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KiriaParker
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Chapitre 8 [Partie 1]

Pourquoi avait-il accepté ça ?

Cette question revenait sans cesse dans l’esprit de Luken depuis deux jours. Comme un écho incessant, un poison qui lui rongeait les nerfs. Il en arrivait presque à entendre la voix moqueuse de Numa, lui soufflant qu’il aurait mieux fait de dire non.

Le crayon qu’il tenait entre ses doigts trembla sous la pression de sa poigne crispée. Ses jointures blanchirent. Son souffle devint plus court.

Crac.

Le bois céda brutalement. La mine brisée roula sur le bureau, laissant une traînée noire sur un rapport à moitié recouvert de cendres de cigarette. Luken ne bougea pas tout de suite, fixant l’encre tachée comme si elle formait une réponse invisible à ses énigmes. Mais il n’y avait rien. Rien d’autre que le bordel ambiant et ce fichu tableau blanc couvert de fils rouges tendus comme des cordes prêtes à rompre.

Son bureau ressemblait à un champ de bataille après un assaut. Des papiers froissés jonchaient le sol, certains éclaboussés par du café renversé. Le cendrier débordait de mégots à moitié consumés, témoins silencieux des nuits blanches qu’il s’infligeait. L’air était saturé d’un mélange écœurant de tabac froid et de renfermé, et quelque part, dans un coin oublié, une horloge continuait son tic-tac agaçant.

Trois enquêtes empilées comme des blocs prêts à s’écrouler.

Trois labyrinthes dont il ne trouvait pas la sortie.

Et une quatrième, inexistante.

Un soupir rauque lui échappa, se mêlant au bruit de la pluie qui fouettait la vitre entrouverte. Il passa une main sur son visage fatigué, la chaleur de sa paume contrastant avec la sueur froide qui collait à sa nuque.

Son téléphone vibra.

Luken le fixa un instant, partagé entre l’envie de répondre et celle de l’envoyer valser contre le mur. Mais en voyant le nom affiché, il jura entre ses dents avant de décrocher.

— Qu’est-ce que tu veux, Isaac ?

— Sympa l’accueil.

— Isaac…

— D’accord, d’accord, t’énerve pas. On doit parler.

Luken pinça l’arête de son nez, ses paupières se fermant brièvement sous l’effet d’une lassitude écrasante. Il aurait dû poser une condition avant d’accepter cette enquête : ne pas impliquer Isaac. Mais évidemment, c’était trop tard.

— J’ai pas le temps pour ça.

— Je suis déjà en bas, j’t’attends.

Bien sûr.

Il raccrocha sans un mot et laissa tomber son téléphone sur le bureau. Mais un bruissement derrière lui attira son attention.

Lentement, il se retourna et tomba sur le regard clair de Hera Moreira. Adossée à l’encadrement de la porte, elle était là. Silencieuse. Imperturbable.

Un mur de glace dans l’ombre.

Son regard se promenait sur la pièce, s’imprégnant du chaos ambiant. Elle ne s’arrêta pas immédiatement sur Luken – non. Elle analysait d’abord. Le tableau blanc couvert d’annotations rageuses et d’indices dispersés, les dossiers éventrés sur le bureau, les cendriers pleins de mégots écrasés, la lumière blafarde du néon qui bourdonnait au-dessus d’eux. Puis, enfin, ses yeux s’ancrèrent dans les siens. Tranchants. Froids.

Luken ne baissa pas les yeux. Il n’avait pas envie de cette conversation. Pas maintenant. Pas avec elle. Un silence s’étira, pesant. Seul le tic-tac lointain de l’horloge couvrait le bruit sourd du sang qui battait dans ses tempes.

— Tu comptes me dire ce que tu mijotes ?

Un ton calme. Trop calme. Il n’y avait pas d’agressivité directe, pas encore. Juste une attente silencieuse, une corde tendue prête à claquer. Luken se passa une main sur le visage, chassant la fatigue collée à sa peau.

— J’ai fini ma journée, Moreira. Ce ne sont plus mes affaires.

Hera haussa à peine un sourcil. Elle n’aimait pas les réponses trop rapides, les excuses prémâchées. Elle observa Luken remettre sa veste, le geste légèrement raide, une tension dans les épaules qu’il ne prenait même plus la peine de masquer.

— T’es encore ici, pourtant.

Elle fit un pas à l’intérieur du bureau, laissant la porte se refermer doucement derrière elle. Son regard glissa sur le bureau. Il vit la précision de son analyse, la façon dont elle nota mentalement chaque élément. Des dossiers ouverts sur des affaires qui n’étaient pas censées être traitées aujourd’hui.

— Je trouve juste curieux que t’aies autant de dossiers en cours.

Un frisson de contrariété parcourut la colonne vertébrale de Luken. Un détail insignifiant pour un autre, mais pas pour Hera. Elle ne laissait rien passer. Il haussa vaguement les épaules, glissant une main dans sa poche à la recherche d’une cigarette qu’il n’avait même pas.

— Tu trouves beaucoup de choses curieuses, à ce que je vois.

— C’est mon travail.

Son ton était neutre. Trop. Luken serra discrètement la mâchoire. Il aurait préféré qu’elle hausse le ton, qu’elle s’agace, qu’elle lâche une remarque acerbe à son sujet. Mais non. Elle restait posée, ancrée dans un calme qui l’exaspérait plus que tout.

— Alors fais-le bien, ton travail. Plutôt que de perdre du temps avec moi.

Elle inclina à peine la tête, et pendant un instant, il crut qu’elle allait lâcher l’affaire. Qu’elle allait faire demi-tour et le laisser tranquille. Mais Hera Moreira ne lâchait jamais.

— J’aime pas perdre mon temps. Et encore moins voir des flics jouer à un jeu dont ils ne maîtrisent pas les règles.

Luken se figea. Un silence plus lourd s’abattit sur la pièce. Elle ne parlait pas au hasard.

Il inspira profondément, détournant brièvement le regard pour réprimer l’irritation qui lui mordait les nerfs. Trop fatigué pour ces conneries. Trop fatigué pour répondre aux insinuations à demi-voilées.

Hera lui lançait un avertissement. Elle voulait savoir où il mettait les pieds. Mais il n’avait ni l’envie, ni l’énergie de lui donner une réponse.

— Bonne soirée, Moreira.

Luken passa à côté d’elle, l’ignorant délibérément. Mais il sentit, même sans la voir, son regard brûler dans son dos. Il s’empressa de descendre les marches de l’immeuble, ses pas résonnant contre le béton froid. L’air du soir lui mordit la peau alors qu’il sortait dans la rue, un vent léger soulevant les feuilles mortes sur le trottoir.

Isaac n’était pas compliqué à repérer. Adossé à sa moto, son frère l’attendait avec cette patience feinte qui masquait mal son agitation. Une jambe tendue, l’autre repliée, sa main tapotant distraitement le réservoir de la bécane. La lueur orangée d’un lampadaire jouait avec les reflets cuivrés de ses cheveux, projetant son ombre longue et distordue sur l’asphalte. Luken hésita un instant, son regard glissant sur la posture tendue d’Isaac, puis il soupira et s’approcha.

À peine arrivé à sa hauteur, Isaac attaqua :

— Deux jours. Deux putains de jours sans nouvelle.

Luken ne ralentit pas. Il passa devant lui, les mains enfoncées dans les poches de son manteau, et répondit d’un ton neutre :

— Je suis occupé.

— Tu veux dire que tu cherches à m’éviter.

Isaac se redressa, décroisant les bras. Son regard accrocha celui de Luken, perçant, trop vif pour être ignoré. La mâchoire de Luken se contracta légèrement, mais il garda le silence. Le bruit lointain d’une voiture traversa la rue, ses phares effleurant les visages des deux hommes avant de disparaître au coin d’une ruelle.

— Numa t’a demandé de creuser. T’as dit oui. Pourquoi ?

Luken s’arrêta et pivota vers lui, le visage impassible.

— Ça ne te regarde pas.

Un rire bref, sans chaleur, échappa à Isaac. Il secoua la tête et fit un pas vers lui.

— Ah ouais ? Pourtant, j’ai comme l’impression que ça me concerne un peu quand même.

Luken croisa les bras, son dos droit comme une lame. L’odeur du bitume humide, le grésillement d’un néon défectueux au-dessus d’eux, tout semblait figé dans cette tension électrique entre eux.

— Écoute-moi bien, Isaac. Ce n’est pas ton combat.

— Ce n’est pas le tien non plus.

L’ombre d’un sourire ironique passa sur les lèvres de Luken.

— Non. C’est celui de Numa. Et c’est déjà assez merdique comme ça.

Isaac serra la mâchoire, ses doigts crispés sur son blouson.

— T’as peur que je sois un poids en plus, c’est ça ?

— J’ai surtout pas envie de ramasser un autre cadavre.

Les mots tombèrent, lourds, un écho sourd dans l’air nocturne. Isaac ne bougea pas, mais un frisson imperceptible passa dans ses épaules. Son regard s’assombrit, son souffle plus court. Il détourna les yeux une seconde, puis revint vers Luken avec cette même détermination féroce qu’il traînait depuis toujours.

— T’es un vrai connard, tu sais ça ?

— Ouais. Je sais.

Les deux hommes restèrent là, face à face, à peine un mètre entre eux, comme deux prédateurs mesurant leurs forces. L’éclat dur de la ville autour d’eux – lampadaires froids, trottoirs fissurés, fenêtres noires – formait un décor parfait pour cet affrontement silencieux.

Puis, Isaac inspira profondément, expira lentement. Son visage se détendit à peine.

— T’as une sale gueule. T’as besoin d’un verre.

Luken eut un rictus.

— J’ai surtout besoin qu’on me fiche la paix.

— Parfait, alors je viens avec toi.

— Non.

La réponse claqua, tranchante, définitive. Isaac arqua un sourcil, surpris par la fermeté du ton. Puis son regard se durcit.

— Tu peux pas m’empêcher de m’en mêler, Luken.

— Je peux essayer.

— Va te faire foutre.

Luken soupira, passa une main lasse sur son visage.

— Isaac, écoute—

— Non, c’est toi qui vas m’écouter.

Isaac s’avança, réduisant la distance entre eux, et son regard devint une lame plantée dans celui de Luken. Son souffle était court, sa colère maîtrisée mais vibrante.

— Klea est mon amie. Tu crois que je vais juste rester là et attendre que ça se tasse ? Que je vais faire semblant que rien de tout ça ne me concerne ?

Luken ne répondit pas, mais son regard ne vacilla pas non plus.

— Ça ne t’aidera pas de mettre les pieds dedans, souffla-t-il.

— Peut-être pas. Mais ça m’aidera encore moins de rester sur le côté.

Isaac planta ses poings dans ses poches, le menton légèrement relevé, la tension dans ses épaules trahissant son obstination. Il était prêt à se jeter dans l’inconnu, peu importaient les conséquences. Luken pinça les lèvres. Il connaissait cet entêtement. Il l’avait vu mille fois.

— Fais pas ça, murmura-t-il.

— Trop tard, répliqua Isaac.

Une bourrasque souleva la poussière sur le trottoir. Un instant, un silence pesant s’installa entre eux, comme si la nuit elle-même retenait son souffle. Puis Isaac recula d’un pas, rompant enfin le contact visuel.

— T’as raison sur un truc, ajouta-t-il. Je vais pas venir boire avec toi. Mais je vais pas rester à rien faire non plus.

Il recula encore, enfourcha sa moto. Le moteur rugit, couvrant le silence. Et il disparut dans la nuit. Luken resta planté là, les poings serrés, la fatigue pesant sur ses épaules. Il ferma les yeux un instant, puis expira lentement. Il avait besoin d’un verre.

Un bon. Un bien dosé.

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