras. Il se laisse guider quand je lui prends les mains pour les poser jusqu'au dessus de mes reins. Enlacée à sa nuque, je pose ma tempe dans le creux de son épaule. Sous mes doigts, son cou est moite, tendu. Mon bas-ventre effleure le sien. Mes seins rencontrent son torse. Mes joues s'enflamment. Il ne dit plus rien. Moi, non plus. Nous tournons en ralenti. Sa paume dans le bas de mon dos hésite, se resserre puis se relâche. Je m'écarte, croise les yeux angoissés de mon partenaire de danse. Ceux-ci glissent une seconde sur mon décolleté, couvert de paillettes qui capturent la lumière des projecteurs. Sa pomme d'Adam remue dans sa gorge. Un muscle tressaute dans sa joue. Je rêve ou je lui plais ?

La tête penchée sur le côté, je l'observe avec un lueur taquine.

— Pourquoi t'es si raide d'un coup, me moqué-je, je croyais que t'étais le roi de la piste de danse.

Il fuit mon regard, déglutit une seconde fois.

— Cet endroit te plait, on dirait, commente-t-il, d'une voix légérement tremblante.

La musique, plus douce, nous permet de discuter sans avoir à hurler pour nous faire entendre. D'autres couples se sont formés autour de nous. Les murmures remplacent les cris. Les regards sont tendres, les baisers, passionnés.

— Carrément. Ça change du Sphinx. Y'a pas de gros lourds qui viennent me draguer ici. Y'a bien quelques filles, mais elles comprennent les mots : pas intéressée.

Je marque une pause, puis ajoute dans un haussement d'épaule :

— Le seul inconvénient, c'est les mecs. Ils sont sacrément canon.

Raphael arque un sourcil.

— Je suis d’accord, mais je ne vois pas en quoi c'est un inconvénient.

— Bah, ils sont gays, expliqué-je.

Il se marre. Comprenant mon faux pas, je me fige, me mords la langue et reprends d'un ton précipité :

— Non... Enfin... ne me fais pas dire, ce que je n'ai pas dis ! Je n'ai absolument rien contre vous, je... J'ai dit ça dans le sens, où... merde, quelle abrutie... Même s'il y en avait un qui me plairait, je ne pourrais pas tenter ma chance.

Pourquoi j'ai dit ça ?!

Sans prévenir, il saisit ma main, me fait tourbilloner sur moi-même puis me bascule en arrière, une paume entre mes omoplates, l'autre fermement plaquée sur ma cuisse nue sous ma robe. Je me glace, la respiration coupée. Les lumières, les cris, tout ça s'éloigne. Il ne reste que lui et son regard aguicheur. J'ai chaud, pourtant un frisson me traverse quand Raphael se rapproche avec une lenteur délibérée pour contempler mes lèvres entrouvertes, figées dans une expression de surprise. Il est si proche que son souffle tiède caresse mon menton. Mes paupières battent l'air. Je l'imite, le vois hésiter puis revenir sur mes yeux, comme s'il cherchait une permission qu'il n'osait pas demander.

— Tes connaissances en terme de sexualité sont très restreintes, Sofia, susurre-t-il, moi, par exemple, j'ai un faible pour les hommes, c'est vrai. Mais...

Son timbre suave glisse le long de mon échine. Dans cette position, je suis totalement à sa mercie. Il pourrait m'embrasser, là, maintenant. Mon ventre se contracte. J'ai envie qu'il prenne cette initiative. Mais il ne le fait pas. Dans un mouvement rapide, Raphael me redresse, ses mains ancrées sur mes hanches. Puis sa bouche frôle mon oreille quand il ajoute :

— Il y a des femmes, comme ça, qui perturbent sérieusement mes sens.

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