Le matin s'infiltra doucement à travers les rideaux de la chambre, baignant la pièce d'une lumière pâle. Milaë s'éveilla lentement, sa main glissant sur les draps tièdes à la recherche de la chaleur familière de Tae-Jin. Mais au lieu de sentir sa présence, ses doigts ne rencontrèrent que le vide. Son cœur rata un battement. Elle ouvrit les yeux et se redressa brusquement, scrutant la pièce encore empreinte de la présence de son amant.
— Tae-Jin ? appela-t-elle d'une voix encore enrouée par le sommeil.
Aucune réponse.
L'inquiétude s'installa dans sa poitrine. Elle repoussa les draps et sortit du lit, ses pieds nus frissonnant au contact du sol froid. Elle parcourut l'appartement, appelant son nom à plusieurs reprises, mais le silence lui répondit implacablement. Lorsqu'elle entra dans le salon, son regard fut attiré par une enveloppe posée sur la table basse. Ses doigts tremblants la saisirent, et elle reconnut immédiatement l'écriture de Tae-Jin sur le papier. Le souffle court, elle déplia la lettre et commença à lire.
Chérie,
Je suis désolé. Je t’aime plus que tout, et c’est justement pour ça que je dois partir. Tant que je serai près de toi, tu seras en danger. Monsieur Choi ne laissera jamais tomber, et je ne peux pas risquer ta vie. Alors, je préfère m’éloigner pour le moment, calmer les choses et trouver un moyen de mettre fin à tout ça.
Je te promets que je veillerai toujours sur toi, même de loin. Ce n’est pas un adieu, juste une pause. Je reviendrai... Je t’en supplie, ne m’en veux pas.
Prends soin de toi, mon amour.
Les lettres se brouillèrent sous ses yeux embués de larmes.
— Non... non, non, non... murmura-t-elle en secouant la tête, refusant d’y croire.
Elle lâcha la lettre et courut vers la chambre, ouvrit la porte du placard à la volée et fouilla frénétiquement à l’intérieur. Les vêtements de Tae-Jin avaient disparu. Ses chaussures, ses affaires... tout. Un poids terrible s’abattit sur son cœur. Il était vraiment parti. Milaë sentit ses jambes céder sous elle, et elle se laissa glisser contre le mur, son souffle court et hachuré par les sanglots qui menaçaient d’exploser.
— Il m’a abandonnée...
Sa main tremblante se porta à son doigt, et elle retira lentement la bague en or. Elle la fixa un instant, le cœur déchiré, les larmes coulant librement sur ses joues. Elle voulut la jeter, l’éloigner d’elle pour ne plus ressentir cette douleur atroce. Mais ses doigts se refermèrent instinctivement sur le bijou, le serrant contre sa poitrine comme si cela pouvait atténuer le vide béant qu’il laissait derrière lui. Elle se recroquevilla sur elle-même, la bague pressée contre son cœur, et laissa les sanglots l’emporter. Il lui avait promis. Il lui avait juré qu’il ne l’abandonnerait jamais. Et pourtant, il était parti.
Les jours suivant le départ de Tae-Jin s’étaient enchaînés dans un brouillard douloureux. Milaë avait passé le reste de ses congés enfermée chez elle, refusant de voir qui que ce soit. Seule Soo-Ah avait réussi à franchir cette barrière, et après des heures à insister, Milaë lui avait finalement tout avoué. Mais maintenant, il était temps de retourner en cours. Elle ouvrit les yeux avec difficulté, son corps lourd, son cœur vide. L’idée de sortir de son appartement lui pesait, mais elle n’avait pas le choix. D’un geste mécanique, elle enfila un jean et un gros sweat à capuche, le seul vêtement que Tae-Jin avait oublié en partant. Son parfum s’était déjà estompé, mais elle le portait comme une armure, un dernier lien fragile avec lui. Elle descendit les marches de son immeuble, les mains enfoncées dans les poches, et marcha lentement jusqu’à l’arrêt de bus. Le froid de janvier mordait sa peau, mais elle n’y prêtait pas attention. Elle monta dans le bus, s’asseyant près de la fenêtre sans un mot, regardant la ville défiler sans la voir vraiment.
Arrivée à son arrêt, elle descendit et aperçut deux silhouettes familières l’attendant sur le trottoir. Soo-Ah, les bras croisés, l’observait avec inquiétude tandis que Rohwan affichait une expression confuse. Dès que Milaë s’approcha, Soo-Ah s’élança vers elle et l’enlaça avec douceur.
— Tiens, mets ça, murmura-t-elle en lui plaçant des lunettes de soleil sur le nez.
Milaë fronça les sourcils.
— Pourquoi ?
— Comme ça, on ne verra pas tes yeux bouffis et tes cernes de panda.
Milaë baissa la tête, touchée par l’attention de son amie.
Rohwan, qui avait observé la scène en silence, plissa les yeux et croisa les bras.
— Bon, quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe ?
— Tais-toi et marche, lança Soo-Ah avec autorité en lui donnant une tape sur l’épaule.
Rohwan ouvrit la bouche pour protester, mais face au regard noir de Soo-Ah, il préféra se raviser. Ensemble, ils se dirigèrent vers leur salle de cours. Milaë se força à suivre le rythme, mais tout lui semblait si lointain. Les professeurs parlaient, les étudiants riaient, la vie continuait... mais pour elle, tout était devenu flou. À la fin de leur demi-journée, Soo-Ah, Rohwan et Milaë s’arrêtèrent à une supérette pour acheter de quoi grignoter, puis s’installèrent sur un banc dans un parc. Rohwan ouvrit un paquet de chips et le tendit à Milaë, qui refusa d’un geste de la main.
— Sérieux, qu’est-ce qui t’arrive ? demanda-t-il enfin, son regard perçant essayant de lire en elle.
Milaë baissa la tête, triturant le bord de sa manche.
— Je...
— Laisse-la, l’interrompit Soo-Ah en lançant un regard préventif à Rohwan.
Il soupira mais n’insista pas. Le vent souffla doucement, balayant les feuilles mortes sur le sol gelé. Milaë regarda l’horizon, serrant inconsciemment les manches du sweat qu’elle portait. Elle aurait tout donné pour que Tae-Jin soit là, juste à ses côtés.
Après avoir passé le reste de l’après-midi dans le parc, ils se dirigèrent vers le café où Milaë travaillait. En arrivant, elle poussa la porte vitrée, salua ses collègues et déposa ses affaires dans le vestiaire avant d’enfiler son tablier. Derrière elle, ses amis s’installèrent à une table près de la fenêtre, sous le regard bienveillant de Rohwan qui ne cessait de l’observer. Déterminé à comprendre ce qui se passait, il se tourna vers Soo-Ah et murmura :
— Bon, tu vas enfin me dire ce que Milaë a ?
Soo-Ah leva les yeux au ciel et soupira.
— Laisse tomber, c’est un truc de fille.
Rohwan haussa un sourcil, sceptique.
— Un truc de fille... ? Ça concerne Tae-Jin, c’est ça ?
Soo-Ah jeta un regard furtif à Milaë, qui prenait une commande à quelques tables de là, puis reporta son attention sur Rohwan. Après une hésitation, elle hocha légèrement la tête.
— On en reparlera après, souffla-t-elle.
Rohwan serra les dents, frustré, mais décida de ne pas insister.
Une fois leur repas terminé, ils se levèrent et firent signe à Milaë pour lui dire au revoir avant de quitter le café. Lorsque son service prit fin, elle sortit enfin, rabattant son écharpe sur son visage pour se protéger du froid mordant de la nuit. Ses pas résonnaient sur le trottoir désert, le silence amplifiant son sentiment de solitude. Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas la silhouette qui s’avançait droit sur elle.
Boum !
Elle heurta quelqu’un de plein fouet et recula d’un pas, déséquilibrée.
— Désolée... murmura-t-elle machinalement, sans même lever les yeux.
— Tu devrais faire plus attention où tu vas, princesse.
Cette voix... Un frisson lui parcourut l’échine. Son cœur se serra alors qu’elle relevait la tête lentement, son regard croisant celui d’un homme qu’elle aurait préféré ne jamais revoir. Le fils de Monsieur Choi. Il se tenait là, devant elle, un sourire moqueur accroché aux lèvres. Son long manteau noir le rendait encore plus intimidant, et ses yeux, sombres et perçants, brillaient d’un éclat amusé.
— Tiens, tiens... souffla-t-il en inclinant légèrement la tête sur le côté. La petite amie du nettoyeur.
Milaë serra instinctivement son sac contre elle, son souffle se bloquant dans sa gorge.
— Qu’est-ce que vous faites ici ? demanda-t-elle d’un ton plus froid qu’elle ne l’aurait voulu.
L’homme haussa les épaules et glissa ses mains dans les poches de son manteau.
— On va dire que je passais dans le coin. Et quelle coïncidence, je tombe sur toi. Toute seule, en plus.
Il fit un pas vers elle. Milaë, malgré elle, recula. Un ricanement s’échappa de ses lèvres.
— Alors ? Où est ton chien de garde ?
La rage prit le pas sur la peur.
— Ne parle pas de Tae-Jin comme ça ! lança-t-elle avec colère.
Le sourire de l’homme s’élargit.
— Oh... touchée. Alors, dis-moi, tu l’as perdu en route ? Il t’a abandonnée ? J’ai besoin de lui parler.
Milaë sentit son ventre se tordre.
— De toute façon, je ne sais même pas où il est, murmura-t-elle en baissant les yeux.
Un silence s’installa. Elle sentit son regard peser sur elle, l’évaluer, analyser ses moindres réactions. Puis, à sa grande surprise, il éclata de rire. Un rire qui résonna dans la rue vide, lui donnant la chair de poule.
— Intéressant...
Milaë sentit l’angoisse lui nouer la gorge.
— Je n’ai rien à vous dire. Maintenant, laissez-moi tranquille.
Elle fit mine de le contourner, mais il se déplaça habilement, bloquant son passage.
— Tu sais, commença-t-il d’un ton peu sincère, mon père est... inquiet pour Tae-Jin. Il a disparu du radar, et ce n’est pas vraiment son genre.
Milaë resta silencieuse, refusant de lui donner la moindre information.
— Tu vois, poursuivit-il en penchant légèrement la tête, j’ai un petit doute... et si c’était à cause de toi qu’il était parti ?
Il posa son index sous son menton et la força à lever le visage vers lui.
— Peut-être que tu es son point faible.
Milaë ravala sa peur et le repoussa brusquement.
— Ne me touchez pas !
Il éclata de rire et recula d’un pas.
— Oh, quelle agressivité ! C’est adorable.
Elle serra les poings.
— Laissez-moi tranquille.
Cette fois, il ne l’en empêcha pas. Il observa simplement son dos tandis qu’elle s’éloignait à grands pas en direction de son immeuble. Mais au moment où elle ouvrit la porte de son bâtiment, il lâcha une dernière phrase qui la glaça sur place :
— Fais attention à toi, princesse. Parce que si je t’ai trouvée... imagine qui d’autre pourrait le faire.
Son sang se figea. Elle ne se retourna pas et monta en courant les escaliers jusqu’à son appartement, verrouillant la porte derrière elle à double tour. Son cœur battait à tout rompre, elle savait que cette rencontre n’était pas un hasard. Et surtout, elle savait que cela ne faisait que commencer.