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SianaTulnamn
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Chapitre 1.2

L’odeur du sucre en poudre et du fruit me rappelle que je n’ai rien mangé depuis la veille au soir. Et on ne peut pas dire que c’était digne d’un repas. Le soleil éblouissant de printemps amorce sa descente, je le sens chauffer mon dos, et l’éclat du carton doré sur lequel est posée la pâtisserie m'éblouit un bref instant. Il fallait qu’elle insiste pour me laisser ça. Je ne l’ai pas touché depuis sa venue ce matin.

L’horloge de mon ordinateur indique dix-sept heures douze. Il est déjà si tard ?

J’ai pris de l’avance, je peux m’accorder du repos pour aujourd’hui. De toute façon, ce n’est pas comme si je pouvais compter sur ces bons à rien pour faire des heures supplémentaires et avancer dans ce projet. Je ne peux rien faire de plus sans leur retour.

Je check une dernière fois mes mails : Rendez-vous annulés, déplacé, communication interne pour les publications à venir, les avancés de certains projets qui ne verront pas le jour avant des mois, communications des partenaires sur la flambée des prix.

Un mail de Fair.l@mephisto.com Tiens, il ne me dit rien celui-ci. C’est pourtant une adresse interne. Intitulé : Programme de comm : Rapport

Je ne peux m’empêcher un sourire en le lisant. Elle est vraiment déterminée la petite. Très bien, je lui laisse le bénéfice du doute. Sa témérité me plaît bien, ses initiatives sont bonnes. Des visuels et quelques exemples de publications à venir pour redynamiser la vie sociale de la société sont présents. C’est accrocheur, bref et efficace, impactant, jeune et dynamique. Ça devrait le faire. Ça sera toujours mieux que ce qu’on avait jusqu’à présent : rien. D’ailleurs, d’après son mail, nous avons déjà gagné quelques centaines d’abonnés et autres followers.

Je réponds en retour :

J’accuse réception de votre mail. Continuez comme ça, je veux un rapport quotidien et un hebdomadaire sur les résultats de vos actions.

J’attrape ma veste, mon sac à main et la sucrerie qu’elle m’a laissée. Les bureaux sont déjà presque tous vides à l’exception de quelques retardataires et femmes de ménage. Dans l'ascenseur je croque dans la tartelette. J’avais oublié comme la crème pâtissière et les fruits se mariaient à merveille. Comment a-t-elle su que la framboise est mon fruit préféré ? À travers le miroir, alors que l'ascenseur amorce sa descente, j’enlève une trace de sucre glace sur mes lèvres et ajuste mon rouge à lèvres.

Le soleil inonde le hall de marbre et je rentre chez moi.


Les dix jours sont passés en un rien de temps. Il me semble que c'était hier encore qu'elle venait me fourrer des pâtisseries sous le nez en me suppliant de la prendre au sérieux. Cela fait trois jours que je planche non-stop sur ce projet. Je n'ai pas dormi de la nuit, et mes dernières heures de sommeil se comptent sur les doigts d'une seule main.

Je réajuste ma tenue, vide mon café froid et me dirige vers l'ascenseur, Lucie sur mes talons. La cabine s'élève doucement, et le temps me paraît affreusement long car je ressens toute l'anxiété de Lucie. Elle ne dit rien, mais s'agite inutilement à mes côtés. À travers le reflet des portes coulissantes métalliques, je peux la voir me jeter des coups d'œil. Après un temps je claque la langue, agacée :

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— J’avoue être anxieuse, vous ne m’avez rien dit sur ce projet, avoue-t-elle.

— En effet, et c’est normal, personne n’en sait rien à part Monsieur Stiltskin et moi-même.

— J’appréhende un peu de rencontrer Monsieur Stiltskin également.

Je roule des yeux. Et en même temps, je ne peux pas lui en vouloir, même moi il me met mal à l’aise, quoique les raisons sont différentes.

— Vous n’avez rien à craindre de lui.

J’imagine que si elle a pu intégrer notre équipe, la Couronne a dû voir directement avec celui qu’on surnomme l’Exauceur. Monsieur Stiltskin trouve toujours un moyen de rendre service.

— Oh, je ne le crains pas vraiment, c’est juste que c’est lui le grand patron, n’est-ce pas ? déclare naïvement Lucie.

Je réponds par une simple affirmative et l'ascenseur s’attaque aux derniers étages. Je daigne enfin un coup d'œil à la nouvelle employée et surprends son regard qui me parcourt. Elle me sourit d’un air coupable, prise sur le fait et je me contente d’un regard inquisiteur qui coupera court à toutes ses envies futures de me détailler de la sorte.

Les portes s’ouvrent et je lui ordonne d’un geste de passer devant. Nous arrivons dans un salon plus que chic. La pièce est immense, le carrelage étincelle sous les immenses baies vitrées qui donnent sur la ville en contrebas. Les fauteuils et canapés de cuir marron rappellent les vieilles années dont Monsieur Stiltskin est si nostalgique. Je me dirige vers le canapé, dépose mes dossiers sur la petite table basse en bois d’ébène alors que Lucie me suit comme mon ombre.

Il ne devrait plus tarder.

— Mademoiselle Fair, se délecte Stilskin.

C'est un vieil homme très élégant dans ses costumes sur mesure et ses chaussures en crocodile. Lui et ses yeux si ternes qu'ils semblent effacés et son nez aquilin qui lui donne ce côté Jean Reno sympathique qui trompe tout le monde. Je réprime un frisson d’inconfort. Il échange des banalités affligeantes sur la couronne avec Lucie, ce qui a l'air de la décontracter. Tant mieux, c'est déjà ça.

Alors que la blonde passe une main dans ses cheveux en riant de bon cœur, je réajuste le dossier sur la table basse, alignant parfaitement les feuilles dans la pochette.

Mes paupières me rappellent ma fatigue en pesant de tout leur poids.

— Désirez-vous boire quelque chose ? propose Stiltskin de sa voix de trompette doucereuse.

— Non merci, repondé-je du tac-o-tac.

Qu’on en finisse au plus vite…!

— Je ne dirais pas non à un café au lait, avoue Lucie.

Je la maudis de nous faire perdre du temps, mais puisqu'on en est là :

— En ce cas, un café bien noir pour moi.

— Oui, un Ristretto, petit et nerveux comme toi, sans sucre, s'amuse l'homme.

Je lui réponds d'un de ces sourires sociaux polis et dépourvus de chaleur que j'ai appris à maîtriser depuis des années

— Du sirop d'agave pour moi, précise Lucie après qu'il lui ait posé la question.

Je roule des yeux. J'aurais dû me douter que notre enfant reine était du genre sensible, dans tous les sens du terme, à prendre du lait végétal tant pour sa digestion que pour des valeurs prétendument écologiques, et à faire attention à sa ligne.

En même temps, on n'a pas une silhouette si gracile sans un minimum d'attention. Ni ce teint parfait sans une hygiène de vie irréprochable.

Ses yeux bleus d'enfants se tournent vers moi quand Stiltskin passe commande à un assistant alors que je la détaille.

Elle me sourit, comme s’il n'y a pas dix minutes elle n'était pas emplie d'angoisses.

Son sourire disparaît lorsqu'elle croise mon regard :

— Un souci ? chuchote-t-elle pour que cette conversation reste entre nous. Oh non, j'ai fait une gaffe ?

Je devais être en train de la fusiller du regard pour qu'elle pense une chose pareille. Je me contente de secouer légèrement la tête de façon négative avant de reporter mon attention sur le dossier. Notre boss s'enfonce dans le fauteuil face à nous, un sourire déformant son visage fripé.

Les boissons ont été servies en un rien de temps et le grand chef n'attend pas davantage. Portant une tasse fumante, sentant la bergamote, il entame :

— Trèves de mondanité, reprenons plus sérieusement mesdemoiselles s'il vous plaît.

Lucie entortille nerveusement un doigt dans ses cheveux blonds raides. Elle est aux aguets et semble véritablement vouloir faire bonne impression, et pas simplement en poupée d'apparat.

— Savez-vous, Miss Fair, ce que gouverne la société Mephisto ? Outre BeWitched, bien entendu.

— Je sais que vous êtes également les propriétaires de certains journaux et magazines, que vous possédez certains grands noms de librairies et que vous avez des parts dans quelques autres commerces, énumère-t-elle sur ses doigts aux ongles parfaits.

Le sourire de Stiltskin s'agrandit d'une façon grotesque. Lucie est encore novice ici, mais moi je les connais les différents visages de notre patron.

— C'est bien, se délecte-t-il. Je vois qu'il y en a une qui connaît ses leçons.

L'homme caresse son bouc imaginaire - il ne se fait pas de l'avoir rasé il y a quelque temps -, effleurant son menton, sans détacher ses yeux marrons de ceux cristallins de Lucie qui glousse, fière.

— Voyez-vous, il y a encore au moins autant de facettes de notre société que vous ne connaissez pas, si ce n'est plus !

Un ricanement lui échappe et il continue :

— Quoi qu'il en soit, notre gros projet dont vous avez entendu parler est sur les rails. Et vous aviez raison ma mignonne, il faut commencer la communication. C'est vous, qui serez en charge de ça !

Il pointe un doigt à l'ongle long et jauni vers elle, tout sourire.

— Moi ? Moi ?! s'exclame incrédule Lucie.

— Oui, vous ! Ricane à nouveau Stiltskin.

— C'est pas vrai ?

Ses yeux pâles se tournent vers moi dans un questionnement muet, puis à nouveau vers notre boss quand elle voit que je ne me réjouis pas autant qu'elle.

— Oh je vous en remercie, merci, merci mille fois, monsieur Stiltskin ! fait-elle en serrant sa main, plus que ravie.

— Ne me remerciez pas encore, ma belle enfant, vous ne savez même pas encore de quoi il en retourne, voyons.

Je bois mon café, attendant qu'il annonce la nouvelle à Lucie. Je n'ai aucun doute qu'à elle, ça lui fera plaisir.

— Voyez-vous, notre domaine de prédilection est l'édition, et il est temps que nous nous attaquions à sa forme la plus commune et la plus classique. Celle faite pour nous transporter, nous faire voyager, et partager les sentiments les plus nobles. L’amour, par exemple ! grince-t-il d’un air théâtral. Les plus grandes histoires sont toujours des histoires d’amour.

Il se penche légèrement vers elle, avec un air conspirateur. Lucie marche à fond. Bon sang, ce qu'elle est naïve !

— Que voulez-vous dire ?

— Nous avons ouvert une maison d'édition. De roman.

— Oh ! s'exclame-t-elle à nouveau, haut et fort en tapant des mains.

Je ferme les yeux pour encaisser le coup, à défaut de pouvoir fermer mes oreilles. Les deux sont insensibles à mes soupirs :

— J'A-DORE. Je suis une férue de lecture ! Quel genre de prédilection ?

Voyez-vous ça ? Une férue de lecture, vraiment ? Quoi donc ? Des BDs ? Des webtoons ? Je suis mauvaise, mais ce que ça m’agace ce petit jeu de devinette entre eux.

— Le but premier n'est-il pas de faire rêver ? Pour commencer, nous allons nous concentrer dessus. Vous voulez que je vous parle de notre première parution ? Elle aura lieu dans deux mois.

Lucie acquiesce vigoureusement. Comment fait-il pour captiver ainsi son auditoire, ce serpent, alors que rien de chaleureux n'émane de lui ?

— Alors voilà votre mission : il faudra rassembler un maximum de personnes pour promouvoir notre première parution. Vous connaissez vos contes Miss Fair ?

— Les contes ? Pour enfant ?

— Oh, ils ne le sont pas tant que ça, mais oui. Vous souvenez-vous de Peau d'Âne ?

Une rafale de frissons glacials me parcourt comme il pose son regard sur moi. C'est comme autant de serpents qui m'étreignent et se resserrent autour de mon corps.

Avaler ma gorgée de café me fait un mal de chien.

— Oui, vaguement. N'est-ce pas l'histoire de la fille d'une reine qui a demandé à son époux de n'épouser qu'une femme plus belle qu'elle ? Et la seule à remplir ce critère était leur propre fille ?

— Si, c'est bien cela.

— Oh, j'adore ce genre d'histoire ! Cruelle et futée, qui font réfléchir !

— Et bien nous aurons là sa version moderne.

— Une réécriture de conte ?! Moderne ?! s'exclame une nouvelle fois Lucie, des étoiles dans les yeux.

— J'adore votre enthousiasme, se moque Stiltskin en s’enfonçant dans son fauteuil, pas vous Regina ?

Ça y est, de nouveau l'attention est sur moi. Le regard de Lucie perd en brillance lorsqu’il se pose sur moi. Je tente alors :

— Espérons qu'il soit contagieux, ça fera monter les ventes.

— Mais oui, Régina, toujours le profit. C'est pour cela que c'est elle qui est en charge de nos maisons d'édition.

Un nouveau coup d'œil curieux de Lucie se fait en ma direction, et je me contente d'un sourire forcé de façade dénué d'effort pour le cacher.

— Enfin, ajoutez tout de même une dose d'amour, pour la suite de cette collection. Il faut bien faire rêver et espérer, sans quoi notre pauvre Peau D'Âne ne pourrait sans doute pas survivre.

Je ferme les yeux un instant, pour couper cette vision malsaine qui s'offre à moi, pour encaisser le froid qui me grignote, sans doute dû à la fatigue, et pour reprendre mes esprits.

— Si vous êtes sage, continue le vieil homme, je vous dirais peut-être même un secret ! s'amuse-t-il avec Lucie.

J'ouvre de grands yeux sur lui. Son sourire satisfait me montre qu'il a eu la réaction escomptée.

— En attendant, je vous laisse déjà vous concentrer sur le lancement de ce projet !

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