Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
KiriaParker
Share the book

Chapitre 6 [Partie 1]

La nuit enveloppait lentement Rio de Janeiro, baignant la ville d’une lueur dorée alors que le soleil disparaissait derrière l’horizon. L’air était lourd, chargé de sel et de chaleur. Il savait qu’à l’extérieur, la ville vibrait au rythme de la demi-finale de la Copa América. Les rues bondées, les places envahies par des supporters en transe devant les écrans géants, les chants, les cris, les klaxons résonnaient à chaque action décisive.

L’euphorie régnait sur la capitale.

Et pourtant, il était bloqué devant son bureau.

Le commissariat baignait dans une lumière blafarde, froide, contrastant avec l’effervescence qui résonnait au loin. Quelques téléphones sonnaient, des pas lourds résonnaient sur le carrelage usé, mais autour de Luken, c’était surtout le silence. Un silence qui pesait autant que la fatigue dans ses muscles.

Il fronçait les sourcils devant l’amoncellement de dossiers éparpillés. Un autre meurtre. Encore. En quatre semaines. Chaque rapport, chaque note griffonnée, chaque cliché sanglant lui martelait le crâne. Les pièces du puzzle s’étalaient devant lui, mais aucune ne s’imbriquait correctement.

Un soupir lui échappa alors qu’il se pinçait l’arrête du nez, tentant de repousser le mal de tête qui le menaçait.

Il se laissa tomber contre le dossier de sa chaise, passant une main dans ses cheveux blonds pour éloigner une de ses mèches rebelles qui tombaient sur son visage. Son regard se perdait dans le vide. Dans l’espoir de trouver une réponse. Ses yeux glissèrent vers une photo cornée, posée sur le coin de son bureau.

Sa mère, son frère et lui.

Il tendit la main, effleura du bout des doigts le papier jauni. Sa mère souriait, douce et fière, entourée de ses deux fils. C’était une époque révolue. Un temps où Isaac et lui regardaient dans la même direction.

Luken déglutit.

Aujourd’hui, il le perdait. Un feu se consumait entre eux. Isaac s’enfonçait toujours plus dans les courses nocturnes, frôlant l’illégalité, flirtant avec l’argent facile. C’était pour payer les soins de maman. Mais Luken n’était pas idiot, il restait un policier. Il voyait son frère se voiler la face, glissant lentement du mauvais côté, et en tant que grand-frère, son devoir était de le maintenir dans la lumière. Pourtant, il ne savait plus comment l’arrêter. Le sauver devenait de plus en plus impossible.

Le fossé ne cessait de se creuser entre eux.

Il referma les doigts sur la photo, la mâchoire crispée. Il s’était toujours juré de protéger sa famille, de ne pas sombrer dans la facilité ni dans la corruption qui rongeait la ville. Mais qu’est-ce que ça changeait, au final ? Sa mère continuait de dépérir dans son lit d’hôpital, et son frère lui échappait un peu plus chaque jour. Alors à quoi bon ?

Un bruit léger derrière lui le fit sursauter.

— Tu devrais te reposer, Luken.

Le voix était douce, sans reproche. Le policier reposa précipitamment la photo sur le bureau avant de tourner la tête.

Rafaela Neves. Elle se tenait à quelques pas, un verre d’eau à la main, d’autres dossiers complémentaires dans l’autre. Ses yeux clairs, toujours perçants, détaillent son visage marqué par la fatigue. Son chignon blond se défaisait un peu. Les heures enfermées dans le commissariat ne leur réussissaient pas.

— Je sais ce qui est bon pour moi, t’es pas ma mère, Rafa, répliqua-t-il sur un ton plus sec qu’il ne l’aurait voulu.

Elle ne répondit pas tout de suite, se contentant de poser le verre et de s’installer à son bureau. Luken savait qu’elle comprenait. Ils avaient traversé trop de choses ensemble pour ne pas se connaître par cœur. Elle ne chercherait pas à le forcer à s’ouvrir, mais elle serait là, toujours.

Luken sentit son regard sur lui, mais il fit semblant de l’ignorer, tapotant nerveusement son stylo contre la table. Il savait qu’elle s’inquiétait.

Luken passa une main sur son visage, exaspéré par lui-même autant que par l’enquête. Il allait dire quelque chose—peut-être un simple merci, peut-être une remarque sarcastique—lorsque le claquement sec de la porte fit lever la tête à Luken. Il se redressa instinctivement, les épaules tendues, alors que son supérieur entrait dans la pièce.

Le commissaire Moreira n’avait pas besoin d’élever la voix pour imposer sa présence. Grand, la carrure épaisse, il portait son autorité comme une armure. Son uniforme, impeccablement repassé malgré l’humidité étouffante de Rio, renforçait son air sévère. Il se tenait droit, jambes légèrement écartées, les mains croisées dans le dos, le regard sombre vissé sur Luken. Ce dernier soutint le regard quelques secondes avant d’hocher la tête, acceptant tacitement l’ordre qui allait tomber.

— Fonseca, déclara le commissaire d’un ton sec.

Luken se leva, laissant sa chaise grincer contre le carrelage usé. Face à Moreira, il gardait son dos droit mais les poings serrés contre ses cuisses, signe d’une tension qu’il contenait. Il savait déjà que cette soirée ne ferait qu’alourdir la fatigue qui pesait sur ses épaules.

— On a un signalement pour une course illégale en cours. Ils profitent du match pour se fondre dans la masse. Prends Walsh avec toi et allez voir ce qu’il en est.

Luken hocha la tête sans discuter. Il se doutait que cette mission ne mènerait à rien de concluant—ces courses étaient comme des ombres insaisissables dans la nuit de Rio—mais il n’était pas en position de refuser.

Le policier traversait le couloir, à la recherche de son coéquipier qui se trouvait près de la machine à café, en train de secouer distraitement une tasse fumante entre ses mains.

Andrew Walsh avait cette énergie nerveuse typique des nouvelles recrues, une impatience mal contenue qui trahissait son manque d’expérience sur le terrain. Grand et élancé, il dégageait une aisance naturelle, le genre de mec qui bougeait toujours comme s’il était prêt à sprinter ou à esquiver un obstacle. C’était sans doute un reste de ses années de boxe et de course à pied, des disciplines qui avaient sculpté son corps sans en faire une masse imposante. Ses traits étaient fins, marqués par un regard brun vif, toujours en mouvement, comme s’il cherchait inconsciemment à anticiper ce qui allait suivre. Ses cheveux châtains, d’un désordre presque étudié, semblaient défier toute tentative de mise en place – un détail qui l’exaspérait, puisque régulièrement, il passait une main dedans, sans grand succès. Quand il vit Luken approcher, il se redressa aussitôt, posant sa tasse sur le comptoir d’un geste rapide.

— Walsh, tu viens avec moi, annonça Luken sans détour.

Andrew arqua un sourcil, un mélange d’excitation et d’appréhension traversant son regard.

— Une course illégale ?

— Ouais.

Un sourire étira les lèvres d’Andrew alors qu’il attrapait sa veste. Il ajusta machinalement les manches, comme s’il s’apprêtait à monter sur un ring, avant de suivre Luken vers la sortie.

Silencieux, le regard vissé sur la route, Luken pouvait sentir l’énergie nerveuse d’Andrew à côté de lui. Le plus jeune ne tenait pas en place, bougeant légèrement la jambe, jetant des coups d’œil à travers la fenêtre comme s’il voulait déjà apercevoir quelque chose d’excitant.

Luken soupira intérieurement. Il s’était vu, lui, à cette place des années plus tôt. Ce même feu dans les veines, cette impatience de se prouver, de plonger dans l’action. Il comprenait l’adrénaline qui montait chez Andrew, mais il savait aussi que la réalité était bien différente des films d’action qu’il imaginait.

— J’ai jamais assisté à une vraie course illégale avant, lança Andrew en brisant le silence.

Luken haussa un sourcil sans quitter la route des yeux.

— … Ouais.

Andrew eut un petit rire, comme s’il essayait de détendre l’atmosphère.

— Je suis plutôt du genre à voir ça dans les films, pas à intervenir en vrai.

— Et tu t’attends à quoi, exactement ?

Andrew prit un air faussement songeur.

— Des moteurs qui rugissent, des poursuites ultra-rapides, des explosions, Vin Diesel qui débarque en marcel pour nous sauver in extremis…

Luken laissa échapper un léger ricanement avant de retrouver son sérieux.

— Désolé de te décevoir, mais il n’y aura ni explosions ni Vin Diesel. Juste des types arrogants et bourrés d’adrénaline qui pensent être les rois de la ville.

Andrew hocha la tête, son sourire malicieux toujours présent.

— Donc… un peu comme Fast & Furious, c’est ça ?

Luken secoua la tête, amusé malgré lui.

— Plutôt Fast & Losers, avec une pincée de garde à vue à la fin.

Andrew éclata de rire, mais son amusement s’atténua quand il perçut le changement subtil dans l’attitude de son aîné. Luken était tendu. Ses doigts se crispaient légèrement sur le volant, son regard balayait la route avec une intensité qui n’était pas seulement due à la mission.

Andrew fronça les sourcils.

— T’es sûr que ça va ?

Luken ne répondit pas tout de suite. Il hésita, mais finit par souffler :

— On fait pas ça juste pour la frime, Walsh. Ces courses attirent des types qu’on préférerait pas voir prendre trop d’importance.

Andrew capta le sous-entendu. Il ne chercha pas à creuser, mais il sentit que pour Luken, cette descente n’était pas qu’une simple patrouille.

Luken espérait qu’Isaac soit là. Ou plutôt, il redoutait de le voir. Il savait que son frère s’impliquait de plus en plus dans ces courses. S’il tombait sur lui ce soir… Que ferait-il ? L’arrêter ? Fermer les yeux ? Il n’avait pas encore la réponse. Lui qui était pour une justice impartiale voyait ses convictions s’effriter à cette idée.

Mais surtout, il espérait croiser Numa. Cet enfoiré était partout, toujours là où il ne fallait pas. L’organisateur des plus grandes courses clandestines de Rio. Et l’ombre qui tirait peu à peu Isaac de son côté.

L’idée de voir ce type lui donnait la nausée.

Les rugissements de moteurs en veille leur parvinrent au loin, feutrés mais distincts.

Luken ralentit la voiture et, d’un geste mécanique, éteignit les phares.

— C’est l’heure du vrai spectacle, murmura-t-il. Et crois-moi, il n’y aura aucun scénario bien écrit cette fois.

Andrew déglutit. Il passa une main dans ses cheveux déjà en bataille. Son excitation naïve laissait place à une nervosité plus réelle.

Luken l’observa du coin de l’œil. Cette impatience, cette fébrilité… Il connaissait tout ça. Mais il savait aussi que l’innocence d’Andrew ne durerait pas. Un jour, il arrêterait de voir ces descentes comme une opportunité excitante, et commencerait à se demander à quoi bon.

Comme lui.

Mais ce soir, ce n’était pas son problème.

— Reste concentré, Walsh.

Andrew hocha la tête, et dans l’obscurité, la tension monta d’un cran.

Le grésillement de la radio fut suivi d’un court silence, puis d’une voix hachée par les interférences.

— … repéré sur zone… mais plus personne à l’arrivée.

Luken serra la mâchoire, le regard fixé sur la route sombre qui défilait sous les phares éteints de la voiture. Il aurait dû s’en douter. Toujours ce même foutu timing. Toujours ces ombres qui disparaissaient juste avant qu’il n’arrive. Toujours une avance sur eux.

À côté de lui, Andrew observait les lieux avec une attention fébrile. Le jeune policier remuait légèrement sur son siège, oscillant entre excitation et frustration. Luken, lui, connaissait trop bien ce sentiment. Cette attente. Ce frisson de la chasse qui s’évanouit quand on comprend qu’on est arrivé trop tard.

Les pneus crissèrent légèrement contre l’asphalte lorsque Luken immobilisa la voiture au bord du terrain vague. Le silence qui les accueillit était presque irréel. À peine quelques minutes plus tôt, cet endroit grouillait de monde, et à présent, il n’en restait plus rien. L’odeur persistante de gomme brûlée flottait dans l’air, témoignant de l’agitation qui régnait ici. Mais la rue était à présent vide. Aucune voiture garée à la hâte, aucun spectateur avide de sensations fortes. Juste le silence, lourd, presque ironique.

Luken serra la mâchoire. Trop tard. Encore.

Il descendit de la voiture, son regard scrutant les environs, à l’affût du moindre retardataire. Mais les rues adjacentes étaient aussi désertes que le terrain. Seuls quelques déchets emportés par la brise faisaient office de dernier souvenir de la foule dispersée.

Andrew ouvrit la bouche, puis la referma, indécis. Il passa une main dans ses cheveux en bataille avant de souffler :

— C’est… désert.

Luken ne répondit pas tout de suite. Il s’accroupit près d’une canette renversée, du liquide collant s’étant répandu sur le sol. L’odeur sucrée du soda était encore fraîche. Ça ne faisait pas plus de deux ou trois minutes qu’ils étaient partis.

Il tapa dans la canette, agacé. Deux ou trois minutes trop tard. C’était suffisant pour que tout disparaisse comme une vague qui se retire. Mais Luken le savait : ces types ne prenaient pas la fuite sans une direction précise. Ils devaient être encore dans le coin.

Et Numa.

Lui, il ne disparaissait jamais complètement.

Son regard dériva vers l’horizon. Où est-ce qu’ils avaient pu filer aussi vite ?

Et puis, il fit le lien.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet