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4. Raphael

Raphael

Après de longues minutes de recherches, je retrouve ma moto garée non loin du Sphinx. Un jour, je finirai par la perdre pour de bon ou me la faire voler. Sa disparition me ferait mal car s'il y a bien une chose dans ce monde à laquelle je tiens, c'est cette bécane. Une magnifique Guzzy V7 au réservoir bleu qui scintille sous ce beau soleil de juillet. Je récupère mon casque dans la caisse de transport et grimpe sur la selle en tentant un coup d'œil dans le rétroviseur. J'ai vraiment une sale gueule. Ces crevasses sous mes yeux et ces suçons dans mon cou me trahiront sans conteste devant mon boss.

J'allume son moteur et me mets en route, zigzaguant avec agilité entre les voitures. Si je maîtrise ma monture tel un pilote confirmé, même à une vitesse excessive, elle n'est cependant pas capable de remonter le temps. Cinq heures de retard et je dois encore passer chez moi pour me doucher et enfiler ma tenue professionnelle. C'est officiel… Steve va me tuer.

Arrivé à mon appartement, j'ouvre les volets et les fenêtres pour chasser cette désagréable odeur de renfermé. Quelques cadavres de bouteilles traînent sur la table basse ou à même le sol. Un cendrier dégueule de mégots et de cendres. Je les ignore et me dirige droit dans la salle de bain où je frotte mon corps meurtri pendant près d'une heure sous un jet d'eau brûlant, malgré mon retard qui s'accumule. Au point où j'en suis : une de plus ou de moins ne changera rien. Je n'aurai qu'à commencer mon shift l'après-midi. Et si Steve n'est pas content, qu'il aille se faire mettre.

Ma peau est presque à vif lorsque je me sens enfin propre. Je quitte la douche, mais mon rituel n'est pas fini. Vient le tour de mes dents que je brosse durant dix longues minutes pour supprimer toutes ses traces. Enfin, je n'ai plus son parfum sur moi, plus son goût en bouche. Pas celui de Ruben. Lui ne me dérangeait pas. C'est le sien, que je ne parviens jamais totalement à supprimer.

Ruben...

Plus la brume s'évapore, plus ce que nous avons fait tous les deux me revient limpide. Je souris à mon propre reflet, honteusement dissimulé derrière la buée. Sacrée soirée. Je désirais avoir mal. J'ai été servi. Quelle brute, ce Ruben ! Parfois, je me demande si je n'ai pas un grain à apprécier cette violence dans le sexe, à adorer me punir. De cette façon ou d'une autre. Dans la souffrance, j'ai l'impression de ressentir quelque chose de vrai.

L'haleine fraîche, j'efface la condensation accrochée au miroir pour examiner mon double. Ne reste de ma conquête que ces bleus et ces marques de succions partout sur mon corps. Je récupère son numéro de téléphone que j'ai glissé dans la poche de mon jean et le broie avant de le jeter à la poubelle. C'était sympa, mais on va s'arrêter là. J'enfile mon uniforme ridicule puis me passe de l'anticernes sous les yeux et étale du fond de teint dans le cou. Me voilà enfin prêt à confronter mon boss et ses réprimandes.

Une clochette tinte quand je pousse la porte de l'établissement. Penché sur le comptoir, Steve est occupé à lire des bons de livraison. Son regard noir se pose sur moi avant de redescendre sur son tas de feuilles. Si sa colère n'apparaît pas encore, je peux d'ores et déjà la sentir vibrer dans la pièce.

— Raphael, s'exclame mon patron, quel plaisir de nous faire l'honneur de ta présence !

Un dernier coup de surligneur, puis Steve tapote le tas pour bien aligner le tout. Il contourne le comptoir pour me rejoindre et tend une main vers moi, paume vers le ciel.

— File-moi les clés du scoot et dégage d'ici. Je veux plus te voir. T'es viré et ça prend effet immédiatement.

Je me doutais de cette sentence. Malgré tout, je tente de l'amadouer. J'ai besoin de ce job, de ce fric surtout. Sinon, je devrais retourner là-bas et j'en ai pas envie.

— Steve...

— Non, j'ai été cool avec toi, Raphael. Six retards en l'espace de trois semaines. Tu te fous de la gueule du monde ?

— Cinq, le corrigé-je.

— Je m'en branle. T'es là depuis à peine quatre mois et tu commences déjà à merder. J'ai besoin de coursiers sérieux. Certaines livraisons sont importantes et on ne peut décidément pas te faire confiance. Je savais qu'engager un ancien taulard me causerait des problèmes. On veut bien faire, aider les gens à se réinsérer et voilà comment on est remercié. Par un petit con qui n'est pas foutu de mettre son réveil.

— Je ferais en sorte que ça n'arrive plus.

— Moi aussi, je fais en sorte que ça n'arrive plus, argumente Steve, les clés.

— Les clients ne mourront pas parce qu'ils recevront leurs colis avec quelques heures de retards. On livre des lettres, pas des organes. Y a pas mort d'homme. Et je suis un des livreurs les plus rapides du staff, ne le nie pas !

Mon boss pointe un index menaçant sous mon nez. Le petit garçon en moi, recule. L'homme que je suis devenu, prend le relais, et malgré la haine qui grimpe en moi, je ne bouge pas d'un iota.

— Ces clients nous paient pour obtenir un service exemplaire. Un retard. Une erreur. Et ils vont voir ailleurs parce qu'ils n'ont pas que ça à foutre. Et moi non plus. Alors maintenant tu prends tes cliques et tes claques, tu me rends ces putains de clés et tu disparais. Fini la charité. Je ne laisserai pas un poivrot couler ma boite.

Devant mon regard surpris, Steve poursuit ses réprimandes.

— Ouai, je suis au courant. T'as beau te parfumer, tu pus l'alcool et le shit à des kilomètres, crache-t-il en me toisant de haut en bas.

Il commence sérieusement à me taper sur les nerfs. Je fais un pas en avant, poings serrés et mes yeux ancrés dans ceux, perfides, de ce connard.

— J'ai jamais été saoul pendant le service, me défends-je, et ce que je fais en dehors de mes heures de travail ne regarde personne.

— Peut-être, mais quelle image ça donne de l'entreprise ?

— Des clients se sont déjà plaint de mon comportement ? Ça m'étonnerait.

— Rends-moi les clés et fous le camp. Je ne le répéterai plus. M'oblige pas à appeler les flics.

Je ricane.

— Et pourquoi tu les appellerais ?

— Pour ton attitude de plus en plus menaçante.

Je réalise alors que mon corps est tendu à l'extrême et que ma posture, peut, effectivement, paraître intimidante d'un point de vue extérieur. Je détends mes muscles, fourre la main dans la poche de mon manteau pour en extraire mon trousseau de clés et détache celle de mon scooter de service que je laisse tomber au sol avant de sortir sans un mot. Encore un job que je ne parviens pas à garder plus de six mois. Je traîne des pieds dans la rue, réprimant cette colère qui gronde dans mon ventre. Envers Steve. Envers moi-même. Envers ces addictions qui me pourrissent la vie. Ces addictions que je déteste autant que je les aime. Parce que déjà les couleurs réapparaissent. Une femme scintille de jaune devant moi, une poussette au bout de ses bras. Main dans la main, un jeune couple brille de rose, tandis que de l'autre côté de la rue, un homme vire au rouge. Et si les émotions parasites font leurs grands retours cela signifie que les cauchemars peuvent en faire de même. L'idée de revoir de telles images, de ressentir pareille douleur, me plonge dans un état de profonde détresse. Je tente de leur échapper depuis tant d'années par tous les moyens possibles et inimaginables. Me détruire le cerveau à l'alcool et à la came est la seule solution efficace que j'aie trouvé.

Je retourne à mon appartement dont l'état est encore plus déplorable que je ne l'ai constaté ce matin. Si mon proprio voyait ça, je perdrais également mon toit. En plus des bouteilles et des mégots, le sol de mon salon est jonché de vêtements et d'emballages alimentaires. Une assiette sale traîne depuis — je ne sais combien de jours — sur la table basse. Faut vraiment que je fasse un coup de ménage là-dedans, mais avec ce nouveau coup de massue je n'en ai ni la force ni l'envie. Dérouté, je me laisse choir sur le canapé et attrape une clope que j'allume avant de la glisser entre mes lèvres. Je bascule la tête en arrière et crache un épais nuage de fumée en contemplant le plafond.

Que ma vie est pathétique.

Nouvelle taffe. Je me penche en avant, les coudes posés sur mes genoux sautillants. Putain de gueule de bois. Faut que je trouve un nouveau job, maintenant. Mes réserves ne dureront pas indéfiniment et ça m'inquiète.

Je balance mon mégot dans le cendrier déjà rempli et me dirige à la hâte dans la salle de bain. Je baisse la cuvette des toilettes, grimpe dessus et soulève le faux plafond duquel je sors une petite boite métallique. Ma boite de pandore. L'objet de mon désir en main, je redescends prudemment et m'installe sur la lunette. J'ouvre le couvercle pour vérifier le contenu : quelques comprimés d'oxycotin, de la poudre blanche dans un sachet hermétique. Kétamine, héroïne ou cocaïne ? Je ne sais plus. Je plonge mon auriculaire à l'intérieur, le glisse derrière ma lèvre supérieur... Aucun effet engourdissant n'envahit mon palais. Probablement de l'héroïne.

Si tous ces stratagèmes réussissent à éteindre le temps d'un trip mon empathie, ils n'effacent en rien les souvenirs pour lesquels je suis tombé dans cet engrenage. Ma main tremblante se resserre autour de la médaille suspendue à mon cou. Je me suis toujours promis de ne jamais toucher à l'argent de ma mère pour me procurer ma dope et ce n'est pas aujourd'hui que je compte rompre cette promesse. Je pourrais demander un prêt à mon grand-père, Alan, l'unique famille qu'il me reste, mais je ne lui ai plus adressé la parole depuis maintenant quatre ans. Revenir comme une fleur pour une histoire de fric la foutrait mal. Il ne me reste qu'une solution et elle me donne envie de vomir : retourner sur Kensington Street.

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