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Renarde
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Chapitre 10

Je ne pense pas avoir jamais été aussi mortifiée que je le suis en ce moment. Mon regard passe de visage en visage. Ils sont tous souriants, avenants et semblent absolument bienveillants. Cette vision pourrait me réjouir. Si j'en reconnaissais ne serait-ce qu'un seul. Je déglutis difficilement.

Une main presse mon épaule, doucement. Neira me sourit, ravie.

— J'espère que la surprise te plaît !

J'ai du mal à répondre. Ma gorge est sèche et mes yeux probablement exorbités. Comment lui expliquer que je me liquéfie ?

— Détends-toi, j'entends près de moi. Respire.

Keiran, jusqu'à présent muet, me sourit, encourageant. J'inspire profondément et décrispe maladroitement mes épaules. En regardant mieux, je remarque d'autres personnes qui portent un bandeau, semblable au mien, sur la tête. Comme s'ils venaient eux aussi de le retirer. Ils sont chaleureusement accueillis par d'autres personnes.

Je ne m'attendais pas à ce qu'ils aient une étiquette disant "Loup-garou" sur leur tête, mais je suis surprise par la banalité de leur apparence. Même ce lieu ne semble pas surnaturel ni inquiétant. On dirait simplement que j'ai remonté le temps : pas de câbles téléphoniques, pas d'ampoules électriques, pas de trace de technologie. Rien que des maisons — ou plutôt des chalets — nichées entre les arbres tout autour de nous. Les habitants de ce petit village semblent aussi tout droit sortis du passé avec leurs vêtements simples et à l'ancienne.

Au-dessus de nous, les guirlandes de lanternes en papier se balancent dans la brise. La lumière des torches, plantées à même le sol ou suspendus aux maisons, danse autour de nous. Plus loin, j'aperçois un grand buffet disposé sur des tables en bois massif, et au centre de la cour, un immense feu de joie pour l'instant éteint. Tout est absolument féérique. J'entrouvre la bouche plusieurs fois sans savoir quoi dire ou comment le formuler.

— Bienvenue à ta première Cérémonie des Naissances ! s'exclame Neira en sautillant en face de moi. Ou — pour les non-initiés — à la grosse fête d'anniversaire collective du mois !

— Tout ça... C'est pour ceux qui sont nés ce mois-ci ?

— Oui ! Je sais que ton anniversaire à toi n'est que dans trois jours, mais je me suis dit que tu aimerais rencontrer tout le monde. Un jour aussi festif que celui-ci en plus !

Je lui souris. C'est bien la dernière chose à laquelle je m'attendais lorsqu'elle m'a appelé plus tôt dans la soirée. Et pourtant ce n'est pas un sentiment déplaisant que d'être ici. Je suis seulement... confuse. Je vais vraiment faire la fête ce soir ? Avec ce qui arrive en ce moment, ça me semble à la fois surréaliste... et réconfortant.

Je capte le regard de Caël dans la foule, qui fait signe à Noak de le suivre jusqu'à nous.

— Alors, grand soir ? me lance-t-il en s'approchant pour m'attraper l'avant-bras, en signe de salutation je suppose.

J'ai un peu l'impression d'être dans un film fantastique avec cette mimique, mais je ne fais pas de commentaire et me contente de l'imiter maladroitement lorsque le plus jeune me tend son bras.

— Oui, je crois ! je réponds hésitante.

— Il faut que tu goûtes les brochettes de faisan, c'est trop bon ! se réjouit le benjamin avec excitation.

— Si tu réussis à m'en laisser, c'est promis ! je rétorque, taquine.

Il glousse, et Neira rit aussi, légère. Elle semble joviale, complètement dans son élément. Leur enthousiasme est communicatif et j'oublie tous les soucis que j'ai en tête.

Keiran s'est éclipsé pour aller saluer un garçon, un peu plus loin, et leur proximité me fait douter de la nature de leur relation. Askan fait son sauvage — et ça ne me surprend pas vraiment. Il s'est pris un verre et est parti s'adosser à un arbre près du coin jeu où quelques personnes s'amusent à lancer des anneaux. Son regard semble scruter les moindre faits et gestes des participants.

Mon regard balaye l'assemblée : tout le monde rit et discute, le son des voix se mêlent au hululement des chouettes et au crépitement des torches. L'odeur de nourriture flotte dans l'air et me donne l'eau à la bouche. Juste quand j'espère me rapprocher du buffet, Neira passe son bras sous le mien et me guide dans la direction opposée. La déception me scie le vente. Ou bien est-ce la faim ?

Nous nous approchons d'une table un peu à l'écart où sont posées des couronnes de fleurs qui semblent avoir été assemblées à la main. La jolie brune en place une sur ma tête en invoquant "La Tradition !" et je n'ai même plus l'envie de protester.

— Tout est si beau, je murmure en admirant le soin avec lequel tout a été préparé.

— Pas vrai ? Et la soirée a à peine commencée ! Après, on allumera le feu de joie, et vous recevrez vos cadeaux... Et il y aura de la musique !

Je souris, encore. J'ai l'impression que mes joues me font mal à force. Une jeune femme aux magnifiques cheveux roux qui passe à côté de moi, couronnée elle aussi, s'approche pour me serrer dans ses bras. Je réponds à son étreinte, maladroitement. Autour de son poignet, son bracelet de pierres semi-précieuses tintent à mon oreille et elle me souffle une joyeuse fête. Je répète ses mots, poliment, en espérant qu'ils la toucheront autant que les siens m'ont touchée. Et elle s'éloigne déjà, elle aussi d'un air éclatant de bonheur.

— Viens, allons saluer les Anciens ! m'enjoint Neira en me tirant plus loin.

Nous passons devant un coin où sont étalés des tapis tressés main avec quelques buches en guise de tabouret. Les musiciens commencent à se mettre en place en y installant leurs instruments. J'aperçois un violon, une guitare, mais je n'ai pas le temps d'en voir plus que nous arrivons vers un groupe un peu à l'écart. Ils sont assis sur un banc au pied de l'escalier de la plus grande demeure, et discutent entre eux, calmes et sereins. J'en compte sept, dont cinq femmes, aux cheveux complètement blancs ou presque, tressés par endroit. Certaines arborent des cicatrices voyantes sur le visage et les bras, tandis que d'autres semblent tout à fait ordinaires.

Nous nous approchons, et leurs yeux se tournent vers nous, à la fois distants et bienveillants. Neira s'incline devant eux, et je fais de même, toujours aussi peu sûre de moi. J'envie la voix claire et confiante de mon amie. Mes bredouillements font pâle figure à côté.

— Tu es la petite fille de Liena, n'est-ce pas ? demande l'une des femmes un sourire doux aux lèvres.

Je dois admettre que je suis un peu intimidée. Leur expérience et leur sagesse est indéniable, et je me sens comme une gamine en pleine crise d'adolescence en comparaison. J'opine du chef le plus respectueusement possible.

— Je suis désolée pour ta mère, reprend-elle dans un soupir. C'est une femme forte, j'espère de tout cœur qu'elle s'en sortira.

Mes yeux s'agrandissent et je m'approche doucement.

— Pardon... Vous avez connu ma mère ?

— Oui, pendant son adolescence elle ne quittait presque pas le village. Une jeune femme très curieuse et courageuse. C'est bien dommage qu'elle soit partie.

— Vous savez pourquoi elle a quitté la vallée ?

— Eh bien, je sais seulement que sa mère et elle se sont quittées en froid.

Son sourire calme lave doucement la déception qui m'envahit.

— J'espère que la fête te plaira, dit-elle, me congédiant implicitement.

Je la remercie et m'éloigne un peu. Neira, agenouillée près d'eux, allume un bâtonnet d'encens et joint ses mains comme pour prier. Ce n'est que maintenant que je remarque le petit autel érigé devant eux. Les effluves colorées des offrandes les nimbent dans un nuage de fumée.

La brunette finit par me rejoindre, et elle m'entraîne vers un nouveau groupe pour me présenter aux autres membres.

Noak n'a pas menti, la viande est extraordinaire. Il en va de même pour tout ce qui se trouve sur la table du banquet à laquelle j'ai finalement eut accès. Les plats me rappellent ceux de grand-mère : locaux, de saison, sains et délicieux. Des coupelles débordent de fruits frais, des corbeilles de pain accompagnent les fromages. La viande et les poissons sont grillés à la flamme. J'ai envie de goûter à tout et pourtant j'ai le ventre trop noué pour en profiter pleinement. Alors ma mère et ma grand-mère se sont bel et bien disputées ? Mais à quel sujet ? Et pourquoi ne pas m'en parler ? Je ne cesse d'y réfléchir.

On me demande de rejoindre le foyer du feu de joie, et les autres célébrés du mois et moi recevons nos cadeaux : des amulettes de protection en bois sculptées. Elles seraient censées nous préserver du danger et éloigner les malédictions. Pas que je crois aux mauvais sorts, mais je ne croyais pas non plus aux loups-garous il n'y a pas si longtemps.

— Le bois c'est le matériau de ceux nés en août, récite Neira en nous servant des verres de thé glacé pendant qu'ils allument le feu. C'est pour ça, l'amulette.

Je souris. Des applaudissements retentissent à la vue des premières flammes, et les musiciens entament une musique plus entraînante.

— Oh c'est le moment de danser ! s'écrit-elle en reposant les verres sur la table.

Elle m'attrape la main et me tire près du brasier.

— Nei' attends ! Je danse comme un pied ! j'objecte en la suivant malgré tout.

— Fais comme moi c'est facile !

Le violon entame son solo et je lève les mains au-dessus de ma tête, miroir de sa propre position. Je suis bien moins précise, beaucoup plus réservée. Lorsqu'elle tourne sur elle-même, je l'imite, décalée du rythme. Mais elle ne m'en tient pas rigueur. Ses doigts fins s'accrochent aux miens et son regard joueur me taquine. Mes mains sont moites, et j'ai peur qu'elle le remarque. Pourtant elle ne dit rien et ne se départ pas de son sourire.

Au début, j'ai du mal à bouger. Je suis trop raide, trop lente, trop timide. Mais Neira, emportée par sa joie de vivre, me guide et me fait oublier ma peur d'être ridicule. Elle me tire vers elle, tantôt elle me repousse, et nous tournons sur nous même, les cheveux au vent. La terre sous mes pieds est heureusement très stable, et l'odeur sucrée de la soirée nous enveloppe. L'agitation se fait plus lointaine, les murmures et le crépitement des flammes deviennent un discret fond sonore alors que je commence à apprécier la musique. Sentir mon corps bouger et nos mouvements s'harmoniser a quelque chose de spécial. Comme une sensation de bien-être et de sérénité. Une ivresse douce et addictive.

La douceur de ses mains lorsqu'elle saisit mes poignets, ou la chaleur sur son visage rougit, me paraît familière. Je m'écarte un instant pour l'observer virevolter seule, heureuse, lumineuse. C'est une vision qui n'a pas de prix.

Entre deux morceaux de musique, nous faisons une pause pour boire. Il fait chaud près du foyer et au contact des corps de la foule, si chaud que mon visage doit lui aussi être rouge. Neira m'explique que danser lors des fêtes comme celles-ci est important et apportera la bonne fortune sur le village. "Les Dieux nous regardent," ajoute-t-elle. "Nous devons leur offrir un beau spectacle !". C'est dans ces moments que je prends conscience que nous n'appartenons pas au même monde.

J'observe les danseurs qui semblent s'amuser également. Le tempo ralentit et les tambours prennent le pas sur les autres instruments, plongeant la foule dans une ambiance plus douce et romantique. Des couples se forment pour une chorégraphie plus proche de la valse.

Du coin de l'œil, je remarque une silhouette que je reconnais, occupée à discuter avec d'autres jeunes.

— Tiens, j'ai vu Zoren là-bas ! je préviens Neira en désignant le petit groupe.

— Oh ! Il faut que j'aille l'embêter ! Viens ! s'exclame-t-elle en buvant son verre d'une traite avant de se diriger loin du feu de joie.

Je glousse et décide de terminer ma boisson avant de la rejoindre. Le jus de fruit me donne l'énergie suffisante pour tenir, malgré la fatigue. Un couple s'excuse devant moi pour rejoindre la piste de danse et je souris. En reculant, je me heurte à quelqu'un et me retourne, prête à me confondre en excuse. Mais ce n'est pas un visage inconnu que je rencontre.

— Suna... Neira t'as abandonnée ? Se moque gentiment Keiran.

— Ah ah, hilarant ! je souffle faussement ennuyée. Elle est allée voir Zoren, si tu veux tout savoir. Par là-bas.

Je pointe d'un mouvement de la tête l'endroit où Neira est visiblement occupée à charrier le jeune casse-cou de la bande. Keiran ne se retourne pas, et il se contente de sourire.

— Oh je vois.

J'hausse un sourcil, interdite.

— Tu ne vas pas la voir ? je demande en m'approchant légèrement pour me faire entendre par-dessus le brouhaha.

— Pourquoi est-ce que j'irai ?

Il m'imite et bientôt nous retrouvons la même proximité qu'au cœur de la forêt. La foule qui nous entoure est un peu étouffante, mais ce n'est pas ce qui me fait rougir.

— Je pensais que tu la cherchais... Je bredouille.

— C'est toi que je cherchais...

Je souris doucement pour masquer mon trouble. Keiran a cette faculté à rendre toute situation d'ordinaire normale complètement bizarre. Son beau visage n'y est pas pour rien.

— Eh bien, je suis là, je réponds, le cœur battant.

Un long frisson remonte mon échine à la vue de son sourire en coin. Il sait très bien l'effet qu'il a sur les gens, j'en suis convaincue. Et, sans prévenir, il me tend sa main en s'inclinant légèrement, comme un chevalier servant, ses yeux pétillants de malice.

— M'accorderiez-vous cette danse ?

Mon cœur rate un battement. Je sais que je devrais refuser, ou au moins hésiter. Mais mes doigts s'emparent des siens avant que je ne puisse réfléchir.

— Vous n'avez pas déjà un cavalier ? je le taquine en faisant référence au garçon avec qui je l'ai aperçu un peu plus tôt.

— Il m'a laissé tomber... m'explique-t-il en faisant la moue comme un enfant.

— Mon pauvre, qui oserait rejeter votre demande dans de telles conditions ?

Il sourit plus largement et me tire vers les autres duos qui ont déjà entamé leur valse. Lorsqu'il se poste face à moi, sa main glisse sur ma taille naturellement, et la mienne rejoint sa nuque. Ses pas, experts et assurés, me guident et je me sens plus à l'aise qu'au début de la soirée. Suffisamment pour relever la tête et cesser de fixer mes pieds au bout d'un moment. Sa main dans ma mienne est chaude et rassurante, et nous nous laissons porter par la mélodie.

— Je te préviens, il faudra qu'on en fasse une autre... Complète cette fois-ci ! Exige-t-il en me faisant tourner sur moi même.

Je ris alors qu'il m'attire à nouveau contre lui, le regard joueur, les gestes aussi doux que les traits de son visage. C'est vrai que le morceau était déjà bien entamé lorsque nous avons commencé.

— Loin de moi l'idée de te voler ! Je rétorque.

Nous tournons au rythme de la musique et je suis surprise de ne pas lui écraser les pieds une seule fois. Ça semble être son cas également.

— Tu danses bien pour une citadine ! me complimente-t-il.

— J'ai eu une bonne professeure, je déclare.

Nous tournons, plus vite cette fois, et je manque de trébucher à nouveau. Ses mains me tiennent fermement, et je m'accroche à ses épaules larges. Le tintement des verres et l'agitation me parviennent vaguement, de très loin.

— Je suis content que vous vous entendiez bien toutes les deux...

— Neira est super, je confirme en repensant à sa gentillesse.

— Oui, c'est une chouette fille. Elle a beaucoup aidé à organiser cette soirée, tu sais. On a eu du mal à la tenir en place depuis le début de la semaine !

Je souris. Cette fête est véritablement sublime. Tout le monde est chaleureux, et je me sens vraiment bien à cet instant. Je ne pourrais jamais la remercier assez pour ça.

— J'ai de la chance qu'elle soit mon amie, je murmure.

Il me sourit de plus belle. Je ne vois même pas le temps passer tant ce moment est agréable. Ses blagues me font rire, et ses mouvements doux me permettent de suivre sans difficulté. La lumière qui danse sur son visage et illumine sa peau mate le fait rayonner. Je ne peux pas nier que sa compagnie est très agréable. La musique ralentit. Keiran me fait tourner une dernière fois, et je ris, le souffle court. Puis une voix, plus grave, me ramène à la réalité.

— Je vais prendre le relais, Kei'.

Je lève les yeux vers Askan qui se tient près de nous. Je ne l'ai pas entendu arriver, et le ton autoritaire dans sa voix me fait froncer les sourcils. Mais Keiran ne semble pas s'en formaliser. Il s'incline en vrai gentleman, comme il l'avait fait pour me demander une danse, et affiche un simple sourire poli.

— Merci pour cette danse, souffle-t-il avant de lâcher ma main et de laisser la place à son ami.

Il le gratifie d'une tape amicale dans le dos et quitte la piste, alors que je me retrouve seule face au brun. Soudainement, je n'ai plus du tout envie de danser. Mais sans que je ne puisse m'échapper, il saisit mon bras et me tire vers lui. Il est bien plus brusque que mon précédent cavalier.

— Danse avec moi, je dois te parler, m'ordonne-t-il en plaçant ses mains sur ma taille.

Je grince des dents mais remarque du coin de l'œil qu'on nous épie, et je ne veux pas faire une scène. Alors je passe mes mains autour de son cou en pestant.

— Je n'ai aucune envie de discuter avec toi, je l'informe, agacée.

— Oui, oui, tu préfères danser avec Keiran, se moque-t-il.

Je le foudroie du regard. Il a ce don de réussir à m'énerver rien que par sa présence et cette fois ne fait pas exception.

— La ferme.

— Arrête de tirer la tronche ou on va croire qu'on se dispute...

J'inspire profondément. Je ne dois pas le laisser m'atteindre. Pas comme la dernière fois. Je me force à sourire doucement, les dents serrées.

— Qu'est-ce que tu me veux ?

— Parler de ce qu'il s'est passé la dernière fois.

Evidemment, ça ne pouvait pas être pour me demander ma couleur préférée.

— On est obligé de faire ça ici ? Et maintenant ?

— Tu me répondras si je te demande à un autre moment ?

— Non.

Nous nous balançons, presque immobiles au milieu de l'agitation. Chacun de nos pas, si petits soient-ils, s'accordent et se répondent sans que l'on doive se concerter. Simplement par instinct. Comme si c'était quelque chose de naturel. Il hausse un sourcil, le regard entendu. Il ne me laissera pas sans des réponses, de toute évidence. Et malheureusement pour lui, je n'en ai pas à lui donner.

— Finissons-en, je soupire.

— Qu'est-ce qui s'est passé et comment tu as fait pour me pousser aussi fort ? me questionne-t-il immédiatement et sans détour.

J'inspire profondément.

— J'en ai aucune idée.

— T'en sais rien ? C'est ta réponse ?


Son regard glacial me transperce. Il semble sceptique, ou agacé. En tout cas, ma justification ne lui suffit pas.

— En fait...

Il y a bien quelque chose, une théorie à laquelle je réfléchis depuis, mais impossible de la formuler à voix haute sans rougir. Je tourne la tête et murmure sur le ton de la confidence :

— Le soir où je suis arrivée, ma voiture est tombée en panne. Quand je suis sortie, au milieu de la nuit, en pleine forêt, j'ai été attaquée par une bête. Je pensais que je m'étais faite mal en tombant, mais si elle m'a mordue et que c'était en fait un loup-garou, le loup noir que je vois depuis, je pourrais... Être en train de me transformer ?

Sa réaction ne se fait pas attendre.

— On n'est pas dans un film, Suna, objecte-t-il durement.

Je tourne la tête vers lui, les sourcils froncés. Comment est-ce que je pourrais l'enterrer dans la forêt sans que les autres loups-garous s'en rendent compte... ? Je songe avant de souffler brusquement.

— Même si cette bête t'a mordue et que c'était effectivement le loup que tu prétends voir (je tique un peu sur son choix de mots, mais décide de laisser couler), tu ne pourrais pas devenir comme nous. Ça ne marche pas comme ça. C'est dans ton sang. Dans ton ADN. C'est pour ça que les lignées sont si importantes pour nous.

— Alors qu'est-ce qui m'arrive ?

J'ai agrippé son bras, par réflexe, et je ne prétends même plus danser. Ses yeux noisette me fixent avec étonnement. Je ne contrôle pas l'inquiétude qui transparaît dans ma voix.

— J'en ai aucune idée... répond-il honnêtement.

C'en est trop pour moi et je décide de mettre fin à cette mascarade qu'est notre piètre performance sur la piste. L'air est étouffant, et je ne le supporte plus. Je m'éloigne, sans un mot, esquivant les quelques danseurs, et pour rejoindre l'orée de la forêt. Je sens son regard dans mon dos, mais il ne cherche pas à me retenir. Et je ne me retourne pas pour demander pourquoi.

L'air frais des bois me permet de reprendre mes esprits. La différence de température est criante. Tant qu'elle me fait frissonner. J'hésite une seconde à avancer pour me perdre dans cette forêt et cesser de penser à tout ce que m'a dit Askan. Je ne suis pas en train de devenir un loup-garou. C'est la bonne nouvelle de la soirée, je suppose. Mais l'inconnu est encore plus effrayant que la pire des options. Que se passe-t-il dans mon corps ? Je jette un regard vers les lumières du village. Un épais nuage sombre s'élève dans le ciel depuis le grand feu de joie. Je suis peut-être partie trop vite... J'aurai dû lui poser plus de questions, tant qu'il avait l'air prêt à m'aider.

Je m'apprête à rebrousser chemin, à retourner là-bas et à mettre mon égo de côté pour le retrouver lorsque j'entends un coassement derrière moi. Je tourne la tête, interloquée, fouillant le feuillage des arbres des yeux. En vain.

Un nouveau coassement retentit. Est-ce ma corneille ? Je m'avance, tentant de la localiser. Je la trouve sur une branche plus basse que les autres. L'obscurité ne me permet pas de voir correctement son bec, mon repère pour l'identifier, mais elle me fixe d'un œil malin.

— Hey, qu'est-ce que tu fais ici ? je demande comme si elle allait me répondre.

Au lieu de coasser à nouveau, elle s'envole et va se poser plus loin, sur un arbre plus éloigné du village. Je ne comprends pas bien ce qu'il se passe, et elle se met à nouveau à coasser, comme pour attirer mon attention. Est-ce qu'elle veut que je la suive ?

Je me sers de mon téléphone pour éclairer le chemin couvert de racines à demi enterrées et de branches mortes. L'oiseau continue son étrange manège, et je m'enfonce un peu plus dans la forêt, m'attendant à chaque fois. Au bout d'un moment, je ne vois même plus les lumières percer à travers les bois. J'ai dû aller un peu trop loin pour ça. J'hésite une seconde alors que la corneille s'éloigne à nouveau. Je ne veux pas me perdre...

Eh bien, je ne pensais pas que ces stupides volatiles pouvaient se rendre utiles, mais finalement...

Une voix glaciale s'impose dans mon esprit, et je me fige, le cœur battant. Devant moi, se découpant dans l'obscurité, des yeux dorés apparaissent. Mon portable m'échappe et s'écrase au sol, éclairant le sous-bois. Ce pelage et cette silhouette menaçante...

Oh, on dirait que tu me reconnais !

J'ai le souffle coupé, et je tente un pas en arrière prudent. Instantanément, il dévoile ses crocs pâles d'une taille démesurée et un grognement guttural me parvient.

Tu ne bouges pas. Ne sois pas idiote, tu sais que je pourrais te réduire en pièce avant que tu n'ai pu faire plus de deux foulées.

Je déglutis bruyamment, et ma gorge est tellement nouée que j'ai du mal à parler. Pourtant, je réussis à articuler :

— Qu'est-ce que vous me voulez ?

J'essaye de ne pas trembler, ni d'avoir l'air aussi terrifiée que je le suis, mais je ne pense pas qu'il soit dupe. Mes jambes ne flanchent pas par je-ne-sais-quel miracle. Je me sens prise au piège, sans défense, et complètement à sa merci. Son rire cynique résonne dans ma tête, comme un prédateur riant de sa proie.

Eh bien, je suis venue te souhaiter un joyeux anniversaire, moi aussi !

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