C’était volontaire. C’est ce que les secours chuchotent entre eux en remplissant la paperasse. “Un attentat”. Voilà ce qu’il s’est passé. Quelqu’un a volontairement provoqué cet incident. Je resserre un peu plus la couverture de survie autour de mes épaules, et on me place à nouveau le masque à oxygène sur le visage. Je grelotte, pourtant entre les vingt-cinq degrés extérieur et la couverture qui me maintient au chaud, je n’ai pas froid. Mais je tremble de tout mon corps.
Je suis complètement ailleurs. Mon regard ne cesse de dévier entre le vide face à moi et Régina harnachée et branchée sur son brancard. De temps à autres, je suis l’itinéraire des soignants qui se succèdent autour d’elle.
La police dégage la route et dès que la voie sera libre elle sera emmenée en urgence.
Et moi, je n’ai rien de plus qu’un état de choc. Une vilaine peur, un moment de faiblesse ou je suis incapable de réagir convenablement. Mes nerfs ne me soutiennent plus. Ça et quelques hématomes dus aux chocs.
Le reste de l’immeuble a été évacué, il n’y a que très peu de blessés superficiels. “Plus de peur que de mal” disent-ils…
Peur oui. Mais pourquoi ? Pourquoi on a voulu nous infliger ça ? Pourquoi cette peur ? Pourquoi ce mal ? Qu’est-ce qu’il y a de si dérangeant pour qu’on nous fasse subir ça ? Je ne comprends pas ce qui a pu pousser quelqu’un à en arriver là.
Une nouvelle fois, j’observe Régina. Elle est stabilisée mais nécessite des soins sérieux. On ne sait pas si la colonne a été touchée. Je prie pour qu’elle s’en sorte saine et sauve. Elle m’a sauvé la vie, au péril de la sienne. Elle n’a pas hésité une seule seconde.
Et moi qui ai toujours pensé qu’elle me détestait. Je ne peux m’empêcher de me demander si elle aurait agi autrement si je n’étais pas de lignée royale ? Quelle ingrate je fais à me questionner de la sorte…
Deux agents reviennent, et aux gestes et actions des secours je comprends que nous allons enfin pouvoir être transporté aux urgences. Je descends du camion dans lequel j’ai été installée pour me diriger vers celui où ma bosse est maintenue en vie.
Monsieur Stiltskin apparaît, sa petite silhouette frêle et tordue illuminée tour à tour par les sirènes muettes ressemble à un gobelin chaotique.
Il discute avec l’un des secouristes lorsque j’arrive à leur hauteur :
— Je veux partir avec Régina, tenté-je d’affirmer de ma voix ténue.
Les deux me dévisagent, et finalement mon supérieur pose l’une de ses mains tremblante et veineuse sur mon épaule :
— Ne vous en faites pas, je l’accompagne.
— Mais je—
Il me coupe en agitant un doigt sous mon nez, comme si j’étais une enfant :
— Tututut, Princesse. Vous serez sous bonne garde.
Je dois avoir l’air misérable, car il congédie le soignant d’un geste, stipulant qu’il arrive pour que Régina puisse être emmené au plus vite, et plante ses iris hypnotisantes dans les miennes. Avant de lui laisser le temps, ignorant le frisson d’effroi qui me parcourt, je chuchote :
— Mais c’était apparemment criminel.
— Je le sais. Et c’est pour ça, Princesse que vous ne devez pas voyager ensemble. Vous aurez votre garde, et je serais celle de Régina.
Ce grand-père, vraiment ? Je ne donne pas cher de sa peau. Et pourtant, je me sens tout à coup impuissante et minuscule face à lui. Sa voix nasillarde devient plus angoissante, elle se glisse entre ma peau et mes os. Une assurance curieuse et dérangeante brille dans ses yeux gris effacés :
— Régina est comme ma fille. Je ne laisserais pas une chose pareille impunie et je ferais tout ce qu’il faut pour la protéger.
Le soleil qui se couche colore le ciel des nuances féériques et embrasées propres à l’été. En temps normal, j’aurais trouvé ça magnifique. Aujourd’hui, je trouve ça presque révoltant. Et pourtant, c’est normal que le monde continue de tourner. Qu’importe les attentats, les peurs, les actions, bonnes ou mauvaises ! La nuit succède toujours au jour.
Dans une chambre privative, surveillée à outrance, je fixe d’un air accusateur les nuages roses et pourpres qui s’en vont sereinement dans le ciel de feu. Je n’ai rien, strictement rien, mais ils souhaitent me garder en observation. Un émissaire de la famille royale négocie avec la directrice de l’hôpital pour renforcer la sécurité, et ils ont tout intérêt à mettre Régina au même régime que moi. Je ne veux pas de différence. Je n’ai que quelques bleus ridicules alors qu’elle s’est retrouvée avec le corps perforé par des pampilles qui se sont avérées être en cristal et les organes écrasés sous le poids du luminaire.
Tout ça parce que, visiblement, quelqu’un en avait après l’une de nous deux. Et je suis intimement convaincue que Stiltskin en sait plus sur la situation.
Moi, de mon côté, je suis enfermée ici sans savoir si elle s’est réveillée. Réré me soutient par message, elle n’est d’ailleurs pas la seule mais même toute cette bienveillance, ne me réconforte en rien. Alors après avoir usé de mon influence de princesse de façon scandaleuse, je déambule enfin dans les couloirs, flanqué de quatre gardes qui me suivent à la trace. Ils m’angoissent plus qu’ils ne me rassurent, mais si ça peut me permettre d’en savoir plus alors je passerai outre.
L’odeur de désinfectant propres aux hôpitaux me chatouille le nez, et l’un des infirmiers me guide jusque dans l’aile de réanimation. Lorsque je remarque les panneaux qui l’indique, ma poitrine se compresse et paradoxalement mon cœur s’emballe. Un mélange de panique et de soulagement s’empare de moi quand je constate qu’elle est même plus protégée que je ne le suis. Quoi que ces hommes en noir ne portent aucun écusson ni aucun signe auquel les rattacher, contrairement à mes gardes royaux où une couronne et une clé sont croisé sur leurs manches ou le cœur de leur veste.
Je comprends bien vite qu’il s’agit donc d’homme de main que Stiltskin a recruté, ou dont il a l’influence. On m’interdit l’entrée, et l’un d’eux frappe à la porte et m’annonce. Mon boss sort après un instant, et dans l’entrebâillement de la porte j’aperçois une femme au chevet de Régina. Elle est trop jeune pour être sa mère, peut-être s’agit-il là de sa sœur. Ou de sa compagne ? Régina est peut-être également intéressée par les femmes après tout, hasardé-je.
Je me reprends aussitôt, et retrouve le rictus curieux du vieil homme qui me fait face. Ça me rassure. Je crois que si Régina était en mauvaise posture, il afficherait une mine bien plus lugubre.
— Elle va bien, m’annonce-t-il dans un son de trompette triomphante. Mais vous ne devriez pas être là, Princesse.
— Je vais bien également, je ne tenais pas en place et on refusait de me parler de son état.
— L’hémorragie a été arrêtée et sa motricité n’est normalement pas en danger. Elle risque de mettre du temps à retrouver ses appuis, cependant. Et le repos est plus que conseillé, il est même exigé.
Une moue dubitative m’échappe à l’énoncé de cette règle, et Stiltskin sourit de plus belle :
— Elle n’aura pas le choix, ne vous en faites pas.
— Elle s’est réveillée ? osé-je en refermant mon gilet.
— Non.
Je n’aime pas la façon dont il m’observe, je me sens analysé. J’ai l’impression qu’il cherche ou attend quelque chose de moi dont j’ignore tout.
— Elle m’a sauvé la vie… J’aimerais pouvoir faire quelque chose pour elle.
— Pour l’heure, princesse, pour vous comme pour elle, vous ne pouvez rien faire de plus que prendre du repos. Je vous tiendrai personnellement informé de son état, ne vous en faites pas.
Un peu déçue, j’acquiesce. J’aurais aimé la voir.
— Elle n’est pas seule, ne vous en faites pas.
✨✨✨
Quelle sensation étrange. Une douce chaleur diffuse. Mon corps semble complètement cotonneux. Ce n’est pas désagréable. En revanche j’aimerais bouger mais je crois que c’est au-dessus de mes forces. Je suis encore trop fatiguée. Même mes paupières me paraissent trop lourdes.
Mince, est-ce que je me suis assoupie ? Je n’ai pas le droit d’être fatiguée, il faut que je termine l’interview… L’interview… ? Je l’ai fini, non ?
C’est pas possible, je me suis pas rendormis ! Reprends-toi Régina ! Du nerfs, ton livre sort aujourd’hui, il faut que tu sois prête !
J’entends au loin des voix échanger. J’ai l’impression de les entendre à travers une vitre. Ou comme si j’avais la tête sous l’eau. J’essaie à nouveau d’ouvrir les yeux, mais à peine mes paupières s'entrouvrent-elles que la lumière m’aveugle. Je me sens si faible. Curieusement ça ne me pose aucun problème. Je me concentre sur les voix :
— C’est signe qu’elle va bientôt se réveiller.
Je ne comprends pas ce que répond l’autre, quoi que son timbre me soit familier.
— Ne vous en faites pas, je vais voir pour lui administrer des anti-douleurs.
De quoi parlent ils ?
Je parviens à ouvrir les yeux. Avec peine. Je vois trouble. Alors que je bats péniblement des cils à répétition pour ajuster ma vue, une main chaude passe sur mon front et mes joues pendant qu’une autre presse l’une des miennes. Et puis finalement, je parviens à fixer mon regard sur un sourire. Aux lèvres roses, aux dents éclatantes. Je le connais très bien ce sourire. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu. Je suis contente de le voir.
Et la fatigue pèse déjà si lourd alors que je lutte pour rouvrir mes paupières et retrouver le visage de Wendy. Ses caresses ont plutôt tendances à me donner envie de refermer les yeux tant c’est agréable. La douceur de ses gestes et de ses paroles me réconfortent.
Wendy. Elle est là. Elle qui ne me donnait plus de nouvelles, ne répondait pas à mes messages. Elle est à mon chevet.
— Bonjour, dis-je enfin.
— Bonjour, répète-t-elle de ses lèvres étirées. Bon retour parmi nous.
Je tente de me redresser mais mes membres sont encore ankylosés :
— Ne bouge pas, tu es encore faible et certaines de tes blessures ne…
Elle ne termine pas sa phrase, et mon interrogation doit se voir sur mon visage :
— Tu as des blessures dans le dos et à l’abdomen, tes organes en ont pris un coup. Et des côtes fracturées. Évite de te tortiller, tu veux ?
Je laisse lourdement tomber ma tête dans l’oreiller.
— C’est ça de jouer les héroïnes, me taquine-t-elle avec un clin d’œil.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Ma voix est caverneuse et plate, je suis surprise de ma propre intonation.
— Ça fait combien de temps que je suis là ?
— On touche à la fin de la seconde journée d’hospitalisation.
Le live a eu lieu il y a deux jours ? Lucie… Est-ce qu’elle s’en est sorti ? Les yeux marrons de Wendy sont fixés sur les miens, et elle devine :
— La Princesse va bien. Elle est saine et sauve. Grâce à toi.
Je la remercie d’un bref signe de tête et elle reprend ma main dans la sienne :
— Pourquoi tu as fait ça ?
— Fais quoi ?
Bon sang, quelle voix macabre j’ai. Une moue embarrassée tord le coin de ses lèvres :
— Plonger de la sorte sur elle. Pourquoi tu n’es pas simplement allé te mettre à l'abri sous le bureau ? O-on… On a tout vu tu sais ? Le live a continué même quand l’installation est tombée. J’ai vu le chandelier balancer et se décrocher au moment où ton corps passait par là. Tu sais… Après ça, l’angle ne permettait pas de savoir ce qu’il était advenu de vous… Et quand l’électricité a lâché j’ai…
Sa voix se brise et elle ne termine jamais sa phrase, portant une main à sa bouche. J’hausse un sourcil :
— Tu as regardé le live ?
— Evidemment que je l’ai regardé ! s’emporte-t-elle.
Je souris, bêtement :
— Quoi ? s’agace-t-elle les joues rosies.
— Tu ne me répondais plus, alors oui, je suis surprise. Agréablement surprise.
— Tu ne me contactes que pour coucher, boude-t-elle en détournant la tête. Quand tu te sens seule.
— C’est totalement faux.
En fait non, pas tellement. J’aimerais que ça le soit, en tout cas. Je mens malgré tout :
— Non, ça ne l’est pas !
Elle me toise du coin de l’œil et abandonne sa bouderie dans un soupire :
— Peu importe, ça m’a montré que c’était idiot. J’ai cru te perdre. J’ai eu si peur…
Une infirmière entre à cet instant, et elle procède à quelques vérifications avant d’adapter quelques soins :
— Nous allons vous apporter un plateau repas, vous n’aurez sans doute pas faim et allez éprouver quelques difficultés à manger, mais il faudra faire un petit effort, explique-t-elle.
Quand le repas, peu ragoûtant, est servi, Wendy m’observe, timide :
— Tu veux que je te ramène quelque chose de la maison ?
— Qui s’occupe du refuge ? demandé-je en jouant avec de la purée.
— Ne t’en fais pas pour eux. Quand ils ont appris, la moitié de l’immeuble s’est proposé pour dépanner.
J’ai du mal à le croire.
— Les gens ont beaucoup d'a priori sur toi, mais ton geste pousse tout de même à l’admiration.
— Je ne crois pas qu’ils aient fait ça pour moi, mais pour toi Wendy. Ils savent que tu tiens à moi, et c’est pour ta tranquillité d’esprit qu’ils prennent le relai.
Et encore une fois, le voile de tristesse qui passe sur son visage est entièrement de ma faute. J’aurais dû la laisser dans ses espoirs.
— Comment vont tes frères ? tenté-je pour faire diversion.
Elle me désigne un vase avec de superbes lys d’un rouge si profond que certains en paraissent presque noir.
— Bien. Michael est même passé, ces fleurs sont de lui. John est toujours à l’étranger. Il s’amuse comme un fou.
Les banalités continuent bon train quand on frappe à nouveau à la porte. Je m’attends à voir le vieux Stiltskin, certainement pas la tête blonde et l’air de biche égaré des grands yeux de Lucie :
— Bonjour, chuchote-t-elle.
Wendy passe de la princesse à moi avec un air accusateur, et quand elle comprend que Lucie n’ose en dire davantage du fait de sa présence, elle reste de marbre. Totalement impassible, je dois insister du regard pour qu’elle s’éloigne au moins jusqu’à un coin de la pièce avant que Lucie ne vienne à mon chevet.
— Je suis contente de voir que vous allez bien, me souffle-t-elle tout bas.
Sur l’instant je ne dis rien. En fait je ne sais pas quoi répondre dans ce genre de situation.
— Je voulais vous remercier personnellement. Si je suis encore là c’est grâce à vous. Et je tenais à le faire ici et de la sorte avant que le reste ne vienne le faire en grandes pompes.
Le reste ? En grandes pompes ? La famille royale n’a tout de même pas prévu de venir ?
— Si, devine-t-elle à mon air éberlué. Elle sourit de cet air taquin si naturel et ingénu qui lui est propre : Ma famille a bien prévu de venir en personne vous remercier. Vous avez sauvé un membre de la famille royale, mine de rien, Regina. Il fallait s’attendre à ce genre de répercussion avant de sauter.
Elle appuie sa remarque d’un clin d'œil et tire la langue en coin. C’est quoi cette part de sa personnalité ? Je ne la savais pas si spontanée. Je souris bêtement et rit même légèrement avant que mes côtes me rappellent à la réalité. Du coin de l'œil, j’aperçois l’air jalousement accusateur de Wendy.
Lorsqu’elle est partie, Wendy revient à mes côtés, avec un faux air neutre. Je l’observe un instant avant de céder :
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien.
Tout son corps la trahit. Elle est tendue, sa voix est trop soutenue, son port de tête est presque hautain. Et surtout, je la connais depuis que nous sommes adolescentes. Je l’attire à moi sur le lit :
— A d’autres. Allez, dis-moi tout. De toute façon, tu sais que tu finira par le faire.
Je sais qu’elle déteste quand je fais ça, parce que j’ai raison. Assise à mes côtés, elle me foudroie d’un air inquisiteur qui me fait jubiler.
Je crois qu’elle m’a manqué ces derniers mois, et comme toujours, je n’en dirais rien. Elle soupire et commence en comptant sur ses doigts :
— Très bien, par quoi je commence. Sa coupe ?
— Quoi sa coupe ? Tu ne vas pas commencer à la critiquer sur son physique ?
— J’admets que c’est petit. Aussi petit que de copier ta coupe de cheveux.
— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?
Lucie à des cheveux longs, aussi longs que toutes les petites filles qui veulent ressembler à ces princesses de contes de fées ou à leur poupée peuvent souhaiter.
— Il semblerait que la princesse soit victime d’un genre de syndrôme de Stockholm bien à elle, s’amuse Wendy.
— Quoi ? rié-je nerveusement, toujours incapable de comprendre ou elle veut en venir.
— Mais enfin, Regina, ouvre les yeux ! Elle te dévore du regard, rougit en ta présence, peine à parler et copie jusqu’à ta coupe de cheveux !
Je reste bouche bée à la détailler, cherchant un signe de blague, quelque chose qui m'expliquerait la situation. Mais rien. Un “J’hallucine” m’échappe.
— Ce n’est pas de ta faute, commence-t-elle.
Mais je l’interromps :
— Je ne te pensais pas aussi jalouse.
— QUOI ?!
Wendy s’écarte d’un pas en me détaillant à son tour comme si j’étais complétement malade :
— Tu plaisantes, j’espère ?
— Non, on dirait vraiment Clochette pour le coup.
Ok, là c’est un coup bas. Je sais l’aversion qu’elle a pour ce petit bout de femme, mais ça m’a échappé. S'ensuit un dialogue de sourd durant lequel elle argumente houleusement, et ça me lasse bien vite.
J’ai toujours refusé qu’on devienne le couple qu’elle souhaiterait, et c’était notamment pour éviter ce genre de situation pénible.
✨✨✨
Wendy. Cette femme qui ne l’a pas quitté depuis son admission s’appelle Wendy. Elle reste à son chevet depuis des jours d’après les informations que j’ai eues. Je ne m’attendais pas à un tel accueil de sa part, surtout dans ce que j’avais pu apercevoir d’elle.
Une femme douce, au sourire chaleureux et visiblement bienveillante. En tout cas avec Regina, et vu la réputation qu’elle se traîne, ce n’est pas négligeable. Quand j’ai noté la petite croix dorée autour de son cou, couplé au reste, j’ai d’abord cru que c’était une bonne sœur, ou une fervente croyante.
J’imagine qu’elle me tient pour responsable de l’état de Regina, après tout c’est en me sauvant qu’elle a subi toutes ces blessures.
Qui plus est, si j’en crois ce qui se dit en interne au royaume, cet attentat me visait moi. Pourtant Monsieur Stiltskin semble penser tout autre chose.
Regina... Elle avait l’air de bien se porter. Elle avait certes cet air un peu pâle et fatigué des personnes en hôpital, mais qui ne le serait pas dans son cas ? Je reste bluffé de la beauté de cette femme. Même dans cet état, et sans maquillage, Regina est splendide.
Et le timbre de sa voix… Je me vois rougir dans le miroir de l'ascenseur. Ok, c’était incroyablement sexy, ça et ce petit rire rauque, ça ne m’a pas laissé indifférente. Il faut que je me reprenne. Je ne peux pas simplement craquer pour si peu, et Regina est ma boss.
Enfin, tout de même…, je me recoiffe dans le reflet, ajustant mes boucles et ma nouvelle coupe, je dis ça, mais j’ai tout coupé sur un coup de tête pour lui ressembler.
C’est complètement idiot. Non, pas idiot, c’est plutôt ridicule.
L'ascenseur s’immobilise, les portes s’ouvrent, et Monsieur Stiltskin entre :
— Ah, bonjour Princesse.
Il se place à mes côtés, sélectionne son étage et les portes se referment. Le coin de ses lèvres est étiré en ce qui semble être un sourire confiant. Il est bien loin de l’état de rage froide qui bouillonnait sous la surface ce jour-là. Oui, à le voir de la sorte, il semble vraiment satisfait et inoffensif.
Alors que je détaille sans gêne l’homme qu’il est, âgé, de ma taille, et très chic, il lâche en fixant droit devant lui :
— Très jolie cette nouvelle coupe. Elle vous va à ravir. L’inspiration me semble très familière, je me trompe ?
Je me détourne, honteuse.
D’accord, ça n’a échappé à personne, soit. En y repensant, Regina à du me trouver pathétique à la singer comme une enfant. Alors que je cherche à attraper une mèche pour jouer avec, geste nerveux que j’ai, je rencontre le vide. Évidemment, tu as tout coupé, tu t’attendais à quoi ?! me fustigé-je intérieurement.
— J’aime assez l’idée, confesse mon supérieur. C’est une belle façon de rendre hommage. Puissent quelques-uns prendre exemple sur vous, quand on sait ce que ça peut coûter aux femmes de couper, perdre, ou tondre totalement leurs cheveux.
Quelque chose se presse dans ma poitrine alors que les larmes me montent aux yeux. C’est l’instant qu’il choisit pour planter les siens, gris, dans les miens.
— Alors comme ça il paraît que votre famille souhaite faire le déplacement jusqu’ici, en ces lieux ? N’est-ce pas imprudent, vu les circonstances ? J’imagine qu’ils prendront toutes les précautions nécessaires… Et plus encore, hm ? ajoute-t-il sans me laisser le temps d’en placer une.
Est-ce qu’il sous-entend quelque chose, là ? Je ne sais plus ce que je dois penser.
— O-oui, en effet. Ils tiennent à remercier Regina personnellement. En dépit de tout le reste.
— Une façon d’enterrer la hache de guerre.
J’ose espérer que ça n’est pas uniquement pour cela.
— L’occasion est belle.
Il confirme d’un “Oui” sinistre qu’il laisse traîner.
Ok, je désapprouve aussi la manœuvre. D’une parce que nous serons tous plus que mal à l’aise, et je m’attends à voir Regina leur rire au nez — ce que je n’espère pas. Ensuite parce que tout cet aspect socio-politique m'horripile. Je me fiche pas mal des manèges des médias et des retombées que peut avoir tout ça dans une histoire aussi terrible. On devrait simplement être heureux d’être en vie et en profiter pour faire un beau doigt à ceux qui ont orchestré tout ce foutoir.
Profiter de tout ça pour continuer leur partie d'échecs géante m’écœure.
Je laisse échapper un soupir malgré moi et Monsieur Stiltskin m’observe du coin de l’œil. Je ne suis pas rassuré, lorsque je capte son œillade pâle, un frisson s'empare de moi. Qu’importe, mon étage est tout proche.
Sauf que le boss bloque l’ascenseur pour me faire face :
— C’est peut-être la seule occasion que nous aurons pour parler en paix avant un moment, Miss Fair.
— D’accord, tenté-je sans me laisser démonter. Alors permettez-moi de vous demander…
L’air me manque pourtant cruellement et lorsque je déglutis, ma gorge est sèche :
— Que pouvez-vous me dire sur ce qu’il s’est passé ?
— Que ça ne vous concerne pas. Enfin, se reprend-il avec un petit haussement d’épaule, pas vous directement. Vous n’êtes qu’un dommage collatéral, ou peut-être simplement un prétexte.
— Vous disiez que ça visait Regina. J’ai peine à le croire.
— Parce qu’elle n’est pas une princesse de cette Couronne ? répond-il du tac-o-tac.
— Hé bien, c’est à dire que… Enfin, oui, non ! Je sais qu’elle a pas mal de détracteur, mais je sais aussi que ça fait un moment qu’elle n’a pas sorti de papier. Les plus cinglants remontent à… Il y a quoi, trois, quatre ans maintenant ? La vengeance est un plat qui se mange froid, mais tout de même ! Et je refuse de croire que quelqu’un est assez fou pour en arriver là à cause d’un article !
Le vieillard au visage si commun en temps normal me paraît tout droit sorti d’un conte à l’heure actuelle. Et pas ces versions adoucis qu’on raconte aux enfants, mais bien les originaux aux fins terribles. Ses yeux pâles comme des spectres me fixent au travers de ces voiles spectraux alors que son visage se fend d’une oreille à l’autre en ricanant.