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SianaTulnamn
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Chapitre 1.1

Je toque. J’attends. J’ai un trac monstre, mais je me maîtrise sans peine. Sans blague, même quand tout le royaume est venu à l’anniversaire de mes seize ans, je n’étais pas aussi anxieuse.

Bon sang, ils m’ont monté la tête ! Je souffle doucement pour reprendre le contrôle. Elle ne répond toujours pas… Ça pue du cul, ça, qu’elle ne réponde pas. L’angoisse a le don de ralentir le temps, ça ne fait sans doute pas si longtemps que j’attends. Et puis, durant l’entretien, ça ne s’est pas si mal passé. Elle m’a à peine effleurée du regard, mais au moins ne m’a-t-elle pas incendiée sur place, comme on le raconte.

En plus, tout le reste de l’équipe est vraiment adorable, je n’ai aucun doute que ce sera un plaisir de travailler avec eux. Et puis, mince quoi ! c’est le magazine le plus vendu de tous les royaumes alentours ! BeWitched ! 

Et après tout, ça veut dire quoi “travailler en étroite collaboration avec” ? Déjà, collaboration ça veut qu’il faudra qu’elle fasse un effort aussi. 

Oh et puis merde, c’est ma boss ! Allez, Lucie, te laisse pas impressionner !

Ma main est suspendue en un élan interrompu quand une voix glaciale me dit enfin : 

— Entrez.

J’ouvre la porte d’une main. De l’autre, je tiens la boîte de pâtisseries. La pièce est immense, un bureau massif trône en son centre. Une femme me tourne le dos, et dès lors que j'entre, elle se retourne et se dirige vers la sortie d'un pas pressé, serrant des documents contre sa poitrine. Ses yeux évitent les miens. Ils sont emplis de larmes qu'elle tente de contenir, mais son mascara a déjà foutu le camp.

Assise derrière le titanesque meuble de bois rutilant, elle paraît minuscule, mais il n'en est rien : Regina. Suspendue à son téléphone, l'air outrageusement agacé, elle semble prendre pour cible le dos de la demoiselle qui vient de sortir. À croire qu'elle s'imagine y jeter des fléchettes.

J'ose à peine avancer d'un pas. La porte se referme derrière moi et j’entends les sanglots de la femme.

Regina discute farouchement au téléphone. Enfin, non, ce n'est pas vraiment discuter. Son ton calme n'en est pas moins glaçant et menaçant. Elle ordonne plus qu'elle ne laisse la possibilité d'un véritable échange. Est-ce qu'elle m'a vue entrer ?

Oui, évidemment, puisqu'elle m'en a donné l'ordre. J'attends patiemment qu'elle raccroche. Son regard passe à travers moi, comme si j'étais invisible. Ça y est, son appel est fini. Mince, j'en ai perdu la face ! Je remets immédiatement mon sourire d'employée modèle, exactement le même qu'on m'a appris à faire étant petite à la Cour, et je fixe mon interlocutrice.

Elle est belle, c'est vrai. Regina est véritablement une femme avec beaucoup de charisme. Ajoutez à cela un aplomb sans nul autre pareil, une bonne dose de confiance en soi, une assurance à toute épreuve, et vous voilà désarçonné. Il n'y a rien, aucune faille chez cette femme. Non seulement elle a du caractère, mais elle sait ce qu'elle veut et ce qu'elle vaut.

Une chevelure d'un roux flamboyant et intense, ondulée, coupée au carré et parfaitement dressée - à croire qu'elle sort de chez le coiffeur ! - une peau diaphane rehaussée de quelques petites taches de rousseur, des lèvres généreuses et peintes d'un bordeaux profond et satiné. Quelle femme.

Quand son regard noisette croise le mien, je suis désarçonnée. Je me suis vraiment perdue dans sa contemplation, là ? Merde !

*

— Ah oui, c’est vrai que vous commencez aujourd’hui, vous, fait-elle sans cacher sa déception.

— Je me suis permis d’apporter des pâtisseries, dis-je précipitamment en tendant la boîte.

La vérité c’est qu’il n’en reste plus que deux, et au vu de mon geste brusque, je ne paie pas cher de leur état… Je les ai senties s’entrechoquer dans le carton.

Regina me lance un regard perplexe et son silence me met dans un inconfort sans nul autre pareil.

— Pour… c-célébrer ma venue, tenté-je en pleine perte de mes moyens. Enfin, non, pas célébrer ! ajouté-je précipitamment. Je n’ai aucunement le culot de dire que ma venue a besoin d’être célébrée. Enfin, disons plutôt que c’est pour débuter avec une touche de positivité et…
            Ses yeux me transpercent comme deux lames de glace. Je suis persuadé qu’elle sait que ce n’est que le stress qui me fait dire des âneries. Et plus j’en dis, plus j’angoisse, et j’entre ainsi dans un cercle vicieux. C’est comme si je me débattais dans des sables mouvants, et là je m’entends dire des absurdités monstres.

Alors que ma bouche déverse un flot de bêtises sur le fait que je ne suis pas le centre du monde, simplement une fourmi nouvellement née qui n’a qu’une hâte, aider ses sœurs de la colonie ouvrière, la directrice éditoriale m’interrompt d’un morne et simple :

— Je ne veux pas de pâtisserie. Sortez ça de mon bureau.

— Je vous demande pardon ? 

Elle est sérieuse ? Pas même un “Non merci”, juste un “Je ne veux pas de pâtisserie” ? Mes collègues étaient plus que ravis de me voir arriver avec ça, c’est toujours plus agréable et accueillant pour une première journée. Et un bon moyen de briser la glace ! Enfin, pas avec elle…

— J’en conviens, il ne reste plus grand-chose, les autres sont passés avant. J’aurais peut-être dû venir vous voir d’abord, mais… I-Il y a un mille-feuille et une tartelette aux framboises, énoncé-je en présentant la boîte ouverte.

Enfin, j’espère garder la tartelette. La framboise est mon fruit préféré. Son regard n’a pas dévié, elle n’a pas bougé ni cillé, pas même cligné des yeux à tel point que ça devient irréaliste. Elle est certaine de ne pas vouloir un peu de sucre ? Ça ne lui ferait pas de mal.

Je soupire et capitule en refermant le couvercle :

— Écoutez, je sais que vous ne vouliez pas de moi. Vous avez bien d’autres problèmes plus importants que de vous embarrasser d’une bonne à rien que la couronne vous a collée dans les pattes pour satisfaire les caprices d’une enfant. Je vous demande de bien vouloir me croire quand je vous dis que je ne suis pas de cette trempe-là. C’est par choix et réelle volonté d’émancipation et de travail que je suis là. Je veux vraiment me distinguer de ma famille.

Ses beaux yeux de noisettes givrées retombent sur l’écran devant elle. Elle se met à pianoter.

Elle se met réellement à pianoter, là ? N’en a-t-elle rien à faire de ce que je lui dis ?

— Très bien, vous pouvez aller rejoindre vos collègues, me balance-t-elle sans me regarder.

Et pourtant, je ne bouge pas. Pantoise, bête, je reste là à la détailler. Son attention se reportent sur moi l’espace d’un instant, pourtant le cliquetis de son clavier ne cesse pas : 

— Il y a un souci ? m’électrise sa voix.

Je réagis enfin : 

— Qu’est-ce que… Sur quel projet voulez-vous que je commence ? L’ancienne Community Manager a-t-elle laissé des affaires en cours, quoi que ce soit, sur lequel je puisse m’appuyer pour reprendre ? 

Regina soupire et cesse toute activité. Elle s’enfonce dans son fauteuil, pose une main sous son menton et perd son regard sur l’environnement de son bureau immense et dépourvu de décoration. Pas même un cadre ou une plante. Rien d’inutile, qui pourrait embarrasser sa concentration, ou faire perdre du temps. Que le strict nécessaire. 

— Elle n’a rien laissé tout simplement parce qu’elle n’a rien fait. Vous avez dû le voir, notre communication sur les réseaux sociaux est assez primaire et minimaliste, pour ne pas dire quasi inexistante. Néanmoins, nous ne sommes pas à un mois près. Prenez le temps de prendre vos marques et de connaître les tâches de vos collègues, nous verrons cela en temps et en heure.

Un mois ? Si je m’attendais à ça… Elle me laisse un mois de répit ? Moi qui m’attendais à cravacher comme une romaine. Je pensais plutôt qu’elle allait me fustiger de perdre du temps ici à lui proposer des sucreries plutôt que de n’avoir déjà rassemblé des milliers d’utilisateurs sur les plateformes. Je n’ai pas l’intention de me tourner les pouces pendant un mois, je n’ai d’ailleurs pas besoin d’autant de temps pour prendre mes marques sur un bureau et retenir le nom et le lieu de travail de mes collègues.

— Excusez-moi ? osé-je en l’interrompant à nouveau alors qu’elle reprenait son travail. 

Pour toute réponse, un coup d'œil glacial qui me fait comprendre qu’elle s’attendait à ce que j’aie déjà tourné les talons. 

— Quels sont mes objectifs ? On ne m’a rien dit à part de venir aujourd’hui à dix heures. Je n’ai pas besoin d’un mois pour prendre mes marques. Quelles sont vos attentes, vos ambitions, les points à développer ?

— Dans l’immédiat ? Retrouvez vos collègues, on verra tout cela plus tard.

Derrière l’autorité de son ton, il y a quelque chose qui ressemble à de la moquerie.

— Un mois pour que je me souvienne où se trouve mon bureau ? Vous pensez vraiment que je ne suis qu’une enfant capricieuse qui s’ennuie ? Par pitié Miss Turner, je suis ici pour travailler et j’ai…

— Alors faites déjà ce que je vous dis, nous verrons pour le reste, tranche-t-elle. Mais comme vous êtes déjà incapable de vous acquittez de ça, me sèche-t-elle.

— Je sais que vous travaillez sur un gros projet, il faudrait préparer la communication en amont, dites-moi…

— Très bien, me coupe-t-elle avec un soupir agacé, prenez vos marques et nous en parlerons dans deux semaines… 

Elle feuillette un agenda posé à sa droite et regarde les heures disponibles.

— Une semaine. Je peux être opérationnelle dans une semaine ! négocié-je. 

Son œillade me laisse comprendre qu’elle ne s’attendait pas à tant de combativité de ma part. Je crois qu’elle commence à me prendre au sérieux. Elle soupire, remonte de quelques feuilles noircies d’encre et tranche finalement d’un ton sans appel : 

— Dix jours. Ça ne sera pas de trop vu la charge de travail qui vous incombe. Redonnez vie à nos réseaux sociaux, pour le reste on verra lorsque vous aurez fait vos preuves. 

Elle attrape un stylo plume, rature des notes, entoure un créneau et note mon nom d’une encre pourpre. Je ne peux réfréner une exclamation et un frétillement de joie.

— Vous n’avez pas intérêt à me décevoir, à présent, statue-t-elle.

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