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SianaTulnamn
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Chapitre 2

Voilà deux semaines que le rendez-vous avec le boss a eu lieu. Lucie ne tient plus en place. Elle a eu presque toutes les infos qu’elle souhaitait : quand, quoi, extraits, couverture, et même le droit de gérer des concours et autres événements de comm autour de la future parution. 

D’après ses rapports, l’annonce de la création de la maison d’édition a été plus que bien accueillie. Elle a créé les pages nécessaires sur les différents réseaux et le nombre d’abonnés ne cesse d’augmenter. 

Je la surveille d’un œil, et je dois reconnaître qu’elle s’en sort merveilleusement bien, les personnes comme les résultats des pré-commandes sont au rendez-vous. 

Même au bureau elle semble ravie et investit, que ça soit dans ses tâches comme dans ses relations avec ses collègues.

Au moins n’est-elle plus à gratter à ma porte, les bras chargés de pâtisseries. Excepté pour me demander la seule chose qu’on lui refuse : 

— Excusez-moi…

Quand on parle du loup… Je ne l’ai même pas entendue frapper. Quand mes yeux se posent sur elle, elle grimace : 

— Quoi ? fais-je.

Elle referme soigneusement la porte et avance à petits pas, la tête haute malgré tout. Elle semble tout juste posée en équilibre sur ses talons, avec sa silhouette coincée dans son tailleur.

Quand mon regard retrouve le chemin du sien, elle paraît sincèrement soucieuse : 

— Au sujet de l’auteur… commence-t-elle.

— C’est non.

— Mais—

— J’ai dit non.

— Mais enfin, laissez-moi finir ! s’exclame-t-elle avant de se reprendre d’un air penaud.

Une chance pour elle que je n’ai pas de lames à la place des yeux. 

— Pardon… Mais tout de même… ose-t-elle en passant nerveusement une main dans ses cheveux blonds cendrés.

— Eh bien allez-y à présent, lâché-je.

Elle soupire, pleine de remords. Quand elle commence, j’ai très envie de l’interrompre à nouveau suite à son affront, mais je prends sur moi. Je ne l’écoute que d’une oreille, suivant les intitulés des différents mails qui arrivent et s’affichent sur une petite fenêtre de mon écran. 

— …Et par conséquent, j’ai peur que ça ne créait l’effet inverse, voir même un badbuzz.

Un court silence plane, nécessaire pour que j’assemble brièvement les morceaux d’informations que j’ai entendues.

— C’est à vous d’éviter ça, annoncé-je, morne.

Elle se décompose face à moi, entamant un “mais enfin” que je stoppe d’un levé d’index. 

— Miss Fair, entamé-je, cela fait partie de vos devoirs dus à votre poste. Ça n’est pas que du bonheur et de l’amusement comme vous avez pu l’expérimenter jusqu’à présent.

— Comment voulez-vous que je—

— À vous de trouver, c’est pour cela qu’on vous paie.

Elle me fixe un instant, bouche bée, immobile. Bienvenue dans le monde du travail, princesse. Voyant qu’elle ne bouge pas, j’ajoute : 

— C’est un choix de l’auteur que de vouloir rester anonyme. Nous n’allons pas aller contre sa volonté, ça serait contre-productif. Eh oui, tous ne recherchent pas que la célébrité.

— Donc il n’y aura pas d’interview, de dédicaces… ? Zéro événement pour faire vivre la publication et perpétuer l’élan en attendant que tout soit bien lancé ? 

— Pas avec cet auteur, en effet. Ce travail vous revient. 

— Oh… D’accord. Bien. J- Je vais voir ce que je peux faire… 

Elle tourne enfin les talons puis fait aussitôt volte-face : 

— C’est une curieuse stratégie de marketing, autant pour la Maison d’Édition, que pour l’auteur. En fait, c’est très égoïste de la part l’auteur de faire un coup aussi bas. Je peux dire en qualité de lectrice, puisque vous m’avez permis de lire, que je suis déçue.

— Je ne vous permets pas.

Elle tique un bref instant, et je ne parviens pas à interpréter son regard, puis quitte le bureau. 

Alors forcément, je ne m’attendais pas à la voir presque deux heures plus tard alors que moi-même j’enfilais ma veste, prête à partir. Un “Quoi” de lassitude m’a échappé. À la vue de mon départ imminent, elle me lance : 

— Est-ce qu’on peut discuter autour d’un café ? 

L’odeur de la noisette chimique et du sucre est si présente que j’ai l’impression de goûter sa boisson rien qu’en respirant face à elle. “Un grand latte noisette au lait végétal” avait-elle papillonné au barista. Et un simple double expresso pour moi, ce qui ne m’a pas empêché de bâiller à m’en décrocher la mâchoire quand nous nous sommes installés à cette table coincée entre deux banquettes vertes au matelassage usé.

— Je vous écoute, que me vaut ce cérémoniel ? 

— J’ai bien compris que je n’aurais pas moyen de contacter l’auteur, commence-t-elle en posant à plat les mains sur la table. Mais j’ai une autre idée pour essayer de noyer ma bourde dans la masse. Je compte faire des vidéos de l’entreprise. Les gens adorent voir le process et qui se trouve derrière, ça humanise l’entreprise et à l’échelle de Mephisto c’est une véritable stratégie marketing !

✨✨✨

Je n’ai pas compris la réaction de Regina face à ma remarque. Elle qui a pourtant l’air regardante sur les chiffres et les résultats, la présence dans les salons et les dédicaces augmentent la durée d’un produit tel qu’un livre de presque le double. Le marché de la librairie est rude, en tout cas, d’après mes collègues. 

Le bouquin sort dans deux semaines, et l’auteur n’est qu’un pseudonyme inconnu d’internet. Pas de page facebook, instagram, tiktok, retrouvable nulle part sur google, à l’exception de nos publications à son sujet et des articles y faisant mention. Rien, nada. Inconnu au bataillon.

Je soupire. Quand je pense que j’ai balancé une bombe où je disais que j’essaierais de l’interviewer, ou à défaut de faire un selfie avec. Quelle idiote, Lucie, mais quelle idiote !! C’est vraiment un réflexe d’enfant gâté pour le coup… Comment je vais me sortir de la panade, moi ? 

Stern ne compatit qu’à moitié. Il se moque gentiment plus qu’autre chose, la situation a au moins le mérite de l’amuser. Stern est l’un des nombreux rédacteurs du magazine. Je ne crois pas l’avoir déjà réellement vu taper quoi que ce soit, il est plus souvent en train de discuter dans l’encadrement d’une porte, ou tourner sur sa chaise de bureau en envoyant des origamis d’animaux miniatures à toutes les filles de l’open space. Mais il est gentil. 

Là, il est appuyé au mur face à mon bureau, qui se trouve face à la porte de celui de Regina. Je me demande comment elle réagirait en le voyant buller de la sorte.

— Et si tu faisais tout comme ? tente-t-il ? 

— De ? 

— Tout comme si tu rencontrais l’auteur ? Les coulisses, un genre de vlog, mais on ne verrait jamais le final.

— Tu crois que personne ne se rendrait compte que je ne poste jamais la fin ? 

— Tu triches, tu filmes des mains, vos jambes quand vous allez boire un verre pour l’interview. Des plans neutres quoi, m'explique-il en posant un renard minuscule fait d’un post-it rose sur le rebord de mon écran.

— Je compte faire des vidéos de l’entreprise.

Lorsque je termine de lui expliquer mon idée, je suis à peu près certaine que c’est du dégoût qui est affiché sur le visage de Regina. Et il y a ce silence, qui s'éternise… J’attendais une réaction de sa part, même une moquerie, une remarque me faisant comprendre ma bêtise, quelque chose ! Pas ce mutisme aussi froid que le regard vide qu’elle me lance. C’est pire que tout. 

Et puis finalement, elle soupire, touille son café, en courbant le dos, boit une gorgée en évitant de me regarder. Tout à coup, elle ne me semble plus si impressionante. On dirait qu’elle vient de lâcher un rôle qui lui pesait, qu’elle a fait tomber le masque et que la fatigue et la lassitude se montrent au grand jour. Je remarque enfin ses cernes, que je n’avais jamais aperçus, au travers du maquillage de fin de journée qui a en partie foutu le camp. Ses mains usées et sèches, ses poignets fins qui semblent si fragiles et qui tremblent légèrement quand elle porte la tasse à ses lèvres.

Elle n’en est pas moins d’une grande beauté, mais une beauté abîmée et fatiguée par la vie. Ses yeux marron-vert n’en perdent pas pour autant leurs perçants quand ils reviennent à moi, comme une façon de dire " je suis toujours prête à attaquer" : 

— Faites comme bon vous semble, c’est vous qui gérez les réseaux, déclare-t-elle finalement avec son sempiternel ton froid et las.

— Ça voudrait dire que je filmerais les bureaux.

— Soit. 

Elle hausse les épaules. Oui, “soit”... Je continue alors : 

— Et donc l’équipe.

Le tranchant de son œillade laisse deviner qu’elle a compris où je voulais en venir :

— Si vos collègues acceptent la diffusion de leur image…, commence-t-elle.

J’affirmative d’un mouvement de tête et continue : 

— J’ai bien sûr préalablement sondé le terrain avant d’oser envisager sérieusement le projet.

— Vous en êtes sûre ? 

Un sourcil s’arque, et tout à coup je ne suis plus sûre de rien.

— O-oui, bien évidemment, j’ai vu avec…

— Je refuse d’apparaître dans vos publications, tranche-t-elle.

Évidemment, le contraire m’aurait étonnée. Je souffle de soulagement, en toute discrétion, et me rends compte par la même que j’avais retenu ma respiration. Je reprends mon sourire et avec lui ma confiance : 

— Bien entendu, cela va de soi. Je ne me serais jamais permise…

— Dans ce cas, libre à vous. Si vous pensez que cela peut être bénéfique pour la communication de l’entreprise.

J’en profite pour lui exposer de vive voix les prévisions des publications vis-à-vis des futurs projets et mes interrogations : 

— Les autres auteurs sont d’accord pour être reconnus et interviewés ?

Nouvelle foudre de la part de ses beaux yeux, et je tente pour me rattraper : 

— Histoire que j’évite d’annoncer de nouveau des choses que je ne pourrais tenir…

— Bien rattrapé, avoue-t-elle en détournant le regard. 

J’ai vraiment le sentiment de l’ennuyer et qu’elle subit notre petit rendez-vous professionnel. En même temps, vu la fatigue qu’elle laisse entrevoir, j’imagine qu’elle préfèrerait être chez elle. Elle doit sans doute apprécier sa solitude. À moins qu’elle n’ait quelqu’un qui l’attende, elle. J’imagine que tout le monde ne fuit pas ce moment où ils se retrouvent chez soi. Seul. Dans ce silence assourdissant. Sans personne à qui parler, raconter sa journée, et à se demander ce qu’ils peuvent bien faire… 

— L’autrice à ses raisons de ne pas vouloir se faire connaître.

— L’autrice ? C’est une femme ? Oh j’aurais dû m’en douter, ça se ressent à sa plume.

Un levé de sourcil dédaigneux laisse deviner ce qu’elle pense de ce que je viens de dire. 

— C’est une personnalité célèbre ? Est-ce pour ça qu’elle ne veut pas se faire remarquer ? Ou bien peut-être qu’elle est recherchée et qu’elle se mettrait en danger en se dévoilant… Oh mon dieu, c’est une criminelle ?! Est-ce que c’est Ursula ? 

Je porte mes mains à mon visage en imaginant les divers scenarios. Ça y est, je vrille totalement et mes yeux s’agrandissent pour ne pas louper et interpréter le moindre geste que pourrait faire Regina. Si elle a laissé échapper “autrice” alors peut-être puis-je découvrir autre chose. À part une moue perplexe face à ma déferlante de questions et théorie, je ne tire rien de plus et elle se désintéresse à nouveau de moi pour aller se rechercher un café. 

Perdue dans mes pensées, et refoulant l’angoisse anticipée de rentrer à l’appartement, je ne remarque pas tout de suite le retour de ma boss : 

— Vous ne craignez pas les répercussions à vous dévoiler ? me sort de mes pensées la voix de Regina. 

— Hein ? Ah, oh, euh… Non, pour être honnête…

— Vous allez bien ? m’interrompt-elle. 

— Je vous demande pardon ?

— Vous aviez l’air perdue dans vos pensées. 

Il n’y a aucun mépris ni jugement sur son visage. Elle me paraît, pour la première fois, tout à fait sincère. 

— Oh, oui, oui, rien d’important, un rendez-vous, éludé-je en riant.

Pourquoi je mens ? 

— Pour en revenir à mon image sur les réseaux, pour être honnête, je doute qu’on me reconnaisse.

— Avec vos quatorze mille abonnés… 

— Vous me suivez ? m’étonné-je.

— Non. 

Ah, je me disais bien, je voyais mal Regina suivre ce genre de contenu. 

— Mais il est normal que je me renseigne sur nos employés, surtout quand ils gèrent la comm d’un tel projet. 

Soit. 

— C’est évident, mais si vous vous êtes renseigné, vous voyez bien que je ne poste pas souvent. À vrai dire, ce compte-ci ce n’est même pas vraiment moi qui le gère. 

Avec dix publications annuelles planifiées et ordonnées par diverses marques, ce compte Instragram est tout sauf le mien. 

— Faites-moi confiance, très peu de personnes, proportionnellement parlant, me reconnaîtront. 

— Oui, et ces très peu feront tourner le message, et ça prendra comme le feu aux poudres…

— Serait-ce si mal ? Honnêtement, voyez ça comme un coup de comm. “La famille royale investit jusqu’à sa fille dans ce nouveau projet”, lancé-je en mimant le gros titre.

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