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Renarde
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Chapitre 9

Il est vingt-deux heures passées quand je me glisse derrière le comptoir pour tirer un soda du frigo. Journée particulièrement chaude, éprouvante et je n'ai qu'une hâte : rentrer me glisser entre les draps.

Derrière moi, la porte de sortie du personnel claque, un son familier qui marque la fin de ma journée. Je colle l'aluminium de ma canette contre ma joue à la recherche d'un peu de fraîcheur. Ce soir, je ne sens pas un souffle de vent — rien que l'air lourd et tiède de la nuit.

Je fais rouler mes épaules tendues, étire ma nuque, puis décapsule la boisson. Le gaz siffle, perçant le silence. Le goût familier et agréable me fait autant de bien que sa température. Je croise le regard fermé d'Askan. Il m'observe, adossé à un mur, sans un mot.

Lorsque je prends la direction du parking, il me suit. Il se tient toujours à quelques mètres de moi, discret comme une ombre. Une ombre qui se glisse sur le côté passager dès que je déverrouille ma voiture.

Depuis le soir où je l'ai poussé avec à cette force sortie de je-ne-sais-où, nous ne parlons presque pas. Principalement parce que je refuse d'évoquer cet incident et qu'il n'a que ces mots à la bouche. Pour une raison obscure, il me semble qu'il n'a pas parlé de ça à qui que ce soit. C'est mieux comme ça. Je dois me concentrer pour remettre ma vie en ordre, pas y mettre plus de pagaille.

Le silence qui règne dans l'habitacle n'a jamais paru le déranger, et parfois, j'entrouvre la fenêtre pour respirer un air neuf. J'étouffe rapidement lorsqu'il est saturé de non-dits et de questions muettes. Pourtant il y a un certain confort dans cette routine que l'on a à peine mise en place : même si sa présence est figurative, je me sens moins seule. Traverser ces bois avec un loup-garou à mes côtés me rassure, d'une certaine façon. Un loup-garou apprivoisé. Je souris et pouffe de rire à cette pensée. Je ne suis pas certaine qu'Askan soit vraiment apprivoisable. Comme pour confirmer ma réflexion, le jeune homme tourne la tête vers moi, ses yeux lançant des éclairs. On croirait qu'il a entendu mes pensées. Ou qu'il déteste simplement me voir rire. Ou sourire.

Je lui lance un regard courroucé.

— Quoi ? je le défie alors qu'il me fixe, toujours d'aussi bonne humeur.

Mais comme je m'y attendais, il ne s'abaisse pas à me répondre et se contente de tourner la tête vers sa vitre. Je lève les yeux au ciel. Quel sale caractère.

Brisant l'obscurité, mon téléphone s'allume. J'y jette un œil, curieuse. Un appel de Neira. Du coin de l'œil, j'observe la réaction du brun, mais une mèche noire tombant sur sa tempe m'empêche de bien le voir. Je me racle la gorge et décroche, mettant le son sur haut-parleur.

— Allô ? je commence en rivant mes yeux sur la route mal éclairée par mes vieux phares.

Suna ? C'est Neira !

Sa voix est audible mais le son est mauvais, et à travers les arbres, je crains que l'appel ne coupe.

— Salut Neira ! Je suis en voiture : je rentre chez moi. Je peux te rappeler après ?

— Justement, c'est de ça dont je veux te parler.

Sa réponse, précipitée, me fait hausser un sourcil, et je m'agrippe au volant. J'ai eu mon lot de mauvaises nouvelles par téléphone pour toute une vie.

— Dis-moi.

— Il faudrait que tu viennes au village, c'est important.

— Au village ? Genre le village ?

Je peux entendre son sourire à travers l'appareil.

— Oui, celui-là.

— Quand ça ?

— Ce soir.

Une plainte m'échappe, venue de mes orteils endoloris et de mon dos tendu.

— Je viens de sortir du travail et je suis H.S., ça peut pas attendre ?

— J'aimerais bien, mais non. C'est important.

Sa voix est sérieuse, ferme, presque grave. Un frisson me parcourt l'échine. L'appréhension me coupe le souffle juste une seconde, et mes mains, déjà bien accrochées, se resserrent davantage sur le volant.

— Qu'est-ce qui se passe ?
Tu comprendras en arrivant. Fais vite.

J'entends le bruit familier de fin d'appel et mon écran s'éteint, nous replongeant dans le noir. Je ne suis pas certaine qu'elle ait raccroché, ça pourrait tout aussi bien avoir coupé. Je tente de formuler une hypothèse sur la raison de ma convocation là-bas, mais il n'y en a qu'une seule qui s'impose à moi. Mon regard est malgré moi attiré vers le garçon à ma droite.

— Euh, tu... Tu leur as pas dit pour l'autre soir, hein ? je demande, captant un instant une lueur agacée dans ses yeux.

— Non.

Sa réponse est brutale, tranchante, comme si l'évocation même de cette possibilité était une provocation. Je soupire, désabusée. Je ne comprends absolument pas son comportement avec moi depuis qu'on se connaît. Et "se connaître" est un bien grand mot. Les rares fois où l'on discute, ça tourne court ou au vinaigre.

— Et... Tu comptes le faire ?

Il ne répond pas immédiatement. Je ne sais pas s'il regarde réellement par la fenêtre ou s'il cherche ses mots, mais l'espace d'un instant, j'appréhende sa réponse.

— Je sais pas encore, me confie-il.

Sa réponse ne me soulage pas, loin de là.

— Je préfèrerai que...

— Tu peux me lâcher ? me coupe-t-il brusquement. Et arrête de t'accrocher au volant comme s'il allait s'enfuir : on va finir dans le fossé.

Son ton cynique m'exaspère mais je ne peux que m'exécuter : j'ai les phalanges blanchies et la paume endolorie. Je n'ose plus le déranger après ça.

Lorsque l'on se gare devant la maison, les lumières du perron sont allumées et grand-mère se tient dans l'embrasure de la porte. Je coupe le moteur. Malgré nos divergences d'opinion, nous avons réussi à calmer les tensions, et notre relation est presque... bonne. Pourtant, même si je sais qu'elle fait des efforts pour que ça se passe bien, je ne peux pas m'empêcher d'éprouver du ressentiment. Je persiste à croire que tout serait plus simple si elle me disait la vérité.

Je l'observe un instant à travers la vitre, et j'hésite — comme à chaque fois que je rentre. Askan, lui, n'est pas concerné par mes états d'âme. Il sort sans se faire prier du véhicule et se dirige vers la chaumière d'une démarche nonchalante. Je soupire. Rien ne sert de repousser l'inévitable.

Lorsque je m'approche d'eux, grand-mère me tend une assiette avec un sandwich. Askan est déjà assis et dévore le sien avec un entrain que je ne lui connaissais pas.

— J'ai cru comprendre que vous alliez au village, dit-elle en s'accoudant contre le chambranle. Mangez avant de prendre la route, ce n'est pas tout près.

— Merci... je murmure en croquant dans le pain. Tu y es déjà allée ?

— Pas depuis longtemps, mais j'y ai vécu, plus jeune.

J'hoche la tête. Je suppose que notre relation sera ainsi désormais : elle qui me donne quelques bribes d'informations, et moi qui tente de les assembler et de reconstituer l'histoire.

Askan est bien plus bavard avec la vieille qu'avec moi, et je les écoute parler — sans vraiment comprendre — de son père et de sa formation. C'est comme commencer une série à la saison deux... Alors, j'écoute, j'enregistre. Je retiens ce que je peux.

Je décroche au bout d'un moment. Je me perds dans mes pensées. Elles tournent en rond dans ma tête. Quelle peut-être la raison derrière ma venue au village ? Je jette un œil à Askan, toujours en pleine conversation. Je dois avouer que même s'il soutient qu'il n'a rien dit... j'ai du mal à y croire. Il ne me porte pas dans son cœur, c'est une évidence. Depuis le jour où je suis arrivée il n'a cessé d'être dédaigneux. Je n'y prête plus attention, maintenant, mais la question demeure : est-ce que je peux me fier à lui ? Pour quelle autre raison voudraient-ils me voir ?

Askan se lève et attrape de mes mains mon assiette vide pour les tendre à ma grand-mère.

— Il faut qu'on parte maintenant, si on veut arriver avant minuit, commente-t-il en s'étirant.

— Ça va vous prendre une éternité à pied... souligne grand-mère avec un sourire espiègle.

Je ne comprends pas bien pourquoi, mais il marmonne quelque chose, comme si cette vérité l'incommodait.

— On peut y aller en voiture ? je propose, en désignant mon 4x4 garé plus loin.

— Non, le chemin est pas praticable la nuit... Fais chier...

Je l'observe tourner en rond et se gratter la nuque comme s'il cherchait une alternative. Il finit par s'immobiliser et se tourner vers moi.

— Bon, retourne-toi, m'ordonne-t-il brusquement.

— Hein ?

— Retourne-toi ! Je change pas devant les humains, précise-t-il en croisant les bras sur son torse.

Un peu confuse, j'obtempère malgré tout. Il me semble que Neira avait parlé de ça également. Est-ce qu'il va se transformer en loup ?

Je ne tarde pas à comprendre. Derrière moi, il prend le temps de se déshabiller puis d'étranges bruits me parviennent. J'entends d'abord un bruissement, comme un bourdonnement ou une vibration, puis un râle sourd, rauque. Et enfin, un grognement animal. Comme une invitation à me retourner.

Je pivote, hésitante, et découvre une immense bête qui se dresse à quelques mètres de moi. Mon cœur s'accélère à m'en faire mal, et j'ai le souffle coupé. Il est presque aussi grand qu'un ours, et noir comme la nuit. Ses yeux dorés luisent dans l'obscurité, et il me fixe avec une expression indéchiffrable. Mon sang pulse dans mes tempes. Je suis terrifiée. Une peur irrationnelle et viscérale. Et pourtant c'est un autre sentiment qui prend le dessus : la fascination. Je suis fascinée par la créature qui est sous mes yeux. Par sa beauté, sa puissance, son existence même. Je m'approche, presque malgré moi, et il ne bronche pas. Je ne sais pas quoi dire, je n'ai pas les mots pour décrire ce que je ressens. J'ose aller à sa rencontre, et je suis plus proche que je ne le devrais sûrement lorsque je tends la main pour toucher son museau. Brusquement, ses dents claquent juste à côté de mes doigts, et je manque de faire une crise cardiaque. Son grondement me ramène à la réalité : ce n'est pas n'importe quelle bête qui se trouve devant moi, c'est Askan. Et il ne m'aime pas plus sous forme de loup que sous forme humaine.

Je recule un peu, hébétée.

— Qu'est-ce que... qu'est-ce qu'on fait maintenant ? je demande, légèrement secouée. Je ne peux pas changer moi.

Dans mon dos, grand-mère glousse et le loup se secoue.

— Toi tu vas monter sur son dos, m'explique-t-elle.

Je lui lance un regard affolé. Est-ce qu'elle est folle ? Mes yeux oscillent entre les gigantesques crocs de l'animal et le visage serein de la vieille. Il n'y a aucun moyen qu'il accepte de me laisser monter sur son dos sans me déchiqueter, si ? Je secoue la tête. Je n'y crois pas une seconde.

Tu veux bien faire ce qu'on te dit ? On va pas y passer la journée...

Je sursaute si violemment que j'en tremble. La voix d'Askan a percé le silence... Dans ma tête. Je me tourne vers lui, encore plus incrédule que je l'étais jusqu'ici, si tant est que c'est possible. Il s'est allongé, et je reconnais son air de profond ennui. Monter sur son dos ? Dans cette position, il semble beaucoup plus accessible, mais tout de même...

— Vas-y, m'enjoint grand-mère avec un sourire encourageant.

J'inspire profondément et m'avance vers Askan qui fait mine de regarder ailleurs. Je n'ai jamais été très douée pour monter à cheval, les rares fois où j'ai essayé. Je ne sais pas comment je vais faire pour tenir sur son dos.

Il ne bronche pas lorsque je me poste à ses côtés et je rassemble tout le courage que j'ai pour me pencher et enjamber son corps. Il est trapu, et lorsque je m'assois, je sens à travers ses poils drus tous ses muscles se contracter et rouler. Il se relève brusquement, si bien que pour ne pas tomber, je m'accroche à sa fourrure, fermement. Un grognement d'avertissement fend la nuit.

Évite de m'arracher les poils, ça fait des trous dans ma fourrure.

Sa voix se fraye à nouveau un chemin dans ma tête, cinglante, et cette fois-ci, je suis sûre de ne pas avoir rêvé.

— Tu me parles... dans ma tête ? Je chuchote, confuse.

Il semble ennuyé par ma question, car il s'étire sans daigner y répondre. Ses pattes, massives, caressent le sol et ses griffes s'enfoncent dans l'herbe.

— Amusez-vous bien ! lance grand-mère.

Je n'ai pas le temps de lui répondre que ma monture s'éloigne déjà au petit trot.

J'ai énormément de mal à me stabiliser au début. Et les commentaires sarcastiques d'Askan n'aident pas vraiment. Si je ne lui fais pas mal aux reins, je tire trop sur ses poils, et vice-versa. C'est complètement différent d'un scooter ou d'un cheval. Je dois aussi faire attention aux branches basses et aux buissons. À travers le feuillage des arbres, la lumière de la lune ne passe presque pas. Je ne vois pas grand-chose, contrairement au loup. Lui semble être dans son élément et déambule habilement entre les arbres, esquivant les racines avec souplesse.

Lorsque je prends enfin le coup de main, il accélère et les arbres défilent à une allure ahurissante ! Je suis plaquée contre ses omoplates, accrochée à son encolure, les cuisses et les mollets contractés pour rester en place. C'est une sensation à la fois agréable et inquiétante, comme une montée d'adrénaline dans une attraction. La chaleur qui émane de son corps m'enveloppe, contrastant avec l'air qui fouette mes jambes et balaye mes cheveux.

Au bout de longues minutes, il marque une légère pause sur un pan de montagne offrant une vue dégagée sur le paysage. La lune, claire et lumineuse, éclaire la vallée. Au loin, j'aperçois les lumières de la ville. Et je cherche des yeux la maison de grand-mère, plus en hauteur. La rivière qui serpente entre les deux monts et se glisse en contrebas scintille d'un éclat pâle. Je souris. Puis je baisse les yeux, et me raccroche à la fourrure d'Askan. J'ai l'impression de tomber. C'est le vide qui s'étend sous le rocher sur lequel nous sommes.

— Dis... Tu ne comptes pas me jeter dans le ravin, ou un truc du genre ?

Ça reste une option...

Sa voix moqueuse résonne à nouveau dans mon esprit et c'est quelque chose de bizarre. J'ai du mal à m'y faire. C'est comme si une autre voix que la mienne réfléchissait dans ma tête. Ce n'est pas douloureux, mais ma vision vacille, comme si mon cerveau tentait de faire du tri, de comprendre l'origine de ce son parasite. Ça ne dure pas longtemps, juste assez pour me désorienter un peu.

Il reprend finalement sa route, et le chemin devient un peu plus escarpé au fur et à mesure de notre ascension. Je crains un instant d'être trop lourde pour qu'il ne réussisse à me porter jusqu'au bout, mais il ne se plaint pas et sa respiration demeure stable.

Lorsqu'il s'arrête à nouveau, il se baisse, et cette fois-ci je comprends qu'il faut descendre. Plus loin, des lumières percent l'obscurité entre les arbres et je crois entendre la rumeur de conversation.

Attends ici, je vais changer.

J'hoche la tête et le regarde partir en trottinant entre les arbres, curieuse malgré moi. Il fait à peine craquer les brindilles sous ses pattes, bien plus à l'aise que quand j'étais sur son dos.

Je passe ma main sur mon visage. J'aurais bien aimé qu'on me convoque demain matin après une longue et bonne nuit de sommeil. Je tourne sur moi-même à la recherche d'une souche ou d'un tronc d'arbre sur lequel m'asseoir. Je n'ai plus l'énergie nécessaire pour rester debout après avoir contracté mes muscles aussi longtemps.

Même si c'est une expérience unique que je viens de vivre, j'ai du mal à le réaliser. Et au fond de moi, je refuse d'admettre que j'ai beaucoup apprécié ce moment. Ne serait-ce que parce que je l'ai partagé avec Askan. Et dire que c'était, en quelque sorte... ma première fois avec lui. Je grimace.

Le silence opaque m'enveloppe, à la fois calme et inquiétant, et lorsque je lève la tête vers le ciel, je ne vois presque rien. Rien que l'obscurité dense.

— Salut, tu fais quoi ?

Mon cœur rate un battement et je sursaute violemment. Un petit cri m'échappe et je tente de faire volte-face mais trébuche sur du vide. Je bascule, sans pouvoir me raccrocher à quoi que ce soit, et ferme les yeux par réflexe, prête à accueillir la douleur d'une chute parmi les branches sèches et les ronces. Mais rien ne vient. Au lieu de ça, je sens un bras entourer ma taille et me retenir fermement en place. J'ouvre les yeux, mais l'obscurité m'empêche de discerner les traits du visage penché au-dessus de moi. Jusqu'à ce qu'il éclaire la zone entre nos deux têtes avec son téléphone en faisant une grimace.

— Keiran ! Tu m'as foutu la trouille ! je me plains en me dégageant.

Je recule d'un pas et trébuche à nouveau. Le blond attrape mon poignet et me tire contre lui. La tête pressée contre son torse, je suis franchement mal à l'aise.

— Pourquoi t'es toute seule ici ? demande le garçon comme si cette situation n'était pas du tout gênante.
— Askan... J'articule, contente que l'obscurité cache la rougeur de mes joues.

Je m'écarte un peu, pas trop cette fois, et pas plus que ses bras refermés sur moi ne me l'autorisent.

— Il est venu avec moi et il est juste allé... se retransformer un peu plus loin, j'explique, pas certaine de ce que je dis.

Il fronce les sourcils, même si je ne suis pas sûre parce que je ne vois presque rien. Du bout des doigts, j'attrape sa main qui tient son portable et la place entre nous deux. La lumière éclaire son air surpris, projetant des ombres étranges avec le relief de son visage. Je préfère voir les gens à qui je parle.

— Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ici ? je le questionne.

— Moi ?

Un sourire espiègle étire ses lèvres. Son air insolent est plutôt charmant, sous un certain angle.

— Je suis le comité d'accueil.

— Le comité d'accueil ? je répète, interloquée.

— Eh oui, Petite Chamane !

Je souffle du nez et lève les yeux au ciel.

— Je suis pas une chamane, je réponds en songeant aux mots de ma grand-mère.

Il balaye ma réponse d'un geste de la main, faisant danser la lumière et les ombres de la forêt.

— On va pouvoir y aller, déclare Askan à haute voix cette fois-ci, en revenant de son coin.

Je jette un œil par-dessus l'épaule de Keiran — en tout cas j'essaye avant de me rendre compte qu'il est bien trop grand pour que j'y vois quoi que ce soit. Je me tortille pour faire face au brun. Il a repris forme humaine et porte maintenant des vêtements différents de ceux qu'il avait avant de se transformer.

— On va faire quoi, d'ailleurs ? Pourquoi ils m'ont convoquée ? je demande, curieuse.

— Aucune idée...

Son regard fuyant et son attitude trop désinvolte pour être naturelle ne me convainquent pas.

— Keiran tu mens très mal, je souligne.

— Aller, avance, tu verras bien, répond-il en me poussant doucement sur le chemin.

Je soupire mais m'exécute en traînant des pieds. Au fur et à mesure que nous nous rapprochons les lumières deviennent plus vives et les conversations plus fortes. Nous émergeons du couvert des arbres dans une clairière. Devant ce qui semble être l'entrée principale, Neira nous attend, les cheveux lâchés et le sourire aux lèvres.

— Suna ! Tu es là !

J'observe son expression sincèrement ravie et suis prise d'un doute finalement. Peut-être qu'Askan n'a rien dit après tout. Je lui souris en retour, et elle s'approche avec un morceau de tissu à la main.

— Tiens, mets ça ! m'ordonne-t-elle avec entrain.

J'inspecte le bandeau qu'elle me tend, comme une curiosité.

— Pourquoi tu veux me bander les yeux ?

— C'est une tradition ! s'empresse-t-elle de répondre. Aller, mets-le vite !

Son ton pressant ne me dupe pas, mais je hausse les épaules et décide de faire l'autruche. Je passe le bandeau sur mes yeux, et derrière moi, les mains rugueuses de Keiran m'aident à l'attacher. À ma gauche, le brun soupire comme s'il avait mieux à faire :

— On peut y aller ?

J'entends un claquement et Askan pester, et je suppose que Neira lui a mis une petite tape, comme elle l'avait fait pour Keiran. Le blond me propose d'ailleurs de prendre son bras, ce que j'accepte volontiers. Je me laisse guider, peu rassurée d'être privée de l'un de mes sens. Nous marchons, et j'ai l'impression que les conversations meurent sur mon passage, jusqu'à ce que l'on m'immobilise. Je sens la présence de personnes autour de moi, leurs chuchotements, respirations et le bruissement de leurs vêtements. À côté de moi, Neira semble sautiller sur place et m'agrippe l'épaule, joviale.

— Tu peux l'enlever, vas-y !

J'obtempère, soulagée de regagner la vue. Lorsque je soulève le bandeau, la lumière m'éblouit.

— Joyeux anniversaire !

Je cligne des yeux, découvrant la trentaine de visages souriants braqués sur moi. Un rire nerveux m'échappe.

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