Elea se tient devant l’autel. Elle regarde le décor fait par ses sœurs. Cette dernière revient d’une immersion dans le monde des humains. La jeune femme bien que fondue dans la masse, celle-ci ne s’y plaisait pas. Ses sœurs lui manquaient. Aujourd’hui, elle les reverra tous au cours de la cérémonie d’introduction, celle qu’Elea n’a pas pu faire cinq ans plus tôt. Ses souvenirs de son départ est encore amer dans sa bouche. Longtemps, la jeune femme demeura en colère contre sa mère, l’obligeant à partir.
— Elea ? s’écrit soudainement une voix.
La jeune femme se retourne et un sourire se forme sur son visage. Hélèna, sa meilleure amie est venue à sa rencontre. Cinq ans qu’elles ne sont pas vues. L’envie de se prendre dans leur bras est immense, mais les jeunes femmes ne peuvent pas. L’une est introduite, l’autre non. Toutes les deux sont prises d’une gêne, mais leur joie est incommensurable. Hélèna porte une aube blanche, brodée de fil bleu indiquant que son élément est l’eau. Toutes les femmes possèdent une spécialité. Seule la mère de tous peut en posséder plus qu’une. La dernière en date, était la grand-mère d’Elea.
— Hélèna ! sourit-elle.
— Comment vas-tu ? Tu as tellement changé. Depuis quand es-tu arrivée? Lui demande son amie.
— Je vais bien, rassures-toi, le monde humain m’a beaucoup changé. Je viens tout juste d’arriver. Je contemplais le décor.
— C’est beau, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Ces nous qui avons fait le décor pour les nouvelles initiées.
— C’est bien.
— J’imagine que tu n’as pas encore vu ta mère.
— Non. La froideur de sa lettre ne me convainquait pas de la revoir.
— Elle n’est pas si méchante. Ta mère devait faire des choix….
— Des choix ridicules. J’aurais pu devenir la prochaine grande prêtresse, si ça n’avait été de son orgueil démesuré. J’aurais fini mon enseignement. Il a fallu qu’elle m’éloigne.
— Ta mère a des visions…
— Qui ne sont pas toujours exactes. Même avant de devenir grande prêtresse du cercle, ses visions étaient aléatoires. Grand-mère ne voulait pas que Myriam prenne sa place, mais on l’a forcé.
— Je me souviens. On se souvient tous de cette journée. Inutile de le resasser.
Hélèna ne soutient plus le regard de son amie. Tous se rappelle cette journée où Hildea a dû se soumettre aux règles du cercle. Jugée inapte, elle a dû se battre contre sa propre fille. Myriam ne devait pas devenir la grande prêtresse, une autre avait été choisie. Elea plus forte que sa mère, plus intelligente, plus en mesure de recevoir les pouvoirs du Sacré, devait devenir la prochaine prêtresse. Jugée trop jeune, incapable de guider les femmes, Myriam se battait pour avoir le pouvoir. Épargnant Hildea, Myriam l’exila dans le monde des humains. Jalouse de sa propre fille, la nouvelle prêtresse ne lui laissa pas le choix. Interdiction d’être initiée et envoyée à son tour dans le monde des humains jusqu’à ce que sa mère la fasse revenir. Oui, tout le monde se souvient.
— Tu devrais quand même te rendre chez toi.
— Chez moi ? répète-t-elle dégoutée. Je n’ai plus de maison depuis qu’elle m’y a chassé.
— Tu seras la bienvenue chez moi.
— Merci de ton hospitalité, mais je crains que ça ne plaise guère à sa grandeur.
— Elle n’est pas si méchante.
— C’est toi qui le dis. Bon, j’ai été heureuse de te revoir. J’irais la voir.
Elea sort du bâtiment, la tête droite, marchant jusqu’à son ancienne demeure. Sur son chemin, certaines personnes baissent la tête, d’autres lui sourit et d’autres femmes retiennent leur respiration. Oui, elle a changé. Elea n’aborde plus de longs cheveux tressés, comme toutes les femmes. Ils sont coupés droit carré, au ras de son coup. Son visage, même son corps parait bien plus mature. Elle porte du maquillage sombre comme les humaines, même sa robe de cuir ne ressemble plus aux aubes de ses anciennes sœurs. Non, la jeune femme a changé.
Le corps droit, Elea se dirige vers son ancienne maison. De dehors rien ne semble avoir changé. Elle se souvient de ses jeux dans le jardin avec Hélèna, ses soirées à regarder la lune de son balcon de chambre. Certaines choses ne s’oublient pas. Elea pousse la porte de la maison sans cogner. L’atmosphère qui s’y dégage lui donne froid dans le dos. Tout est sombre, froid, une légère odeur de sang règne dans la maison. Elle ne comprend pas. Les sœurs ne peuvent tuer pour faire des sacrifices. La jeune femme longe les couloirs jusqu’au jardin où celle-ci trouve sa mère près du vieux chêne. Il est chétif. L’arbre de la prêtresse doit être le plus fort, le plus grand. Quelque chose ne va pas. Elea ne s’approche pas plus ne voulant pas engager une nouvelle querelle. Toutefois, elle observe sa mère qui tourne légèrement la tête en disant :
— Je croyais que tu n’allais pas revenir.
— J’ai failli ne pas le faire.
Myriam se retourne vers sa fille, surprise de son nouveau style. Elle s’approche en fronçant les sourcils. La prêtresse dévisage sa fille qu’elle reconnait à peine.
— Tu as fait couper tes cheveux ?
— Je devais me fondre dans la masse.
— Tu es… tu ressembles davantage à une humaine.
— C’est toi qui le voulais, maman. Lui reproche-t-elle.
— Tu n’étais pas prête.
— Tu ne sais rien de moi.
— Tu es ma fille.
— Être ta fille, ça ne veut pas dire que tu me connais. Pourquoi m’as-tu fais revenir ?
— Tu le sauras en temps et lieux.
— Toujours des secrets, n’est-ce pas ? Si je ne marche pas sur ton chemin, tu m’exileras comme grand-mère.
— S’il faut que je le fasse, je le ferais.
— Tu n’as pas changé.
Elea s’apprête à lui tourner le dos, lorsqu’elle reçoit une petite décharge électrique. Sa mère a haussé utiliser sa magie contre sa fille. Celle-ci fronce les sourcils, en voyant les mains de sa génitrice chargée d’électricité. Elles sont incapables de se parler civilement. La prêtresse cherche à montrer qui est la plus forte. Elle dégaine à nouveau un éclair contre Elea et cette dernière fait un mouvement circulaire à l’aide de ses bras et lui renvoie l’éclair qui atterrit aux pieds de sa mère. Celle-ci stupéfaite, lui demande :
— C-comment ? Tu ne savais pas le faire. Comment l’as-tu appris? C’est impossible.
— Comme je vous le disais. Vous êtes certes ma mère, mais vous ne savez rien de moi. Sortez donc du cercle un peu.
— J’ai fait mon sacrifice, il y a des années. Le monde humain n’est pas fait pour moi.
— Encore heureux. Elle se retourne. Inutile de me chercher, j’irais chez Hélèna.
Elea sort de sa maison en colère et ses yeux colorés d’un mauve étincelant. Elle ne voulait pas revenir. Elle aurait dû rester dans cette ville de débauche et de luxure. Bien que la jeune femme ne possède rien dans le monde des humains, sa colocation avec une humaine lui plait bien. La jeune femme se hâte à rejoindre la maison de son amie, même sans savoir laquelle. Bien sûr, elle soupçonne que cette dernière demeure près d’un cours d’eau, vu son élément.
Très vite, la jeune exilée trouve la maison de son amie et y entre sans cogner. Comme elle l’imaginait, un ruisseau parcours l’intérieur de la maisonnée. Du lichen pousse de chaque côté tel un décor de conte de fée. Hélèna peut surprise de la visite de son amie, arrive à grand pas à l’accueillant les bras ouverts. Il n’est pas interdit de montrer un peu chaleur en intimité.
— J’en déduis que ça s’est mal passé avec ta mère.
— Elle m’a reproché d’être devenue trop humaine. Comme si elle ne m’avait pas poussé dans ce monde. Je lui ai demandé pourquoi elle me convoquait.
— Toujours des secrets.
— J’ai vu rouge. Mais avant de faire quoi que se soit, je lui tourné le dos. Et cette femme m’a lancé un éclair. La deuxième fois, je l’ai bloqué en lui renvoyant.
— C-comment ? Nous n’apprenons même de sort d’attaque ni de défense.
— Si tu savais ce que le monde des humains renferme.
— J’aimerais que tu m’en parles. Mais avant, je vais préparer un repas. Je suis certaine que tu as faim.
Elea lui sourit. La nourriture humaine bien que grasse, ne lui manque pas. Alors que son amie prépare le repas, celle-ci la questionne sur le monde des humains.
— Ce n’est pas si différent, nous avons notre culture et eux la leur. Tu sais ils connaissent l’existence de la magie.
— Ah oui ? Comment est-ce possible ?
— Il y a des personnes qui sont prédisposés à la magie, mais les gens sont généralement fermés à toute étrangeté.
— Comment as-tu vécu ? Où as-tu habité ? Tu as rencontré de nos semblables ?
— J’ai cohabité avec une humaine. Elle est drôle intelligente, Jenna te plairait. La différence ne lui fait pas peur. J’ai rencontré peu de nos semblables, mais j’ai beaucoup appris avec eux.
— Comme te défendre. Suppose-t-elle.
— Entre autres, oui… J’ai croisé grand-mère.
— Chut ! Tu ne dois pas la mentionner. Lui prévient son amie. Ta mère nous interdit de s’en rappeler.
— Pourquoi ? Je ne comprends pas.
— Une histoire sur l’homme…
— Le vampire qui a conquis son cœur ?
— Tu le sais ?
— Oui, je l’ai rencontré. Il est charmant. Il la regarde comme un homme n’a jamais regardé une femme. Ils sont si heureux ensemble.
— Tu les as vu souvent ?
— Oui, très souvent. Ils m’ont présenté à leur famille, mais je ne restais pas bien longtemps.
— Je vois…Mais pourquoi as-tu coupé tes cheveux ? Tu es une des nôtres.
— Tu sais très bien que non. Après qu’elle m’est envoyé dans le monde des humains, c’est la première chose que j’ai fait. Jenna m’a aidé. Tu sais pourquoi elle m’a convoqué ? changeant de sujet.
— Ton retour n’était pas attendu, en tout cas. Mais les femmes ont commencé à faire des fausses couches, peu de temps après ton départ. Et l’arbre de ta mère à beaucoup souffert.
— Oui, j’ai remarqué. Ça veut dire qu’aucun enfant n’est né en cinq ans ?
— Aucun.
— Je crois qu’elle veut que les nouvelles initiées trouvent un humain…
— Mais ce n’est pas leur tâche ! s’offusque Éléa.
— Je sais. Mais ta mère est la grande prêtresse. Nous ne pouvons qu’être en accord avec ses choix.
— Oui, j’ai subi ses choix.
Hélèna lui offre un sourire. Que peut-elle faire d’autre? Tout ceux qui confronte la prêtresse se retrouvent soit bannie ou privée de leur pouvoir. La jeune femme se tait, la langue tourne plusieurs fois dans sa bouche. Elle voudrait tellement lui dire les épreuves que celles-ci subissent depuis son départ, mais reste muette.