C’est aux petites heures du matin, juste avant que la rosée se disparaisse sous les premiers rayons du soleil, que les nouvelles initiées rejoignent Elea près de la maison d’Hélèna. Leurs pas, feutrés sur l’herbe encore humide, résonnent dans le silence apaisant de l’aube. Leur présence est à la fois un réconfort et un rappel douloureux pour la jeune femme, une piqûre de rappel que chaque visage lui évoque des souvenirs de sa propre initiation, interrompue par son exil.

Hélèna, fidèle amie, propose son aide, une offre qu’Elea accepte avec gratitude. Les initiées qui l’entourent sont du même âge qu’elle avait eu au moment de son exil. Elles portaient leurs aubes blanches, ornées de fleurs sauvages, témoignant de leur nouveau statut, mais Elea ne peut s’empêcher de sentir une distance entre elles. Comment va-t-elle choisir les femmes qui iront avec elle dans le monde des humains ? C’est une question qui pèse lourdement sur son esprit. Épaulée par Hélèna, la jeune femme sait qu’elle doit agir avec soin, mais l’incertitude l’assaille.

Les jeunes femmes, encore lumineuses d’excitation mais teintées d’appréhension se disperse autour d’Elea. Elle les observe, se remémorant leur chant d’hier soir, leur joue mêlée de nervosité. Chacune d’entre elles a ses propres rêves, ses aspirations, mais celles-ci partagent toutes un lien avec la terre qui les a vu grandir.

         —         Je vous remercie d’être venues, commence Elea, rassemblant son courage. Je sais que cela peut sembler étrange, mais je vois être certaine de lesquelles d’entre vous auront assez de courage pour m’accompagner dans le monde mortel.

Un murmure d’inquiétude traverse le groupe. Les jeunes femmes échangèrent des regards, cherchant du soutien dans leur dignité nouvellement acquise. Hélèna, à ses côtés, lui sourit avec encouragement, comme pour lui rappeler qu’elle n’est pas seule dans cette épreuve.

         —         Ce voyage ne sera pas sans risques, poursuit Elea, prenant une profonde inspiration. Le monde des humains est différent du nôtre. Il y a des dangers que vous ne pouvez même pas imaginer. Mais il y aussi des opportunités, des découvertes qui pourraient enrichir vos vies et, peut-être, sauver notre clan.

Elle sent l’angoisse croissante parmi les initiées. Une jeune femme à la tresse remplit de fleurs qui se tient en retrait, s’avance timidement.

         —         Nous sommes prêtes à tout, Elea. Nous avons appris à nous connaitre, à se dépasser. Nous voulons faire partie de cette aventure.

         —         Oui ! acquiesce une autre, le regard flamboyant d’enthousiasme. Nous sommes plus fortes ensemble, et si tu crois en nous, alors nous pouvons le faire.

Les paroles résonnent dans l’air frais du matin, et Elea sent son cœur s’alléger. Peut-être qu’en effet, ces femmes ont le potentiel d’accompagner son voyage. Elle doit être prudente, mais la détermination dans leurs voix lui donne espoir.

         —         Très bien, continu-t-elle avec assurance. Je vais vous poser des questions, et par vos réponses, je déterminerai qui est prête à me suivre.

Les initiées hochent la tête, se rassemblant autour d’elle, prêtes à prouver leur valeur.

         —         Première question. Que représente pour vous le monde des humains ? Quelles aspirations y associez-vous ?

Un silence s’installe. Chacune d’entre elles semble réfléchir profondément à la question. Finalement, Lyra, la jeune femme au cœur lumineux, se lance.

         —         Pour moi, le monde des humains est une promesse. Une promesse d’aventures et de possibilités. J’ai souvent entendu des histoires sur leurs coutumes, leurs arts, leur façon de vivre. Je veux explorer cela et découvrir ce qui se cache au-delà des frontières de notre clan.

         —         Cela va au-delà des histoires, intervint une autre initiée, son regard déterminé. C’est aussi une responsabilité. Nous devons apprendre à nous défendre et à protéger notre peuple. Si nous voulons survivre, nous devons savoir comment naviguer dans leur monde.

Elea hoche la tête, impressionnée par la maturité de leurs réflexions. Elle continue à poser des questions, écoutant attentivement chaque réponse, chaque espoir exprimé.

Au fur et à mesure que la lumière du jour pénètre le champ, Elea se rend compte qu’elle n’est pas seulement en train de choisir des femmes prêtes à porter la vie pour la survie du clan, mais les aide à se découvrir elles-mêmes. C’est un processus d’apprentissage mutuel, une danse entre l’ancien et le nouveau. Lorsque la dernière question est posée et que les initiées ont partagées, Elea se sent remplit de chaleur et de détermination.

         —         Vous êtes prêtes, conclut-elle. Cependant, si certaines d’entre vous ne souhaitent pas faire parti de cette mission, je n’en tiendrais pas rigueur. Vous êtes libres de vous-même.

         —         Je suis prête, déclare Lyra faisant un pas, sa voix douce, mais ferme. Notre peuple a besoin de nous, et je veux être celle qui a contribué à sa renaissance.

Un murmure d’approbation parcourt le groupe. Une à une, les autres initiés font un pas en avant, formant un cercle plus petit autour d’Elea. Seule une femme à la tresse sombre reste en retrait, les yeux baissés.

         —         Mira ? l’interroge doucement Elea.

         —         Je… je ne peux pas, souffle-t-elle. Ce n’est pas la peur qui me retient, mais une autre voie m’appelle. Les anciennes m’ont parlé de mon don pour la guérison. Je sens que ma place est ici, à soigner notre peuple.

Elea s’approche d’elle et pose une main bienveillante sur son épaule.

         —         Ta sincérité t’honore, Mira. Le clan a autant besoin de guérisseuse que de couveuses. Tu as choisi ta voie avec sagesse.

Se tournant vers les autres, Elea contemple leurs visages déterminés. La lumière de l’aube les baigne d’une lueur dorée, comme une bénédiction silencieuse.

         —         Nous partirons dans quelques jours, le temps que j’aille dans l’autre monde organisé votre arrivé. D’ici là, je donnerais des instructions à Hélèna que vous devriez suivre à la lettre. À bientôt.

La réunion tire à sa fin. Les initiées s’inclinent respectueusement devant Elea, leurs regards brillants d’anticipation et de détermination. Alors qu’elles commencent à se disperser, Lyra s’attarde un instant.

         —         Elea, dit-elle d’une voix hésitante. Le monde des humains… est-ce aussi différent qu’on le raconte ?

La jeune femme considère la question un moment, pesant ses mots avec soin.

         —         C’est un monde de contrastes, Lyra. Bruyant et silencieux, beau et laid, cruel et compatissant. Mais surtout un monde d’opportunités pour qui sait où regarder. Tu apprendras à y trouver ta place le temps de la mission.

Hélèna pose une main sur l’épaule de la jeune initié.

         —         Prépare-toi bien. Écoute Elea. Elle connait les étapes de cette transition mieux que quiconque.

Lyra hoche la tête et rejoint les autres qui s’éloignent déjà vers le village. Elea reste dans le champ baigné de lumière matinale, contemplant les silhouettes qui disparaissent tranquillement. Elle laisse ensuite des instructions claires et précises à son amie avant de prendre la route vers le monde des mortels. Il faut maintenant préparer le terrain de l’autre monde pour accueillir ces jeunes femmes.

***

Tandis que les initiées retournent à leurs tâches avant leur départ, Jasminda entre dans la maison de la prêtresse, remplit de sagesse et d’avertissement. Myriam et elle n’ont jamais été d’accord. À une époque les initiées n’avaient qu’un seul enfant et l’arrivée de Myriam avait causé plus de discorde que nécessaire.

         —         Que veux-tu ? demande Myriam, une pointe de haine dans la voix. Viens-tu encore me défier.

         —         Non, seulement te donner un avertissement. Elea est bien plus forte que tu le crois. Qu’importe la mission que tu lui donneras, elle réussira. J’ignore avec quel esprit, tu joues, mais tu joues à un jeux dangereux.

La tension est palpable dans la pièce alors que les deux femmes se font face. Myriam se tient droite, une grimace hautaine trahissant sa position de prêtresse, mais Jasminda ne se laisse pas impressionner. Ses yeux, emplis d’une sagesse ancestrale, fixent sa sœur avec intensité.

         —         Tu sous-estimes ma perspicacité, répond Myriam d’une voix glacial. Je sais parfaitement ce que je fais.

         —         Vraiment ? rétorque Jasminda. As-tu oublié ce qui s’est passé la dernière fois que tu as défié les anciennes traditions ? Le prix que tu as payé et que nous subissons tous pour ton orgueil ?

Un silence lourd s’installe. Les ombres semblent danser sur les murs de la maison, comme témoins silencieux de cette confrontation entre les deux sœurs. Le visage de Myriam se durcit davantage, ses traits se crispant sous le poids des souvenirs évoqués.

         —         Ne parle pas de ce que tu ne comprends pas, siffle Myriam entre ses dents. Ces traditions nous étouffent. Elles nous condamnent à disparaitre.

         —         Ces traditions nous protègent, rétorque Jasminda avec fermeté. Elles maintiennent l’équilibre. Tu as voulu le briser une fois et regarde où cela nous menés. Notre peuple diminue, nos pouvoirs s’affaiblissent…

         —         Justement ! l’interrompt Myriam en frappant du poing contre sa cuisse. C’est pour cela que nous devons changer ! Les anciennes méthodes ne suffisent plus. Elea comprend cela, elle…

         —         Elea n’est pas ton instrument, coupe Jasminda. Tu n’as jamais été une mère pour elle. Elle suit son propre chemin, guidée par une force que tu ne peux contrôler. Je vois clair dans ton jeu. Tu utilises ta fille comme un pion, mais elle n’est pas celle que tu crois. Quelle que soit la manipulation que tu as prévue, elle se retournera contre toi.

Les deux sœurs se toisent du regard, l’air vibrant de tension entre elles. Des années de ressentiment et de désaccord semblent cristallisées dans cet instant. Myriam s’approche de Jasminda, ses yeux brillant d’une lueur dangereuse.

         —         Garde tes avertissements pour ceux qui les craignent. Je sais exactement ce que je fais, et ni toi, ni Elea, ni personne ne pourra m’arrêter.

         —         Tu joues avec des forces qui te dépassent, Myriam.

         —         Sors d’ici, ordonne finalement la prêtresse. Ta ‘’sagesse’’ n’est pas la bienvenue.

Jasminda secoue doucement la tête, un mélange de pitié et d’inquiétude dans le regard.

         —         Je prierai pour que tu retrouves la raison, ma sœur, murmure Jasminda en se dirigeant vers la porte. Avant qu’il ne soit trop tard.