Le samedi matin, je fus réveillé par Léonie qui me secouait.
— Éliah… Éliah ! Il est neuf heures ! Debout ! Je dois aller à la bibliothèque !
Je me redressai, encore dans le coaltar et bâillai.
— On avait pas dit que tu devais dormir jusqu’à dix heures ? soupirai-je en jetant un coup d’œil à mon réveil.
Elle détourna le regard, feignant d’être intéressée par un vieux poster accroché à mon mur et je ne pus m’empêcher de rire.
— Ça fait longtemps que t’es debout ?
— Je me suis levée y a vingt minutes ! Promis !
Sa petite mine de menteuse m’amusa et je me levai afin d’aller me chercher un café au lait, avec une surdose de sucre. À peine étais-je arrivé dans la cuisine que les jumelles m’attaquèrent.
— On part à quelle heure ? On ira chez Starbucks ? s’empressèrent-elles de me demander.
— Les filles, je viens de me lever, laissez-moi au moins cinq minutes, que je puisse boire mon café tranquille.
Elles grognèrent en cœur avant de déserter la cuisine. Je savourai ces quelques minutes en solitaire en repensant à Nightmare. Nightmare. Je n’arrivais pas à me le sortir de la tête. Son message me revint en tête. Est-ce que je craquais pour lui ? Assurément que oui. Mais à quel degré ? Plus que pour Mickaël ? Je laissai échapper un petit rire. Non. Mickaël était toujours mon favori, mon chevalier en armure. Même si ses questions de la veille concernant mon homosexualité m’avaient mises mal à l’aise, je savais que moi aussi, il m’arrivait de mettre les autres dans l’embarras. Une petite erreur de jugement ne voulait pas dire qu’il était mauvais, seulement humain.
— Salut p’tit frère !
Je saluai Caro qui sortait apparemment d’une bonne douche. Les cheveux encore enturbannés dans sa serviette rose fluo, elle s’activa pour faire les poussières des pièces de vie.
— Uhhh… on fait le ménage ? se plaignit Constance.
— Oui ! Alors allez aérer votre chambre et faîtes passer le mot à Léonie. Vous faites vos poussières, vous rangez, au moins pour que je puisse passer l’aspirateur.
— On peut pas lancer les robots plutôt ? Flemme, là ! soupira Annabelle.
— Je sais que c’est pas drôle de faire le ménage, mais c’est un passage obligé. À moins que vous vouliez vivre dans un dépotoir ?
Les jumelles me tirèrent la langue, puis déguerpirent. Je m’adossai aux meubles de cuisine et me frottai les yeux. J’étais épuisé. Je massai ma nuque quelques instants, puis soupirai.
— Eh ben, quelle tristesse en toi, rit Delphine.
Elle vint déposer un baiser sur ma joue et je lui servis un café tandis qu’elle me tenait au courant de sa décision concernant ses tableaux.
— Du coup, je vais présenter « Les affres de la beauté » plutôt que « le continent sentiment », je le trouve plus percutant, plus en décalage avec ce que je fais. Au début, je voulais garder une certaine homogénéité dans ma collection, mais je pense que des thèmes disparates me correspondent mieux.
— Je pense aussi que ça peut être intéressant pour toi de proposer un large éventail de ce que tu es capable de faire. Tu pourras toucher plus de monde, plus d’investisseurs et pourquoi pas, te trouver un donateur !
— Aaah, soupira-t-elle. Ce serait le rêve ! Un bienfaiteur, plus riche que nos parents et prêt à tout pour m’aider à partager mon art !
Je lui tendis sa tasse en riant et elle partit s’asseoir sur le canapé puis alluma la télé alors que Léonie et les jumelles revenaient vers moi.
— On a fini de ranger !
— Ok !
Je finis mon café d’une traite et me mis au ménage. Il me fallut une bonne heure pour passer l’aspirateur. Ensuite, chacune des filles s’occupa de sa chambre pour la serpillière le temps que je passe à la salle de bain afin qu’il ne me reste qu’à faire les pièces de vie. Aux alentours de onze heures et demi, tout le monde était prêt. Caro nous abandonna afin d’aller passer la journée avec ses meilleures amies et le reste de la troupe se dirigea au garage avec moi. Delphine et moi nous installâmes à l’avant tandis que les petites investirent l’arrière de la voiture.
En déposant Léonie à la bibliothèque, je lui fis promettre de me contacter s’il se passait quoi que ce soit. Elle me promit de le faire, puis fila sans demander son reste. Devant l’impatience des autres demoiselles, je dus me remettre en route rapidement. Arrivé devant le centre commercial, nous dûmes tourner un peu avant de trouver une place. Comme tous les samedis, l’endroit était bondé. Nous sortîmes de la voiture et les jumelles se pendirent à mes bras.
— Éliah, on va manger ? minauda Annabelle.
— Ouaiiis, j’ai trop faim ! ajouta Constance.
Je jetai un coup d’œil à Delphine qui acquiesça. Nous nous dirigeâmes donc vers notre restaurant japonais préféré. Nous fûmes accueillis par un serveur que nous voyions régulièrement. Il s’occupa de nous installer à « notre » table, puis nous donna les menus, ne cessant de sourire à mes petites sœurs. Lorsqu’il partit chercher nos boissons, les jumelles gloussèrent.
— Qu’est-ce qu’il est sexy, Jin ! sourit Annabelle.
— Grave ! Je croquerais bien dedans, rit Constance.
Les deux se rejoignirent dans un rire graveleux tandis que Delphine soupirait et que je secouai la tête. Quand nous fûmes servis, il se passa quelques minutes durant lesquelles personne ne parla. Trop occupés à manger, nous nous fichions complètement de sociabiliser. Ce fut finalement Delphine qui brisa le silence.
— Alors, Eva m’a dit qu’elle t’emmenait en soirée ce soir ? On va te trouver une tenue !
— Oh ouais ! hurlèrent les jumelles.
Je grimaçai, maudissant Eva et son amitié avec mes sœurs.
— Y a pas besoin les filles. Je vais juste me racheter des choses classiques.
— Mais on va te faire devenir BG ! s’indigna Constance. T’as pas le droit de refuser !
— Elle n’a pas tort, me sourit ma grande sœur. Laisse-nous au moins te prendre une tenue, ok ? Tu pourras prendre autant de basiques que tu veux, mais fais-leur plaisir et laisse-les t’habiller pour ce soir.
— Vous me promettez de ne pas en faire trop ? m’inquiétai-je.
— Promis ! jura Annabelle en levant la main gauche, ce qui me fit pouffer.
— Promis grand frère, on va juste te faire level up en charisme ! ajouta Constance.
Je levai les yeux au ciel avant d’abdiquer, vaincu. Toute la fin du repas, les jumelles firent des recherches sur leurs téléphones pour me trouver « la tenue parfaite », tandis que je m’informai de l’aide dont avait besoin Delphine pour son exposition, puis, une fois le dessert englouti, nous sortîmes du restaurant, repus.
— Bon, on commence par Éliah ! décidèrent les jumelles.
Bon joueur, j’acceptai et les laissai nous mener dans un premier magasin. Je dus les attendre près des cabines le temps qu’elles aillent chercher « de quoi faire croire que j’étais à la mode ». Mes sœurs et leur tact légendaire… Elles revinrent rapidement, les bras chargés d’articles, sous le regard amusé de Delphine qui essayait des chapeaux distraitement.
— Tiens, tu vas essayer ça ! m’ordonna Annabelle.
— Nan ! Tu peux pas lui donner le pantalon noir ! Ça va pas avec la veste, il faut le brut ! Sinon, on va croire à un genre de gothique qui essaie de sociabiliser ! s’indigna Constance.
— Dans ce cas, la veste claire !
— Ben non ! Ça ira pas avec les chaussures ! T’as rien écouté quand j’ai parlé ou quoi ?
— Si j’ai écouté, c’est juste que t’as des idées de merde !
— Pardon ?
Sentant la dispute s’envenimer, j’attrapai le tout et leur souris.
— Et si j’essayais juste ce qui me plaît dans vos choix ?
Elles se jetèrent un coup d’œil puis éclatèrent d’un rire sonore.
— Nan mais Éliah, si on te laisse choisir, ça va être la cata ! réussi à articuler Constance pendant son fou-rire avant de se tourner vers Annabelle. Bon, on prend le jean noir, la veste claire, le t-shirt à imprimé et les chaussures montantes ?
L’intéressée plissa les yeux puis valida la sélection de sa sœur. Je me retrouvais poussé de force dans une cabine.
— Anna ! On a oublié les chaussettes et le boxer ! s’écria soudain Constance.
Cette fois, je sortis la tête de la cabine.
— Non, mais ! Ça va, oui ? J’ai pas besoin de chaussettes ou de boxers. Ôtez-vous immédiatement cette idée de la tête ! Je suis encore capable de choisir ça tout seul !
Elles boudèrent mais m’écoutèrent. Pendant les essayages, je passais plus de pantalons que je n’en avais jamais acheté et deux heures plus tard, après quatre magasins visités, quand je pus enfin sortir de cet enfer, je ne savais même plus combien de tenues « hyper stylées » j’avais enfilé.
J’avais été faible devant l’engouement de mes sœurs et avait cédé à trois tenues différentes, comprenant chaussures et accessoires, ainsi qu’à des t-shirts « qui font un peu moins basique que d’habitude, tout en restant classes », comme l’avait dit Delphine.
Mes sacs en main avec les articles choisis par les jumelles et payés par Delphine, je proposai aux filles de les laisser aller faire du shopping pendant que j’allais me prendre une boisson chez Starbucks. Évidemment, je fis face à un « non » commun à mes sœurs. Résigné, je les suivis à travers différents magasins de vêtements, maquillages, accessoires et chaussures. Elles eurent cependant la gentillesse de ne pas me laisser de côté, me demandant mon avis « d’homme » sur leurs divers choix. Au quatrième « vous êtes magnifiques » elles commencèrent à se dire que, décidément, je n’y connaissais rien.
Vers quinze heures, alors que je pensais pourvoir bientôt m’extirper de cet enfer, Delphine m’attrapa soudainement le poignet. Je la fixai, interloqué, avant de comprendre sur quoi elle braquait son regard.
— Delphine, non !
Elle me sourit vicieusement et me tira jusque chez un coiffeur.
— Bonjour ! lança-t-elle aux employés. Vous auriez du temps pour couper les cheveux de mon petit frère ?
— Bien sûr ! Je vais chercher notre coiffeur homme ! nous informa la jeune femme.
Je me penchai vers ma grande sœur.
— Arrête, je peux pas me le permettre ! J’ai déjà trop dépensé ce mois-ci et faut encore que je fasse les courses avant le retour des parents.
Elle passa son bras autour de ma taille et me sourit.
— C’est pour moi. Je sais combien t’a coûté le nouveau casque de Léonie, qu’elle ne lâche plus d’ailleurs. Alors, laisse-moi te gâter aujourd’hui, ok ?
Je fis la moue mais hochai la tête, acceptant. Quelques instants plus tard, un homme se dirigea vers moi et m’invita à m’installer sur un siège. Il me mit un peignoir, une serviette, puis plaça ma tête bien droite face au miroir.
— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? me demanda-t-il en touchant mes cheveux.
— Hum… On raccourcit un peu ? tentai-je.
— Pourquoi tu changerais pas de coupe ? proposa Constance, toujours postée à l’entrée. Avec une coupe boule, tu serais trop mignon !
Je grimaçai.
— Tu dis ça seulement parce que ton chanteur de K-pop préféré vient d’en faire une. Je veux pas leur ressembler !
Elle me tira la langue en riant et le jeune homme sourit.
— Vous êtes avec lui ?
— Ouais, on est ses sœurs ! Il en a six ! rétorqua Annabelle.
Il se retourna vers moi et pouffa.
— Ça doit pas être facile tous les jours, me chuchota-t-il.
— M’en parlez pas…, soupirai-je. Ce sont de vrais tyrans.
— Ceci dit, la demoiselle n’a pas tort. Une coupe boule vous irait bien. En plus, c’est le genre de coupe qui ne demande pas d’entretien trop régulier, vous pouvez la laisser pousser.
— Allez Éliah ! C’est le moment de changer un peu de tête ! T’as cette coupe depuis ta naissance !
— Si vous voulez, reprit le coiffeur, on peut tenter la coupe boule et si ça ne vous convient pas, on repart sur une coupe plus classique.
— On peut faire ça ? demandai-je, seulement impatient de sortir de là.
— Bien sûr ! Alors, on s’y met ?
Je soupirai.
— D’accord.
Mes sœurs s’assirent dans le petit salon d’attente le temps que le jeune homme s’occupe de me laver les cheveux puis de me les couper. Un peu inquiet, je n’osais même plus lever les yeux vers le miroir. Puis, après un temps interminable, il m’annonça que c’était fini. Les filles se précipitèrent à mes côtés et leurs yeux se remplirent d’étoiles.
— T’es tellement mignon comme ça ! jugea Constance.
— Adorable, surenchérit Delphine.
— Trop cute ! gémit Annabelle.
Je fis la moue. « Mignon, adorable, cute » super. Vraiment, la liste d’adjectifs que j’attendais… Je jetai finalement un coup d’œil à mon reflet. Ouais, j’avais l’air d’un gamin.
— Franchement, tu peux pas changer là, c’est trop bien comme ça ! me dit Annabelle.
— On dirait un adolescent…, grognai-je.
— Mais non ! T’es vraiment bien !
Je m’approchai de la glace et touchai un peu mes cheveux alors que Delphine demandait son avis au coiffeur.
— Ça change, mais elles ont raison, ça vous va bien. C’est vrai que ça donne un côté plus doux à votre visage, mais vous n’avez pas l’air d’un enfant non plus.
— Allez garde ça, s’te plaît Éliah ! me supplia presque Constance.
Devant leur regard de chien battu, je ne pus qu’abdiquer pour la troisième fois de la journée. Face à mes sœurs, je n’avais aucune chance. Après que Delphine eut réglé et que les coiffeuses m’aient couvert de compliments, je sortis enfin de cet enfer, les mains dans les cheveux et le visage écarlate. Vraiment, ces filles faisaient tout ce qu’elles voulaient de moi. Ensuite, j’eus enfin droit à ma récompense sucrée : un Frappuccino® – Cookie & Cream, que je dégustai avec grand plaisir.
Il était dix-sept heures passées lorsque nous récupérâmes Léonie à la bibliothèque avant de finalement rentrer à la maison. J’allais ranger mes nouveaux vêtements dans mon armoire puis m’effondrai sur mon lit, complètement épuisé. On pouvait dire ce qu’on voulait, passer la journée à faire du shopping, c’était crevant.