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KiriaParker
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Chapitre 6 [Partie 2]

Les rues de Rio n’étaient pas si silencieuses ce soir. Au loin, on entendait encore des éclats de voix, des klaxons, des chants alcoolisés. Ce soir, le Brésil fêtait sa victoire en demi-finale de la Copa America.

Si Numa et les autres cherchaient à se fondre dans la masse, il n’y avait pas trente-six endroits où ils pouvaient être.

Luken se redressa et marcha vers la voiture sans un mot.

— On s’en va déjà ? s’étonna Andrew en le suivant.

— On va au O Covil.

— … Le bar ?

— Tu connais un meilleur endroit pour disparaître dans la foule un soir comme celui-là ?

Andrew secoua la tête et s’engouffra à son tour dans le véhicule.

L’agitation était palpable avant même qu’ils atteignent l’entrée du O Covil.

La petite devanture, d’ordinaire discrète, était ce soir noyée sous le flot des supporters venus célébrer la victoire du Brésil. L’enseigne clignotante projetait des éclats rouges et jaunes sur le trottoir, accentuant l’effervescence qui se dégageait du bar. Des éclats de rires fusaient, accompagnés du tintement des bouteilles qui s’entrechoquaient dans des toasts bruyants.

Luken plissa les yeux. C’était bien plus bondé que d’habitude. Trop de monde pour un simple bar de quartier.

— C’est toujours comme ça ? demanda Andrew en jetant un regard perplexe à la foule massée à l’intérieur.

— Non. Pas ici.

Luken poussa la porte et fut immédiatement frappé par la chaleur moite des lieux, alourdie par l’odeur d’alcool et de tabac. L’ambiance était survoltée. Des écrans télé diffusaient encore les dernières images du match, des fans portant le maillot jaune et vert scandaient des chants de victoire, et les serveurs se débattaient pour suivre le rythme infernal des commandes.

Mais au-delà de cette euphorie, il y avait autre chose. Une tension sous-jacente.

Luken reconnut quelques visages qu’il n’aurait pas dû voir ici. Des types liés aux courses clandestines, d’autres avec des liens plus flous avec la police. Tout ce petit monde se mélangeait ce soir sous le prétexte d’une célébration.

Luken balaya la salle du regard et son attention se figea sur une silhouette familière derrière le comptoir.

Ayden.

Il était en train de servir un client, son expression impassible contrastant avec le chaos environnant. Grand, athlétique, il dégageait une présence calme, presque détachée. Ses cheveux bruns, épais et légèrement en bataille, captaient la lumière tamisée du bar, et ses yeux d’un vert perçant observaient les clients avec une acuité presque animale, analysant chaque mouvement, chaque échange.

Il portait une chemise sombre dont les manches retroussées laissaient deviner la tension de ses muscles chaque fois qu’il attrapait un verre ou une bouteille. Sur ses avant-bras, des tatouages noirs et précis serpentaient le long de sa peau, des lignes nettes mêlant motifs abstraits et symboles aux significations plus personnelles. L’un d’eux, partant du poignet et remontant vers l’intérieur de son bras, représentait une silhouette d’oiseau en plein envol, contrastant avec d’autres motifs plus anguleux.

Contrairement à la plupart des barmen de la ville, il ne cherchait pas à se fondre dans le décor. Il n’avait pas besoin de ça. Son assurance naturelle suffisait à imposer une certaine distance, même aux clients les plus insistants.

Quand il aperçut Luken, une lueur d’intérêt traversa son regard, suivie d’un léger sourire en coin.Il termina de servir un client avant de s’approcher lentement.

— Luken. T’as soif, ou t’es juste venu gâcher la fête ?

Le policier s’accouda au comptoir sans se départir de son sérieux. Ayden, sur ses gardes, observait Andrew qui découvrait l’endroit. Il se balançait sur ses jambes, trahissant son mal être qu’il tentait de contenir, en vain. On pouvait aisément lire en lui comme un livre ouvert, et le barman en aurait bien profité si la présence de Luken ne l’intriguait pas autant. Il était bien rare de le voir traîner par ici, plus habitué à voir Isaac qui profitait d’un moment de détente après une course.

— T’aurais pas vu Numa ?

Ayden haussa légèrement les sourcils avant de reprendre tranquillement son service, essuyant un verre avec un chiffon déjà douteux.

— Tu cherches toujours Numa.

— Cette fois, c’est important.

Le barman lâcha un léger rire, bas et rauque.

— Ah ouais ? Et qu’est-ce qui le serait pas, avec toi ?

Luken ne répondit pas tout de suite. Il savait comment jouer avec Ayden. Ce type n’aimait pas qu’on lui force la main, mais il appréciait les échanges directs.

— Il est venu ici ce soir, pas vrai ? reprit Luken, insistant.

Ayden posa enfin son verre, croisa les bras et pencha légèrement la tête.

— Pas que je sache, ça fait un moment que je l’ai pas croisé. Mais t’es pas le seul à le chercher.

— Qui ?

Ayden haussa les épaules, l’air faussement détaché.

— Pas des visages connus. Mais des types qui posent trop de questions.

— Ayden…, soupira Luken, exaspéré.

Mais le barman souriait toujours. Il adorait ce jeu, ce petit bras de fer où il avait souvent l’ascendant. Surtout face au policier qu’il adorait narguer.

Andrew, jusque-là silencieux, sentit son estomac se serrer. Il jetait des coups d’œil autour de lui, réalisant peu à peu que ce bar était bien plus qu’un simple repaire de supporters enivrés. Il remarqua un type en uniforme accoudé à une table, échangeant quelques mots à voix basse avec un autre homme à l’allure douteuse. L’échange était rapide, discret. Une enveloppe glissa d’une main à l’autre.

Andrew déglutit.

— C’est quoi, ce bordel… ? murmura-t-il.

Luken suivit son regard mais resta impassible.

— Ce bordel, c’est la réalité.

Andrew secoua la tête, écœuré.

— Et on fait rien ?

Luken ne répondit pas immédiatement. Son regard revint vers Ayden, qui le fixait avec ce même sourire en coin, mi-amusé, mi-perceptif.

— On n’est pas ici pour ça, lâcha Luken finalement.

Il savait qu’en venant ici, il n’était guère mieux que ceux qu’il méprisait.

Il voulait juste retrouver Numa.

Sauf que ce soir encore, il était arrivé trop tard.

L’agacement grandissait de plus en plus en Luken. Cette course n’avait rien donné. Une fois de plus. Toujours une perte de temps. L’enquête piétinait, et si à chaque fois, il pensait avancer, en réalité la vérité reculait.. Comme si on cherchait à l’éloigner de ses dossiers.

Assis dans sa voiture, moteur coupé, il observait la devanture du O Covil sans vraiment la voir. Andrew, sur le siège passager, jetait des coups d’œil discrets dans sa direction, mais il n’osait pas briser le silence pesant.

— On fait quoi ? finit-il par demander en se raclant la gorge.

Luken soupira et passa une main sur son visage.

— Rien. On rentre.

Le ton était sans appel. Andrew hocha la tête sans insister, et ils reprirent la route vers le commissariat. L’ambiance dans l’habitacle était lourde, marquée par la frustration contenue de Luken. La nuit était encore jeune, mais lui, il se sentait vidé.

De retour au poste, il s’enfonça dans son bureau, s’effondrant sur sa chaise avec un soupir las. Andrew lui lança un dernier regard compatissant avant de disparaître dans les couloirs. Le tic-tac de l’horloge résonnait dans la pièce vide. Luken fixait ses dossiers sans vraiment les voir, ses pensées dérivaient vers cette enquête qui lui échappait, vers Isaac, vers cette foutue ville qui ne dormait jamais.

Son regard fatigué parcourait une énième fois les mêmes rapports, traquant une piste qui lui échappait toujours. Numa. Lui qui avait toujours une longueur d’avance, toujours une planque où se fondre. Lui qu’il aurait dû coincer il y a des mois déjà. Voire des années.

Un soupir las lui échappa. Il referma un dossier avec agacement et se passa une main sur le visage. Il avait besoin de sommeil. Ou d’une putain de victoire.

Son téléphone vibra brusquement sur le bureau, brisant le silence pesant. Luken fronça les sourcils. À cette heure-ci ? Il tendit la main et plissa les yeux en voyant le nom s’afficher.

Numéro inconnu.

Il hésita. Un pressentiment sourd lui noua l’estomac. Son téléphone personnel. Pas la ligne du boulot. Personne ne l’appelait sur ce numéro, sauf ceux qui savaient comment le trouver.

Il décrocha enfin, la mâchoire serrée.

— Luken.

Un silence. Presque trop long. Puis une respiration. Légère, hachée.

Et enfin, une voix.

— Putain, Luken, faut que tu viennes.

Luken se figea. Il n’avait pas besoin de demander qui c’était.

Numa.

Sa prise sur le téléphone se raffermit. Il sentit son cœur accélérer, mais son ton, lui, resta tranchant, glacial.

— Tu te fous de moi ?

— J’ai pas le temps pour tes conneries.

La voix de Numa était différente de d’habitude. Moins arrogante. Presque tremblante.

— C’est grave. Je t’enverrai l’adresse. Viens seul.

Luken serra les dents. Putain. Il le détestait. Il détestait son assurance, ses petits jeux. Mais il connaissait aussi ses silences. Et celui-là n’annonçait rien de bon.

— Si c’est un piège, je te jure que…

— C’est pas un piège.

Un bruit en fond. Une sorte de froissement, un son étouffé qu’il ne parvenait pas à identifier. Puis la respiration de Numa qui s’accélérait.

— Dépêche-toi, Luken.

Bip.

L’appel venait de se couper.

Luken resta un instant immobile, le téléphone toujours collé à son oreille. Il aurait dû laisser couler. Ignorer cet appel, ne pas se laisser embarquer dans une autre de ses conneries.

Mais son instinct lui soufflait autre chose. Et son instinct ne se trompait jamais.

Lorsqu’il se leva, il savait déjà qu’il allait le regretter.

Il ne mit pas longtemps à arriver sur les lieux. Dès qu’il descendit de voiture, il sentit que quelque chose clochait. L’odeur métallique du sang flottait dans l’air, oppressante.

Il avança prudemment, son regard balayant la scène. Puis il la vit.

Un corps inerte.

Et Numa, debout, le regard sombre, essayant de calmer une jeune femme.

— Bordel… souffla Luken.

Le chaos autour de lui s’effaça. Une seule pensée résonnait dans son crâne : cette nuit n’était pas encore terminée.

Et il savait qu’elle allait tout changer.

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