Le matin commence comme un autre. Je me réveille dans cette chambre étouffante, où l'air semble figé, mais rien de ce que je vois n'est familier. La lumière de la fenêtre est terne, comme si la journée elle-même me détestait. Je n'ai pas la force de sortir du lit. Je n'ai plus envie de sortir du tout. J'entends les bruits familiers de la maison, ma mère qui se précipite dans la cuisine, les portes qui claquent, mais tout cela me semble si loin, comme si j'étais déjà en dehors du monde.
Les heures passent sans que je bouge. Je regarde le plafond, les pensées qui tournent en boucle, sans fin. Je m'efforce de respirer, d'aspirer l'air frais, mais rien ne semble suffire. Chaque inspiration est une épreuve, chaque battement de cœur est une alarme silencieuse qui me dit que je suis en train de sombrer.
Je me traîne hors du lit quand j'entends la porte s'ouvrir avec fracas. Ma mère entre sans frapper, et je peux déjà sentir l'intensité de son regard. Elle me jauge comme une marchandise, comme toujours.
- T'as pas encore pris ta douche, Hope ? Tu te regardes parfois dans un miroir ? T'es tellement fainéante, à croire que tu veux rester une grosse larve toute ta vie.
Elle s'approche de moi, un sourire méprisant sur le visage, se penchant légèrement pour observer mes mains, mes bras, tout ce qui pourrait lui prouver que je ne suis pas à la hauteur de ses attentes.
Je baisse les yeux. Je sais ce qu'elle va dire avant qu'elle ne le dise.
- Et tu te crois jolie comme ça ? Franchement, tu t'es vue ? T'es dégoûtante, Hope.
Ses mots sont comme des clous enfoncés dans ma peau. Je me recroqueville un peu plus, mais rien n'y fait. La honte est là, tapie, prête à se nourrir de chaque pensée, chaque accusation qu'elle me lance.
- Tu vas finir par devenir une vraie parodie de toi-même. (Tiens, elle connaît ce mot ?) T'as vraiment pas de quoi être fière.
Elle tourne les talons et sort, sans même m'accorder un regard supplémentaire, me laissant dans cette chambre glacée, avec mes pensées qui dévalent en spirale.
Je me sens vide. Vraiment vide. Comme si rien n'avait de sens. Comme si tout ce que je faisais ne comptait pas. Je me relève difficilement, traînant mes pieds, me rendant à la salle de bain pour m'efforcer de paraître un peu plus présentable, même si tout en moi hurle de m'effondrer.
Je crois que je pourrais pleurer là, sous la douche, et ça n'enlèverait rien. Mais je n'ai même pas la force de le faire. Mon esprit est déjà trop fatigué de se battre. C'est comme si une partie de moi avait déjà abandonné. Alors je me contente de l'ignorer, de garder la tête basse, d'éviter de regarder mon reflet.
En arrivant au collège, la journée se déroule lentement, une succession d'instants gris. Les élèves se regroupent en groupes bruyants, riant de choses futiles, et moi, je me tiens à l'écart, observant en silence. Ils ne savent rien de moi. Rien de ce que je traverse. Et pourtant, à chaque fois qu'ils passent près de moi, je ressens leur indifférence comme un coup de poignard.
Je fais une pause, fermant les yeux quelques secondes. Puis je reprends mon chemin, consciente de l'invisible poids qui s'alourdit sur mes épaules.
Chaque pas est plus lourd que le précédent.
Et ça ne finit jamais.
Je suis à peine entrée dans le couloir que l'air semble se tordre autour de moi. Une lourdeur insupportable pèse sur mes épaules, mais je dois avancer. Le regard des autres me brûle déjà la peau, comme une brûlure sourde qui ne cesse de pulser. Lila me bouscule en passant, suivie de ses amis, mais je ne réagis même pas. De toute manière, je ne pourrais pas les entendre. La lourde masse dans ma poitrine est bien plus forte que n'importe quelle parole. Tout ce que je veux, c'est m'enfuir, m'enfermer dans un coin, me cacher. Mais je suis coincée dans ce couloir bondé, dans ce labyrinthe de visages indifférents, à lutter pour respirer.
Je me dirige vers la cours, mes jambes me semblent aussi lourdes que des boulets. Chaque pas est une agonie, chaque respiration un effort titanesque. J'ai mal au ventre. Un mal sourd, constant, mais je ne veux pas l'admettre. Parce que si je l'admets, c'est que j'ai perdu. Et je refuse de l'admettre.
Je pousse la porte de la sortie et, tout comme le reste de l'établissement, tout me semble irréel. Les conversations sont un brouhaha lointain. Je cherche un banc, n'importe où, juste un endroit où je ne serai pas trop vue. Une banc vide, un repli dans ce tumulte. Mais il n'y en a pas. J'aperçois quelques élèves assis, leurs visages trop familiers, comme une partie d'un film que je voudrais pouvoir arrêter. L'un d'eux me jette un regard moqueur. Un de ceux qui trouvent toujours quelque chose à dire. C'est Jake, un garçon de ma classe, l'un de ceux qui me déteste sans raison, juste parce que je suis moi. Et, comme si c'était écrit, il s'approche.
- Alors, t'as bien réfléchi à ce que tu as fait ? lance-t-il, son sourire presque moqueur, comme une blague qui ne fait rire que lui.
Je le fixe, tentant de maîtriser la colère qui monte en moi.
- De quoi tu parles ? ma voix est plus faible que je ne le voudrais, tremblante malgré moi.
Il rit, un rire dénué de toute gentillesse.
- Tu sais bien. Ne fais pas semblant, Hope. La surprise dans ton casier, ça t'a plu ? Le ton est lourd de sous-entendus.
Mon cœur rate un battement. "Quoi ?" je souffle. Mon estomac se tord. Je n'ai pas le courage de lui répondre, je n'ai pas le courage de l'affronter.
Jake s'éloigne déjà, ses rires se mêlant au brouhaha ambiant. Il est parti, mais ses mots, eux, résonnent encore en moi. La peur m'étreint, et l'angoisse me serre la gorge. Je n'ai pas le temps de réagir, pas le temps d'y penser. Je dois me rendre au casier. Mes mains tremblent alors que je m'éloigne précipitamment. Pourquoi ne m'a-t-on pas laissée tranquille ? Pourquoi cette douleur continue-t-elle de me ronger, de m'envahir à chaque instant ?
Le couloir semble sans fin alors que je me précipite vers mon casier. Mes pensées sont floues, tourbillonnent autour de moi, mais je sais où je dois aller. Mon corps, lui, agit de façon automatique, comme une marionnette. Je me vais devant mon casier, le souffle court, les mains moites, le cœur battant à tout rompre.
Je ouvre enfin la porte de mon casier, et mes cahiers son tous déchirés, mais je vois un papier. Je le reconnais immédiatement. Une forme pliée, soigneusement glissée entre deux livres détruits. Ma respiration se coupe. Ce n'est pas un simple message. C'est une menace. Une nouvelle. Et tout ce que je peux faire, c'est la regarder.
Je n'ose pas la toucher tout de suite. Mes doigts sont tremblants. Mais l'envie de savoir, de comprendre, me pousse à l'ouvrir. Lentement. Trop lentement. Je n'ai pas envie de voir. Mais je dois. J'ai l'impression que tout le monde autour de moi se fige. Mais non, ce n'est que dans ma tête. Parce que cette voix dans ma tête est plus forte que tout. La voix qui me dit que ça ne va jamais s'arrêter.
Et je lis.
"Tu croyais que ça allait s'arrêter ? Si tu n'arrêtes pas de me faire chier, je vais te faire payer. Personne ne te protégera. Tu penses que je rigole ? Essaye et tu verras."
Le papier se plie sous mes mains qui tremblent. Une pression insupportable s'exerce sur ma poitrine, comme si un poids énorme m'écrasait. Une boule dans la gorge. Les larmes montent. Je ferme les yeux, mais tout ce que je vois, ce sont ces mots. Ces menaces.
Mon cœur bat si fort que j'ai l'impression qu'il va sortir de ma poitrine. Je ferme le casier avec fracas, mes doigts bloquant l'ouverture pendant quelques secondes, comme si je pouvais en retenir toute la douleur. Mais non. Je suis encore là. Je suis encore en vie. Mais est-ce vraiment de la vie ? Parce que dans mon esprit, tout est devenu flou. Tout s'effondre.
Je deviens fébrile, ma respiration rapide. Les larmes roulent sur mes joues, mais je les essuie d'un geste fébrile, me forçant à respirer normalement. Je sens mon corps se tendre. Je ne peux pas laisser ça me détruire. Pas encore. Pas maintenant. Mais l'angoisse me submerge encore. Et cette peur, cette terreur sourde... Elle revient à chaque souffle.
Les menaces ne cessent jamais. Elles sont comme des spectres, des fantômes qui flottent autour de moi. Et je ne peux rien faire. Rien. Je ne sais pas comment réagir. Je veux hurler, tout envoyer valser, mais il n'y a personne à qui je peux me confier. Parce que personne ne croira une victime. Pas une fille comme moi.
Et ça, c'est la réalité.
Quelques semaines plus tard, la chaleur du mois de mai envahit l'air, mais moi, je n'arrive toujours pas à respirer. Les journées s'enchaînent sans que je ne trouve un seul instant de répit. Les résultats du brevet approche à grands pas, mais à ce stade, je m'en moque presque. Ce n'est plus les résultats scolaires qui me hantent, mais plutôt tout ce qui se cache derrière les murs invisibles de ma vie.
Je n'ai pas vraiment eu de célébration pour mon anniversaire. Ma mère a daigné me souhaiter un "joyeux anniversaire", mais il n'y avait rien de chaleureux dans sa voix. Britanny, de son côté, ne m'a même pas adressé un regard. Elle était plus intéressée par son téléphone que par le fait que sa propre sœur vieillissait. Ce n'est pas que je m'attendais à un festin ou à une explosion de joie, mais ce jour-là m'a vraiment fait ressentir à quel point je n'étais qu'une ombre dans cette famille. La journée s'est passée dans un silence oppressant, un vide qui me dévorait de l'intérieur.
Mais ce n'était pas le pire. Non, le pire, c'était ce qui allait arriver.
Quelques jours après, pendant une pause, alors que je me réfugie dans le coin tranquille du lycée, loin des regards des autres, je trouve un papier glissé dans mon casier. Bon, honnêtement, j'avais finis par y être habituée. D'abord, je me dis que c'est juste une blague ou un message habituel, mais en le lisant, une boule de panique se forme dans ma gorge.
"Si tu veux rester en vie, ferme ta gueule et ne parle à personne."
C'est la première menace claire que je reçois, mais elle ne me semble pas anodine. Cette fois, c'est plus sérieux.
C'est Lorenzo.
J'en suis sûre, j'en mettrais ma main a couper. Comment est-il entrée.. ?
Je me précipite à la bibliothèque après les cours, mon cœur battant fort. Je dois faire semblant d'être normale, comme si rien ne se passait, mais chaque fibre de mon corps crie que quelque chose ne va pas. Le papier reste en tête, inlassablement, et je n'arrive même pas à me concentrer sur mes révisions.
Le lendemain, je trouve un autre message, plus explicite cette fois, encore dans mon casier :
"Tu veux vraiment finir comme l'autre ? Fais attention à toi. Ça pourrait être toi la prochaine."
Je déglutis difficilement. Je sais exactement de qui il s'agit. Cette personne veut me faire peur, me détruire lentement, et ça marche. L'autre... Je n'ose même pas imaginer à qui il fait référence. Mes mains tremblent en lisant ces mots. La menace n'était plus juste un avertissement ; c'était une promesse. Je ne suis pas la seule a qui il fait du mal. Je devrais le dénoncer, dénoncer ce qu'il m'a fait..ce qu'ils m'ont fait, pour qu'ils ne recommencent pas sur d'autres personnes. Mais j'en suis incapable, ces futures personnes détruites, le seront a cause de moi. Je détruit des vies.
Je garde ce message pour moi. Je n'en parle à personne, pas même à ma meilleure amie. À quoi bon ? De toute manière, qui me croirait ? Qui aurait la moindre idée de ce que je ressens en ce moment, dans ma peau ? Je suis seule. Complètement seule.
Mais ce n'est pas fini. Un autre choc m'attend quelques jours plus tard.
C'est lors de la récréation, alors que je me dirige vers le lycée, que je vois un groupe de filles se rassembler autour de quelque chose. Je m'approche, les sens en alerte, et je vois un téléphone brandi, l'écran allumé. Les rires s'élèvent, puis je reconnais la scène. C'est une photo de moi. C'est une photo qui me glace le sang.
La photo a été prise à mon insu, dans un moment de vulnérabilité. Je suis dans mon lit, l'air fatigué, mon visage déformé par la douleur, mes yeux remplis de larmes. C'est une photo d'un moment où j'avais cru qu'aucun autre être humain ne pouvait me voir. Mais quelqu'un m'a vue. Et cette image, maintenant, circule. Elle est là, exposée à tous ceux qui peuvent la voir, à tous ceux qui veulent me juger, me détruire.
- Regardez-moi ça, dit l'une des filles, riant. Elle a l'air d'une loque. C'est vraiment ce genre de personne que vous voulez dans votre entourage ?
Une autre éclate de rire.
- Elle pleure tout le temps, comme une vraie victime. C'est pathétique.
Mais putain ! Qu'est-ce qui ne va pas bien dans leur vie ?!
Je suis figée sur place, le sol semblant se dérober sous mes pieds. Ces photos... je n'avais jamais voulu qu'elles sortent, et qu'elles soient prise tout court. Jamais. Et pourtant, les voilà, entre les mains de ces filles, prêtes à me détruire. Ce moment, si intime, volé sans ma permission, est désormais partagé pour que tout le monde puisse juger de ma faiblesse.
Je me sens faible. Je me sens nauséabonde. C'est comme si tout mon être était exposé, humilié, réduit à ce que les autres veulent bien voir de moi. Et il n'y a rien que je puisse faire pour m'échapper de cette situation. Rien.
Sans un mot, je tourne les talons et quitte précipitamment l'endroit. La honte me ronge, la tristesse m'engloutit. Mais, surtout, je suis épuisée. Épuisée de lutter contre ce qui semble être une merde sans fin qui me submerge peu à peu.
Et une question reste dans ma tête : jusqu'où cela ira-t-il ?
Je ne sais pas où je vais, ni pourquoi je me précipite, mais mes jambes m'emportent. Je crois que je cherche un endroit où je peux juste respirer. La pression est trop forte, chaque seconde me sentant plus étouffée par la honte et la terreur. Je m'échappe vers le jardin du collège, un coin tranquille que je connais bien. Là, je me laisse tomber sur un banc, les mains sur mon visage, comme pour essayer de tout effacer.
J'entends des pas approcher, mais je ne relève pas la tête. Je ne veux pas que quelqu'un me voie dans cet état. Puis, une voix douce, presque rassurante, s'élève.
- Hope ?
Je relève doucement les yeux et vois Lana. Elle s'arrête à quelques pas de moi, son regard rempli de bienveillance et d'inquiétude. Lana, ma meilleure amie depuis quoi..deux ans ? Celle qui est toujours là, même quand tout va mal. Elle est différente de Manon, qui d'ailleurs a changé de collège.
Elle s'assoit à côté de moi, sans hésitation, et me tend un mouchoir.
- Tu veux en parler ?
Je déglutis difficilement, une boule se formant dans ma gorge. Comment lui expliquer tout ça ? Comment lui dire que ces photos, ces menaces, m'ont dévorée de l'intérieur ? Que je me sens comme un objet, un morceau de chair exposé au regard cruel des autres ? Que je n'arrive plus à respirer sans avoir l'impression que quelque chose va m'étouffer ?
- Je... Je sais pas quoi dire, murmure-je, ma voix brisée. Je suis... je suis juste fatiguée, Lana. Tout le monde me regarde comme si je ne valais rien. Ces photos... ce sont des moments privés, des morceaux de moi volés, et ils me les jettent à la figure. J'en peux plus. Je me sens si... petite. Si insignifiante.
Lana me regarde longuement, son regard doux et attentif.
- Tu n'es pas insignifiante, Hope. T'es pas toute seule. D'accord ? Je suis là. Et je sais que ça peut paraître impossible de voir ça maintenant, mais tout ça... ça va passer. On va faire face ensemble. T'as pas à porter ça toute seule.
Ses mots me frappent de plein fouet. Ensemble. Ça semble presque irréel, comme si cette simple idée était étrangère à tout ce que je vivais. Mais une partie de moi veut y croire, veut croire que quelqu'un peut encore me tendre la main sans arrière-pensée.
- Je veux bien... je veux bien y croire, Lana. Mais c'est tellement difficile. Je ne sais pas par où commencer. Et puis... je me sens tellement seule. Personne ne sait ce qui se passe, et même si je voulais leur dire, qui me croirait ?
Lana prend une grande inspiration, et je sens son bras se poser doucement sur mes épaules.
- Je te crois, Hope. Peu importe ce qu'il se passe, tu n'es pas seule. Même quand tu te sens seule, je serai là pour toi. On traversera ça ensemble.
Un silence lourd s'installe, mais cette fois, il est différent. C'est un silence plus apaisé, comme si les mots de Lana avaient ouvert une petite brèche dans mon cœur qui, jusqu'à présent, semblait scellé. Je me permets enfin de respirer un peu plus profondément. Lana est là. Elle ne me juge pas, elle est juste présente, et ça, ça fait toute la différence.
- Merci, murmure-je finalement. Vraiment.
Elle hoche la tête, un sourire léger et sincère se dessinant sur ses lèvres.
- Tu sais que tu peux toujours compter sur moi, Hope. N'oublie jamais ça.
Je prends un moment pour absorber tout cela. Peut-être que je ne suis pas aussi seule que je le croyais. Peut-être qu'il y a encore une chance de sortir de ce trou noir dans lequel je me sens engloutie. Parce qu'avec Lana, je sais que je peux affronter ce qui se cache dans l'ombre, même si la lumière semble parfois bien lointaine.
Et pour la première fois depuis longtemps, je me permets de rêver à un avenir où, peut-être, je pourrai respirer à nouveau.