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SianaTulnamn
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Chapitre 3

Ça frappe à la porte du bureau, et sans que je n’aie le temps de répondre, la tête de Lucie passe par l'entrebâillement. Un bref coup d'œil lui suffit pour confirmer que je suis seule et elle s’efface pour le laisser passer. Sa silhouette disparaît pour le laisser apparaître.

Absurdement immense, il me domine et efface par sa simple présence, la porte. L’unique sortie. Mon unique moyen de fuir. Je me demande comment il a pu entrer, ses épaules menacent désormais de toucher le plafond.

            Je suis de toute façon figée. Incapable d’esquisser le moindre mouvement. Je voudrais me cacher, me recroquevillée sous le bureau, ne plus bouger. Des sanglots se coincent dans ma gorge alors qu’il s’avance. Chacun de ses pas fait trembler les alentours et résonnent jusque dans mon corps. Il se penche et tend un bras vers moi. Je n’arrive plus à respirer. Ma vision se brouille de larme.

Je me réveille en aspirant à grandes bouffées. Merde. Je laisse ma tête s’enfoncer dans l’oreiller, portant une main à mon visage pour me réveiller doucement. Mon corps est encore figé, sans doute ensommeillé, ou bien suis-je encore tétanisée par la peur…   je peine à bouger. Quelques raies percent au travers des rideaux, caressant ma chambre comme pour la réveiller en douceur. Il y a longtemps que je n’avais pas autant dormi, et j’aurais adoré dormir un peu plus longtemps, si ça avait été d’un sommeil sans rêve. 

Troublé encore par la vision grotesque et ridiculement terrifiante de mon cauchemar, je tente d’y trouver un quelconque sens. Si j’en connais la teneur principale, je ne comprends pas la présence de Lucie au début.

Mitigée, j’attrape à tâtons mon téléphone sur ma table de chevet pour me changer les idées. Je défile les différents mails de bureau, mails perso, messages pros, et autres notifications des réseaux sociaux. Mon regard survole l’horloge du téléphone : il est presque neuf heures. Ça fait définitivement longtemps que je n’ai pas profité de la sorte. Ce dimanche, il est pour moi. L’éditrice éditoriale est en stand-by.

Demain je dois me lever tôt pour peaufiner la sortie du livre en fin de semaine. Sans compter la gestion du journal et les rendez-vous de concurrents qui souhaitent nous interviewer au sujet de la Maison d’Édition et de sa première publication. M’est d’avis qu’ils cherchent quelque chose à nous reprocher, et je ne leur donnerais rien de la sorte, seulement de quoi nous envier davantage. Qu’ils s’écrasent comme des papillons qui filent au suicide fasciné par la flamme ! 

Je perds quelques minutes sur les réseaux sociaux : de nombreux articles de concurrents, beaucoup des nôtres aussi, et je tombe de temps à autre sur quelques premiers avis exclusifs de personnalités publiques ayant eu droit en avant-première à notre livre. Je dois reconnaître que sur ce coup-là, Lucie a fait fort. Elle a su trier les profils et les avis sont tous excellents. Une petite victoire de plus qui fait plaisir à mon ego. 

En continuant de scroller, je tombe sur une photo. Je ne suis pourtant pas son compte, mais il apparaît sur une publication de quelqu’un d’autre. Je ne devrais pas être surprise, c’est diplomatique après tout. Je me fige un instant et une étrange sensation m’étreint. Je claque la langue, agacé par moi-même et fait défiler le reste des news. N’importe quoi… Je ne vais pas me laisser perturber par ce rêve idiot. Un simple rappel à l’ordre.

Un profil de mes contacts attire mon attention, la petite pastille verte m’annonce que la personne est en ligne. J’hésite un instant. Ça fait un moment que je ne lui ai pas parlé. Après une brève hésitation, mes doigts pianotent sur le clavier. Qui ne tente rien n’a rien. Je me lève enfin.

Le matin est éblouissant, et encore doux avant que la chaleur du début d'été chauffe. La ville est déjà animée, les voitures défilent et les personnes qui bravent le petit jour sont encore mentalement dans leur lit. Je trépigne derrière les plus lents et en double quelques-uns pour rentrer dans le café. Les lundis matin sont pénibles pour tout le monde, et l’on est nombreux à avoir la même idée : ingurgiter une bonne dose de caféine pour se donner le courage nécessaire d’entamer cette nouvelle semaine. Je réprime un râle d’agacement face à la queue et me mets au bout. Ça avance tout de même à un bon rythme. Je reconnais un peu plus en avant dans la file le profil de Lucie avec sa queue de cheval blonde polaire haut perchée sur sa tête. Elle discute avec un homme. 

Cette petite me surprendra toujours, je ne la pensais pas si matinale. Je jette un œil sur ma montre ; il n’est même pas encore sept heures trente. Je me perds dans mes mails pour tromper mon attente. Je check ma messagerie et constate que mon message de la veille est resté sans réponse. Il est pourtant bien écrit que le destinataire était connecté il y a moins de huit heures. Elle m’a volontairement ignorée…

Je relève mon nez après un instant pour juger de l’avancée. Mon regard passe sur Lucie et sa compagnie, et elle semble plutôt embarrassée. Ses gestes le démontrent, elle secoue doucement de la tête avec un sourire gêné en s'écartant d'un pas. Ça ne semble pas être un ami ou une connaissance, mais il n’est pas impossible que la fille de la couronne ait été reconnue.

Je prends mon mal en patience, jugeant que j’aurais dû m’arrêter plus tôt sur un autre café présent sur la route. Je serais certainement déjà arrivé au bureau si ça avait été fait. 

Lucie passe et s’installe à une table, plus loin derrière. Apparemment qu’elle a préféré se faire appeler “Brook”. Je pouffe pour moi-même au jeu de mots dont personne d’autre ne doit avoir conscience. Au moins a-t-elle de la jugeote de ne pas donner son véritable nom avec un lourdaud pareil. Si en plus elle fait ça avec humour et autodérision… !

Il n’en faut pas beaucoup plus pour que l’homme ne la suive une fois sa boisson réceptionnée à son tour. J’ai comme le sentiment qu’il n’a rien de bienveillant. Il passe à côté d’un groupe de trois de ses congénères qui l’acclame au passage. Merde. Tant pis, tout ça ne me regarde pas. 

J’attends patiemment, après le quinquagénaire devant moi, ça sera à mon tour de passer commande, et je pourrais me remettre au boulot.

✨✨✨

— Excuse-moi, ça te dérange si je m’installe avec toi pour boire mon café ? 

Son accent de garçon des rues est si prononcé qu’on frise le cliché. Avec ses yeux gris sur son teint hâlé, et son côté imberbe, il a un côté mauvais garçon sur une gueule d’ange. Le genre qui fait craquer à peu près toutes les filles. Toutes, sauf moi.

— Je te l’ai déjà dit, tu n’es pas… mon genre.

— Oh, allez, le coup de la fausse lesbienne on me l’a déjà fait ! 

Par l’Olympe, faites que Réré ne se soit pas levé en retard ! Je ne peux pas lui envoyer de message de détresse, je suis persuadé qu’il interprétariat le moindre de mes gestes sur mon téléphone comme une tentative de fuite. À raison, pour le coup…

— Et donc tu penses par conséquent que les femmes qui aiment les femmes n’existent pas ? 

— Nan, mais vas-y, une fille aussi jolie qu’toi ça s’rait du gâchis…

— Tu veux dire, du gâchis pour vous, les hommes ? 

Pourquoi je m’évertue à essayer de lui faire entendre raison ? Je reste soigneusement enfoncé de mon côté sur la banquette, alors que lui est si appuyé sur la table que je me demande quand est-ce qu’il va passer au-dessus. Il pourrait presque boire à même ma tasse.

Bon sang, qu’est-ce qu’il faut promettre aux dieux pour qu’on nous entende là-haut ? Allô, l’Olympe ?! 

— Ah, chérie te voilà ! 

Les dieux nous surprennent toujours… Je suis à peu près certaine que la surprise sur mon visage doit être équivalente à celle de mon interlocuteur. Heureusement, il est trop occupé à dévisager Regina. Elle pose son gobelet sur la table et se penche pour déposer un baiser sur mes lèvres. Une fois chose faite, elle devient un moulin à paroles intarissable, ce qui m’embrouille davantage, mais pas autant que notre interlocuteur : 

— Je suis désolée, mon téléphone n’a plus de batterie. OUI, je sais… “Comme d’habitude” tu vas me dire. Tu as raison, il faut vraiment que je pense à mettre une prise à côté de mon lit. Mais je savais que je te trouverais ici. Pfiou, je n’ai pas arrêté de courir de la bouche de métro… 

Elle s’installe le plus naturellement du monde à mes côtés et je n’ai même pas besoin de feindre un sourire tant la situation est surprenante, pour ne pas dire improbable.

— Oh, excusez-moi, fait-elle en tendant la main à l’homme qui nous fait face, vous êtes le nouveau collègue de Brook, c’est ça ? 

Les billes grises clignent à répétition, accordées à des balbutiements d’excuse et finissent par repartir. 

Le sourire de Regina marque sa victoire alors qu’elle le regarde prendre la fuite la queue entre les jambes. Une seconde plus tard, elle s’installe face à moi, retrouvant tout son sérieux : 

— J’espère que vous me pardonnerez cet écart. J’ai vu son comportement depuis la file et je ne pouvais décemment pas le laisser vous harceler de la sorte. Même si j’avais voulu l’ignorer, ça m’aurait été impossible…

Il a rejoint un groupe de trois autres hommes qui portent leur attention sur nous dès lors qu’il leur parle. J’en informe ma sauveuse : 

— Ah… Eh bien je crois que nous allons devoir jouer les couples encore quelques minutes. 

Sans plus attendre, elle attrape l’une de mes mains. La sienne est chaude et rêche, quoique parfaitement manucurée du même rouge sombre que celui qu’elle applique sur ses lèvres et qui marque son gobelet. 

— Vous êtes bien matinale, tenté-je pour faire la conversation et disperser l’embarras commun qui s’installe. 

Elle joue parfaitement le jeu, elle ne me tient pas seulement la main, mais la caresse avec douceur également. Je ne vais pas m’en plaindre, c’est aussi agréable que surprenant. Et un poil étrange, étant donné nos échanges qui n’ont été que purement professionnels et qui le sont actuellement encore. 

— Je vous retourne le compliment. Mais j’ai fort à faire avant que tout le monde n’arrive.

Son week-end à l’air de lui avoir fait du bien, la fatigue marque moins ses traits, même si je ne doute pas qu’il lui faudrait bien davantage de repos que ce qu’elle tente de montrer.

— De même, avoué-je. Les derniers tournages ne vont pas tarder à commencer, et je préfère travailler ici plutôt que de vouloir changer des choses impossibles aux bureaux. Comme la luminosité, ou le papier peint…

Je ricane nerveusement pour cacher mon angoisse. C’est vrai que ce blanc cassé terne et fatigué me file des cauchemars. Elle ne répond pas, mais réprime avec peine un sourire. U-Un vrai sourire ? Pas un de façade, je crois bien que celui-ci était honnête. Soit, s’il faut que je critique la déco des bureaux pour ça, je suis prête à réitérer sans peine.

— En parlant de tournage, tenté-je en guettant le groupe de gaillard qui ne décolle toujours pas. Je sais que vous avez dit ne pas vouloir apparaître à l’écran…

— Et je le répète, je ne veux pas passer dans vos vidéos, me répond-elle calmement.

Elle joue avec l’une de mes bagues, la faisant tourner autour de mon doigt. Cette situation est décidément bizarre, par son côté irréaliste et portant agréable. Et naturelle ? Lorsque son regard croise le mien, je ne peux m'empêcher de le détourner pour constater que les garçons sont en quête de leur prochaine victime. 

— D’accord, négociais-je, mais reconnaissez qu’il n’y aurait rien de plus naturel que le fait de vous interviewer. Vous êtes quand même la directrice éditoriale, votre parole est attendue, si ce n’est nécessaire, en plus d’être intéressante. Les gens aiment savoir comment se déroulent les choses, et plus encore de même de mettre un visage derrière de tels projets. Ils ont besoin de sentir que c’est humain. 

—    Oui, surtout la mienne ! ironise.

—    Vous ne savez pas à quel point vous avez raison… Jouez-en ! Faites les tous taire comme vous savez si bien le faire. Montrez-leur une fois de plus que vous savez ce que vous faites et ce que vous dites, et que vous êtes une reine dans votre domaine.

Ses pupilles se plantent dans les miennes et ça me demande un effort de soutenir son regard. Elle plisse les yeux un instant, j’ai le sentiment qu’elle sonde mon âme tout entière en quête de je ne sais quoi.

— Bon d’accord, finit-elle par dire en lâchant ma main. Elle croise les siennes sous son menton : Mais un seul ! précise-t-elle en levant un doigt.

Je l’ai convaincue, vraiment ? Je n’en reviens pas. Mes lèvres s’étirent de part et d’autre en un sourire. Je peux vraiment être fière de moi pour ce coup. En me voyant si satisfaite, Regina rajoute : 

— Et je déciderais de ce qu’il se dira ou non. Je veux un droit de regard sur la vidéo finale. 

— Bien sûr ! 

Je suis bien trop contente pour m’en formaliser, et à son regard je vois qu’elle regrette déjà sa décision. Mais c’est trop tard pour se rétracter.

Mon téléphone vibre, et la notification affiche brièvement le message de Raiponce. Bingo, elle avait loupé le réveil et est en route. Je soupire en survolant son message, et Regina guette les hommes qui n’ont pas l’air décidés à décoller : 

— Bon, il faut vraiment que je reparte au bureau, déclare-t-elle après avoir jeté un œil à l’heure. 

— Oui, moi aussi, pensé-je à voix haute.

Il ne faudrait pas que Raiponce ait vent de cet étrange entracte. Je l’adore, elle est adorable et c’est mon amie la plus précieuse, mais elle ne sait décidément pas garder un secret ou ne pas faire un foin d’un petit rien. 

J’attrape mes affaires en envoyant un autre point de rendez-vous à Réré. Regina m’attend. Je suspends un instant mes gestes en la voyant de la sorte et je me souviens des garçons. Oui, autant que nous jouions les couples jusqu’à quitter leur champ de vision. 

Regina et moi quittons le café bras dessus, bras dessous.

— Je ne savais pas que vous faisiez des jeux de mots, avait lancé Regina alors qu'on partait ensemble.

— Je vous demande pardon ?

— Brook. Brook Fair, Bookfair c'était voulu ?

Je souris. Elle a donc remarqué. J'acquiesce, pas peu fière :

— Oui, oh quand on entend Lucifer pour Lucie Fair, toute son enfance à l’école… On se fait soi-même la liste, après, confessé-je.

Et elle en a rigolé. Je souris en y repensant : j’ai réussi à faire rire Regina. La si terrible Regina, celle qui tient en respect les plus grands parce qu’ils craignent l’un de ses si célèbres articles. Ça fait pourtant un bout de temps qu’elle n’a plus rien écrit elle-même.

— Tu es bien pensive ma Luciole, tu es sûre que ça va ? s’inquiète la voix presque enfantine de Raiponce.

C’est pourtant une magnifique jeune femme, quoique son visage innocent donne toujours cette impression de candeur. Ses grands yeux verts me détaillent : 

— Toi, tu me caches un truc. 

— Moi ? Nooon… Je suis juste préoccupé par tout ça, tu sais. 

— Ne t’en fais pas, ça va bien se passer ! Tu as vu le nombre de réactions sur mon poste ? 

Raiponce fait partie de ces personnalités qui ont eu le livre en avant-première pour en faire un retour. C’était un coup de pub facile pour moi, son compte insta compte trois fois plus d’abonnés que le mien, et il y parle énormément de livres et arts, et de temps à autre de tranches de vie et voyage. Pour n’importe qui, ça aurait demandé beaucoup d’effort et de négociation pour ce résultat, mais Raiponce est ma meilleure amie. 

— Et en plus, je sais que Belle a prévu de poster le sien aujourd’hui. Là, ça va faire un carton, tu peux en être certaine ! 

— C’est vrai, elle a aimé ? m’enquis-je la boule au ventre.

— Tu parles, elle a adoré ! 

Je soupir de soulagement. Je me suis tellement investie dans toute cette communication que j’ai l’impression que c’est mon propre livre qui sort. Je ne pensais pas pouvoir être si impliquée dans un projet.

— Allez viens, on va se prendre un petit-déj aux Lumières, me propose-t-elle toute enthousiaste.

Enthousiasme contagieux. Elle sort son téléphone, on fait un selfie qu’elle poste sur les réseaux et ma matinée continue bon train.

À seize heures, l’avis de Belle sur le livre sort, et je l’attendais avec une impatience qui a mis à rude épreuve tous mes collègues. Je cesse enfin de faire claquer mes ongles sur le bureau quand je vois que la page que j’ai rafraîchie environ six cents fois changer. L’avis de Belle est là. La photo est sublime, c’est elle enveloppée d’une fausse peau d’animal, plus belle que jamais dessous. Elle s’est mise dans une situation faisant penser qu’elle fuit et qu’elle est suivie, le livre sous le bras. Rien que la photo se suffit à elle-même, mais ce qui m'intéresse c’est ce qu’elle a rédigé. 

La condition était qu’elle ait le livre en broché — à défaut d’en prévoir des reliés — gratuitement et qu’elle soit libre d’en dire ce qu’elle en pense, que ça lui plaise ou non. Belle est le compte le plus suivi par les férus de lecture, je ne doute pas que l’autrice la suive, et elle est réputée pour aimer certes tout un large panel de genre, mais aussi assez difficile dans ses lectures.

J’ai joué quitte ou double là-dessus, sans en prévenir qui que ce soit. Ça aurait tout aussi bien pu plomber la vente. Le soupir que je lâche à mesure que mes yeux terminent la critique aurait pu créer une tempête. 

Belle dit avoir été immédiatement transportée dans l’univers onirique du livre, la plume délicate de l’autrice étant un guide parfait passionnant sans être envahissant ; discret et efficace. L’histoire l’a happée et le seul défaut qu’elle trouve à Peau d’Âne est en fait quelque chose qui ancre l’histoire davantage dans le réalisme : son caractère résigné qui la pousse à fuir au lieu de se battre. En bref, son seul reproche est un compliment dissimulé, puisqu’en finalité les choses changent dans l’intrigue. Elle apprécie et loue les propos féministes et sujet en rapport abordé d’une façon non stigmatisante. La fin de l’histoire l’a bluffé et elle la juge d’un coup de maître de l’autrice. Je ne peux qu’être d’accord avec elle, et elles — comme moi — espérons d'autres livres de sa part ! Je n’osais pas espérer tant de cette critique.

Soulagée, je peux reprendre mes activités, j’ai un tournage à faire au cinquième étage avec le maquettiste et la graphiste. Enfin, ça c’était avant que Regina sorte de son bureau comme une furie pour se planter pile devant le mien, j’ai même cru qu’elle allait s’y cogner : 

— Vous avez envoyé le livre en service presse à Belle ?! Mais qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? me fustige-t-elle.

Dans l’open space, le silence se fait, les regards inquiets de mes collègues fuient dès lors que je les croise. Quelques-uns se lèvent et tentent de partir discrètement en direction de la salle de repos. 

— Dorian, vous, vous gardez vos miches sur votre siège et votre minuscule cervelle de moineau concentré sur votre tâche ! Ça fait déjà une demi-heure que j’attends votre article, bon sang ! aboie-t-elle le dos tourné à l'intéressé, sans me quitter des yeux.

Je suis surprise qu’elle ait deviné sa réaction. Comment a-t-elle su qu’il tentait de se défiler ? Je reste bête, enfoncé dans mon fauteuil sans la quitter des yeux. J’ai le sentiment que si je détourne le regard ça sera pire. 

— Et vous, Princesse, pourrais-je avoir l’honneur d’une réponse de votre part ? 

— J-je ne pensais pas faire a mal, avoué-je le plus honnêtement du monde. D’ailleurs je ne comprends pas votre réaction, la critique est plus que bonne. 

Est-ce qu’elle tremble ? Je crois bien avoir vu sa main trembler avant qu’elle ne pointe mon bureau en râlant davantage. 

— Je le sais bien, j’ai vu sa critique ! Les précommandes ont fait un bon de dix pour cents ! Ce n’est pas la question, Miss Fair. Avez-vous seulement conscience du risque que vous nous avez causé ? Si elle avait descendu le livre en flèche, le cas aurait été autrement plus délicat, peut-être même irrécupérable !

— Mais ce n’est pas le cas, tenté-je le plus calmement du monde. 

— Quand vous prenez de tels risques, j’aimerais au moins être avertie ! 

Oui, elle tremble bel et bien. La mâchoire serrée, le souffle court, je vois ses yeux briller en dépit des éclairs qu’ils lancent. Pourquoi se met-elle dans de pareils états ? 

— Regina, je … Vous allez bien ? soufflé-je pour être discrète.

— Non, je suis furieuse ! 

Oh, à d’autres, il n’y a pas que ça. Est-ce que j’ai encore fait une boulette ?

— Je m’excuse, je ne pensais pas faire à mal en prenant cette initiative… Je prends bonne note de votre remarque pour la suite. 

Je crois qu’il n’y a rien de mieux à faire que de m’excuser, même si je ne vois pas ce que j’ai fait de mal.

— C’est la moindre des choses, oui. Votre réseau royal ne vous empêche pas de suivre la voie du pauvre petit peuple que nous sommes, Miss Fair ! Si vous voulez vous intégrer, la moindre des choses est de vous plier à nos façons de faire !

— Je ne comprends vraiment pas pourquoi tu as tenu à travailler chez Mephisto spécifiquement, m’avoue Raiponce quand je lui partage ce qui est arrivé. 

Je soupire en jouant avec mon verre presque vide. Cette histoire m’a chamboulée, pas autant que Régina visiblement, mais je ne comprends vraiment pas la violence de sa réaction. Réré a insisté pour qu’on aille aux Marraines. Le bar branché par excellence où toutes bonnes princesses se rendent. Idéaln d’après elle, pour me faire oublier ma déception. Personnellement je préfère aller chez les Sept Chopes, le bar est rustique et minimaliste certes, mais c’est calme et chaleureux. Ici, on s’entend à peine et tout est trop…Trop. 

— Parce que c’est le mieux, je pense, pour réussir. On peut dire ce qu’on veut sur Regina, mais sa carrière et son ascension sont une véritable réussite et un modèle à suivre, en peut-être moins opiniâtre. Quoi qu’on en dise, elle a tout de même réussi à s’imposer auprès des plus grands, et sans le réseau de gens de personnes de descendances telles que nous. Même dans la garde rapprochée ils font attention à ce qu’ils disent et ce qu’ils font ! Tu te rends compte du poids qu’elle a juste avec des mots ? Je veux dire, juste elle, ce petit bout de femme qu’elle est…

— Oui, justement, et je trouve ça terrifiant ! 

— Et admirable.

— Luciole… C’est un véritable tyran. Remplace Regina par un homme et rends-toi compte comme tout le monde trouverait ça autrement plus scandaleux. Il y a un côté très censure voir inquisiteur dans son règne de la terreur !

— Et bien moi je trouve ça autrement plus admirable qu’elle en soit arrivée à ce point en étant une femme justement. Et je te trouve un peu mélodramatique. Elle ne fait qu’écrire des articles, non, pardon ! Elle ne faisait.

— Ce n’est pas toi qui m’as dit que quand tu es arrivé à ton premier jour, une femme est sortie de son bureau en pleurant ? C’est ça que tu souhaites ? tente Raiponce. 

— Non, évidemment. Je ne te parle pas de faire régner la terreur à l’évocation de mon nom, mais de son parcours et de son ascension. Du respect qu’elle a imposé, quel qu’il soit. 

C’est une femme qui… Qui a des couilles, merde ! Plus que la plupart des hommes que je connais ! J’adorerais pouvoir imposer le respect de la sorte par mes réflexions et non par mon titre.

Même par mon titre on ne me respecte pas tant… Je ne suis qu’une des filles du roi. Même pas la première, ni même la deuxième… Juste « l’une des filles », dont on oublie le nom, ou qu’on confond dans la lignée.

Pour toute réponse, Réré me fait une moue dubitative. Je suis persuadée qu’elle sait pertinemment ce que je veux dire, mais son jugement sur Regina l’empêche de l’admettre. Tant pis, je vais devoir avouer : 

— Je la trouve très inspirante. Elle n’a peur de rien. Je ne t’ai pas dit ce qu’elle a fait ce matin ? 

Curieuse, Raiponce secoue la tête négativement. Je lui fais donc un topo de ce garçon au café, et de comment Regina n’a pas hésité à se faire passer pour ma copine. Au point de m’embrasser en public. Un curieux chatouillis s’anime au creux de mon estomac à l’évocation de ce passage. Mince, oui en y repensant, Regina m’a embrassé. 

— Ce n’était qu’un simple smack, mais elle a eu la jugeote et le courage de le faire. Tu te rends compte que si je le voulais, au vu de mon statut, je pourrais la faire enfermer ? Mais elle a tout de suite réagi en me voyant mise à mal et cette capacité d’improvisation, j’te jure, elle a baratiné le type en nous inventant un passif en un rien de temps… Rien à voir avec la Regina qu’on connaît ou dépeinte par tous.

Je fais des moulinets avec ma paille en fixant le plafond sombre et continue : 

—  Et elle a joué le jeu jusqu’à ce qu’on quitte le café, pour ma sécurité. Et pourtant tu sais qu’elle ne me porte pas dans son cœur…

Vraiment pas. Ce constat me désole un peu, je me donne pourtant du mal au boulot.

— C’est ce type que tu devrais faire enfermer, oui ! boude Raiponce en sirotant son cocktail d’un air hargneux. Mais ma Lulu, ce qui m’inquiète, ce n’est pas ça. Mince, cette folle t’a embrassé en public, tu es sûre que personne ne t’ait reconnu ?

Elle m’attrape la main d’un geste compatissant et inquiet. 

— Non, je ne pense pas, mais, tu as entendu ce que je t’ai dit ? C’est tout ce que tu retiens ?

— Oh, oui, elle t’a aidé parce qu’elle n’avait sans doute pas le choix, déclame-t-elle en chassant d’un geste désabusé l’air devant elle. S’il t’était arrivé quelque chose et qu’on apprenait qu’elle était là et qu’elle n’avait pas réagi, bonjour les conséquences pour elle. En revanche, si quelqu’un vous a vu, pire ! si quelqu’un à des images de vous deux dans ce simulacre de relation…

— Quoi ? Eh bien quoi ? Tu crois que quelqu’un va faire chanter Regina ? C’est elle qui fait les articles à scandale d’habitude. Je me demande qui serait assez fou pour faire ça ! me moqué-je joyeusement.

— Ce n'est pas de Regina que je m'inquiète. Mais comment le prendrait ta famille ?


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